samedi 31 décembre 2016

Les Vikings (1958)


En traversant un salon la semaine dernière, je suis tombé sur un téléviseur allumé diffusant une superbe image de drakkar* entrant dans un fjord avec de joyeuses couleurs délicieusement 50's. Il n'en fallut pas plus pour me pousser à commander le DVD séance tenante, et une semaine plus tard, me voilà prêt à parler des Vikings de Richard Fleischer, pourtant pas le metteur en scène le plus appétissant qui fût. Surtout, c'était l'occasion pour moi de rendre hommage au fraîchement centenaire Kirk Douglas, à qui je n'ai pas eu le temps de souhaiter un bon anniversaire début décembre, et envers qui faire de nouvelles découvertes me semblait être un bien meilleur présent qu'établir un top 5 encore assez flou. Alors, qu'a donné cette histoire de guerriers nordiques, mêlant frères qui s'ignorent, caprices du sort sur le thème du pouvoir et princesses à marier prêtes à tout pour résister à un sort funeste?

Eh bien, je ressors de l'expérience avec un sentiment positif: The Vikings est incontestablement un grand divertissement. Tout du moins sur le plan visuel, la musique redondante n'étant pas le point fort de l’œuvre bien que les accords soufflés servent le propos. Au nombre de ces splendeurs visuelles, on retiendra en priorité la superbe photographie de Jack Cardiff qui, après l'Inde de Black Narcissus et l'Afrique de la reine Hepburn, nous plonge dans une atmosphère norvégienne épique et chaleureuse. C'est d'ailleurs ce que ces Vikings ont de mieux à offrir: non seulement les décors naturels sont excellemment utilisés dans le cadre, avec des parois rocheuses ou des cascades restituant l'aspect brut et minéral de l'existence robuste de ces peuples du nord, mais les couleurs sont encore délicieusement variées pour donner au tout des airs de grand spectacle, entre le bleu foncé des mers, le rouge éclatant des boucliers et, ce qui me touche personnellement le plus, le vert sombre de la forêt nordique émaillé de lueurs dorées, fantasme paysager absolu!

jjj,kkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkazééééééééééééé (Mon chat a tenu à vous donner son avis sur la question, je publie tel quel)!

On appréciera également le jeu des mosaïques lors des génériques: entre les explications animées sur l'histoire des Vikings et leurs incursions en Angleterre, et les crédits finaux en forme de parchemin, le film s'ouvre et se ferme sur des images faussement surannées qui renforcent le plaisir. Mais que cela ne fasse pas oublier la réussite esthétique d'Harper Goff, dont les décors de solides navires, de froids donjons médiévaux, de villages en bois, et de tavernes païennes le disputant aux chapelles colorées, sont presque aussi impressionnants que les fjords norvégiens et les baies bretonne et croate sublimées par Jack Cardiff. Chaque séquence donne ainsi envie de multiplier les captures d'écran (et je n'ai même pas parlé de l'hommage final aux mille flambeaux!), de quoi rendre la découverte franchement exquise.

Dommage que le scénario ne soit pas à la hauteur de la forme. En effet, l'histoire passe son temps à amorcer des pistes avant de les laisser de côté, et nombre de rebondissements sont mal exploités. Par exemple, la question du trône d'Angleterre, développée durant toute l'introduction et dont nous attendons des nouvelles avec impatience jusqu'à la fin, est éclipsée dans 95% du film. Nous retenons donc notre souffle en attendant qu'Eric (Tony Curtis) connaisse un véritable trouble psychologique à l'idée de passer d'esclave à héritier présomptif, mais il n'en est rien: seule la princesse Morgana (Janet Leigh) découvre le pot aux roses, et le problème de succession se résout de façon entièrement elliptique! Même le principal antagoniste, l'usurpateur du sceptre anglais, ne soupçonnera jamais qu'Eric était en fait destiné à le combattre, ce qui est quand même une belle façon de trancher le pied essentiel de la narration! De même, on aurait pu développer la relation Eric-Ragnar (Ernest Borgnine) lorsque l'ancien esclave parvient à capturer le chef viking en s'enfuyant (ils sont père et fils via le viol de l'ancienne reine d'Angleterre), mais là encore, rien ne va en ce sens. Les deux hommes ne se parlent jamais sur le bateau, et les seuls dialogues ont lieu entre Eric et Morgana pour mieux les voir se conter fleurette et tomber amoureux au premier regard. On retrouve bien une sorte de tension familiale dans un furtif échange de regards, alors qu'Eric et Ragnar sont à la merci du perfide Aella, mais on reste constamment sur sa faim puisque aucun personnage ne soupçonne jamais rien sur l'autre. Et Odin sait s'il est frustrant d'en savoir cent fois plus que tout le monde et de réaliser que rien n'est jamais révélé aux principaux intéressés. D'autre part, on regrettera que les personnages féminins n'aient pas grande consistance, encore que Janet Leigh et Maxine Audley leur apportent assez de charisme pour ne pas sombrer totalement dans le cliché. Notons au passage que personne ne s'étonne jamais de voir Enid participer à l'enlèvement de Ragnar, avant qu'elle ne revienne tranquillement sans jamais être inquiétée!

