samedi 31 mai 2014

Mrs. Parkington (1944)

Je sais, j'ai toujours mon article sur 1939 à poster (quand?), mais dans l'immédiat, j'ai surtout envie d'occuper mon temps libre sur internet en faisant d'une pierre deux coups, en parlant de films centrés sur une grande actrice du Golden Age, afin de détailler mes opinions souvent beaucoup trop succinctes dans mes articles "Orfeoscar". Et la grande gagnante du jour est donc:

de Tay Garnett
Après avoir été un peu insensible à ce que j'appelais les "greergarsoneries", dans la folie d'une jeunesse cynique et impétueuse, j'ai fini par changer d'avis, jusqu'à devenir un grand fan de l'une des actrices les plus charmantes de l'histoire d'Hollywood, une dame capable de rendre intéressant n'importe lequel de ses films grâce à une personnalité chaleureuse et un incontestable talent. Par conséquent, je suis d'autant plus disposé à revoir à la hausse mon opinion sur ses rôles, et sonner à nouveau à la porte de Susie Parkington m'a finalement fait passer un bien agréable moment, même si j'ai peur que la saveur de l'ensemble ne s'estompe rapidement avec le recul.

Quitte à commencer par les aspects négatifs, disons que ce qui me plait le moins dans le film, c'est l'histoire. Pourtant, le scénario est plutôt bien ficelé entre une intrigue dans le présent centrée autour d'une matriarche qui doit faire un choix entre le bonheur de sa petite-fille préférée et les intérêts économiques du reste de ses pairs, et une narration en longs flashbacks relatant la jeunesse de l'héroïne, dont certains souvenirs doivent l'aider à faire un choix dans le dilemme initial. Or, tant que le passé fait avancer l'intrigue principale, spécialement sur la thématique "famille/argent, quel est le plus important?", le scénario fonctionne sans aucun problème. Mais, tous les éléments du passé ne servent pas systématiquement le sujet, d'où l'impression d'une histoire parfois trop linéaire, de type: "elle est jeune, elle se marie, elle a des enfants, elle se dispute, etc", a priori pas le propos le plus passionnant qui soit, tout du moins pour moi. En outre, certaines ellipses plombent un peu le registre de l'émotion, comme par exemple cette séquence où l'héroïne vient de perdre un enfant qu'on n'a jamais vu, ce qui empêche de nous connecter totalement à sa douleur, et ce d'autant plus que l'année de réclusion que vient de vivre Susie est mal ressentie, puisqu'on a eu juste avant un retour dans le présent, et qu'il suffit qu'Agnes Moorehead vienne consoler l'héroïne pour que celle-ci se remette sur pieds dans la seconde et chantonne à l'idée de partir en voyage pour renouer avec son époux. A mon avis, il y avait moyen de faire plus percutant, mais en dépit de certaines maladresses de ce genre, on suit heureusement les aventures de Susie avec grand intérêt. Sans compter que le scénario n'oublie pas des pointes d'humour, comme la présence du prince de Galles comme sympathique adjuvant.


De son côté, la mise en scène de Tay Garnett est réussie à défaut d'être originale, et l'on ne note finalement que deux fantaisies qui retiennent vraiment l'attention. En premier lieu, ce sont les transitions qui assurent les allers-retours entre passé et présent, ou entre différentes séquences au sein d'une même époque. A ce niveau, certaines sont bien faites, avec l'utilisation d'une horloge comme marqueur de temps, ou de figurines saxonnes comme souvenirs matériels transcendant les âges, mais en dépit d'une constante unité de thèmes, le travail sur l'image aurait pu être plus soigné. Par exemple, la dernière transition montre le visage d'une jeune Greer Garson enlacée par Walter Pidgeon, avant que l'image fonde pour révéler une héroïne âgée dans les bras de sa petite-fille, mais les têtes ne sont pas positionnées au même endroit, ce qui aurait sans doute été plus esthétique. Le plus énervant, c'est que lorsque l'effort esthétique est prégnant, l'effet est gâché par l'usage d'un fondu noir qui rend l'image plus floue, notamment lorsqu'une Greer Garson âgée apparaît très exactement entre les deux visages du couple de jadis. En définitive, la meilleure transition du film reste celle qui montre successivement Agnes Moorehead et Greer Garson au lit, le lendemain des noces, dans laquelle les visages apparaissent parfaitement au même endroit du cadre. 

