samedi 27 juin 2020

Les Derniers Tsars

Coucou!


Je profite d'avoir accès à Netflix pour explorer plus avant leur catalogue, avec cette semaine une série américaine de 2019 traitant du règne de Nicolas II (1894-1917). C'est une période de l'Histoire qui me fascine depuis tout petit: quand mes parents ont divorcé, mon père a gardé la biographie de Raspoutine, ma mère celle du tsar, et j'adorais me faire peur en feuilletant les photographies du starets au regard perçant. Plus tard, je me suis entiché de son assassin, le séduisant Félix Youssoupoff, et ma passion pour le grand écran m'a fait croiser l'incontournable Anastasia à plusieurs reprises, à travers les différents portraits de son usurpatrice Anna Anderson. J'étais donc tout à fait disposé à découvrir une série de six heures sur toutes ces questions.


Malheureusement, plusieurs éléments ont contribué à me faire sortir de la narration dès les premières minutes. Déjà, le choix d'une actrice blonde pour incarner Alexandra. Je n'ai aucune sympathie pour la tsarine, et je fais rarement la fine bouche devant des interprètes photogéniques qui se doivent d'exercer un pouvoir de séduction devant la caméra, mais cette fois-ci la blondeur de la comédienne m'a franchement perturbé tout du long. Sans doute parce que j'avais vu trop de clichés de la véritable impératrice auparavant: une Janet Suzman rousse, mais au moins coiffée à la mode de l'époque, et n'affichant pas un corps de top model dans tout le palais d'Hiver, était nettement plus convaincante jadis, au moins sur le plan physique. Chez les Derniers Tsars, l'acteur incarnant Nicolas est quant à lui beaucoup trop sexy par rapport à son illustre personnage, mais il a au moins le mérite d'être passablement crédible dans son allure, ce qui renforce le sentiment qu'Alexandra détonne dans ces décors somptueux.


Autre surprise, et pas des plus agréables: découvrir au bout de quelques minutes que la série n'est pas une fiction à proprement parler, mais une docu-fiction avec apparitions d'historiennes et de professeurs d'université pour commenter les événements joués à l'écran. Là, c'est ma faute. C'est ma très grande faute. J'aurais dû me renseigner avant de cliquer sur la vidéo, mais dès que j'ai vu quelque chose intitulé Les Derniers Tsars, je me suis précipité sans me poser aucune question! Parfois, les commentaires sont pertinents, mais de fausses notes assez énormes viennent entacher le sérieux du propos: l'image du mausolée de Lénine avant la Révolution, ou les signes de croix catholiques, ne sont pas des plus heureuses. Par ailleurs, le mélodrame incongru impliquant le précepteur des enfants, Pierre Gilliard, et sa protégée Anastasia, tourne rapidement au grotesque: filmées de manière sirupeuse avec mains qui se séparent dans la tourmente et visages figés par des cris, les scènes en question font le plus mauvais effet. En outre, la fixation que fait le précepteur, et par ricochet le récit, sur la seule Anastasia, n'est pas du meilleur goût: si les autres cadets ont au moins droit à un embryon de personnalité, les aînées sont quasiment inexistantes, ce qui n'est pas forcément judicieux dans la mesure où se sont bien elles qui étaient les plus à mêmes de comprendre la situation politique qui leur fut fatale. Les avancées dans le temps à propos d'Anna Anderson semblent quant à elle racoleuses: comment peut-on croire qu'il y a encore du suspense à tirer de cette histoire, qui n'est déjà plus celle des Romanov, un siècle après les faits?