Par bonheur, Les Vikings se rattrapent avec le second pied sur lequel repose l'édifice, à savoir la relation conflictuelle entre Eric, ancien esclave du clan, et Einar (Kirk Douglas), fils légitime de Ragnar. On ne nous épargne pourtant pas quelques frustrations, puisqu'il faut là encore attendre trente secondes avant la fin pour que les deux frères réalisent qui ils étaient par rapport à l'autre (!), mais leur haine et leur rivalité amoureuse sont assez bien nuancées par une sorte d'admiration discrète pour les talents guerriers de chacun pour que le film trouve une véritable histoire à raconter. Tout n'est certes pas entièrement crédible, car on imagine mal deux êtres se détestant avec autant de vigueur s'allier face à un roi inconnu pour les seuls beaux yeux d'une princesse, mais un tel rebondissement permet de mettre en lumière les valeurs positives des Vikings (l'entraide et le respect), alors que peu de choses dans leurs mœurs ne suscitent la sympathie de prime abord. Après tout, le clan de Ragnar est d'abord introduit comme le barbare à abattre face à une couronne anglaise a priori plus civilisée, mais les rôles ne tardent pas à s'inverser. Pourtant, difficile d'aimer réellement ces Vikings: ils sont grossiers, violents et misogynes (voir le viol de la reine et le supplice de la servante dont on coupe les nattes à la hache), à tel point que la Gaule des Mérovingiens passerait par comparaison pour un salon de thé victorien. Mais les embryons de nuance apportés par Ernest Borgnine, devenant de plus en plus humain à mesure qu'il se rapproche du Valhalla, finissent par le rendre finalement plus positif qu'Aella. Sur le thème de la violence, on notera que les deux scènes de mutilation, l’œil de Kirk Douglas et la main de Tony Curtis, sont filmées de façon heureusement tolérable, sachant que le maquillage du premier est assez réaliste pour être salué.

On reconnaîtra enfin que c'est tout à l'honneur du grand Kirk que de ne pas adoucir les aspects fortement négatifs de son personnage. Il compose en effet un Einar violent et vindicatif, qui consomme les femmes avec autant d'ardeur que les cornes de cervoise, si bien qu'il est impossible de se ranger de son côté, malgré son alliance tardive avec Eric. Or, pour un film des années 1950 où l'on aurait pu craindre une rivalité d'ego entre deux stars, c'est un parti-pris très intéressant que de ne pas se donner le beau rôle, alors que Tony Curtis tombe dans le trope plus commun du héros valeureux positif. Ça ne veut pas dire que Tony Curtis est mauvais, loin de là, mais Kirk Douglas offre quelque chose de plus neuf à observer, sans que ce soit l'une de ses meilleures performances, ceci dit. En fait, les deux acteurs restent un peu sur la même note à quelques nuances près, de telle sorte qu'on sera en droit de leur préférer Ernest Borgnine pour sa grande scène finale, malgré l'énorme frustration provoquée par le texte, qui ne lui donne, comme précisé, pas assez de matière alors que le rôle était très facile à étoffer et que l'interprète oscarisé trois ans plus tôt aurait pu trouver là une opportunité en or, si l'histoire s'était souciée davantage de psychologie au lieu de tout miser sur les combats et la beauté des lieux. D'ailleurs, les combats ne sont même pas si réussis que ça, puisqu'ils s'étirent en longueur et manquent souvent d'énergie pas moments. Heureusement, la prise du château fort et l'escalade des haches plantées dans les lourdes portes restent une séquence indéniablement spectaculaire.

Je crois avoir fait le tour de la question. En bref, l'intrigue et les performances concourent à faire tendre l'ensemble vers un 6, mais la découverte est si plaisante que j'ai très envie de monter jusqu'à 7: de beaux décors et de charmantes couleurs suffisent dans ce cas à m'émoustiller au plus haut point, et tant pis pour les opportunités manquées qui étaient tout de même à portée de main.

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* Voir les débats sur la typologie des bateaux vikings: le terme "drakkar" serait apparemment inapproprié.

La joie des serpillières.


Je suis bien content d'avoir attendu de regarder Joy, du très en vogue David O. Russell, sur un téléviseur, car ce n'est pas du tout le genre de films que j'aurais aimé avoir sur mes étagères: ça représente tout ce que j'abomine par-dessus tout, en particulier sur la question du télé-achat, abysse absolu de l'histoire de l'humanité après les génocides. Surtout, le film manque d'une énorme cohérence narrative, de quoi déstabiliser tout l'édifice en dépit de certaines qualités...

