lundi 25 septembre 2017

Words and Music (1948)



Words and Music n'est pas un film de 1946, mais comme je profite également de ces moments de temps libre pour en finir enfin avec les disques qui attendent sur mes étagères depuis plusieurs années, c'est aussi l'occasion de coucher mes impressions à chaud sur des films vers lesquels je ne reviendrai pas nécessairement avant longtemps. J'ai pourtant pris plaisir devant cette superproduction MGM orchestrée par Norman Taurog, et qui n'est autre qu'un biopic romancé du duo de compositeurs bien connus Richard Rodgers et Lorenz Hart. Comme souvent pour des œuvres de ce genre, l'histoire tient sur un ticket de métro, mais ce n'est pas l'essentiel: on est surtout là pour découvrir des numéros musicaux impressionnants dans de jolis décors chamarrés, le tout porté par la fine fleur des stars musicales du fameux studio, de Mickey Rooney à Judy Garland, en passant par Lena Horne et Gene Kelly!

Maline, la MGM prend d'ailleurs soin de mettre l'eau à la bouche en ne faisant intervenir ces grandes stars que dans la deuxième heure, à l'exception de Mickey Rooney qui tient, avec Tom Drake, l'un des deux rôles principaux. La première partie raconte ainsi leur montée vers le succès, mais comme je le laissais entendre à l'instant, le scénario ne pousse pas très loin la complexité, et ce à tel point que Tom Drake se sent obligé d'intervenir dès les premières secondes pour préciser que Words and Music ne sera pas une grande histoire, car elle ne contient tout simplement pas d'enjeux: les héros ont connu une ascension foudroyante, de telle sorte qu'il ne reste que les déboires amoureux des complices pour donner un peu de matière au texte. Malheureusement, l'écriture est loin d'atteindre des sommets là aussi: le portrait de Lorenz Hart est épuré au maximum, au point qu'on ne mentionne ni ses accès de dépression (!), ni son addiction à l'alcool (!), ni même son homosexualité (!)! Comme dans Night and Day deux ans plus tôt, le musicien devient purement hétérosexuel, et son aversion pour son propre physique, notamment sa petite taille, est présentée de façon exclusivement comique lorsqu'il s'amuse à se mesurer avec une règle contre un mur en portant des talons. Le grand amour de sa vie selon le film est également des plus frustrants, car la jeune chanteuse incarnée par Betty Garrett n'a aucune consistance: elle n'a jamais l'air triste d'être rejetée in extremis pour un premier rôle, se contente de rester dans l'ombre d'un homme qu'elle "aime trop pour le blesser mais pas assez pour l'épouser" et finit par faire ses valises au moment où on lui propose enfin le grand rôle qu'elle attendait! 

De son côté, Richard Rodgers connaît lui aussi certaines déconvenues sentimentales, mais celles-ci sont également traitées sur un mode comique qui laisse pantois: d'abord rejeté par Ann Sothern qui le trouve trop jeune pour elle, puis par Janet Leigh qui le trouve trop vieux, il lui suffit d'attendre que la seconde fête ses dix-huit ans pour qu'ils tombent dans les bras l'un de l'autre sans aucune surprise. Avec si peu à se mettre sous la dent, Tom Drake et Mickey Rooney sont loin de donner de grandes performances: le premier est lisse et en outre doublé lors des chansons, et le second, bien qu'ayant nettement plus de personnalité, n'a jamais l'occasion de jouer sur sa propre petite taille et son visage pour le moins singulier, afin de donner une véritable épaisseur à Lorenz Hart. Son escapade à Londres pour oublier la dame de ses rêves est une fois de plus traitée sur le mode de la comédie ("Le parlement londonien est la mère de tous les parlements... Oh! Tiens! Je dois justement appeler ma mère!"), et sa grande scène d'agonie finale est tellement improbable que ça n'a aucun effet.

