vendredi 31 août 2012

Oscar de la meilleure actrice 1940

Au programme:

* Bette Davis - The Letter
* Joan Fontaine - Rebecca
* Katharine Hepburn - The Philadelphia Story
* Ginger Rogers - Kitty Foyle
* Martha Scott - Our Town

Le consensus veut que Katharine Hepburn ait livré la meilleure interprétation parmi les candidates officielles, mais de fait, la victoire de Ginger Rogers était inévitable. En effet, Kate Hepburn sortait tout juste de sa période "Box Office Poison" et avait en outre déjà gagné, de telle sorte que même si The Philadelphia Story a donné un nouveau souffle à sa carrière, elle ne partait probablement pas favorite pour cet Oscar. De son côté, Bette Davis avait été honorée tout son content par le passé, de quoi laisser une certaine latitude aux trois autres candidates nommées pour la première fois. Martha Scott reprenait pour sa part son rôle de Broadway, mais elle était trop méconnue au cinéma pour pouvoir prétendre au titre. A l'inverse, Joan Fontaine s'était déjà fait un nom dans les années 1930, mais elle ne bénéficiait pas encore du statut de star qui aurait pu la rendre facilement victorieuse. Restait donc Ginger Rogers qui avait pour elle de considérables atouts: elle était l'une des plus grandes stars d'Hollywood, ses films avec Fred Astaire avaient tous été de grands succès, et si son talent n'était plus à prouver, il ne demandait qu'à s'épanouir davantage avec des rôles tragiques; dès lors, quelle meilleure occasion pour les Oscars que de primer une actrice de comédie désireuse de jouer à contre-emploi? Avec tous ces avantages pour elle, Rogers ne pouvait pas perdre. Mais constitue-t-elle un bon choix pour autant? C'est ce que je vous propose de découvrir dès à présent.

Je retire:

Martha Scott - Our Town: En faisant quelques recherches sur le film, j'ai découvert que les distributeurs français l'ont traduit par "Une petite ville sans histoire". Et ça n'est malheureusement que trop vrai: franchement, croyez-vous que je n'ai que ça à faire de regarder Fay Bainter et Beulah Bondi donner du grain à leurs poules, ou préparer des tartines pour leurs enfants? Concernant Martha Scott, son personnage est ennuyeux comme la pluie, la faute à un scénario qui se contente d'aligner des tranches de vie sans leur donner une signification particulière: "Lalala, je vais à l'école; lalala je me marie, lalal... oh... je meurs." D'ailleurs, l'actrice ne fait rien pour rendre l'héroïne plus intéressante: elle écarquille ses grands yeux pour montrer des regards vides et reste la bouche en coeur, tout ça pour se révéler à peu près aussi pétillante qu'un verre d'eau plate. Curieusement, c'est lorsqu'elle se voit en fantôme qu'elle apporte le plus de vie à son personnage, mais ces scènes arrivent trop tard pour permettre à l'actrice d'être réellement marquante. De toute façon, son rôle et son jeu sont trop vides de substance pour mériter d'être pris en compte.


Ginger Rogers - Kitty Foyle: Souvent décrié, l'Oscar de Ginger Rogers me semble parfaitement mérité. Certes, le film traîne peut-être un peu trop en longueur, mais avouons que la performance de l'actrice est une indéniable réussite. Pour commencer, Ginger joue tout en retenue, ce qui colle exactement à l'image d'une jeune femme de milieu modeste un peu impressionnée par l'homme qu'elle aime, et qui a bien conscience des difficultés d'une telle relation. De surcroît, son jeu sobre retranscrit fort bien les thèmes du doute et du choix cornélien qui tiraillent l'héroïne depuis le début, tout en reflétant le poids des codes sociaux pesant sur les femmes de ces années là: la conscience de Kitty qui intervient à travers son miroir en est une parfaite illustration. Par ailleurs, c'est sans efforts apparents que Rogers fait naître l'émotion sur son visage, notamment lorsqu'elle mêle la joie de retrouver son amant à la déception que lui cause une situation impossible à l'aune des convenances d'alors. Toutefois, loin de rester sur une note sombre, ce rôle est également éclairé par le dynamisme de l'actrice qui sait fort bien rendre l'humour d'une situation, comme le prouve son savoureux dialogue avec le médecin devant lequel elle fait semblant d'être évanouie afin de sauver son emploi. Tous ces aspects conduisent à un final très réussi où Ginger fait fusionner différentes émotions afin de rendre très crédible le choix de Kitty, preuve s'il en est qu'elle est tout à fait capable de briller même en dehors de ses rôles plus habituels de comédies. Il est juste dommage que le rôle soit moins séduisant qu'à l'accoutumée.


Katharine Hepburn - The Philadelphia Story: Bon, j'ai enfin revu The Philadelphia Story, et miracle, la quatrième tentative fut la bonne, puisque j'ai enfin réussi à apprécier le film à sa juste valeur: le scénario est génial, les acteurs sont fabuleux (minus un James Stewart un peu agaçant), et le tout m'a inconditionnellement diverti, même si pas au point de figurer dans mon top 10 des meilleures comédies américaines. Ceci dit, le film vient de faire un grand bond dans mon estime, et j'en suis fort heureux. Du coup, j'ai également plein de bonnes choses à dire sur la performance de Kate, qui à l'inverse de ce qu'indiquaient mes souvenirs antérieurs est en fait exceptionnellement excellente dans chacune de ses émotions. Elle est ainsi parfaite en ex-épouse hautaine de Cary Grant qui n'oublie cependant pas d'être extrêmement sympathique avec sa famille, très drôle lorsqu'elle joue de son image devant les journalistes, à grand renfort de sourires savoureusement forcés, voire carrément hilarante lorsqu'elle fait involontairement tomber un appareil photo compromettant. Cependant, lorsque les doutes s'installent et que la déesse commence à descendre de son piédestal, Hepburn devient encore meilleure en jouant parfaitement sur certaines fêlures (les explications avec son père sont brillantes), et Tracy n'en devient que d'autant plus sympathique en étant mise à nue. En outre, son jeu d'inimitié amoureuse avec Cary Grant fait des merveilles qui rappellent leurs grandes collaborations antérieures, tandis que ses rapports de plus en plus chaleureux avec les journalistes restituent toute la complexité de l'héroïne, et en définitive, seule la longue séquence d'ivresse la veille du mariage m'a un peu laissé sur ma faim. Le seul autre bémol qu'on pourrait relever, c'est que l'actrice joue principalement son propre rôle, mais c'est tellement bien fait qu'il est impossible de lui reprocher une quelconque facilité en la matière: la performance est superbe, et je suis totalement ravi de cette redécouverte plus que positive, bien qu'il y ait encore mieux parmi les actrices de l'année.


Ma sélection:

Bette Davis - The Letter: Non contente d'avoir été consacrée par son deuxième Oscar pour Jezebel, Bette Davis a mis la barre encore plus haut pour ses retrouvailles avec Wyler. En effet, The Letter me semble encore plus réussi, et la performance de Davis y est un éblouissement de tous les instants. Dès son entrée en scène, elle impose un personnage iconique de meurtrière qui ne se départit jamais de son image respectable afin d'être innocentée: ce rôle peut ainsi se lire comme une synthèse des thèmes davisiens par excellence, puisqu'on retrouve en cette héroïne le caractère impulsif d'une Joyce Heath, le côté manipulateur d'une Julie Marsden, mais aussi l'aspect touchant d'une femme désespérée qui parvient à s'attacher toute notre sympathie. Dans le même temps, le personnage préfigure également le minimalisme porté à son paroxysme dans The Little Foxes, dans la mesure où Davis rend tout le sel d'une situation par ses seuls regards, comme en témoigne cette scène où elle regarde en coin son avocat lors d'un dîner, sans oublier bien sûr sa confrontation légendaire avec Gale Sondergaard où le mépris que se vouent les deux femmes se passe de mots. Et bien entendu, l'inquiétude qu'on lit dans les yeux de Davis lorsqu'elle est baignée dans la pénombre d'un crépuscule malais est au-delà du sublime. Incontestablement, un excellent rôle qui annonce l'extase absolue de la troisième collaboration Wyler/Davis l'année suivante.