Pour commencer, on pourra reprocher à l'histoire d'être d'une simplicité enfantine: on suit le parcours ultra rabâché d'une jeune héroïne quelconque aux talents insoupçonnés, qui se transformera bien entendu en redoutable entrepreneuse à force de ténacité, histoire de bien nous rappeler qu'il faut toujours croire à ses rêves et ne jamais baisser les bras. Ce n'est pas inintéressant en soi, mais on a le sentiment d'avoir déjà vu cette histoire environ 155428 fois, d'où un cruel manque d'originalité qui ennuie. En outre, bien des rebondissements ne sont pas acceptables du point de vue de la dramaturgie. Par exemple, lorsque Joy tente de faire connaître la serpillière magique qu'elle vient d'inventer, autant l'incompétence totale du vendeur censé faire la démonstration est un retournement de situation plutôt bien trouvé, pour souligner que le succès n'est jamais acquis même à portée de mains, autant le second essai par Joy elle-même n'a aucune cohérence, car comment croire qu'une personne puisse rester plus d'une minute à balbutier devant une caméra sans que les téléspectateurs aient déjà changé de chaîne en masse? C'est là encore un argument supposé tenir en haleine avant un virage miraculeux à 180° qu'on a déjà trop vu dans ce type de fictions. Par ailleurs, la grande intrigue secondaire de la deuxième partie, destinée à étoffer un film qui ne savait plus quoi raconter, se résout d'un claquement de doigts dans les cinq dernières minutes, alors que toute la question des droits et du dépôt de brevet est amenée de façon extrêmement brouillonne.

Dans un tout autre registre, on reprochera au scénario de contenir tout un lot de caricatures en lieu et place de personnages dignes de ce nom, de telle sorte qu'il est impossible de se prendre au jeu de ce chemin vers le succès: la divine Virginia Madsen est coincée dans un rôle de mère amorphe qui ne bouge jamais de son lit, Robert De Niro confirme qu'il n'est plus que l'ombre de ce qu'il fut avec un nouveau numéro agaçant, la meilleure amie qui n'existe jamais pour elle-même et la demi-sœur jalouse n'ont elles aussi qu'une unique dimension, Bradley Cooper est juste là pour ressusciter la formule de Silver Linings Playbook et American Hustle, et Diane Ladd est pour sa part très distinguée, mais... lui avoir confié la narration de l'histoire est une très mauvaise idée puisqu'elle meurt à mi-parcours et continue toutefois à papoter tranquillement même six pieds sous terre! En outre, on lui fait dire des choses sans aucun intérêt, comme "Joy ne savait pas, à ce moment-là, alors qu'elle marchait sereinement dans la rue par un beau soleil d'été, qu'elle deviendrait une impératrice du commerce, blablabla". Quant à Isabella Rossellini, elle n'est certes pas dénuée de charisme, mais sa manière de faire constamment le pitre alors qu'elle souhaite qu'on la prenne très au sérieux ne fonctionne absolument pas: elle se veut très menaçante alors qu'elle fait subir un interrogatoire poussé à la pauvre Joy, mais on croirait davantage une grand-mère gâteau dans la pièce de fin d'année d'une classe de maternelle. Evidemment, c'est un choix, mais ça met vraiment l'accent sur le grand défaut du film, celui de ne jamais trouver une ligne de conduite claire entre drame et comédie. Dans le fond, ces personnages caricaturaux sont supposés faire rire, mais étant donné que Jennifer Lawrence approche son rôle d'une manière bien plus sérieuse et dramatique, le fossé devient hélas trop profond.

C'est dommage, parce que la star hollywoodienne de la décennie est loin d'être mauvaise dans le détail: son charisme naturel se marie bien à la force de caractère de l'héroïne, ses déceptions multiples sont bien retranscrites, et même sa scène de larmes est plus que correcte. Mais voilà, aucun de ses efforts, qui soit dit en passant auraient abouti au même résultat entre les mains d'une autre actrice non débutante, ne fait corps avec la tonalité générale du film, surtout lorsqu'elle doit donner la réplique à des personnages semi-comiques tels l'implacable mais guillerette Isabella. Le plus frustrant: l'extrême jeunesse de l'actrice ne colle jamais au personnage, puisque lorsqu'elle entre dans l'intrigue, Joy est une mère de deux enfants largement trentenaire. Or, Jennifer Lawrence fait bien trop adolescente pour être crédible dans ce rôle! On a d'ailleurs beaucoup de mal à se repérer dans le temps car elle ne vieillit jamais: j'ai cru un long moment que ses efforts pour vendre sa fameuse serpillière avaient lieu à la fin des années 1970, juste après son mariage, alors qu'il s'agissait des années... 1990! On comprend alors mieux pourquoi les gens commencent à parler d'ordinateurs et pourquoi Joan Rivers parade sur les plateaux de télévision pour vendre des bijoux, mais il n'en reste pas moins que Joy a davantage l'air d'une fillette de vingt ans que d'une quasi quadragénaire épanouie.