Psychologiquement, les autres portraits proposés ne sont jamais inintéressants, car la série tente de montrer des personnages pétris de contradictions, avec leurs défauts et leurs qualités. Les historiens ont au moins le mérite de ne pas rester trop longtemps dans l'extase impériale et de souligner à quel point les décisions du couple régnant furent catastrophiques pour leur pays et leur dynastie. Un empereur sans envergure, héritier d'une situation pour le moins épineuse, et une tsarine dépressive incapable de se ressaisir, elle-même héritière de toute la pensée morbide et mystique du XIXe siècle, n'étaient clairement pas les personnes appropriées pour désamorcer le déclin en cours de leur empire: leurs inflexions toujours plus autoritaires ont conduit à la catastrophe. Cependant, en privé, on découvre une famille aimante et finalement touchante, rongée par une pression impossible à évacuer et un secret de taille quant à la maladie incurable de leur fils. Il est de nos jours impossible d'être favorable aux Romanov compte tenu de leur inconséquence ahurissante dans leur gestion de l'État, mais les nuances apportées par les portraits de famille rendent ces personnes complexes et finalement plus accessibles. De toute manière, quels que soient les crimes commis par un individu, nul ne mérite d'être assassiné. Ceci est valable pour Raspoutine, que la série brosse sous un portrait à juste titre négatif, mais sur lequel les scénaristes appuient trop fort. Je pense également que le starets était un aventurier bouffi d'orgueil qui cherchait surtout à avancer sa propre cause, et certes, sa proximité avec la famille impériale a cristallisé toutes les haines dans les années 1910, mais il n'avait pas forcément que de mauvaises idées: il était par exemple opposé à l'entrée en guerre de la Russie. Tout antipathique soit-il, la série ne lui laisse assurément aucune chance, alors qu'un portrait aussi complexe aurait mérité d'être brossé avec plus de nuances.


Par contre, je suis content qu'on parle un peu d'Ella, la sœur de la tsarine, qui en dehors de chez Camus est généralement laissée pour compte dans ce genre de récits. La reconstitution ne lui fait pourtant pas vraiment honneur, ne serait-ce que par l'assassinat de son époux, où l'on croirait un couple inconséquent qui se déplace sans escorte, mais au moins, la grande-duchesse a le mérite d'exister. J'aimerais d'ailleurs qu'une fiction lui soit entièrement consacrée: entre les drames de son enfance, le conflit entre ses origines germaniques et son nouveau pays, son mariage compliqué, son côté charitable qui la rend parfaitement complexe et sa fin non moins tragique que celle de sa belle-famille, il y a largement matière à composer une belle symphonie pathétique. En l'état, il faudra se contenter d'une petite apparition, mais là où la série m'a agréablement surpris, c'est par son interprétation de qualité. La comédienne qui incarne l'impératrice a beau n'être pas convaincante physiquement, elle n'en livre pas moins une performance fébrile à mesure que le personnage se renferme sur lui-même et plonge dans ses addictions, tandis que son mari à l'écran joue bien un tsar complètement dépassé par les événements. Dans le rôle de l'impératrice douairière, l'actrice n'est pas sans rappeler Irene Worth dans Nicolas et Alexandra il y a un demi-siècle, en dévoilant la force de caractère d'une personne bien plus lucide que ses successeurs. De son côté, Raspoutine est incarné avec charisme par un comédien dont la vigueur compense l'absence d'éclat dans les yeux et dans la barbe du charlatan, alors que l'assassin de la famille impériale est quant à lui interprété avec des nuances bienvenues.


Malgré tout, la série ne peut s'empêcher de céder aux pires facilités contemporaines pour appâter le chaland, ce qui en constitue probablement le plus gros point noir. Le langage est d'une grossièreté sans bornes, avec le sacro-saint "fucking" mis à toutes les sauces, et même si les familles royales sont de fait nettement plus communes et vulgaires que l'image qu'elles s'acharnent à donner d'elles, il ne faut pourtant pas oublier qu'une princesse de Hesse avait reçu assez d'éducation pour ne pas dire "merde" aussi spontanément que "bonjour". Outre ce langage fleuri, on nous impose également, comme dans Hollywood, une avalanche de sexe inappropriée. Je suis moins prude que ce qu'on pourrait croire à me lire, mais j'aime que l'érotisme reste élégant, ce qui n'est clairement pas le cas ici. Franchement, était-il nécessaire de voir Nicolas et Alexandra copuler comme des lapins, les fesses à l'air, à même le sol? Avait-on vraiment besoin de voir Raspoutine se faire fouetter dans une bassine par trois femmes nues? Je ne pense pas qu'une série qui se veut un tant soit peu historique ait absolument besoin de montrer ses personnages dans de telles situations. Surtout, la débauche de violence dans le dernier épisode est très honnêtement insoutenable. Quoi que l'on pense des actes des personnes montrées ici, les voir se faire cribler de balles une par une relève d'un voyeurisme hautement désagréable qui ne devrait pas avoir sa place dans une reconstitution: il faut savoir s'arrêter à temps, comme le film de Franklin Schaffner qui avait eu, en son temps, le bon goût de conclure avant les tirs funestes. Qu'on laisse les morts reposer en paix, même si on ne les aime pas. En outre, la série oublie de montrer le personnel également assassiné cette nuit-là, comme si le peuple restait quantité négligeable face aux têtes couronnées: ce n'est pas faire honneur à la mémoire de personnes à la fidélité éprouvée, qui ont fait leur travail jusqu'au bout dans de terribles circonstances, que de les rayer du récit sans autre forme de procès.