Ainsi, comme pour bon nombre de biographies musicales de l'époque, l'histoire n'a vraiment aucun intérêt, mais c'est tout de même l'occasion d'entendre de jolis numéros de chant et de danse, et dieu merci, Words and Music est parfaitement réussi de ce côté là! On admirera d'ailleurs l'équilibre parfait entre scènes parlées et séquences en musique, puisque chaque numéro est bien espacé dans le film, à défaut de servir une histoire déjà très fine à la base: les chansons se succèdent sans grande cohérence narrative ou chronologique, mais peu importe, c'est très beau à observer. J'aime notamment les décors ruraux sur On Your Toes, chanson par ailleurs idéale pour mettre en avant les jambes de Cyd Charisse, ou sur Where's That Rainbow pour ses jolies couleurs désuètes. Un autre morceau amusant, c'est l'épopée médiévale Thou Swell: June Allyson a beau avoir une voix désagréable, elle n'en est pas moins sympathique avec ses sourires de princesse de contes de fées, tandis que les jolis jumeaux Blackburn sont tout à fait séduisants dans leurs armures moulantes et ridicules! Lena Horne chante quant à elle The Lady Is a Tramp et Where or When dans des décors exotiques (pas les morceaux de bravoure du film), tandis que Perry Como chante Blue Room dans... un salon bleu, avant de revenir faire son crooner lors du finale sur With a Song in My Heart, en hommage au parolier disparu. 

Malgré tout ce beau monde, les véritables vedettes du spectacle sont Judy Garland et Gene Kelly. Ils n'ont pourtant qu'une poignée de scènes en tout et pour tout, mais on ne retient qu'eux. La première est ici armée d'un charisme incroyable qui lui permet d'éclipser tout le monde dès qu'elle se met à parler dans un salon, avant d'éblouir comme la grande star qu'elle est dans I Wish I Were in Love Again et Johnny One Note. J'ai beau ne pas être le plus grand fan de Miss Garland, force est de reconnaître qu'à chaque fois que je la découvre davantage, je trouve qu'il est de plus en plus difficile de lui résister. Le problème vient probablement de ce que je ne suis pas le plus grand amateur de jazz et de timbres féminins graves, mais Garland chante comme toujours avec tant de plaisir et de spontanéité qu'on comprend aisément pourquoi elle reste un phénomène incontournable. Pour la petite histoire, Words and Music est la conclusion de ses duos avec Mickey Rooney, après leurs premiers succès qui les avaient propulsés sur le devant de la scène dix ans plus tôt. Gene Kelly continue pour sa part de faire des bonds dans ce que nous appellerons mon "estime érotique", car autant ses grimaces me laissaient froid jadis dans Les Trois Mousquetaires ou même Chantons sous la pluie, autant continuer de le voir se déhancher en polo moulant à manches courtes et pantalons noirs dans divers films colorés m'émoustille de plus en plus. Il dance ici comme un dieu sur le numéro Slaughter on Tenth Avenue (voir ci-dessus), incontestablement l'une de mes compositions musicales préférées de Richard Rodgers.

Finalement, Words and Music reste une découverte absolument plaisante, puisque malgré son scénario bidon qui ne pense même pas à interroger la notion d'inspiration chez les créateurs, le film est orné d'assez jolis numéros musicaux pour faire passer le plus exquis des moments. Ce ne sont pourtant pas les compositions musicales que je préfère dans l'histoire de la musique pop des années 1930, mais la découverte de Slaughter on Tenth Avenue m'aura tout de même enthousiasmé au plus haut point. J'aurais simplement aimé que ma chanson préférée du duo Hart & Rodgers, Isn't It Romantic? introduite dans Love Me Tonight, figure dans leur biopic, (Lover, du même film, est jouée de manière instrumentale lors du générique de début), mais c'est heureusement compensé par la présence de Blue Moon. Le tout forme un film absolument charmant, mais un fil conducteur très mal écrit l'empêche hélas de dépasser un petit 6/10.

dimanche 24 septembre 2017

La Tentation de Barbizon (1946)