Autrement, l'autre fantaisie dans la mise en scène reste l'utilisation d'un élément du décor, à savoir les portraits gigantesques de Garson et Pidgeon, lesquels rythment l'histoire de façon efficace, puisqu'on a d'abord l'actrice principale à côté de son effigie lors de son apparition, puis son partenaire à côté de sa propre peinture lors de l'emménagement, avant que Susie ne se tourne une dernière fois vers le portrait de Gus lorsqu'elle doit assumer son choix, comme si la boucle était bouclée. A part ça, la réalisation reste plus que classique et ne fait pas particulièrement usage de décors si pompeux qu'on a très vite la sensation d'étouffer, y compris dans les pièces les plus spacieuses, d'autant que les immenses escaliers ont une connotation assez malheureuse à un moment donné. Disons que cette surcharge de grandeur, qui sied cependant très bien au niveau de vie représenté, ne sert vraiment le propos qu'à trois reprises, en comptant les tableaux et les marches, l'autre étant le sentiment de l'héroïne de n'être qu'une pièce du patrimoine de son époux, au moment où elle émet le désir de faire autre chose de sa vie que jouer à la comtesse en représentation. A ce titre, les décors "pauvres" de la pension où travaille Susie au début sont plus "aérés", au point de créer des séquences plus légères et inspirées, comme en témoigne cette idée de faire dialoguer les héros sur un toit, à travers un drap tendu pour que l'héroïne ne soit pas vue en robe de chambre.

L'usage des costumes reste tout de même plus marquant, d'autant que l'humour du film repose principalement sur les atours. Ainsi, lorsqu'on voit Susie revêtir la cape et le chapeau de son locataire, avant d'être interrompue par lui et de devoir revenir chercher ses chaussures dans sa chambre, l'histoire prend une coloration chaleureuse qui lui va à ravir. Et quand l'héroïne, enrichie par son mariage, souffre le martyre en revêtant une robe de soirée, avant de souffler de dépit lorsque Agnes Moorehead lui suggère un autre essayage, la séquence prête évidemment à sourire, même si c'est loin de faire rire aux éclats. Il faut dire que le dialogue n'est pas brillant puisque, lorsque Susie a peur que son mari n'ait pas assez d'argent pour payer un vêtement de luxe, et que la baronne lui demande si elle réalise qui elle a épousé, elle répond de façon presque outrée: "My husband of course!" Hum... A la limite, la voir s'offusquer de se trouver nue dans un tel costume, tandis que la couturière lui fait remarquer qu'il s'agit-là d'un décolleté, est déjà moins lourd, malgré la relative médiocrité de la ficelle comique. Ah, et j'allais oublier: c'est moi où Gladys Cooper en duchesse aigrie porte bien des pantalons à la fin?!

Sinon, pour en finir avec la mise en scène, deux mots sur l'usage de la musique, où il n'y a malheureusement pas grand chose à signaler. En effet, la musique d'ouverture est prestigieuse à souhait comme dans tous les films MGM de l'époque, mais rien de très mémorable à l'horizon, surtout que les chants de Noël qui s'ensuivent sont entrecoupés par les vociférations d'une Gladys Cooper de très mauvaise humeur, si bien qu'on n'en profite même pas. En revanche, l'utilisation d'une musique trop doucereuse dans une séquence de deuil a vite tendance à conduire à saturation, comme s'il était encore besoin de surcharger l'atmosphère après la pomposité des décors et la quasi absence de scènes d'extérieur pour mieux aérer le propos.


En somme, l'élaboration du film est réussie, mais rien qui mérite de réelles louanges malgré quelques effets intéressants. D'ailleurs, ce sont surtout les performances d'acteurs qui tirent l'ensemble vers le haut et font de l'expérience Parkington un agréable moment.

Au sommet de l'édifice trône évidemment Greer Garson dans le rôle-titre, avec une performance divisée en deux parties: l'une où elle joue à la vieille matriarche resplendissante, et l'autre où elle est plus typiquement jeune, malgré des cheveux bruns qui détonnent un peu. Or, la vieille Susie est jouée on ne peut mieux par l'actrice qui épingle tous les tics de dame âgée pour nourrir sa composition, et donner d'autant plus d'humour et de chaleur au personnage. Ainsi, outre de charmantes intonations dites d'une voix un peu chevrotante, elle n'hésite pas à souffler sur ses lunettes avant de lire un document, en plus de deux/trois autres grimaces assez amusantes. Cependant, elle n'en fait jamais trop dans le registre comique, et la vieille dame frappe aussi par son sérieux, et sa capacité d'en imposer auprès de sa famille, qu'elle peut congédier d'un geste de la main si elle le souhaite. En fait, tout est dans la nuance puisque que l'actrice, ni trop comique, ni trop tragique, se révèle surtout extrêmement intelligente et rassurante, comme le lui fait remarquer sa petite-fille en décrivant sa perspicacité d'un judicieux "so clever!" Du coup, on s'attache à l'héroïne dès les premières séquences grâce au travail de l'actrice, au point qu'elle donne constamment envie d'en savoir plus sur elle.