Finalement, Les Derniers Tsars ne sont pas vraiment une bonne série, mais on y trouvera tout de même des choses intéressantes. Le paradoxe est qu'on est assez loin de la réalité par moments, malgré une reconstitution parfois impressionnante de minutie dans certains détails. Même si le tout reste une fiction, on aurait assurément aimé un peu plus de tact: le sexe, le sang et les gros mots sont certainement plus vendeurs que la délicatesse, mais Nicolas et Alexandra faisait bien mieux sur le même sujet sans céder à tous les vices de son époque, malgré d'inévitables longueurs.


jeudi 25 juin 2020

Alerte rouge


Depuis une semaine, j'ai le malheur de ne plus pouvoir commenter mon propre blog lorsque je suis connecté à mon compte, et autant dire que je le vis très mal.


Si d'aventure je ne réponds pas, ou tarde à répondre, ce n'est pas contre vous! Je n'ai aucune solution à proposer dans l'immédiat, mais je souhaite ardemment que les choses reviennent à la normale sous peu.


En attendant, à très vite pour de nouveaux articles. J'ai plein de choses à dire sur des sujets fort différents qui, je l'espère, vous intéresseront.


Amicalement,


Orfeo, pour Gretallulah


_______________


Résolution

Je viens de trouver la solution au problème par moi-même! J'avais pris l'habitude, ces derniers temps, de passer par le mode de navigation privée de Chrome pour me connecter à Blogger. Or, avec ce mode, ce qu'on appelle les cookies tiers (ne me demandez pas ce que c'est) sont automatiquement bloqués. Sauf que depuis peu, Blogger refuse qu'on publie des commentaires si les cookies tiers sont bloqués. Je suis actuellement connecté en mode de navigation "normale" et suis de nouveau apte à commenter n'importe quel blog hébergé par Blogger, que je sois connecté avec mon propre compte, ou déconnecté en mode anonyme.

Je ne sais pas si je suis clair... Je ne sais pas non plus si ces cookies tiers sont une bonne chose, mais l'important pour moi est de pouvoir dialoguer avec vous. Si accepter ces cookies est le prix à payer, je l'accepte.

Je vous souhaite à tous une bonne soirée, de bonnes lectures et de bonnes heures d'écriture!

Orfeo

jeudi 18 juin 2020

Hollandwood



Comme précisé la semaine dernière, j'ai enfin pu voir Hollywood, la série de Ryan Murphy dont tout le monde parlait ce printemps, et me voilà rasséréné. Mais il y a tellement à dire que je ne sais plus par où commencer. J'imagine que si vous lisez cet article, vous avez également vu tous les épisodes, aussi ne vous apprendrai-je pas qu'il s'agit d'un regard idéalisé sur une version parallèle d'Hollywood en 1947, où de jeunes artistes en devenir parviennent à réaliser leurs rêves à la vitesse de l'éclair, en dépit de toutes les contraintes sociales érigées sur leur chemin. Le tout après une escalade en bonne et due forme des célèbres panneaux dominant la ville, d'où s'était jetée Peg Entwistle quinze ans plus tôt, et dont le destin sert de trame générale au film dans le film.