Joan Fontaine - Rebecca: Après s'être contentée de petits seconds rôles lors des années 1930, Joan Fontaine a commencé la décennie en beauté avec ce rôle juteux sublimé par un climat angoissant qu'Hitchcock a restitué à merveille. Dès le départ, il ne fait aucun doute que Fontaine est le personnage: à la fois dynamique et impressionnable, elle rend parfaitement l'esprit de cette jeune fille de compagnie qui dès son séjour sur la Riviera ne se sent pas très à l'aise devant un Laurence Olivier mystérieux à souhait. Mais le clou du spectacle, c'est évidemment la progressive découverte de Manderley où Fontaine se révèle tellement nerveuse qu'on n'a aucun mal à croire aux troubles qu'elle ressent face à une demeure hantée par le souvenir d'une première épouse, dont le spectre est constamment ravivé par une Judith Anderson mythique en gouvernante austère et passionnée. Mais évidemment, Fontaine ne s'arrête pas là, aussi ne manque-t-elle pas de briller dans la seconde partie lorsque son personnage parvient à vaincre ses démons pour s'imposer dans cet univers qui la dépasse, avec en point d'orgue la scène sur la plage avec Laurence Olivier. L'actrice trouve ainsi l'équilibre idéal entre force de caractère et sentiment de n'être jamais à sa place, comme pour souligner le passage entre adolescence et âge adulte qui préfigure d'autres très bons rôles dans sa carrière.


Vivien Leigh dans Waterloo Bridge: A l'inverse de Philadelphia Story, j'ai tout de suite aimé Waterloo Bridge, mais j'étais resté sur l'impression que la version de 1931 avait ma préférence, de telle sorte qu'au moment d'établir cette liste la première fois, j'avais moins envisagé Vivien Leigh comme une possibilité sérieuse que comme un doux souvenir agréable. A tort: sa performance est brillante, et les changements opérés par les scénaristes lui permettent de livrer une interprétation très personnelle du rôle, qui n'a ainsi rien à envier à celle de Mae Clarke. D'ailleurs, on pourrait même considérer la performance de Vivien comme un peu plus riche puisqu'elle doit souligner une évolution, Myra n'étant pas encore déchue lorsque s'ouvre le film. Et honnêtement, ce portrait de jeune danseuse sympathique qui se laisse tenter par une romance est magnifique. En fait, on croit absolument à cette première partie assez légère et somme toute aérienne, à l'image de la fameuse valse dans l'ombre avec Robert Taylor, tandis que la déception liée à la guerre n'est jamais appuyée, comme on pouvait s'y attendre de la part d'une actrice aussi talentueuse. Par la suite, les débuts difficiles suite au renvoi de l'héroïne par la maîtresse de ballet sont encore rendus avec une grande justesse, de la sévérité dans le regard face à la nouvelle profession de la meilleure amie, à la séquence au restaurant, brillamment balancée entre ivresse et inquiétude. Vraiment, toutes ces scènes sont jouées avec brio, si bien que lorsqu'on arrive à la déchéance ultime à la gare, on imagine sans peine que le personnage en soit arrivé là, d'autant que Vivien sait absolument bien aguicher le chaland sans pour autant rien perdre de sa distinction. Quant au dernier acte, c'est une fois encore parfait, de l'émotion incrédule lors des retrouvailles à la complicité nouée très rapidement avec les membres de la maisonnée, avant d'aboutir à cette honte pesante qui revient hanter l'héroïne au fur et à mesure qu'elle s'approche d'un destin éclatant. En somme, c'est vraiment très bon, touchant mais sans verser dans le moindre sentimentalisme, et l'équilibre savamment construit entre romantisme et prosaïque rend cette performance vraiment incontournable.


Rosalind Russell - His Girl Friday:  Un an après sa performance démentielle dans The Women, Rosalind Russell a opté pour un tout autre type d'héroïne comique puisqu'à l'inverse de Sylvia Fowler, Hildy Johnson frappe d'emblée par son caractère calme et posé. Pour commencer, sa scène d'ouverture avec Cary Grant fait des étincelles et rien n'est plus jouissif que voir ces monuments de la comédie américaine se donner la réplique, le tout dans une ambiance qui n'est pas sans faire écho à The Awful Truth avec un Ralph Bellamy dans un rôle similaire de fermier texan. Mais outre l'aspect comédie et relations sentimentales, le film et la performance de Russell trouvent un second point fort grâce à une satire des médias qui permet de complexifier tous les personnages: Cary Grant a beau être sympathique, il n'en est pas moins un odieux opportuniste, et voilà qui déteint sur sa partenaire qui sait très bien rendre les contradictions d'une Hildy qui conserve ses scrupules mais n'hésite pas à faire passer l'information en priorité. Et non contente de livrer une prestation absolument triomphante, Roz réussit l'exploit rarissime de parler avec un débit proprement hallucinant dès que l'intrigue s'emballe, et ce tout en restant parfaitement compréhensible, de quoi mettre plus que jamais en valeur ses répliques délicieuses et savoureuses. His Girl Friday est donc un excellent rôle pour elle, peut-être son meilleur.


Margaret Sullavan - The Shop Around the Corner: S'il y avait un film pour lequel nommer Margaret Sullavan aux Oscars, ce n'était certainement pas pour Three Comrades, mais bel et bien pour ce chef-d'oeuvre de Lubitsch qui m'émerveille toujours davantage à chaque visite. Déjà, sa Klara Novak est un personnage tellement attachant qu'elle se fond à la perfection dans ce petit monde ultra touchant des employés d'un magasin à Budapest. On ressent donc très rapidement beaucoup d'empathie envers Klara qui reste tout à fait charmante sans se départir de sa personnalité. Dès lors, j'aime énormément l'approche de l'actrice dans ses rapports houleux avec James Stewart, devant qui elle reste toujours courtoise tout en sachant très bien lui dire les choses en face. L'alchimie entre les deux acteurs est ainsi portée à son paroxysme lorsque Stewart est le premier à faire une découverte conséquente sur sa collègue alors que celle-ci ne se doute encore de rien, de quoi rendre encore plus étincelant un scénario qui devait à mon avis être déjà excellent sur le papier. Décidément, ce film empreint de nostalgie est absolument divin, et rien ne me semble plus agréable que cette ambiance admirablement rendue par des interprètes devant lesquels on ne peut tarir d'éloges. Sullavan y trouve très certainement le rôle de sa vie.

Voilà qui est dit. Après, 1940 étant une très bonne année en ce qui concerne les performances d'actrices, il pourrait y avoir d'autres alternatives tout aussi honorables, mais à mes yeux les cinq candidates que je viens de sélectionner sont toutes tellement sublimes que ma liste me convient parfaitement. Mais qui, parmi elles, va recevoir le prix si convoité? La gagnante est...