Croyez-le ou non, mais je suis d'humeur à boucler ma rétrospective 1946 entamée l'année dernière! Profitons de ce regain d'inspiration pour avancer tant que j'ai quelques minutes! C'est à présent au tour d'un film français de Jean Stelli (inconnu au bataillon), La Tentation de Barbizon, qui met en scène la captivante Simone Renant, une actrice que je connais encore assez peu mais qui restera dans les annales en tant que superbe photographe lesbienne dans le chef-d’œuvre d'Henri-Georges Clouzot, Quai des Orfèvres, et qui incarna également une Mme de Volanges moderne et loin d'être naïve dans Les Liaisons dangereuses de Roger Vadim. Elle tient ici le rôle principal, celui d'un ange intervenant sur Terre pour sauver un jeune couple d'amoureux (Daniel Gélin et Juliette Faber), qu'un démon incarné par l'élégant François Périer tente de séparer par de viles manigances. Chemin faisant, ange et démon se laissent peu à peu tenter, contre leur gré, par les plaisirs terrestres...

La Tentation de Barbizon est une découverte très agréable, qui tient surtout à un scénario original amusant qui m'avait précisément poussé à acheter le disque cet été. Ce n'est cependant pas une grande histoire: l'esprit reste bon enfant, certains personnages sont assez peu profonds (Daniel Gélin qui passe subitement d'amoureux transis à coureur de jupons, et qui décide de sauter sur la femme qu'il déteste le plus à ce moment-là sans pourtant être sous une emprise céleste), et l'on compte encore deux ou trois rebondissements pas toujours très bien ficelés (les séquences au commissariat, où les scénaristes résolvent de façon relativement brouillonne le problème de l'identité de la femme poignardée, qui sert d'enveloppe à l'ange). Mais, le tout forme une intrigue absolument charmante qui vaut en grande partie pour le jeu du chat et de la souris entre les ennemis venus de l'au-delà, ainsi que pour l'apparition d'une bonne dose de magie dans la banalité du quotidien d'une auberge de campagne et des grands salons parisiens. Les effets spéciaux sont néanmoins extrêmement sommaires (comparés aux surimpressions d'images bien plus impressionnantes dans d'autres films de l'année comme A Stolen Life ou The Dark Mirror), mais voir des gens ou des objets disparaître d'un claquement de doigts est malgré tout fort plaisant à observer.

Mais comme je le disais, le grand point fort du film est la complicité entre Simone Renant et François Périer. Tous deux sont beaux et distingués, et l'on aime les voir faire preuve de bonne entente bien que chacun cherche évidemment à duper l'autre dans son dos. Les comédiens ont le plus de personnalité parmi la distribution et font le film à eux deux, même lorsqu'ils ne sont pas ensemble, comme en témoigne la délicieuse séquence des dés pipés où l'ange donne une bonne leçon à un tricheur, tandis que le démon résiste avec beaucoup d'élégance aux avances de la femme d'affaires capricieuse qu'il tente de pousser dans les bras de son employé. On leur fera simplement le reproche de ne pas du tout essayer ne serait-ce qu'un embryon d'accent anglophone, alors qu'ils se font tous deux passer pour des Américains auprès des mortels, ce qui nous vaut de grands moments d'anthologie à la française lorsqu'ils disent venir d'une ville bien connue nommée "Losangelesse"... Un autre personnage marquant est incarné par Pierre Larquey: il amuse le temps qu'il faut par son honnêteté et son désir enfantin de passer à travers les portes sans les ouvrir, tout en ayant conscience de sa laideur, de quoi servir un quiproquos au restaurant alors que l'ange tente de faire tomber la femme d'affaires amoureuse de lui au lieu du fringant Daniel Gélin. On ne peut hélas pas dire que les autres interprètes soient aussi intéressants: ledit Gélin se laisse entièrement porter par les divers rebondissements sans donner une grande cohérence à son personnage, de telle sorte qu'on a l'impression qu'il y a dix Michel dans l'histoire; Juliette Faber ressemble à une Maria Schell qui aurait laissé sa personnalité à la maison, quoiqu'elle soit mignonne par sa pudeur et sa franchise; et Myno Burnay est si agaçante, sans même être drôle dans l'antipathie qu'elle suggère, qu'on la préfère finalement sous les traits d'un poisson.