Ce qui est intéressant, c'est que chaque personnage représente une minorité qui n'aurait jamais eu accès à une telle reconnaissance dans la vraie vie à cette époque, et même encore à la nôtre. On y croise, entre autres, un metteur en scène à moitié philippin, Raymond Ainsley, déterminé à changer les choses; une actrice noire, Camille Washington, désireuse de jouer autre chose que des domestiques; une productrice juive, Avis Amberg, qui devient la première femme à parvenir à la tête d'une major; un scénariste noir et homosexuel, Archie Coleman, qui souhaite s'adresser à tous les publics; un directeur de production dans le placard, Richard Samuels; un proxénète vieillissant, Ernie West, qui ne veut pas encore renoncer à ses rêves; mais encore de véritables figures de l'âge d'or hollywoodien comme Anna May Wong, désormais respectée par ses pairs, Rock Hudson, cette fois-ci ouvertement gay dès le départ, et l'immonde agent Henry Willson, qui abuse de sa position. Plus traditionnelles dans cet univers, car parfaitement blanches et hétéros, la fille du studio, Claire Wood, la star glamour Jeanne Crandall et la professeure en diction Ellen Kincaid, de même que le fringant jeune premier Jack Castello, apportent aussi leur pierre à l'édifice de ce conte de fées assurément joli à regarder. Seule minorité ostensiblement absente: les lesbiennes. On en aperçoit bien une caricature à la fin, mais les hommes homosexuels n'ont jamais été connus pour leur ouverture d'esprit par rapport à leurs consœurs. La plan à trois entre Hattie McDaniel, Tallulah et un gigolo ne compte pas vraiment.


Par contre, on sent bien la différence, en matière d'interprétation, entre la vieille garde et la nouvelle génération. En un mot, la première domine entièrement la seconde, pas encore à même de faire montre de charisme ou d'apporter de véritables nuances de jeu: David Corenswet (Jack), le séduisant Darren Criss (Raymond) et Jake Picking, d'une laideur aussi repoussante que celle de son illustre personnage, restent corrects mais n'ont pas assez de personnalité pour se démarquer les uns des autres, malgré des parcours très différents. Du côté des femmes, Laura Harrier (Camille) se laisse généralement voler la vedette par chacun de ses partenaires, tandis que les performances d'actrice du personnage ne justifient en rien qu'elle soit considérée comme la meilleure du studio, et devienne une grande star du jour au lendemain, qu'il s'agisse de son apparition comique en bonne dans un premier temps, ou du premier rôle prestigieux de Meg, qu'elle incarne assez mollement. C'est dommage, parce que le propos de la série est de montrer comment une jeune femme noire parvient à triompher de l'adversité pour devenir la nouvelle Vivien Leigh, mais la comédienne n'est pas vraiment à la hauteur de la tâche. Plus convaincantes mais sans génie particulier, Maude Apatow en femme trompeuse et trompée, et Samara Weaving en blonde insupportable (Claire) sont également correctes, même si l'on a du mal à comprendre pourquoi la seconde sabote volontairement son audition pour le rôle de sa vie, sous le simple prétexte qu'elle s'incline finalement devant le talent de sa rivale. Finalement, le seul jeune qui ait réellement une forte personnalité est Jeremy Pope (Archie), même s'il se révèle dominateur au point de devenir angoissant dans sa relation amoureuse avec Rock Hudson.


Les aînés, plus chevronnés, font donc tout le sel de la série, en composant des personnages piquants et nuancés. Il faut dire qu'il n'a pas dû être facile d'exister en face d'une diva telle Patti LuPone (Avis) qui, armée d'une vulgarité parfaitement tempérée, est explosive dans le rôle d'une actrice ratée s'épanouissant dans la production de films de prestige, et sachant faire des choix courageux. Son mari à l'écran, Bob Reiner, est lui-même tout à fait convainquant en patron fruste qui regarde davantage son porte-monnaie et la croupe des actrices que de possibles audaces artistiques, avant de se découvrir une certaine forme d'ouverture d'esprit lorsque sa femme prend le relais. Très bon également, Joe Mantello (Richard) apporte beaucoup de nuances à un personnage talentueux qui a toujours dû se cacher, la soirée chez George Cukor constituant probablement son moment le plus marquant. Non moins excellent est encore Dylan McDermott (Ernest) en proxénète étonnamment cool, dont les déceptions en série le rendent touchant à souhait malgré son travail douteux, tandis que Mira Sorvino (Jeanne) est idéalement turnurisée en blonde platine glamour désespérée de ramer dans des comédies insipides. Michelle Krusiec est quant à elle une merveilleuse Anna May Wong, passant avec talent du désabusement cynique aux larmes de gratitude, alors que Jim Parsons (Henry) brille de son côté dans un tout autre registre, quoique son personnage soit si répugnant qu'il est difficile d'avoir de l'estime pour son travail. Ma grande favorite reste néanmoins la divine Holland Taylor (Ellen), parce qu'elle parvient à rester absolument lumineuse et chaleureuse dans un environnement hautement toxique, et parce que j'ai toujours eu un faible pour les célibataires qui ont du mal à exprimer leurs sentiments.