Vivien Leigh - Waterloo Bridge

L'année est si riche qu'il m'est difficile de trancher, mais le personnage qui me touche le plus parmi tout ce beau monde reste définitivement la charmante Myra de Vivien Leigh, qui n'a finalement rien à envier à celle de Mae Clarke onze ans plus tôt. Evidemment, Rosalind Russell ne démérite nullement avec sa perfection technique et son personnage comique très différent de sa Sylvia Fowler de 1939, mais Hildy Johnson ne m'enthousiasme finalement plus autant que par le passé. Bette Davis se classe quant à elle troisième pour sa brillante méchanceté intériorisée, Joan Fontaine quatrième pour sa jeune timide qui apprend à d'endurcir à mesure de sa découverte du château, et Margaret Sullavan cinquième pour son héroïne émouvante en toute simplicité. Mais l'année est si riche en grandes performances qu'il convient à présent de laisser Sylvia Fowler les classer comme...


dignes d'un Oscar: Bette Davis (The Letter), Joan Fontaine (Rebecca)Katharine Hepburn (The Philadelphia Story)Vivien Leigh (Waterloo Bridge)Rosalind Russell (His Girl Friday), Margaret Sullavan (The Shop Around the Corner): voir ci-dessus.


dignes d'une nomination: Greer Garson (Pride and Prejudice); parce qu'elle y est aussi futile que spirituelle, toujours piquante même lorsqu'elle parle chiffons, et toujours charmante même lorsqu'elle congédie les dames de la haute société. Le ton du film, en décalage avec l'histoire originelle, rend sans doute sa performance quelque peu étrange, mais Garson n'en reste pas moins une candidate de choix, même si je lui préfère tout de même des Lizzie Bennet ultérieures choix, bien que pour les retrouver il faille en passer par la télévision. Ginger Rogers (Kitty Foyle): voir ci-dessus.


séduisantes: Claudette Colbert (Arise, My Love): "Hey, you're not bad at all!" Car bien que le film s'égare entre screwball comedy et drame de guerre, Claudette rayonne à nouveau de mille feux par son charisme et son naturel désarmant devant la caméra. Bette Davis (All This, and Heaven Too): une gigantesque production en costumes trop figée pour parvenir à la cheville de Gone with the Wind, avec cependant une bonne performance de Davis, toutefois bien loin des hauteurs prodigieuses de ses grands rôles de la même période. Marlene Dietrich (Seven Sinners): on pense ce qu'on veut du film et de son synopsis de comptoir (Bijou doit convaincre "qu'elle ne brisera que des cœurs, pas les chaises de bar"), ça n'empêche nullement Marlene de crever l'écran, et les quelques larmes qui perlent par moment sur son visage sont loin de la desservir. Et puis, sa façon de prononcer "baaaaaaaad influence" lui fait gagner de multiples points! Irene Dunne (My Favorite Wife): une charmante performance d'actrice qui n'a toutefois pas la force de ses autres collaborations avec Cary Grant. Miriam Hopkins (Virginia City): dans cet excellent western qui se garde bien de prendre parti entre Yankees et Sudistes, Miriam est toujours très bien sans être aussi exceptionnelle que par le passé, quoique son lever de jambes d'une souplesse sans égal sur Battle Cry of Freedom vaille son pesant d'or. Jeanette MacDonald (New Moon): parce qu'elle trait une chèvre et qu'elle me fait hurler de rire, comme d'habitude, en dépit d'une dernière réplique atrocement atroce. Ginger Rogers (Primrose Path): je n'ai plus un souvenir très précis du film et de la performance d'actrice, mais autant j'avais assez peu accroché à l'histoire, lui préférant même les aventures de Kitty Foyle, pourtant considéré comme un moins bon film, autant je n'ai jamais eu aucun reproche à faire à Ginger dans ce rôle. Mais je l'ai toujours préféré dans Kitty de toute façon. Margaret Sullavan (The Mortal Storm): une autre belle performance de Margaret Sullavan, dans un très bon film où elle injecte beaucoup de personnalité à l'héroïne, quoique je sois un peu plus sensible à sa Klara de la boutique au coin de la rue.


ratées: Joan Crawford (Susan and God): une actrice qui ne me laisse même pas en placer une pour dire à quel point sa performance est mal calculée car beaucoup trop forcée. "Pia pia pia pia pia, et je pousse cette pauvre Rita Hayworth d'une pichenette, et pia pia pia pia pia, je parle, je parle, je parle à n'en plus finir, de façon à ennuyer tout le monde." Bref, Crawford n'est clairement pas dans son élément, et elle en fait beaucoup trop pour faire rire ne serait-ce qu'une fraction de seconde, ce qui est bien dommage au demeurant, car la voir sortir des sentiers battus avait l'air alléchant sur le papier. Martha Scott (Our Town): ce n'est tout de même pas catastrophique, mais plus inexpressive, tu meurs.



jeudi 30 août 2012

Oscar du second rôle féminin 1931/1932

D'une façon générale, la césure des premières cérémonies des Oscars m'arrange plutôt pas mal. Mais dans cette catégorie particulière, c'est le drame, et j'aurais finalement adoré délimiter 1931 de 1932 afin de récompenser deux de mes performances favorites interprétées par deux de mes actrices de prédilection. Malheureusement, il me faudra faire un choix, mais l'avantage est qu'on aura ainsi droit à un duel des plus palpitants. Sans compter que mes autres candidates peuvent se targuer de leur donner pas mal de fil à retordre. Voici donc sans plus tarder ma sélection pour les seconds rôles de cette saison:

Enid Bennett - Waterloo Bridge: Si vous avez lu mon article sur les premiers rôles de cette même saison, vous savez que Waterloo Bridge est l'un de mes chefs-d'oeuvre favoris, et que tous les membres de la distribution sont en tout point excellents, y compris les plus secondaires. Enid Bennett n'échappe pas à la règle puisqu'en reprenant le personnage standard de la mère prête à tout pour protéger son fils d'un mariage hasardeux, elle parvient à sortir totalement des clichés pour aller vers des directions inattendues, tout en s'imposant à la fois comme le plus beau second rôle de l'histoire. Ainsi, elle trouve le parfait équilibre entre un snobisme typique de sa société et un fond bien plus compréhensif qu'on pourrait le croire, réussissant à incarner toute la complexité d'une grande dame à la fois compatissante mais jamais dépourvue de la hauteur nécessaire à son rang et à son époque. En outre, elle ajoute au rôle de multiples détails qui le nuancent excellemment, comme lorsqu'elle essuie une larme qui commence à poindre après sa grande scène avec Mae Clarke, à qui elle vient pourtant de faire comprendre qu'elle ne la soutiendra pas, dans un élan de condescendance qui ne s'assume pas totalement. En somme, l'actrice australienne est absolument irréprochable en lady plus britannique que jamais, l'illusion et la complexité sont totales, de quoi ajouter au sublime de ce joyau de James Whale.


Joan Crawford - Grand Hotel: Beaucoup la font gagner la même année en tant que leading actress, mais comme je l'ai précisé précédemment, je conçois plus Flaemmchen comme un rôle secondaire. Non que j'atténue la portée du personnage, mais au sein d'une distribution aussi riche qui se focalise légèrement plus sur les Barrymore, je reste sur l'idée d'un supporting role. Quoi qu'il en soit, ça ne change rien à l'éblouissement qu'est Crawford dans ce film. En effet, ce personnage de jeune secrétaire dynamique est une véritable bouffée d'air frais dans un lieu uniquement vu de l'intérieur, surtout si on la compare à l'autre femme constamment cloîtrée qu'incarne une Garbo loin de ses meilleurs rôles. De surcroît, Flaemmchen a des rapports privilégiés avec les trois protagonistes masculins, notamment les frères Barrymore, et Crawford ne se laisse justement jamais démonter par ces immenses talents. Ainsi, j'apprécie tout particulièrement ses échanges avec Lionel grâce auxquels l'actrice se révèle compatissante et touchante à souhait, mais j'avoue avoir été davantage saisi par sa rencontre étincelante avec John, lors de laquelle tout est dit: à la fois amusée, aguicheuse, lucide et distinguée, Crawford s'y montre absolument fabuleuse et impose, plus qu'aucune autre actrice de son temps, l'image définitive de la jeune fille pauvre mais charmante qui aimerait bien s'élever dans la société. Mais l'essentiel dans tout ça, c'est qu'après avoir vu sa performance ici, on oublierait presque qu'il y a aussi Garbo dans le casting, c'est dire.