Je n'en dis pas plus car, La Tentation de Barbizon n'étant pas un grand film, il vaut mieux arriver vierge dessus pour le découvrir, le charme risquant d'opérer un peu moins une fois qu'on connaît les principaux quiproquos. On aurait parfois aimé que l'histoire soit plus mordante et moins "bon enfant", mais c'est extrêmement divertissant en l'état et l'on ne voit jamais le temps passer. Pour cette raison, j'envisage de monter à un petit 7/10: j'ai tout de même une certaine hésitation avec un solide 6 compte tenu de certaines idées qui auraient mérité davantage de précision, mais le cœur doit toujours passer avant la raison!

Massacre en salle de montage


Après avoir coupé son apparition au montage dans They Died with Their Boots On, sans doute par peur que le film ne dure trois heures, la Warner décida malgré tout de redonner sa chance à Eleanor Parker en lui faisant tourner le remake de Of Human Bondage, dans l'espoir que dix ans après Bette Davis, une nouvelle vedette pourrait émerger du studio. Hélas, suite à une avant-première ratée à la fin de l'année 1944, les pontes décidèrent de remonter ce travail d'Edmund Goulding avant de le sortir discrètement en salles avec deux ans de retard, pressentant que les critiques seraient défavorables malgré les nouvelles coupes. Le problème, c'est que ce faisant, la plus grande scène d'Eleanor Parker fut laissée sur le carreau, privant par-là même la jeune comédienne de faire les débuts remarqués qu'on aurait pu espérer, alors que Bette Davis elle-même lui avait écrit pour lui souhaiter que ce film puisse faire décoller sa carrière comme ce fut le cas pour elle en 1934. Ainsi amputé d'une grande scène d'agonie sordide apparemment criante de vérité, et de quasiment toutes les séquences impliquant la peu fameuse mais néanmoins très distinguée Alexis Smith, le film se retrouve essentiellement centré sur... Paul Henreid!

Paul Henreid! Sans conteste l'un des acteurs les plus lisses des années 1940, le seul personnage non mémorable de Casablanca, un capitaine de navire bien insipide dans The Spanish Main, la victime d'une Bette Davis dépressive qui n'en fait qu'une bouchée lors d'une croisière au Brésil, et dont le plus grand exploit reste d'avoir mis en ébullition les hormones d'Ida Lupino et Olivia de Havilland dans le rôle d'un vicaire... Bref, je n'aime pas être trop méchant, mais M. Henreid n'est clairement pas ma tasse de thé, aussi ne voir que son seul visage à l'apogée du film, alors qu'Eleanor Parker est recouverte à 90% d'un drap blanc dont n'émergent que quelques cheveux (!!!) est évidemment une déception sans nom, ce qui est d'autant plus cruel que ce devait être le grand morceau de bravoure de l'actrice! Quoi qu'il en soit, Paul Henreid est de toutes les séquences, mais il est constamment éclipsé par tous ses partenaires: Edmund Gwenn en patient sauvé par le médecin et qui devient son ami intime, ou encore Patrick Knowles, bien plus crédible en coureur de jupons susceptible de s'amouracher d'une petite serveuse vulgaire, quoique lui aussi trop âgé pour être convaincant dans le rôle d'un étudiant. De son côté, l'élégante Alexis Smith n'a pas les moyens de susciter autant d'émotions que la grandiose Kay Johnson dans la version de 1934, puisque son rôle est réduit à celui de confidente fidèle qui reste dans l'ombre d'un héros, qu'elle éclipse néanmoins par sa distinction naturelle.