Malgré tout, c'est principalement la jeune Susie qui est montrée dans le film, et force est de constater que le portrait reste très cohérent. En effet, Susie est tout aussi charmante lorsqu'elle essaie divers vêtements de luxe auxquels elle n'est pas habituée rapport à ses origines modestes, mais on découvre évidemment bien d'autres aspects plus sérieux et tout autant bien joués, notamment lors des scènes de ménage avec son époux, où Garson sait prendre de bonnes intonations fermes sans jamais rien perdre de son charme. L'actrice prend également bien soin de nuancer le personnage, en particulier lorsqu'elle parle avec détachement pour faire croire à Walter Pidgeon qu'il ne lui a pas trop manqué après dix semaines de séparation, alors qu'elle est en réalité absolument ravie de le retrouver. L'alchimie entre les deux interprètes fonctionne d'ailleurs très bien, comme dans leurs films précédents, et la façon dont la modeste Susie apprend à se sentir à l'aise avec son nouveau mari reste plus que jamais plaisante. Le seul bémol dans la performance de Garson, c'est qu'elle en fait parfois trop dans le registre de l'humilité, surtout quand elle prend une voix de petite fille face à une Agnes Moorehead qui la met mal à l'aise au début. Et notons tout de même que la séquence du tremblement de terre est jouée de façon assez bizarre, avec une actrice qui arbore un regard fixe beaucoup trop longtemps quand on lui communique une triste nouvelle. On se doute qu'elle a tenté de ne pas être trop mélodramatique, mais ça sonne un peu faux, de même que la séquence du second deuil qui reste un brin forcée, et dont l'enchaînement sur une tonalité guillerette n'est pas très crédible. Enfin, quand elle s'excuse d'avoir fait une fausse couche après un accident, c'est trop ostensiblement lourd, et ça nuit clairement à la puissance émotionnelle du rôle. Mais dans l'absolu, la performance est réussie, même si Garson n'est jamais totalement à l'aise lorsqu'elle doit jouer une extrême jeunesse à quarante ans passés (voir The Valley of Decision l'année suivante).

De son côté, Walter Pidgeon est assez agréable en homme riche, poli et sûr de lui, n'oubliant pas au passage d'apporter une petite dose d'humanité à son personnage, bien que sa performance reste pleinement dans la lignée de ses portraits un peu raides entrevus auparavant. En outre, Gus est assez souvent hors des séquences les plus dramatiques, ce qui n'aide pas à le rendre vraiment intéressant.


En fait, le meilleur personnage du film après Garson reste évidemment l'inimitable Agnes Moorehead, très à l'aise en baronne sophistiquée un brin excentrique. Ses intonations sont par exemple très drôles alors que la caméra ne la filme pas encore, et son accent étranger, à défaut d'être tout le temps français, est plutôt amusant. Ce phrasé particulier n'est d'ailleurs jamais ennuyeux, et ça a même quelque chose d'assez rassurant, surtout lorsque Aspasia tente de consoler Susie après un deuil, alors que tout dans la mise en scène tente d'alourdir le propos : en effet, tandis que l'héroïne se tourne dans son lit pour marquer son abattement, (avec un ruban blanc sur les yeux?!), le calme serein de la baronne rehausse l'effet dramatique d'une scène qui aurait pu n'être qu'agaçante autrement. Finalement, Agnes Moorehead est elle aussi assez nuancée, ce dont témoigne une série de répliques touchantes où le personnage ne se fait pas d'illusions sur son physique: "This is the real me", "rather ugly and not very young". A noter qu'ici, la mise en scène est plutôt bien pensée puisque après n'avoir été vue que dans le noir, elle ne prononce ces mots qu'une fois qu'on ouvre les rideaux et qu'elle paraît dans la lumière du jour, quoique rien de très original à l'horizon. Quant aux touches de regret disposées par l'actrice, elles ne manquent pas d'être éminemment savoureuses: "I'm your friend but she is your wife." Un regret tout de même, le fait que la baronne soit ostensiblement gentille, sans aucune trace de jalousie, de quoi laisser un peu sur sa faim quant au personnage. Il faut dire que le réalisateur a également oublié de filmer ses réactions les plus potentiellement intéressantes, notamment lorsque Susie annonce sa grossesse, plan où Aspasia est laissée en marge du cadre et ne peut donc pas montrer ce qu'elle ressent vraiment. Sincèrement, il aurait été bien plus judicieux de la voir spécifiquement en cet instant, plutôt que de remplacer ce moment fort par une minute d'humour grinçant sur l'air du "je préfère que ce soit un garçon, et moi une fille".