Ann Dvorak - Scarface: Au sein d'un univers essentiellement masculin, Ann Dvorak incarne le personnage le plus humain, et donc celui auquel on prête le plus attention. Il faut dire que face à des gangsters assez rigides, son charme et sa spontanéité séduisent à la seconde où elle entre en scène, sans compter que j'aime beaucoup la personnalité dont elle fait preuve tout au long du film, en ne se laissant notamment pas démonter par un George Raft particulièrement glacial. Ainsi, j'apprécie tout particulièrement la façon dont s'établit leur liaison, ce qui ne m'empêche pas d'être également très touché par les rapports de Cesca avec Paul Muni. Et c'est justement le fait d'être prise entre deux feux qui rend l'héroïne si captivante, de quoi conduire l'actrice à retranscrire avec excellence la terreur et le désarroi de Cesca lors de la scène clef où son frère confronte son époux. Mais le meilleur dans ce rôle, c'est évidemment la scène finale ou Dvorak apparaît les larmes aux yeux, un revolver à la main, avant de retourner sa veste et de s'imposer comme le personnage qui m'a le plus marqué. A part ça, comme pour Crawford, la limite leading/supporting est relativement floue, mais bien qu'elle soit le principal personnage féminin du film, elle sert à mon avis plus de soutien à Paul Muni et George Raft qu'elle n'est un sujet en tant que tel. Mais sa performance n'en est pas moins sublime.


Miriam Hopkins - Dr. Jekyll & Mr. Hyde: 1931, c'est Miriam Hopkins dans son très bon premier millésime, mais s'il fallait ne retenir qu'un unique rôle pour cette année, ce serait bien entendu son Ivy Pearson, archétype ultime de la prostituée victorienne aux prises avec les diverses facettes du bien et du mal incarnées par Fredric March. Quand on pense que Miriam a failli décliner le rôle d'Ivy pour jouer Muriel Carew, la fiancée bien élevée du Dr. Jekyll, on ne peut que se féliciter qu'elle ait finalement changé d'avis, car il s'agit très certainement du rôle de sa vie. En effet, elle crève l'écran à chacune de ses apparitions, et ce n'est d'ailleurs pas un hasard si Fredric March s'est plaint de voir sa partenaire lui voler toutes ses scènes. Il faut dire que pour incarner Ivy, l'actrice n'y est pas allée de main morte, bien consciente que sa composition outrancière ne pouvait que mettre en valeur son visage expressif sur lequel se dessinent à peu près toutes les émotions imaginables dans le même laps de temps. Miriam esquisse dès lors à la perfection les diverses facettes de l'héroïne, qu'il s'agisse du plaisir ressenti par la vision d'un jeune docteur attrayant devant lequel Ivy se lance dans un strip-tease torride, de la gouaille d'une prostituée bien décidée à arrondir ses fins de mois dans des bars miteux, de l'horreur teintée d'incrédulité que lui inspire sa rencontre avec Hyde, de la détresse de la femme battue ou du réconfort empreint de reconnaissance lors de ses retrouvailles avec Jekyll : bref, voilà une performance des plus réussies. D'ailleurs, rien n'est plus vrai que cette phrase, mythique, qu'elle lance à Fredric March après s'être dévêtue: "Come back... Soon... Come back..." Voilà qui donne plus que jamais envie d'y revenir, indeed.


Genevieve Tobin - One Hour with You: Huit ans après Marie Prevost dans The Marriage Circle, ce fut au tour de Genevieve Tobin d'incarner une délicieuse briseuse de ménage sous la direction de Lubitsch. Comme on peut s'en douter, le rendu est un bonheur total. Ainsi, Mitzi est une grande bourgeoise nymphomane drôlissime qui a plus d'un tour dans son sac, et rien n'est plus hilarant que de la voir jouer à la mourante pour attirer Maurice Chevalier dans son antre, ou de la surprendre en train d'échanger des étiquettes sur une table pour faire tourner Jeanette MacDonald en bourrique. A ce propos, je suis absolument fan des rapports entre les deux femmes qui illustrent à merveille toutes les mesquineries de la notion de "meilleure amie", Jeanette n'étant pas en reste elle non plus ("Aaaah! Didn't I tell you? Didn't I tell you?!"), même si l'on ne peut que regretter l'absence d'une confrontation finale entre les deux amies comme ce fut le cas dans The Marriage Circle. Il est donc un peu dommage de voir Genevieve Tobin quitter la scène assez rapidement, mais elle a néanmoins le temps de laisser des marques durables dans le film, avec en point d'orgue les sourires absolument jubilatoires et quasi machiavéliques qu'elle jette à Maurice Chevalier pour le séduire, ou à son mari lorsqu'elle quitte le domicile. Sans oublier bien sûr sa façon de danser pour mieux se rapprocher de sa proie. Bref, c'est drôle à souhait, en on voudrait que ça ne finisse jamais!

Bien, ça, c'est dit. Et pour en revenir à ce que je disais au départ, il va de soi que si 1931 avait été séparée de 1932 aux Oscars, j'aurais bien entendu voté pour Miriam puis pour Joan d'une année à l'autre. Malheureusement, il me faut faire un choix... Mais c'est dur! Alors... Joan Crawford ou Miriam Hopkins? Miriam Hopkins ou Joan Crawford? The winner is...


Miriam Hopkins - Dr. Jekyll & Mr. Hyde

Finalement, après avoir revu les deux films pour mieux les départager, mes doutes se sont décantés et Miriam s'impose de façon irrémédiable. Diantre! Est-il possible de décrire le spectacle que fut pour moi son Ivy Pearson? Parce que, comment vous dire... sa performance est absolument divine et surtout extatique. J'ai ressenti une extraordinaire empathie pour le personnage, et force m'est de reconnaître que je suis complètement sous le charme de ses lancers de jarretelles lorsqu'elle tente de séduire Fredric March. C'est tout à fait osé, et voilà une scène qui me fait plus que jamais apprécier tout le sel de ces films Pre-Code. Et puis, parlons net, Dr. Jekyll & Mr. Hyde est un chef d'oeuvre incontestable qui aurait largement dû gagner l'Oscar du meilleur film, si bien que Grand Hotel ne peut que souffrir de la comparaison. De surcroît, 1931/1932 s'avère être plus que jamais LE moment Miriam Hopkins, parce que non contente d'éblouir à tout instant dans Dr. Jekyll & Mr. Hyde, elle est également merveilleuse dans 24 Hours, et divinement drôle et adorable dans The Smiling Lieutenant. Qu'on se mette donc bien d'accord: je suis fou amoureux de Joan Crawford dans Grand Hotel, mais je me damnerais pour Miriam Hopkins dans tous les rôles susnommés. J'ajouterai même que son Ivy Pearson est probablement LE meilleur second rôle de l'histoire du cinéma. Come back... Soon... Come back... Come back...

En troisième place, je mets Ann Dvorak qui a su me toucher comme jamais, avant de classer Enid Bennett quatrième pour son personnage multidimensionnel, puis Genevieve Tobin cinquième parce que, même si elle est très drôle, il est un peu dommage qu'elle n'ait pas davantage de scènes dans la seconde partie. Quant aux honorable mentions, on pourrait envisager Rose Hobart dans Dr. Jekyll & Mr. Hyde puisque bien qu'étant dotée du personnage le moins captivant, elle parvient tout de même à rendre Muriel Carew tout à fait intéressante avec le peu qui lui est donné, sans jamais en faire une petite chose victorienne trop bien élevée. D'autre part, il conviendrait encore de citer Anna May Wong dans Shanghai Express puisqu'elle est loin de passer inaperçue, même si son rôle est réduit à portion congrue. Et, mise à jour oblige, n'oublions pas Louise Carter en mère dévastée dans Broken Lullaby.