En revanche, malgré la qualité générale de l'interprétation, c'est une catastrophe totale du côté des caméos. C'est même d'autant plus offensant que les personnes impliquées sont deux des plus grandes déesses du panthéon gretallulien: Tallulah Bankhead et Vivien Leigh! Mais vraiment, c'est épouvantable. La pauvre Tallulah est incarnée par une actrice nettement moins charismatique qui se ridiculise à chaque réplique, réelle, de la dame; et la personne qui se prend pour Vivien Leigh passe pour complètement idiote: sa grande scène de paranoïa bipolaire n'a pas l'once de la personnalité d'une Blanche DuBois, ce qui est un gâchis total puisque l'étoile d'Autant en emporte le vent est reconnue dans la série comme la plus grande actrice découverte à Hollywood. On appréciera au passage le name-dropping sympathique dont use la série: en l'occurrence, Ellen Kincaid se targue d'avoir découvert Judy Garland et Lana Turner du temps où elle officiait à la MGM, avant d'être immédiatement mouchée par Richard Samuels, qui lui réplique avoir lui-même découvert Vivien Leigh et qu'il l'emporte, à raison, haut la main. Par bonheur, d'autres caméos parviennent, dans une certaine mesure, à compenser les ratages précédents, principalement Queen Latifah, super cool dans le rôle d'une Hattie McDaniel qui place tous ses espoirs en la jeune Camille. Par contre, c'est la troisième fois que je vois Queen Latifah à l'écran, et j'ai le sentiment que, malgré son indéniable charisme, ses personnages sont toujours les mêmes d'une fiction à l'autre: son Hattie McDaniel ressemble comme deux gouttes d'eau à la chanteuse Liz Bailey de Living Out Loud, et à la matonne Mama Morton de Chicago.


Portée par cette galerie de personnages plus ou moins bien interprétés, la série se regarde vraiment sans déplaisir: les décors et costumes nous invitent délicieusement au voyage dans l'usine à rêves des années 1940, et l'on sent bien que Ian Brennan et Ryan Murphy connaissent leur sujet sur le bout des doigts. J'en veux pour preuve la reconstitution de la vingtième cérémonie des Oscars qui, à quelques aménagements près dans cette copie du Shrine Auditorium, est franchement impressionnante, avec le gros gâteau d'anniversaire au centre de la scène, comme ce fut le cas en 1948. Par contre, on est en droit d'être surpris par la volonté des scénaristes de trop vouloir moderniser l'époque dans le moindre détail. En ces temps-là, on ne plaçait aucun des candidats au premier rang, malgré l'image positive que la série veut donner de Camille, prête à se battre pour siéger au plus près du saint des saints; le romantic lead n'aurait jamais concouru comme second rôle, quel que soit son temps d'écran, bien que les scénaristes aient eu besoin de ce subterfuge pour faire une blague sur le Père Noël; et surtout, au sortir de la guerre, la société savait encore se tenir correctement: on ne faisait pas de standing ovations à tout va, et je doute que les auditeurs aient pris la chose autant au sérieux qu'à notre siècle, à voir des familles chinoise et afro-américaine prier et sauter de joie à l'annonce des résultats. Par ailleurs, que vient faire Ernest Borgnine sur scène à une époque où il n'avait qu'à peine commencé sa carrière sur les planches? Une façon pour Ryan Murphy de faire un pied de nez à ses propos homophobes sur Brokeback Mountain, en le plaçant au cœur d'une cérémonie voyant triompher les profils les plus progressistes imaginables? Pourquoi, en ce cas, ne pas faire venir quelqu'un comme Walter Brennan, un choix bien plus approprié comme second rôle ultra conservateur avec déjà une longue carrière derrière lui?