Le film de 1934, réalisé par John Cromwell, n'est pas brillant, mais au moins, bien que Leslie Howard s'y fasse manger tout cru, on arrive à croire à l'attachement de cet étudiant médiocre et coincé à une femme vulgaire, qui réveille en lui des pulsions dont ses amies de la bonne société ne daigneraient même pas soupçonner l'existence. Mais en 1946, Paul Henreid échoue à faire croire qu'il puisse réellement s'intéresser à Mildred, et le manque d'alchimie entre l'acteur et sa partenaire n'est pas des plus heureux. En outre, si le film de Goulding n'est pas indigne pour sa capacité à recréer une ambiance historique assez agréable, notamment dans l'ouverture parisienne imprégnée d'un bon esprit de bohème, le rythme est quand même franchement pesant, et la mise en scène peu dynamique. J'avais la même impression de mollesse pour la version de 1934, mais au moins, le jeu émouvant de Kay Johnson et l'énergie furieuse de Bette Davis transcendaient largement ces défauts. Malheureusement, Alexis Smith étant coupée au montage, et Eleanor Parker ayant vu ses grandes scènes décapitées, il ne reste plus grand chose pour sauver la version de 1946 du marasme.

C'est dommage, car j'apprécie le parti pris du metteur en scène et de son actrice d'adopter un jeu plus moderne que celui de Bette Davis. En 1934, la future grande star dévorait tout sur son passage mais n'arrivait pas à contenir sa démesure: le résultat était impressionnant (dans le bon sens du terme, car c'est ainsi qu'a pu se révéler la grande actrice de composition qu'était Davis, alors que nul n'en faisait grand cas auparavant) mais aussi très daté, tant elle se forçait à surjouer la grossièreté de son personnage à chaque fois qu'il lui fallait ouvrir la bouche. Ici, Eleanor Parker est elle aussi constamment dans la composition, mais avec un peu plus de retenue: on arrive à croire qu'elle est réellement une pauvresse sans scrupules, alors qu'on voyait davantage l'actrice soucieuse de faire son petit effet chez Davis. Dans tous les cas, le résultat est parfois terrifiant chez Parker car je n'arrivais pas à retrouver mon actrice fétiche derrière l'insolence crasseuse du personnage! Malgré tout, si l'entrée en scène de la Mildred de 1946 est criante de justesse, le reste de la performance n'est pas toujours des plus heureux car d'une part, la voir se contenir un peu plus que Davis, hurler moins fort et casser des objets assez mécaniquement a une portée nettement moins retentissante que dans le premier film; et d'autre part, l'entendre constamment parler de cette même voix sèche sans trop de nuances finit par agacer. L'accent cockney est paraît-il réussi, mais l'absence de catharsis, la faute aux scènes finales coupées, empêche de savoir si l'actrice apportait d'autres dimensions à son personnage dans la version d'origine.

Moralité, Of Human Bondage est un film plutôt raté, d'une part à cause de raccourcis malheureux (eh, pourquoi diable montrer l'héroïne mourir de ses péchés quand on peut voir Paul Henreid papoter avec des personnages ultra secondaires?!), mais aussi à cause d'une mise en scène peu inspirée et d'acteurs trop lisses pour donner une véritable densité au tout. Eleanor Parker n'est évidemment pas incluse dans le lot: elle fait tout le travail de composition quand tous ses partenaires restent en surface, mais comme elle joue sa partition sur la même note tout du long et qu'on imagine que ses meilleures scènes ne figurent pas dans le produit finit, difficile d'être enthousiaste. Je suppose que même la version longue n'était pas très bonne à l'origine, mais les choix de coupes sont si surprenants qu'on ne peut vraiment rien tirer de ce qui reste une pâle copie d'un film déjà pas très appétissant au départ. Pour la note, disons 5- parce que la reconstitution d'époque fait malgré tout plaisir, mais j'ai l'impression d'être vraiment généreux. Quoi qu'il en soit, merci à ceux qui se reconnaîtront pour m'avoir offert un enregistrement de cette rareté!

jeudi 21 septembre 2017

Mommie Creepiest


La semaine dernière, je suis allé voir mother!, la nouvelle descente de coke de Darren Aronofsky après son Requiem effrayant et son Cygne noir schizophrène. La raison en est toute simple: à force d'entendre lister Michelle Pfeiffer comme possible candidate aux remises de prix, je tenais à vérifier si elle volait effectivement la vedette à la superstar de la décennie, Jennifer Lawrence. En outre, tenant The Wrestler pour un bon film, je me disais qu'il ne serait pas inintéressant d'en voir davantage dans la filmographie du réalisateur. Malheureusement, j'ai fait chou blanc sur le deux tableaux: non seulement ne suis-je pas convaincu par le résultat, la faute à vingt dernières minutes qui firent voler en éclat l'estime que j'avais pour l'œuvre au départ, mais en outre, Michelle Pfeiffer n'a absolument rien à faire justifiant une distinction.