Il est toutefois passionnant de constater que les deux femmes principales se font chacune manger par l'autre dans une séquence, bien qu'elle parviennent à créer de formidables rapports dans le reste du film. Ainsi, Garson se laisse entièrement dominer lorsqu'elle force un peu trop dans l'humilité, tandis que Moorehead rate quelque peu sa grande scène dramatique, en surjouant la surprise, main sur la joue et grimace crispée, alors que sa partenaire est parfaitement posée en face, au moment des confidences. Du coup, ces quelques défauts dans chaque performance sont un peu dommage et me font personnellement hésiter sur l'intérêt de les garder dans ma liste de prix, bien que dans leur globalité ces compositions soient très réussies, tandis que la complicité qui se tisse entre ces dames rend le film d'autant plus chaleureux.

Les autres personnages n'ont en revanche pas grand intérêt, et ne sont même pas particulièrement bien joués. Gladys Cooper (pour une fois plus jeune que Greer Garson, ça change!) est si peu nuancée dans sa sécheresse qu'elle est probablement au pire de sa routine, sans compter qu'elle a tendance à méchamment surjouer pour le peu qu'elle apparaît. Frances Rafferty en charmante petite-fille est pour sa part clairement inexpérimentée, tandis que les hommes de la famille (Edward Arnold, Tom Drake) sont assez insignifiants, et il en va hélas de même pour Cecil Kellaway en prince de Galles pourtant sympathique.

En somme, Mrs. Parkington méritait effectivement un regard plus neuf puisque ça se révèle bien plus séduisant qu'à l'origine, malgré un certain manque d'originalité et l'impression de rester sur sa faim selon certains événements. Et même si le portrait brossé par Greer Garson est toujours savoureux, il est quand même notoire qu'elle ne fait finalement rien qui sorte de l'ordinaire, pas même quand elle est âgée puisque cette dimension avait déjà été entrevue un an plus tôt dans Madame Curie. Ceci dit, le charme opère tellement qu'elle reste une concurrente très solide pour ma liste de prix, même si je suis plus mitigé pour le reste du film, ne sachant pas trop dans quelles catégories je pourrais le nommer. Quoi qu'il en soit, Mrs. Parkington possède une réelle séduction d'esprit très "MGM" qui lui vaut un bon 6/10. Qu'en dites-vous?

3 commentaires:

  1. Quoi qu'il en soit, Mrs. Parkington possède une réelle séduction d'esprit très "MGM" qui lui vaut un bon 6/10. Qu'en dites-vous?

    Exactement la même chose, mais je mettrais une meilleure note exactement parce que je suis assez simple à ce genre d'esthétique, aux années 40 et aux "Greergarsoneries". C'est exactement ça, un produit qui aurait pu être réalisé par à peu près n'importe qui, avant tout c'est le studio, le scénario et la star qui comptent et j'y prends un certain plaisir. C'est beau et soyeux, familier et agréable, on est chez soi et "entre soi", j'aime bien.
    Je suis plus intéressé que toi par Gladys Cooper cependant (peut-être le choc de la voir jouer LA FILLE de quelqu'un).
    Mais, paradoxalement, il m'est difficile de parler du film de manière légitime parce que je ne l'ai vu qu'en VF et en version espagnole. Du coup je n'ai jamais entendu l'accent français d'Agnes Moorehead, j'enrage !

    En complément d'information : Louis Bromfield (l'auteur de la Mousson) avait mis "en vente" le synopsis (ça tenait en une page) de son roman, avant même de la rédiger, la Warner a cherché à l'acquérir pour Bette Davis mais c'est finalement la MGM qui a gagné le gros lot. Le roman est sympa comme tout (encore qu'il ne supporterait peut-être pas la relecture) et l'adaptation très fidèle, à peine édulcorée (les sentiments de Mrs Parkington sont plus violents, elle a plusieurs fils qui meure et elle est plus claire sur l'antipathie que lui inspire sa propre fille, dès son enfance).

    L'Anonyme

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    1. As usual, merci pour les compléments! Par contre, le sujet me paraît tellement "garsonien" que j'imagine mal Bette Davis dans le rôle... à moins de rajouter une séquence où Susie ferait mourir Gladys Cooper en lui assénant la vérité sur sa vénalité! Et je valide tout à fait ton argument quant à l'aspect "familier" de l'histoire: malgré mes quelques réserves, c'est un bon divertissement très agréable qui colle très bien à la fonction première de la chaleureuse Greer Garson.

      Et si tu n'y tiens vraiment plus, tu peux aller voir sur Youtube où il existe une très mauvaise copie du film, qui a au moins le mérite d'être en anglais, pour écouter le délicieux accent d'Agnes Moorehead.

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  2. Oui c'est bizarre, Davis là dedans ... de la même manière je ne l'imagine absolument pas à la place d'Irene Dunne dans Mon Père et Nous alors qu'elle convoitait le rôle.
    Cela dit, même si j'adore Dunne, j'aurais bien aimé que ce soit une troisième candidate, Mary Pickford, qui récupère le gros lot. Mais ça nous éloigne de Mrs Parkington.

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