Bref, ces défauts de fabrication, auxquels on ajoutera encore une imagerie forte de clichés, dont le tir au fusil pour se défouler, le souvenir de l'enfance pour émouvoir et la démarche triomphante en lunettes de soleil, rendent le film franchement médiocre, bien que ça se suive finalement sans déplaisir et qu'il y ait en outre d'assez jolies couleurs pour faire passer un bon moment. Nous conclurons sur la question du féminisme, puisque Joy est présenté sous cette étiquette. Il est vrai qu'observer le faire-valoir de la maisonnée, toujours à s'occuper des tâches ingrates pendant que personne ne bouge, se transformer en femme indépendante par son seul génie scientifique est plutôt positif, mais plus elle marche vers le succès, plus Joy acquiert des particularités vraiment très masculines. Le costume viril qu'elle porte à Dallas pour rendre des coups est un peu trop appuyé pour être honnête, même si le personnage reste au moins fidèle à ses goûts, puisque c'est elle qui insistait auparavant pour vendre des produits en pantalons, au lieu de jouer à la potiche trop maquillée comme Joan Rivers. L'image de l'héroïne au pic de son triomphe, alors qu'elle est à égalité avec un Bradley Cooper qui faisait jadis autorité sur elle, est elle aussi trop ostensiblement masculine: elle savoure son succès dans un fauteuil en cuir tandis que la meilleure amie semble ravie de lui porter des coupes de champagne qu'elle se gardera bien de toucher, et Joy est encore extrêmement paternaliste avec la mère de famille inventeuse qu'elle reçoit, malgré un échange au dénouement positif. Tout ça pour dire que certes, l'héroïne passe de femme de ménage à entrepreneuse dans un mouvement plutôt féministe, mais elle acquiert un comportement si masculin qu'on a finalement l'impression que le film met en lumière ces mêmes valeurs masculines, et n'est favorable qu'aux femmes qui deviennent elles-mêmes masculines en chemin (voir encore pourquoi Isabella Rossellini bénéficie d'une bien meilleure image dans le scénario que la mère de famille).

En définitive, Joy est un film décevant et parfois trop brouillon, mais ça se découvre tout de même sans déplaisir, sans donner envie pour autant de tenter l'expérience une seconde fois. Ça confirme surtout que je n'aime pas le cinéma de David O. Russell, après le pénible Silver Linings Playbook. Je suis malgré tout satisfait de pouvoir compléter ma liste à Oscars 2015, quoique me voyant dans l'obligation de classer Jennifer Lawrence dernière dans sa catégorie. Elle est plus que correcte, mais elle n'arrive jamais à élever le film de quelque manière que ce soit, sans compter qu'elle est assez mal distribuée du point de vue de l'âge (mais pas de la force de caractère). Je suppose qu'on nage autour d'un 5/10.

dimanche 18 décembre 2016

Arrival (2016)


Je voulais vraiment éviter de suivre la saison des Oscars cette année (aucune candidate ne m'intéresse, et je commence à ne plus supporter les remises de prix), mais l'usage de On the Nature of Daylight de Max Richter dans le nouveau film de Denis Villeneuve a fini par piquer ma curiosité: cette musique pourrait élever n'importe quel film vers de hautes sphères, et pas étonnant qu'on se souvienne finalement à peine de la partition de Jóhann Jóhannsson, quoique servant bien le film au demeurant. Surtout, j'ai encore beaucoup de mal à me faire une opinion sur Amy Adams, une actrice qui semble ne provoquer que des flots d'admiration excessive ou une haine non moins tempérée, alors que j'ai le sentiment d'être le seul à n'entrer dans aucune de ces catégories: je prends plaisir à la voir, mais je peux vivre sans. Arrival était donc l'occasion d'un nouveau test, qui confirme l'impression initiale mais avec une tendance de plus en plus positive, puisque l'actrice est en tout point excellente. Qu'en est-il dans le détail?

Pour commencer, j'avouerai avoir été surpris par l'utilisation de l'air de Richter d'entrée de jeu, comme si le metteur en scène voulait nous forcer à ressentir tout de suite beaucoup d'émotions au lieu de nous y conduire progressivement au fur et à mesure de l'histoire. Ça n'est heureusement pas dérangeant, car cette ouverture est nécessaire à la narration: il faut en passer par-là afin de laisser planer un certain mystère sur la suite des événements. Et une fois que les pièces du puzzle s'assemblent, on se met vraiment à apprécier le scénario tant l'héroïne devient complexe devant les choix qu'il lui faudra assumer. Du coup, j'ai vraiment aimé Arrival, car ce n'est pas exclusivement un film de science-fiction: le parcours psychologique et la recherche du langage forment autant d'éléments captivants qui se mêlent admirablement à la trame générale. On regrettera simplement que l'histoire résolve un peu trop vite la question du décryptage de la langue heptapode, car autant je m'intéresse à la science, autant j'ai besoin qu'on m'explique clairement chaque étape d'un raisonnement compliqué. Or, la très compétente Louise Banks déchiffre presque trop rapidement le langage inconnu, au point qu'on saisit mal comment elle parvient à découvrir des mots exacts dans les figures circulaires présentées. Certes, le dialogue précise qu'elle travaille d'arrache-pied sur la question depuis un mois, et certes, il faut avant tout divertir le spectateur sans transformer le film en revue scientifique, mais le sujet m'intéresse tellement que j'aurais aimé plus de détails sur les fameux cercles.