Car non, rester fichée au milieu d'un salon pendant dix minutes pour regarder l'héroïne avec la même expression menaçante et mystérieuse ne constitue pas une grande performance à mon goût. D'autant que dans toutes les séquences où elle apparaît, difficile de ne pas être du côté de Jennifer Lawrence qui doit jouer d'inquiétude et d'émotions. Le parti-pris est intéressant, car l'extrême et surprenante passivité de cette jeune fille anonyme, qui sera finalement bien la mother du titre, permet au spectateur d'entrer directement dans l'histoire en étant à son niveau. Aronofsky a donc un certain talent à nous connecter directement aux déboires de sa créature (j'emploie ce terme volontairement car Mother s'avère moins un personnage à part entière que la création d'une entité cauchemardesque), et ce en posant une ambiance extrêmement prenante dans les deux-tiers du film. La trame suit en fait trois axes principaux, qui se répètent à l'infini: Jennifer Lawrence veut rester seule avec son bien-aimé, l'écrivain incarné par Javier Bardem, mais celui-ci n'a de cesse d'inviter dans sa maison des étrangers qui touchent à tout, et qui finissent par tout casser, d'abord en petit comité, avant de se muer en groupe plus important qui dérivera lui-même sur une masse pas loin de grouiller comme de la vermine. Le début est clairement plus captivant, à voir comment chaque inconnu entre au compte-goutte dans une maison aux teintes judicieusement pâles, pour mieux en rehausser l'angoisse, avec en outre une excellente utilisation de l'espace alors que Michelle Pfeiffer parle en parcourant chaque pièce de manière circulaire. A ce moment là, je percevais une dimension politique dans le film, me demandant si le créateur était en train de tester notre résistance concernant la notion de propriété: jusqu'où est-on prêt à aller dans le partage de ses biens?

Hélas, l'histoire part cependant en vrille: en effet, après s'être comportés comme des malotrus dans toute la maison, à la grande joie surprenante de Javier Bardem qui n'aime rien tant qu'être adulé par ces deux fans, Ed Harris et Michelle Pfeiffer font venir leurs deux fils qui se battent à mort pour des questions d'héritage. La lecture du film devient alors totalement religieuse: après avoir créé la Terre, la mère-nature dont l'héroïne est l'incarnation et qui a bien du mal à reprendre ses droits face aux crimes de l'humanité, le démiurge se met précisément à créer des êtres humains à travers cette famille d'inconnus. C'est évidemment la femme qui commet la faute en cassant le cristal précieux qui semble assurer la cohésion du couple Bardem/Lawrence, ou plus exactement Dieu/Terre, puis, une fois chassés du jardin d'Eden, le bureau que Bardem clôt justement à coup de clous et de planches, le couple enfante deux avatars d'Abel et Caïn qui annonceront les péchés terrestres à venir. Et plus on avance dans l'histoire du christianisme, à mesure que de plus en plus d'inconnus rentrent dans la maison, d'abord comme fans invétérés de la poésie du héros, plus on dérive vers quelque chose d'absolument sectaire: Bardem est tout à sa joie d'être vénéré par le commun des mortels, et ce en n'ayant aucune considération pour son épouse qui lutte vainement pour empêcher les dégradations dans la maison qu'elle a rénovée elle-même. Et lorsque naît enfin le divin enfant, après une grossesse laborieuse de Jennifer Lawrence devenue Mother à part entière, tout devient abjectement sordide et d'une violence inouïe. C'est ça que je reproche au film: alors que ça se suivait avec intérêt entre ambiance oppressante très bien mise en scène et symbolisme religieux fascinant à décrypter, la fin n'est qu'une suite de violences et ressemble moins à du cinéma qu'à une vomissure où la caméra bouge dans tous les sens alors que c'est la guerre dans chaque pièce, sans plus aucune foi en l'humanité.