Et à part ça, juste pour le fun, ne manquer la tête de Rafaela Ottiano dans As You Desire Me sous aucun prétexte. Non que ce soit particulièrement réussi (le film étant lui même problématique, n'est-ce pas, Greta Gharblow?), mais voir l'air hyper concentré de Rafaela pour révéler que "Oui, c'est elle, je l'ai reconnue en regardant de près... Mais... Non, ce n'est pas elle, je l'ai reconnue en regardant de près!" est quand même bien mythique!

jeudi 16 août 2012

Oscar du second rôle féminin 1934

Comme précisé dès le départ, je fais remonter les seconds rôles dès 1927/1928 afin de mettre en lumière de bonnes performances généralement éclipsées par les grandes stars de l'époque. Pour l'année 1934, voici les actrices qui m'ont le plus marqué dans cette catégorie:


Alice Brady - The Gay Divorcee: Ne cherchez pas: Alice Brady est l'une de mes actrices comiques de prédilection, l'une des rares à savoir faire un sort aux calembours les plus risqués ("Niece, yes! That's the one I'm waiting for!") et à pouvoir rendre hilarante n'importe quelle situation. Il ne pouvait dès lors n'y avoir qu'elle pour jouer la tante excentrique de Ginger Rogers de façon aussi drôle, et ce sans afficher le moindre effort. Certes, on m'objectera peut-être que le rôle n'est pas des plus compliqués, mais en toute honnêteté, le personnage aurait très probablement été massacré par une autre actrice n'ayant pas le timing comique si particulier de Brady. Ainsi, chaque geste et chaque réplique prend un tour tout à fait savoureux grâce à cette interprète hors pair, et rien n'est plus jouissif que de la voir répondre à un douanier qui, croit-elle, tente de la séduire à l'aide d'une corbeille de fruits qu'elle a pourtant achetée elle-même. Sans parler de sa façon de débarquer dans le bureau d'un Edward Everett Horton fort déconfit qu'elle ne manque pas de faire tourner en bourrique. En somme, Brady compose un personnage constamment drôle qui parvient à être tout aussi marquant que le duo Astaire-Rogers, et fait vivement regretter son absence dans leurs autres collaborations: là où les répliques d'Helen Broderick tombent constamment à plat, Alice Brady aurait très certainement insufflé une bouffée d'air frais comique qui aurait pu relever le niveau de Top Hat ou Swing Time.


Louise Dresser - The Scarlet Empress: Non contente d'avoir le physique de l'emploi, Louise Dresser est criante de vérité dans ce rôle de tsarine impérieuse et capricieuse. En effet, l'actrice incarne l'essence même d'une femme de pouvoir, à la fois dure et colérique, mais aussi empreinte de dignité et de désirs humains, et qui sait combien il est difficile pour une dame de jouer le rôle de chef d'État. C'est pourquoi sa jovialité peut rapidement s'effacer pour laisser parler une fureur qu'elle a du mal à contrôler, comme le souligne cette scène où Marlene tente de lui faire la leçon en pleine salle du conseil avant de se faire remettre à sa place par une impératrice prenant un malin plaisir à la dominer. D'ailleurs, on adore voir Dresser se jouer de Marlene pour bien lui inculquer ses devoirs, celle-ci étant à ses yeux davantage une productrice d'héritiers qu'une figure politique, de quoi rendre la métamorphose de l'héroïne encore plus sublime. Dès lors, Louise Dresser a bel et bien un rôle déterminant au sein du film, et j'aime tout particulièrement la façon qu'a l'actrice de restituer les contrastes de son personnage: certes, Elisabeth est une souveraine décadente et illettrée, mais dans le même temps, elle sait faire preuve d'un solide sens politique pour la sauvegarde d'une Russie à laquelle elle a sacrifié sa vie. En clair, un second rôle vraiment incontournable pour ce cru 1934.


Kay Johnson - Of Human Bondage: Difficile de se tailler une bonne place dans un film où Bette Davis écrase à peu près tout sur son passage, mais force est de reconnaître que Kay Johnson n'a nullement démérité. Certes, le rôle est moins ambitieux, mais c'est justement ça qui lui permet de se démarquer, en apparaissant comme un havre de paix pour calmer les tourments d'un Leslie Howard agaçant. Johnson sait ainsi se montrer gentiment taquine, mais surtout compréhensive, de quoi rythmer le film de façon efficace entre les scènes survoltées de Davis. Cependant, le caractère trop bon de cette confidente amoureuse qui n'hésite pas à allumer la pipe de celui qu'elle aime est également ce qui cause sa perte: le personnage en a conscience et voilà qui permet à l'actrice de jouer sur la corde sensible en évitant le piège du mélodrame. Norah se révèle donc touchante par sa clairvoyance: elle sait qu'elle a peu de chances d'être aimée en retour, de quoi avoir de bonnes réactions lorsqu'elle n'a d'autre choix que de s'incliner face à sa rivale. Dès lors, le choix de l'actrice de ne pas pleurer lorsqu'elle quitte la scène renforce l'empathie qu'on peut ressentir pour son personnage.


Fredi Washington - Imitation of Life: C'est peut-être celle qui a le temps d'écran le plus restreint au sein du casting, mais ça ne l'empêche nullement de laisser une forte impression. Il faut dire qu'elle est dotée du meilleur personnage du film puisque contrairement à Louise Beavers, elle cherche à se révolter contre sa condition en profitant de sa peau claire pour se faire passer pour blanche. Ce rôle prend une acuité toute particulière quand on sait que dans sa vie privée, Fredi Washington a toujours refusé de se faire passer pour blanche, quitte à sacrifier sa carrière, afin de militer activement pour les droits civiques. Quoi qu'il en soit, sa performance ici est frappante de justesse: bien qu'elle soit du même âge que Claudette Colbert et Louise Beavers, elle fait parfaitement croire à cette jeune fille de la génération suivante, et c'est pourtant la moindre de ses qualités. En effet, la grande force de l'actrice est avant tout de composer un personnage complexe avec une facilité qui fait vivement regretter qu'elle n'ait pas tourné plus: d'un côté, on la sent bouillonner en permanence à cause des problèmes raciaux qui la frappent de plein fouet et qu'elle tente de conjurer; de l'autre, elle se révèle extrêmement émouvante dans ses rapports avec sa mère, et ce à l'aide de son visage constamment serré par la déception qu'illuminent des regards touchants. On aboutit dès lors à une performance intense qui conduit à un final dévastateur fort bien rendu par l'actrice. 

Ça, c'est dit! Et maintenant, trêve de suspense: the winner is...

Fredi Washington - Imitation of Life

Pour moi, s'il y a un second rôle à mettre en valeur en 1934, c'est bien Peola Johnson telle que l'interprète avec force excellence Fredi Washington. De surcroît, l'actrice est à mes yeux une icône qui, rien que pour ses combats à la ville, mérite amplement d'être distinguée. Mais parlons net: si je vote pour elle avec autant d'enthousiasme, c'est avant tout parce que je considère qu'elle est, en terme de jeu, la meilleure de sa catégorie. Concernant ses concurrentes, voici comment j'envisage de les classer: Kay Johnson tendrait à être quatrième et serait devancée par Alice Brady se hisserait dans le top 3 grâce à son personnage hilarant mais la principale concurrence contre Fredi viendrait de Louise Dresser, parce qu'incarner une tsarine aussi jubilatoire dans le chef d'oeuvre ultime du septième art, c'est un émerveillement de tous les instants.

Sinon, je confesse avoir pas mal ri devant Mary Boland dans Four Frightened People, mais je refuse catégoriquement de donner la moindre nomination à ce film.

mardi 7 août 2012

Oscar de la meilleure actrice 1949

Généralement considérée comme une année particulièrement pâlichonne, 1949 ne fut certes pas vraiment fastueuse pour les performances d'actrices dans la mesure où même les grandes stars de la décennie décidèrent de livrer des interprétations très problématiques. De même, les Oscars ne parvinrent pas à sélectionner un bon cru, aussi reste-t-il difficile de s'enthousiasmer pour la plupart des rôles suivants:

* Jeanne Crain - Pinky
* Olivia de Havilland - The Heiress
* Susan Hayward - My Foolish Heart
* Deborah Kerr - Edward, My Son
* Loretta Young - Come to the Stable

A mon avis, la seconde victoire d'Olivia de Havilland fut extrêmement facile: son film était l'un des meilleurs de l'année et lui permettait d'esquisser les multiples facettes d'un personnage connaissant une grande évolution. En face, Loretta Young avait déjà gagné deux ans plus tôt à la surprise générale, sans bénéficier pour autant de l'étiquette grande actrice dramatique à la différence d'Olivia, aussi ne fut-elle probablement pas une concurrente sérieuse. Ce qui ne l'empêcha pas de surfer à la fois sur le succès d'un film empreint de bons sentiments religieux, et de son extraordinaire capacité à s'entendre avec tout le monde à Hollywood, sauf Marlene Dietrich. De son côté, Jeanne Crain s'imposait comme une actrice incontournable cette année là, en figurant dans trois films prestigieux, Pinky, The Fan et A Letter to Three Wives. Néanmoins, il est possible qu'on l'ait jugée trop nouvelle aux Oscars pour lui en donner un du premier coup. A l'inverse, Susan Hayward alors à sa deuxième nomination eut peut-être plus de chances, surtout grâce à son personnage fort de femme alcoolique. De même, Deborah Kerr connaissait elle aussi les affres de l'alcoolisme sous la direction de Cukor, mais son rôle fut sans doute considéré comme trop secondaire pour pousser jusqu'à la victoire. Dès lors, la voie était amplement dégagée pour Olivia de Havilland. Mais constitue-t-elle un bon choix pour autant? La réponse ci-dessous!