Quoi qu'il en soit, l'intrigue se suit vraiment avec intérêt*, et la forme vient par bonheur à son service pour rendre le tout succulent. J'aime notamment le choix de toujours ancrer le film dans la réalité: il y a évidemment une bonne dose de "corps étrangers", mais les nombreuses scènes de campements, d'universités ou de maisons vides ramènent toujours le fil vers quelque chose d'identifiable, afin de mieux nous connecter au récit. Autrement, la mise en place du suspense fait mouche: l'entrée dans le vaisseau est angoissante, Abbott & Costello sont des figures complexes ni trop attachantes ni trop repoussantes, et tout est finalement bien balancé entre peur de l'autre et complicité. Même le méchant général chinois se révèle étonnamment multidimensionnel, rebondissement agréable s'il en est. Les effets spéciaux sont quant à eux très réussis, principalement les cercles révélateurs qu'on dirait tracés à l'encre de Chine, et la photographie est pour sa part correcte, même si je suis plus impressionné par la maquette du vaisseau dans la plaine que par la conception du cadre à proprement parler. Le jeu sur les éclairages sert toutefois très bien le propos, entre les teintes grises de la maison morne au bord du lac, la brume nimbant les heptapodes qui fait ressortir leur caractère particulier, ou la blancheur éclatante illustrant l'accès à la connaissance ultime pour l'héroïne.

Louise est d'ailleurs, comme précisé plus haut, admirablement interprétée par Amy Adams, qui livre une performance calme mais puissante et détaillée, le type de prestation que j'aime beaucoup chez une actrice contemporaine. Certains la comparent à Jessica Chastain dans Zero Dark Thirty et il est vrai que j'aime le jeu de cette sorte, Amy se payant même le luxe de ne pas avoir de scène de colère convenue dans Arrival. Toujours est-il qu'on sent très bien ses appréhensions, ses peines, mais aussi ses joies et sa force de caractère (le monologue des kangourous!), et ce sans qu'elle ait quasiment besoin de rien faire. Après, je ne suis pas absolument ébloui non plus, mais ça n'en reste pas moins excellent, et le personnage est assez bien écrit pour faire grandir mon estime pour ce rôle. On sera encore agréablement surpris de voir une actrice de plus de quarante ans devenir une leading lady à son âge, preuve qu'Amy Adams occupe effectivement une place singulière dans l'industrie cinématographique d'aujourd'hui. Elle vole en tout cas allègrement la vedette à tous ses partenaires masculins, entre un Jeremy Renner assez quelconque en homme d'action lambda, et Forest Whitaker en colonel autoritaire un peu dépassé par les événements. En fait, seuls Abbott and Costello seraient susceptibles d'éclipser Adams, mais ce n'est pas le cas.

En définitive, j'ai beaucoup aimé Arrival, un bon mélange de science-fiction, de science tout court et de psychologie complexe. Pourtant, malgré mon avis positif, j'ai du mal à tenir le film pour un chef-d’œuvre: un bon 7/10 est plus que mérité, mais je n'ai pas envisagé un seul instant cette semaine de monter la note plus haut, sans que je puisse réellement définir ce sentiment puisque l'ensemble fonctionne parfaitement. J'ai de fait la même opinion sur la performance d'Amy Adams: c'est excellent, et j'aime absolument ce genre d'interprétation, mais ça ne me ferait curieusement ni chaud ni froid qu'elle ne soit pas distinguée pour un prix cette année. Dans tous les cas, elle me convainc qu'elle est une très bonne actrice, et c'est l'essentiel.

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* J'ai quand même un doute sur le dénouement: puisque Louise publie la méthode pour décrypter l'heptapode, pourquoi est-elle la seule à avoir accès à d'autres dimensions temporelles?

samedi 17 décembre 2016

Alliés (2016)


Ce n'était pas du tout prévu au programme, mais pour des raisons diplomatiques, il s'avère que je suis allé voir le nouveau film de Robert Zemeckis cette semaine. Ce n'est pas un réalisateur qui m'inspire: l'agréable Romancing the Stone doit tout à la divine Kathleen Turner, Death Becomes Her est un sommet de vulgaire sauvé par Meryl Streep voyant à travers sa rivale, et Roger Rabbit restera un bon souvenir d'enfance, mais ce n'est évidemment pas un chef-d’œuvre. Quoi qu'il en soit, ces films atteignent tous un degré de divertissement non négligeable, ce qui est également le cas d'Alliés. Ça tombe bien, j'aurai passé un bon moment inattendu malgré d'indéniables défauts.