Pour être honnête, la démarche en question, à savoir montrer les outsiders d'Hollywood vaincre tous les préjugés du temps, fait un bien fou, et la série ne manque jamais de vendre du rêve à cet égard. Mais à la fin, quel est l'effet de tout cela? Je sais qu'Hollywood a reçu de mauvaises critiques de part et d'autre, toutes jugeant que ce n'était pas faire honneur à la mémoire d'Anna May Wong et autres actrices de couleur que les placer dans une réalité parallèle où tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes. À titre personnel, je ne trouve pas la chose insultante, d'autant que les dames en question sont traitées avec admiration et respect dans l'ensemble des épisodes. Et puis, je rêve moi-même depuis longtemps de débarquer à Hollywood dès les années 1930 afin d'offrir de grands rôles à Anna May Wong, Theresa Harris, Hattie McDaniel, Fredi Washington, ou encore William Haines; en un temps où nul ne serait jugé sur sa couleur ou ses sentiments, et où Merle Oberon aurait eu le droit de vivre son métissage sereinement. Aussi ne vais-je pas me plaindre d'une série qui tente, même si maladroitement, d'apporter un peu de lumière à tous ceux qui durent se cacher ou rester dans l'ombre dans la vraie vie. Par contre, le reproche que je ferai à la série, c'est de préférer les apparences à la profondeur d'esprit. Un exemple: le film Meg, d'abord titré Peg, grâce auquel Camille devient une grande star de premier ordre, tandis qu'Anna May Wong redémarre sa carrière en grande pompe, dix ans après son humiliation pour La Terre chinoise, une séquence fort triste admirablement bien montrée.


Le problème, c'est qu'on parle de Meg à n'en plus finir dans chaque épisode, mais qu'on ne voit qu'une infime portion du produit fini. Or, même si l'on est ravi qu'Anna May Wong reparte avec un Oscar, comment s'enthousiasmer réellement pour elle alors qu'on ne la voit que vingt secondes en tout et pour tout dans les rushes du film? Et comment croire que Meg devienne le plus gros succès au box office après Autant en emporte le vent, et que les foules se déplacent en masse pour le voir, alors que tous les problèmes sociaux et raciaux qui faisaient tout le sel de l'intrigue disparaissent comme par magie? Il aurait fallu montrer davantage de scènes de cette production pour bien prendre la mesure de son effet sur le public. Mais en l'état, avec des dialogues hautement convenus, nous rappelant que "les tapis rouges ne sont que de la poudre aux yeux", et une scène finale assez platement filmée et mal soutenue par une actrice sans grande envergure, on a toutes les peines du monde à croire ce que l'on nous raconte. La série aurait vraiment gagné à chérir le film dans le film, plutôt que montrer les personnages en parler à tort et à travers en s'accouplant comme des lapins.


Finalement, c'est peut-être ça qui me gêne le plus dans cette vision d'Hollywood: des images ostensiblement racoleuses pour appâter le chaland. Certes, les grandes stars d'antan n'étaient clairement pas chastes derrière des surfaces policées à l'extrême, mais au moins, le résultat à l'écran était invariablement raffiné: on n'avait pas besoin de filmer des personnages s'envoyer en l'air sous tous les angles pour donner au public envie d'accourir. Voir John Gilbert et Greta Garbo, élégamment vêtus, allumer des cigarettes dans un jardin de nuit a toujours été bien plus excitant que voir Patti LuPone se faire prendre en levrette dans un escalier, mais un siècle nous sépare désormais de la vision élégante de l'érotisme jadis. Plus grave encore que le voyeurisme révélant les personnages d'Hollywood dans leur intimité, le fantasme d'une prostitution rose bonbon, le thème n'étant jamais remis en cause par les scénaristes, mais au contraire montré comme quelque chose d'une coolerie sans bornes, comme si soulager des personnes peu désirables n'était qu'une formalité somme toute agréable pour parvenir à entrer dans un studio. Je doute que les personnes réelles qui ont dû passer sur le canapé de Louis B. Mayer et d'éventuels équivalents féminins soient rentrées chez elles l'esprit apaisé: c'est un euphémisme. Pourtant, ni Jack Castello, ni Archie Coleman ni même Jeanne Crandall ne semblent traumatisés à l'idée d'être réduits au statut d'objet. Ici, la seule dénonciation de l'esclavage sexuel s'inscrit dans le personnage d'Henry Willson, qui abuse de Rock Hudson au point de le détruire, mais jamais le réseau de prostitution d'Ernie West n'est perçu comme autre chose que la porte d'or vers le pays des rêves. Tous les personnages passés à son service lui en savent un gré colossal, et tout le monde prend manifestement plaisir à se taper de vieux moches dans sa course à la célébrité. On comprend aisément pourquoi la délicate Ellen Kincaid, qui tente avec maladresse de retrouver l'âme sœur, est bel et bien la lumière de cet univers désespérant.