Je retire:

Jeanne Crain dans Pinky: Un problème pour commencer : Jeanne Crain ne peut en aucun cas être Pinky Johnson, une jeune fille noire à la peau claire et la petite-fille d'Ethel Waters, étant donné son visage plus caucasien que jamais. L'argument physique n'est donc pas du tout crédible, à la différence de Fredi Washington ou Susan Kohner dans les deux versions d'Imitation of Life, ce qui est déjà une mauvaise entrée en matière. Malheureusement, ce n'est pas tout, car Jeanne Crain n'arrive pas à donner vie à ce personnage qui la met manifestement mal à l'aise : ainsi, elle arbore pendant tout le film le même visage figé, et parle jusqu'à la fin de la même voix sèche, mais on ne sent presque jamais poindre l'émotion derrière cette façade. A la réflexion, ce n'est peut-être pas plus mal car lorsqu'elle tente de jouer, l'actrice grince des dents puis se fige à nouveau dans la seconde qui suit (voir notamment la chute d'Ethel Barrymore). Alors, je veux bien croire que les difficultés qui affectent Pinky en fassent un personnage assez froid, mais vu la façon dont l'interprète Jeanne Crain, ça n'a hélas aucune crédibilité. Disons que l'actrice était encore trop inexpérimentée à l'époque, bien qu'ayant déjà à son actif quelques rôles intéressants, dont Leave Her to Heaven, et le rôle était manifestement trop difficile pour elle. A sa décharge, elle n'est absolument pas aidée par le scénario, ni par le film en général qui se révèle un désastre d'ennui et de tâtonnements aberrants, dont l'erreur de casting principale n'est que le reflet le plus évident.


Deborah Kerr dans Edward, My Son: A ce stade de mes publications gretalluliennes, je n'ai pas encore eu l'occasion de parler en bien de Deborah Kerr... et ce n'est malheureusement pas en 1949 que je vais commencer (ça finira néanmoins par arriver, qu'on se rassure). Pour commencer, elle a du mal à s'imposer face à Spencer Tracy vers qui tous les regards sont tournés, la faute à un personnage d'épouse endurante pas franchement passionnant et à des choix de jeu qui me laissent perplexe. Elle a notamment des difficultés à jouer les alcooliques et, bien que mon souvenir du film se soit très rapidement estompé, je me souviens avoir trouvé son sur-jeu à la fois grotesque et crispant, et pas que dans les moments d'ivresse d'ailleurs. En effet, elle se révèle notoirement désastreuse dès son entrée en scène, où elle choisit de présenter une palette de tics et de gestes exagérément maniérés qui lui ôtent toute sa crédibilité en un clin d’œil, au point qu'on se demande vraiment comment la brillante interprète de Colonel Blimp et Black Narcissus a pu se retrouver au niveau d'une débutante après neuf ans d'une carrière plus qu'enviable.  Disons qu'une erreur de jugement aussi prononcée étonne et détonne de la part de Deborah Kerr, ce qui nuit d'ailleurs gravement au côté émotionnel de sa performance, puisque l'actrice en fait beaucoup trop pour qu'on puisse se laisser toucher par les déboires de l'héroïne. Malheureusement, il faut bien se rendre à l'évidence, elle est clairement mauvaise, et il reste fort dommage que cette nomination oblige à se rappeler du seul faux-pas de la carrière de la star.


Loretta Young dans Come to the Stable: Allez savoir pourquoi mais, moi qui ne suis pas du tout porté sur le religieux, j'ai vraiment accroché à ce personnage de nonne charismatique auquel Young ajoute un charme incontestable qui conquiert totalement, quand bien même le rôle n'est pas des plus ambitieux. L'actrice y est donc très sympathique et cadre bien avec le côté "miracle de Noël" du film, mais concrètement, elle ne fait pas grand chose : elle a du charisme à revendre, elle dépasse allègrement les limites de vitesse quand Celeste Holm déchire les PV qu'on leur colle, et... les deux cherchent à bâtir un hôpital à tout prix. C'est mignon tout plein, mais construire un film sur cette unique intrigue n'est pas excessivement palpitant, quoiqu'on passe un bon moment via des séquences comiques destinées à montrer que oui, les religieuses peuvent se comporter comme de vrais êtres humains. Par ailleurs, j'ai un problème avec la forte dissonance des accents entre les deux actrices: si Holm a au moins le mérite d'essayer un phrasé étranger, qui n'est cependant pas du tout un accent français s'essayant à l'anglais, Loretta ne fait aucun effort à ce niveau là, ce qui tranche quelque peu après son accent suédois à peu près réussi dans The Farmer's Daughter deux ans plus tôt. En somme, un rôle sympathique non dénué de qualités mais pas assez développé pour mériter sa nomination, et tant qu'on reste dans la comparaison, autant revoir le film pour lequel Loretta a gagné son Oscar, où elle bénéficie d'enjeux plus intéressants et se montre d'ailleurs plus drôle par elle-même que dans Come to the Stable. Néanmoins, le charme extrême de cette performance rehausse colossalement le niveau de cette sélection oscarienne après les trois désastres précédents.


Olivia de Havilland dans The Heiress: Peut-être la performance la plus bizarre qu'il m'a été donné de juger, la faute à une actrice qui force tellement son jeu dans chaque facette du personnage qu'on a plus l'impression d'avoir deux femmes diamétralement opposées que de voir une seule et même héroïne subir une évolution. Mais dans le même temps, Olivia parvient à réussir sa transition en connectant in extremis les deux parties, d'où le sentiment que sa composition n'est pas ratée pour autant. Mon principal problème, c'est clairement la première partie: quelle crédibilité donner à un rôle caricaturé de façon aussi grotesque où Catherine semble plus attardée que traumatisée par une figure paternelle imposante? Certes, je veux bien admettre que l'héroïne se sente mal à l'aise devant un père qui l'a toujours regardée avec condescendance, mais est-ce une raison pour l'actrice de grimacer à tout bout de champ sans crier gare? Quand on connaît le film, on a dès lors du mal à croire que la sotte du début soit la même que la femme forte et intelligente de la seconde partie. D'où le rôle essentiel joué par la transition entre les deux états, après que Catherine réalise que son père n'a pour elle que mépris. Or, l'actrice ajoute progressivement des touches d'assurance à son personnage qui rendent crédible la transformation, à mesure que Catherine s'enthousiasme par une éventuelle fuite avec son prétendant. Le déclic se poursuit encore avec une déception sentimentale, si bien que les nouveaux rapports de l'héroïne avec son père paraissent à peu près logiques. Voilà qui pose les bases d'une meilleure seconde partie où Olivia compose un personnage endurci que nuancent des blessures pas encore cicatrisées: cet épisode laisse finalement une bonne impression qui efface presque entièrement le souvenir de la jeune fille initiale, encore qu'il faille noter qu'elle force là encore dans les extrêmes, en usant d'une voix dure et sèche un peu trop appuyée qui finit par détonner voire agacer au bout de plusieurs visionnages. A la fin, la dernière demi-heure est tout de même plus intéressante, et la transition, peut-être trop rapide, permet de croire que la forte personnalité de la seconde Catherine pouvait être refoulée chez l'héroïne depuis le départ, mais non, entre une première partie outrageusement excessive et une seconde pas entièrement maîtrisée, impossible de trouver qu'il s'agit là d'une bonne interprétation, même parmi les codes de jeu hollywoodiens d'alors. L'avantage, c'est que le rôle donne matière à réflexion.