Pour aller à l'essentiel, ces défauts viennent principalement du rythme, qui accuse certaines longueurs, notamment dans la première partie marocaine où la montée en puissance vers le massacre est bien trop plate, avec tous ces dialogues d'intérieur entre Brad Pitt et Marion Cotillard. Il est tout de même intéressant de voir comment naît leur complicité, alors qu'ils ne se connaissent pas et doivent faire croire au reste du monde qu'ils sont mariés, mais l'évidence demeure: ça manque un peu de piquant. Il faut dire que les acteurs ne sont pas franchement bien assortis, car autant Marion a le mérite de sourire de façon charismatique avant de laisser monter l'émotion, autant le blondinet hideux dont elle est affublée a à peu près autant de présence qu'une pelle en plastique fondue, ce qui limite considérablement son jeu d'acteur, d'où l'installation de longueurs là où l'on aurait aimé une alchimie digne de Notorious ou Casino Royale. Après, le second acte londonien tient davantage en haleine via l'enquête menée par l'un des membres du couple sur son conjoint, mais là encore, force est de reconnaître que Brad Pitt ne se pose pas franchement de questions et reste assez inexpressif. On reprochera également au scénario de mal exploiter le fléchissement psychologique affectant les héros complices, en préférant se recentrer sur des scènes de violence virile entre soldats au lieu de rendre la relation centrale réellement complexe. Par ailleurs, l'histoire échoue à bien développer les personnages secondaires, à commencer par la sœur lesbienne, supposément très importante lors de son entrée en scène mais qui ne sert finalement à rien.

Cependant, rien de tout ça n'empêche de suivre le film avec intérêt. L'enquête londonienne cultive assez les impasses pour rebondir, et ce sans chercher à trop noyer le poisson pour mieux rester fidèle aux parcours présentés, et l'émotion qui affleure est toujours bienvenue. Mais la grande qualité du film, c'est sa réussite plastique: rien que l'introduction sur le parachute dans le désert donne envie d'acheter le DVD pour faire des captures d'écran (mon addiction). L'ambiance rétro marocaine est d'ailleurs délicieuse malgré la gravité de ton, avec une photographie lumineuse et de somptueux costumes, et la partie anglaise n'est pas en reste malgré un terrain moins exotique. J'arrive même à ne pas trouver totalement ridicules les scènes trop ahurissantes de l'accouplement dans la tempête de sable, et de l'accouchement sous les éclairs aveuglants du Blitz.

Alors... J'ai en effet passé un bon moment devant Alliés, qui vaut le coup pour son ambiance surannée, aussi bien sur le fond que sur la forme, mais qui n'est évidemment pas un grand film. Je me félicite surtout de n'avoir lu aucun synopsis avant d'entrer dans la salle, car j'aurais peut-être trouvé les situations plus convenues. Mais tout fut très divertissant, et tant mieux. Dommage que les performances n'aient pas été mieux façonnées: même Marion Cotillard, pourtant pas mal en soi, n'est qu'au minimum de ses capacités. Parce que c'est trop récent et que l'ensemble n'est pas d'une complexité folle, je laisse mon ressenti plutôt positif l'emporter et monte jusqu'à un minime 6/10 au regard du plaisir provoqué. Mais ç'aurait pu être tellement mieux entre les mains d'un meilleur metteur en scène...

samedi 10 décembre 2016

Tovarich (1937)


Un film avec Basil Rathbone, Claudette Colbert et Charles Boyer, sur des Russes blancs émigrés à Paris, le tout dans un registre comique, forcément, on a très envie d'aimer. Et même si je suis loin de me rouler par terre devant le cinéma d'Anatole Litvak, le souvenir de films très sympathiques comme All This, and Heaven Too ne manquait pas d'être fort séduisant avant le visionnage. Cerise sur le gâteau: nombre de critiques définissent Tovarich comme un proto-Ninotchka. On comprend donc pourquoi je recherchais ce film désespérément depuis des lustres, sans compter que, plus encore que le Lubitsch, la perspective ancillaire dans une grande famille déjantée rappelle surtout My Man Godfrey. Malheureusement, ça ne soutient la comparaison avec aucun des deux...

En réalité, l'humour tombe à plat dès le départ. On se force vaguement à sourire devant l'introduction sur la foule en liesse le 14 juillet, tandis que le couple de héros, aristocrates dissimulés à Paris pour protéger la fortune du tsar, demande à tous les Parisiens ignorants pourquoi ils font la fête - tout ça pour apprendre horrifiés qu'on y célèbre une révolution; mais après coup, la sauce ne prend plus, à l'image du vol de marchandises opéré par la grande-duchesse Tatiana pour ne pas avoir à dépenser le patrimoine impérial pour survivre. La voir se faire voler son sac en retour ne fait rire personne, et les explications à la foule ne sont guère convaincantes. Plus tard, une fois que le couple parvient à se faire engager comme domestiques d'une famille bourgeoise, toujours pour gagner de quoi manger en évitant ainsi de dilapider le trésor des Romanov par honneur et loyauté, l'humour manque, une fois de plus, cruellement de piquant. Les enjeux comiques sont en effet écartés d'un revers de la main puisque les héros s'intègrent trop vite à la maisonnée pourtant suspicieuse à leur égard à l'origine, et les péripéties sont encore trop bon enfant pour prêter à sourire. Le chien qui apporte la chaussure n'est pas spécialement drôle, Isabel Jeans n'a pas le centième de la drôlerie excentrique d'une Alice Brady, et l'interminable partie d'escrime entre Charles Boyer et le fils Dupont, tandis que Claudette Colbert chante des airs russes à la guitare sans s'étonner de rien, est hélas trop mal amenée pour faire rire. Même quand les héros s'embrassent dans les escaliers au vu et au su de tous, ça choque si peu leurs employeurs que l'effet comique meurt dans l'instant. Quant au troisième acte, une fois qu'arrive le commissaire bolchevique chargé de coincer les faux domestiques afin qu'ils restituent la fortune au peuple russe, le ton y est tout simplement sinistre. Les dialogues Colbert-Rathbone sont chargés d'une tension négative qui se marie très mal avec le reste du film, au point qu'on dérive momentanément vers du tragique avant de revenir vers une dernière minute de comédie sortant de n'importe où.