Même en admettant que le film dénonce en réalité la cruauté de l'écrivain-démiurge, cela passe par une imagerie si abjectement misogyne que le message tombe à plat. En effet, à force de voir Jennifer Lawrence être constamment humiliée (elle doit faire le ménage même quand ce n'est pas elle qui renverse de l'eau), puis rouée de coups, à moitié dévorée par une foule en délire guidée par l'éditrice-apôtre, et enfin brûlée vive, le sort de l'héroïne est tellement épouvantable qu'il devient absolument insoutenable de regarder le personnage être frappé de partout. On sent trop clairement qu'Aronofsky a pris plaisir à filmer les mille et un supplices à faire subir à son actrice principale, si bien que l'image ne saurait être autre chose qu'extrêmement misogyne. A supposer que le réalisateur se caricature lui-même sous les traits de l'écrivain, cela en dit long sur ses propres fantasmes, quand bien même il tenterait de les dénoncer ici. Dans tous les cas, j'ai le même problème avec Black Swan, où Aronofsky prend également un plaisir trop manifeste à faire souffrir son héroïne allant crescendo dans la folie, et ce alors qu'on y retrouve également une image paternaliste de metteur en scène intrusif, au lieu de façonner un personnage digne de ce nom. Tout cela est bien surprenant, car dans The Wrestler, chaque personnage a son identité propre, et aucun d'entre eux n'est traité avec mépris par son créateur. Mais que ce soit dans Requiem for a Dream, Black Swan et désormais Mother!, le réalisateur me semble avoir un goût trop prononcé pour le mépris envers ses personnages, et cet acharnement est par trop malsain. Le pire est quand même atteint avec les dernières scènes de Mother!, à vomir d'horreur car l'acharnement n'est plus seulement psychologique, mais carrément physique puisque le but de l'histoire est de détruire entièrement son héroïne. Même s'il faut y voir une métaphore environnementale (Jennifer Lawrence ne peut résister aux crimes humains qu'en répondant de façon "terrestre": tremblements de Terre, inondations et incendie), la façon de filmer une femme démolie par autant de violences est tout simplement trop dure pour être acceptable.

Mon ressenti de Mother! est ainsi en grande partie plombé par un finale abject, alors que les nombreux symboles et métaphores donnaient l'impression qu'il s'agirait d'un film captivant de prime abord. Malheureusement, ni la symbolique de la création artistique et ni la critique de la religion ne justifiaient d'aboutir sur une fin où le réalisateur semble avoir un orgasme en s'acharnant jusqu'à ce que mort s'ensuive sur son héroïne. Jennifer Lawrence fait malgré tout un bon travail d'actrice, mais le personnage est tellement passif qu'elle n'a finalement pas beaucoup d'émotions à jouer à part une sorte d'inquiétude mâtinée de colère, à force de se voir entièrement dépassée par les événements. Quant à Michelle Pfeiffer, elle est très loin de ses grands rôles d'il y a vingt ans: on lui demande de rester debout à plisser les yeux, et c'est à peu près tout. Mais il est faux de dire qu'elle vole la vedette à sa partenaire, c'est même davantage l'inverse, et dieu sait si je préfère mille fois Pfeiffer à Lawrence en temps normal. Quant aux hommes, ils n'ont pas grand chose à faire non plus d'un strict point de vue interprétatif: Ed Harris tousse, et Javier Bardem reste à regarder fixement l'héroïne quand celle-ci lui résiste. Finalement, j'ai mis une assez mauvaise note à tout ça, parce que la fin plombe absolument tout ce qui avait été édifié auparavant: j'étais parti sur un 6/7 pendant un bon moment, mais cet incroyable déchaînement de violence, envers un personnage qui semblait en outre faussement favorisé par le metteur en scène au départ, me semble tellement gratuit, injuste et si affreusement sexiste qu'il est impossible de rester sur une bonne note, bien qu'il s'agisse d'un film qui fait réfléchir et qui ne s'oubliera pas si aisément.