Ma sélection:


Susan Hayward dans My Foolish Heart: J'ai finalement revu My Foolish Heart, dont j'avais en fait une vision erronée, tant j'avais le souvenir d'une performance "alcoolique" comme les affectionnait l'actrice. Il n'en est rien, et si l'alcool occupe certes une place importante dans l'histoire, ça n'a rien à voir avec le déchaînement majestueux de films comme Smash-Up et I'll Cry Tomorrow. En fait, on découvre ici les périodes ante et post-alcool, mais seule l'une des séquences finales montre réellement l'héroïne en train de sombrer, si bien que la performance d'actrice sort des sentiers battus, et frappe par une grande sobriété qu'on ne lui a pas toujours connu, et un aspect romantique s'inscrivant sur le long terme, au risque de friser parfois l'ennui lors de longs dialogues amoureux. Quoi qu'il en soit, l'actrice me paraît, après redécouverte, extrêmement bonne à chaque instant: elle fait notamment une entrée en scène fabuleusement charismatique, clin d’œil et sourire à l'appui, et sa voix rauque dans le temps présent souligne, sans rien de forcé, qu'Eloise a vécu avant d'en arriver là. Dans cette entrée en matière, la nostalgie est aussi jouée de façon très inspirée lorsqu'elle se souvient de l'homme aimé, et l'on apprécie d'autant plus sa capacité à passer très facilement à la mélancolie après une dispute intense avec son époux. Les changements d'expressions sont encore très bien esquissés dans le long flashback central, en particulier lorsque l'actrice passe de méfiance à désir en rallumant une lampe éteinte par son soupirant, ou lorsqu'elle fait naître du regret après avoir accueilli son père en souriant à l'aéroport. Par ailleurs, le contraste entre la dureté du présent et le charme cerné de timidité du passé est incarné avec tout le liant nécessaire pour qu'on ne doute jamais de l'évolution de l'héroïne, et le flashback frappe d'autant plus qu'on a rarement vu Susan Hayward aussi réservée dans ses sentiments, à tel point qu'on ressent vraiment la solitude qui a dû peser sur l'héroïne avant une rencontre salvatrice: le "hyyyyouhou" qu'elle lance, excitée, en recevant enfin un appel à l'internat illustre à merveille la situation, et montre également que l'actrice évite constamment toute mièvrerie, faisant au contraire preuve de beaucoup de charme et d'humour, voire d'autodérision lorsqu'elle relate son renvoi de l'école "I thought that, too!" Enfin, Hayward évite tout pathos, principalement lorsqu'elle joue le choc qui bouleverse Eloise, ou lorsqu'elle serre sa fille dans ses bras en jetant un dernier regard inquiet à la fenêtre en entendant une voiture démarrer. En somme, c'est une performance qui gagne vraiment à être redécouverte et qui s'en tire avec tous les honneurs, je m'étonne même de ne pas l'avoir aimée davantage la première fois.


Madeleine Carroll dans The Fan: Ouf! Je viens de revoir le film, et me voilà ravi de lui avoir redonné une chance. En effet, si j'avais été très sévère avec car déçu que ça ne ressemble pas à la pièce d'origine, ou à la merveilleuse adaptation par Lubitsch dans les années 1920, cette réinterprétation d'un texte mythique reste tout de même fort plaisante, bien soignée sur la forme et plutôt bien soutenue par des effets de mise en scène intéressants (le placement des personnages dans la boutique). Et dans le détail, Madeleine Carroll vient de faire une remontée considérable dans mon estime, puisque là où je gardais le souvenir d'une performance seulement digne d'intérêt se niche en fait un grand travail d'actrice qui donne vie au personnage le plus touchant de l'histoire. Ici, Mrs. Erlynne apparaît de prime abord dans ses vieux jours avant de se remémorer son passé, et force est de reconnaître que Madeleine Carroll s'acquitte au mieux de ce vieillissement imposé, à grand renfort d'une voix âgée dont elle sent qu'elle a vécu, et d'une démarche toujours gracieuse malgré la lenteur des pas et l'appui d'une canne. Le plus intéressant reste néanmoins la grande partie centrale où Mrs. Erlynne entre dans la maturité, et qui se décompose à peu de choses près en trois actes. Dans le premier, l'actrice y est pétillante à souhait, avec quelque chose de presque "dunnien" dans le sourire, tant elle est prête à jouer de sa séduction auprès de Lord Windermere afin d'en obtenir quelque avantage, avec toujours ce même esprit mordant déjà entrevu chez la vieille dame. Dans le second, elle passe fort bien de l'inquiétude de voir ses manigances sociales ébranlées par son gendre secret à une forme de dépit menaçant, quitte à accentuer un peu trop son jeu sur les regards, ce qui ne gêne pas au demeurant. Dans le troisième, elle devient enfin quasi maternelle avec une lady qu'elle tente de protéger, en faisant bien sentir tout le poids de ses erreurs passées et le désir de s'amender une bonne fois pour toutes. La dernière séquence avec Lady Windermere en devient alors particulièrement émouvante, d'où un très beau plan final sur l'héroïne jeune qui clôt définitivement la réminiscence. En somme, c'est léger et tragique à la fois, et cette petite merveille interprétative s'impose de loin comme le meilleur atout du film.


Linda Darnell dans A Letter to Three Wives: J'ai longtemps aimé cette performance avant qu'une récente visite aux trois épouses du titre m'ait légèrement laissé sur ma faim la concernant. Ça tient essentiellement à son jeu du chat et de la souris avec Paul Douglas, qui dure bien plus longtemps que dans mon souvenir et qui se met à tourner en rond trop vite: on a bien compris que Lora Mae ne ménage pas ses effets pour mettre le grappin sur son patron, mais voir la même scène répétée pendant une demi-heure entre personnalité entreprenante et refus coquet a fini par m'agacer. L'ennui, c'est que ça affecte la performance d'actrice qui reste sur la même note de désabusement pendant les trois quarts du film, ce qui ajouté à la relative antipathie que m'évoque Lora Mae depuis ma redécouverte, m'empêche de me laisser émouvoir par elle depuis. Pourtant, Linda n'a jamais été mieux utilisée, elle fait d'ailleurs preuve d'un charisme qu'on ne lui a pas toujours connu, et elle fait très bien monter les larmes aux yeux quand il le faut. Mais voilà, le caractère même du personnage m'énerve un peu, et je préfère finalement Paul Douglas dans leur histoire commune, celui-ci se révélant plus touchant que son statut l'aurait laissé supposer au départ. En me relisant, je note encore avoir vu de l'humour dans cette performance, son sourire de satisfaction alors qu'elle fait attendre son soupirant m'ayant apparemment amusé la première fois. Honnêtement, ce n'est plus le cas, puisque ça participe de ces tentatives de séduction agaçantes qui me sont trop exotiques pour pouvoir les apprécier réellement. Je reste donc plus déçu qu'à l'origine et n'arrive plus du tout à être touché par cette interprétation, mais je la nomme tout de même car je suis toujours content de voir ce qu'une actrice généralement médiocre peut faire quand on se décide à lui placer un bon rôle entre les mains. Et puis Darnell est plus intéressante à suivre que Jeanne Crain dans le même film, quand bien même c'est surtout


Ann Sothern dans A Letter to Three Wives qui s'impose parmi les trois épouses du titre dans l'excellent film de Mankiewicz. Ça tient principalement à la personnalité truculente d'une actrice jamais inintéressante, mais qui avait toujours été mal utilisée jusqu'alors, en particulier dans la médiocre série des Maisie. Mais ici, tout fonctionne à merveille: la réussite du film est au service de la performance et inversement, et on ne pouvait imaginer meilleure réussite de casting, puisque Ann Sothern est idéale pour illustrer le quotidien d'un couple de classe moyenne qui lorgne, au moins elle, vers les beaux quartiers, tout en pouvant se permettre de donner des conseils aux autres dames issues de milieux moins favorisés. A ce titre, la complicité que l'actrice noue avec ses partenaires est excellente, en particulier dans le cas de Jeanne Crain qu'elle est plus en mesure de prendre sous son aile sans jamais la juger, ce qui donne d'ores et déjà envie de s'intéresser à Rita avant même que le scénario ne se focalise sur elle. Cependant, c'est évidemment dans sa grande séquence que l'actrice est le plus à même de briller, et non contente d'avoir une bonne alchimie avec Kirk Douglas, elle montre surtout l'étendue de ses talents comiques en n'ayant jamais peur du ridicule à mesure que Rita se met à faire des courbettes à ses employeurs. On sent alors très bien la gêne que la comédienne suggère quand la tension monte devant les invités, et elle fait toujours en sorte de ne jamais s'écraser devant son principal partenaire, même lorsqu'il lui faut entendre la vérité. Son jeu calculé dont on ne voit jamais les ficelles lui permet ainsi d’électriser le centre du film, probablement la meilleure partie des trois, ou tout du moins celle qui me touche le plus, ce qui vaut à la dame une place bien méritée dans ma sélection officielle.