Par ailleurs, la mise en scène d'Anatole Litvak n'aide pas à rendre le texte plus vivant, car Tovarich est filmé comme une pièce de théâtre, et ce qui pouvait être drôle sur scène n'est hélas pas assez rythmé à l'écran. Le film accuse alors des longueurs ça et là, à la différence d'un My Man Godfrey survolté. Mais on reconnaîtra tout de même au réalisateur une bonne maîtrise de l'espace: les acrobaties des héros sur les toits de Paris, le dialogue devant leurs portraits en habits de cour, découpé de telle manière que chaque personnage parle avec son double du passé en arrière-plan; le baiser incongru sur l'épaule du maître de maison, l'église russe vue depuis la fenêtre de la cuisine, voilà autant de choses qui fonctionnent effectivement. Mais quel dommage que Litvak n'ait pas réussi à mieux rythmer le tout! La photographie de Charles Lang n'a pour sa part rien d'exceptionnel, mais les plans de foule dans les grands salons parisiens regorgent d'attraits, au grand dam de l'actrice principale, visiblement furieuse de n'être pas filmée que d'un seul profil, comme elle en avait l'habitude, encore que toutes mes captures d'écran révèlent toujours la face connue de la Lune, je ne vois donc pas vraiment le problème... Son interprétation est de toute façon bien plus intéressante à analyser, et force est de reconnaître que la dame a toujours beaucoup de charisme, bien qu'elle ne soit pas en mesure de donner plus de piquant à des situations assez plates à l'origine. Elle est également un peu trop grimaçante quand ça n'a pas lieu d'être, accentuant justement le côté trop théâtral de l'exercice, avant d'être étonnamment fade lors de la joute finale avec son ennemi juré. A ses côtés, Charles Boyer est assez charmant, mais je n'ai pas grand chose à signaler sur sa performance, sinon qu'il marche avec une épée dans son pantalon...

Je conclurai alors sur le dernier acte dominé par mon héros Basil Rathbone, toujours d'une séduction redoutable avec cette fois-ci une barbichette qui lui sied bien, mais... qui reste beaucoup trop aristocratique pour incarner un émissaire communiste crédible. Lorsqu'il dit avoir jadis travaillé comme plongeur pour payer ses études pendant que les grands-ducs dansaient à Tsarskoïe Selo, on n'y croit absolument pas devant son port royal et sa capacité à se fondre entièrement dans un univers bourgeois à sa façon de tenir un cigare ou une coupe de champagne en main. En réalité, les rôles sont trop nettement inversés par rapport à ce qu'ils devraient être: Basil a davantage l'air d'un Félix Youssoupov réclamant aux communistes qu'on lui restitue sa fortune, tandis que Claudette Colbert et Charles Boyer passent davantage pour de joyeux intellectuels enthousiastes à l'idée de travailler pour gagner leur vie. On ne croit donc pas vraiment à ce qu'on nous dit...

Finalement, Tovarich aura été une déception: tout était alléchant de prime abord, mais un rythme pesant, des situations pas nécessairement drôles, des rapports conflictuels sinistres et des personnages peu crédibles rendent hélas l'ensemble assez plat. Ce n'est heureusement pas un mauvais film, mais un 6- tendant vers le 5 me semble déjà très généreux...

samedi 3 décembre 2016

L'Empire du soleil (1987)


Autre film de 1987 situé en Chine en pleine guerre mondiale, voici Empire of the Sun, une œuvre du bien connu Steven Spielberg adaptée d'un roman semi-autobiographique de James Graham Ballard, à propos d'un enfant d'une dizaine d'année séparé de ses parents dans une Shanghai occupée. Les intellectuels vous diront que c'est l'un des films "sérieux" du réalisateur, par opposition à son cinéma de divertissement de type Indiana Jones, nous rappelant par-là même que Spielberg a souvent été critiqué pour son regard apparemment trop enfantin sur le monde.

Un tel regard se retrouve forcément dans Empire of the Sun, puisque la guerre est exclusivement perçue à travers les yeux du jeune héros. C'est à la fois joli et par moments ridicule. Joli, parce que la métaphore de l'âme montant au ciel, confondue avec le bombardement atomique de Nagasaki, réussit le tour de force de donner une touche de poésie à l'atroce le plus insoutenable. Ridicule, parce que certaines séquences sonnent faux, à l'image du bombardement du camp de prisonniers, où Jamie regarde la scène, émerveillé, en restant sur le toit pour mieux crier d'excitation sans jamais se soucier du risque. On peut également être gêné par le côté trop ostensiblement aventurier de la vie de camp, puisque une fois le transfert effectué, Jamie court sur une musique épique et agréable de John Williams pour faire du trafic de marchandises, comme si le camp était un terrain de jeu, tandis que les femmes font la lessive comme dans une communauté villageoise particulièrement paisible. Cet aspect est heureusement balancé par une dureté non feinte, passant par la ruse de certains soldats japonais qui font d'abord semblant de garder leur calme pour mieux donner des coups à la surprise générale. Tout de même, ce camp de prisonniers s'apparente trop souvent au village d'Heidi, et pas assez à un film comme Three Came Home. Mais, répétons-le, nous sommes censés voir la cruauté du siècle à travers les yeux d'un enfant de onze ans, si bien que le forçage de trait n'arrive jamais à me déranger totalement. Les critiques ont souvent comparé le film avec Hope and Glory de John Boorman, sorti la même année, dont je ne me souviens hélas plus mais qui a meilleure presse.

Quoi qu'il en soit, même si l'on a beaucoup de mal à croire à certains pans du film, ça ne l'empêche jamais de faire son petit effet. Et force est d'admettre que Steven Spielberg est extrêmement doué pour tout ce qui est de la forme: la tension indicible est toujours prenante, avec notamment une scène de foule spectaculaire où les habitants de Shanghai tentent de gagner le port en catastrophe, scène qui déclenche d'ailleurs l'histoire puisque c'est à partir de là que Jamie se retrouvera livré à lui-même. Avant ça, le contraste entre guerre et bal costumé est franchement saisissant: les invités de la haute société britannique avancent difficilement, déguisés, dans les rues de la ville, alors que les couleurs de leurs vêtements tranchent avec la grisaille et l'angoisse sourde des alentours. Le travail sur l'image est dans tous les cas extraordinaire: les empreintes de pieds dans la maison désertée, le panneau gigantesque d'Autant en emporte le vent, révélant Jamie devant le chaos de la guerre de Sécession dans une Atlanta en flamme, le fascinant amphithéâtre où sont entreposées toutes les richesses des Occidentaux saisies par les Japonais... Voilà autant de trouvailles marquantes qui sont en outre éblouissantes. Il faut dire que Spielberg est bien aidé par la photographie d'Allen Daviau, avec tous ces jeux sur le soleil levant, et surtout la séquence des étincelles qui met si bien en valeur l'avion qui fascine tant le héros. Le motif de l'avion est d'ailleurs très bien exploité tout au long du film, depuis le jouet dont Jamie ne veut jamais se séparer, aux avions de guerre au destin terrible: tout est toujours lié d'un point de vue narratif, et tant mieux.

Finalement, le seul bémol du film, c'est peut-être l'interprétation. Le héros est hélas insupportable sur le papier, à toujours parler sèchement à ses domestiques au départ, puis à toujours se mêler de ce qui ne le regarde pas, et Christian Bale ne parvient pas à faire ressortir en lui un once de sympathie: il hurle, il s'excite pour un rien, ce qui est peut-être la réaction normale d'un enfant de onze ans perdu en plein conflit, mais sa performance m'agace malgré tout. A ses côtés, John Malkovich incarne l'archétype du mentor viril et débrouillard cher à l'univers toujours très masculin de Spielberg, mais le personnage est si manipulateur qu'on a évidemment du mal à s'attacher à lui. Après, je sais que j'ai toujours du mal à apprécier des protagonistes dans des histoires trop masculines, aussi le problème vient-il, peut-être, de mon ressenti. J'imagine fort bien que la complicité qui se noue entre Basie et Jamie doit parler davantage à tous les garçons plus virils que moi, et je suppose que la fameuse scène où le héros salue les soldats qui l'intriguent, mais qui le retiennent prisonnier, doit faire plaisir à plus d'un. Par bonheur, Empire of the Sun comporte un personnage féminin marquant, incarné par la toujours captivante Miranda Richardson, qui garde beaucoup de personnalité malgré l'extrême inconfort qu'elle subit de plein fouet. Dommage qu'Emily Richard soit en retour coincée dans un rôle typique de mère inquiète, uniquement définie par sa capacité à rester dans l'ombre d'un fils et d'un mari plus actifs, malgré une scène finale très émouvante.

Moralité: L'Empire du soleil est excellent sur la forme, pour sa photographie à tomber par terre, ses choix de réalisation ingénieux et ses motifs toujours au service de la narration. Parfois, le regard "enfantin" est un peu maladroit, et les personnages me touchent peu, mais quand on atteint ce niveau de perfection dans l'image et la montée en tension, il n'y a qu'à s'incliner. Un bon 7/10 est plus que mérité, ne serait-ce que pour l'excellent usage du son fait à partir d'une version hypnotique de Suo Gân, qui illustre le film dans son ensemble, donnant la coloration poétique et enfantine recherchée à ces événements tragiques.