Jennifer Jones dans Madame Bovary: C'est vraiment une performance qui gagne des points en laissant le temps agir en sa faveur. En effet, si elle ne m'avait pas paru plus mémorable que ça la première fois, l'actrice s'avère après revisite hors de tout reproche, en soulignant très bien, entre autres, la gêne occasionnée par la société où l'héroïne est forcée d'évoluer. Son apparition immaculée dans une cuisine rustique donne d'ailleurs le ton, puisque Jennifer nous présente une Emma fraîche et vive qui désire plus que tout sortir du monde médiocre où il lui faut habiter, et qui a déjà cent fois plus de distinction que la moitié de la Normandie réunie. Les graines de son parcours étant ainsi semées, c'est tout naturellement que l'actrice fait naître la déception et la mélancolie dans son langage corporel, choses qu'elle sait nuancer en s'exaltant comme la jeune fille romanesque qu'elle fut avant son mariage, en recevant notamment l'invitation au bal qu'elle attendait depuis toujours. C'est d'ailleurs dans cette séquence qu'intervient le clou du spectacle, alors qu'Emma se regarde entourée d'hommes dans le miroir et où son expression a juste ce qu'il faut de hauteur et de satisfaction pour résumer à merveille le personnage. L'aigreur et le dépit qui la rongent dans le dernier acte sont également très bien joués, et seule la scène du voyage avorté est interprétée de façon un peu trop excessive pour convaincre, mais c'est là le moindre défaut d'une performance parfaitement comprise, dans laquelle Jennifer surprend par une maturité étonnante après ses héroïnes plus juvéniles du début de la décennie. Je n'étais pas sûr de la nommer de prime abord, mais en y repensant, elle me touche énormément dans ce rôle, et la redécouverte du film fut si plaisante que j'ai à présent très envie de distinguer ce personnage littéraire de légende fort bien incarné. Dommage, néanmoins, que la narration trop descriptive donne constamment l'impression que l'actrice se fait dicter sa performance dans la première partie, mais ça n'efface nullement son mérite.

Bon! J'ai envie de crier: enfin! Me voilà finalement sûr et totalement satisfait de mon top 5 de 1949, une année a priori peu enthousiasmante du côté des actrices, dont mes cinq candidates émergent toutefois joliment. Mais laquelle va gagner? Pour le moment, la réponse est...


Susan Hayward - My Foolish Heart

Mais j'hésite toujours entre elle et Madeleine Carroll! Je reste dans l'immédiat sur Susan Hayward, qui non contente d'être excellente de sobriété dans My Foolish Heart ruisselle également de charisme dans House of Strangers, mais si elle venait à l'emporter en 1947, la place serait libre pour la divine et pétillante Britannique. Sur ce, Jennifer Jones se classe troisième, et les deux épouses de Mankiewicz se partagent les dernières marches, l'avantage à Ann Sothern et sa personnalité plus truculente. Pour finir, la liste de performances:

dignes d'un Oscar: Susan Hayward (My Foolish Heart): voir ci-dessus.


dignes d'une nominationMadeleine Carroll (The Fan): voir ci-dessus, et je me demande si elle ne va pas passer dans la catégorie supérieure sous peu. Susan Hayward (House of Strangers): comme je le disais, une performance d'un charisme et d'une élégance sans bornes, et qui aide très nettement son interprète à se hisser au sommet de cette année. Jennifer Jones (Madame Bovary): voir ci-dessus. Ann Sothern & Linda Darnell (A Letter to Three Wives): voir ci-dessus.


séduisantes : June Allyson (Little Women): nécessairement sympathique, mais pas au point d'éclipser d'autres versions de Jo. Joan Bennett (The Reckless Moment): une actrice qui parvient à vous emporter dans la détresse du personnage, sans pour autant faire vibrer comme on aurait pu l'espérer. Jeanne Crain (The Fan): c'est finalement le rôle où Crain m'a le plus marqué cette année, mais c'est évidemment Carroll qui fait le film. Joan Crawford (Flamingo Road): émotionnellement, elle est excellente, mais en 1949, ce n'est plus une performance vraiment surprenante de sa part. Katharine Hepburn (Adam's Rib): voir ci-dessus. Patricia Neal (The Fountainhead): elle surprend par son extrême sécheresse au début, et son timbre agressif. Mais au fur et à mesure de l'intrigue, on se pique vraiment d'intérêt pour son personnage, en partie grâce à l'énorme charisme de l'actrice. Margaret O'Brien (The Secret Garden): elle n'y est pas aussi mémorable que dans Meet Me in St. Louis, mais son charisme d'actrice précoce est toujours bien prégnant. Ann Sheridan (I Was a Male War Bride): une performance assez amusante, et une jolie alchimie avec Cary Grant, même si je reste loin de m'enthousiasmer plus que ça pour ce travail. Loretta Young (Come to the Stable): voir ci-dessus.


sans saveur : Barbara Bel Geddes (Caught): elle prend une voix de petite fille très agaçante et manque parfois d'énergie, sans être cependant mauvaise avec ses expressions faciales. Jeanne Crain (A Letter to Three Wives): un potentiel rapidement éclipsé par le reste du casting, mais c'est aussi parce que le personnage est le plus réservé du lot. L'actrice dégage en tout cas un certain charme et sa performance n'est jamais mauvaise. Mais elle peine vraiment à marquer les esprits. Olivia de Havilland (The Heiress): je suis gêné de la mettre ici, mais je ne sais vraiment plus où la classer. Elle ne me convainc finalement dans aucun des deux actes, mais elle a tout de même cent fois plus à faire que les trois quarts des performances listées dans cet article. Une occasion manquée je suppose, un peu plus de subtilité aurait davantage marché. Ava Gardner (The Great Sinner): une actrice diablement belle qui ne passe pas inaperçue. Mais sur le strict plan de l'interprétation, elle ne fait rien pour rester assez mémorable. Janet Leigh (Holiday Affair): elle apporte la petite dose de fraîcheur dont ce film sans relief avait besoin, mais on l'oublie en un rien de temps. Gene Tierney (Whirlpool): j'ai décroché trop vite mais je lui redonnerai une chance. De mémoire, elle n'y compose pas un personnage très intéressant, d'autant que les séances d'hypnose transforment davantage l'héroïne en objet qu'en sujet.


ratées : Bette Davis (Beyond the Forest): heureusement que "What a dump!" a acquis un statut légendaire, car le reste de la performance montre bien à quel point l'actrice n'avait pas envie d'être là.



atroces : Ingrid Bergman (Under Capricorn): Paula Alquist en pire et en moins bien filmée. Jeanne Crain (Pinky): ceci est un film, on commence à jouer, maintenant. Deborah Kerr (Edward, My Son): une approche par trop geignarde qui frise le ridicule.


à découvrir : Barbara Hale (The Window), Marjorie Main (Ma and Pa Kettle), Virginia Mayo (White Heat), Ginger Rogers (The Barkleys of Broadway).


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