Moralité: Hollywood me parle beaucoup trop pour prétendre que je n'ai pas pris un plaisir immense devant les sept épisodes. Je ne suis pas d'accord avec la vision colorée de la prostitution, et j'émets de fortes réserves quant à la qualité de Meg, mais en vérité, j'ai assez aimé les personnages et ce monde parallèle progressiste pour passer outre les défauts de la série. Je maintiens tout de même que Jack Castello aurait dû être proposé pour l'oscar du meilleur acteur, laissant Ernie West décrocher la nomination comme second rôle masculin pour son excellente interprétation de patron d'un grand studio: pour le peu qui est montré de Meg, c'est clairement lui qui donne la plus belle performance du film!


mercredi 10 juin 2020

L'Histoire sans fin


J'ai fait une bonne action ce samedi et, alors que je n'avais rien demandé, j'ai été récompensé: une personne avec qui j'ai des rapports particulièrement compliqués m'a donné ses codes d'accès à un site bien connu de vidéos en ligne, ce qui me permettra désormais de compléter quelques lacunes cinématographiques sans connaître les affres de la frustration. Au programme du jour: Marriage Story, un film interminable de Noah Baumbach ressemblant à s'y méprendre à Kramer contre Kramer, sorti quarante ans plus tôt.


Comme vous le soupçonnez au vu de l'adjectif employé, je n'ai pas beaucoup aimé ce film, qui n'est pourtant pas mauvais, mais dont l'histoire d'une simplicité enfantine ne méritait pas de s'étendre sur près de deux heures et demie. Malheureusement, Noah Baumbach semble avoir tellement voulu développer ses personnages avant le procès, pour bien faire comprendre les raisons qui les poussent au divorce, qu'il a finalement abouti à un enchaînement de monologues d'une dizaine de minutes qui prennent beaucoup trop de place, et qui auraient pu être réduits par le pouvoir des seules images.


Tout commence bien pourtant, avec le regard de chaque parent sur les qualités de son conjoint dans l'introduction, tandis que certains plans marquants ponctuent le film de part et d'autre, comme le couple s'acharnant à installer un rehausseur dans une voiture, ou la manière de filmer chaque membre du trio comme le maillon d'une chaîne, le fils retenant sa mère par le bras alors que le père veut l'emmener. Outre ces idées de mise en scène, convenues mais jamais inintéressantes, le grand atout du film est aussi la qualité de l'interprétation d'Adam Driver et Scarlett Johansson, toujours très justes et complexes dans chaque séquence, y compris la scène de la colère qui, remise de son contexte, constitue une montée en puissance assez phénoménale qui sonne toujours vrai, malgré des gestes de plus en plus emphatiques.


On n'en dira hélas pas tant de Laura Dern, que j'étais anxieux de découvrir dans le rôle de l'avocate suite à son Oscar, et qui se révèle malheureusement catastrophique d'un bout à l'autre du récit. En effet, il est impossible de la prendre au sérieux en tant que juriste, dont la force aurait dû venir de son charisme, et par-là même d'une attitude calme et posée. Or, Laura Dern se comporte en véritable pile électrique: il n'est pas une scène où elle ne bouge les yeux, le front, les bras, les cheveux, tant et si bien que lors de sa rencontre avec sa cliente, on croirait qu'elle s'apprête à la dévorer après lui avoir servi des gâteaux empoisonnés, à la manière qu'elle a de se rapprocher d'elle tel un raptor. Au tribunal, chaque partie de son corps bouge dans tous les sens, de telle sorte qu'on ne peut imaginer que sa plaidoirie convainque si la dame n'est pas complètement ancrée sur ses appuis. Un personnage réellement fort, en outre habitué à enchaîner les succès, n'a pas besoin de se conduire comme Roger Rabbit à chaque instant: même lorsqu'elle veut montrer à quel point l'avocate est décontractée lors d'une soirée entre amis, Laura Dern n'est jamais en repos à trop vouloir faire exprimer un milliard d'émotions à chacun de ses cheveux, si bien qu'elle achève de nous épuiser! La force, le charisme et la puissance de conviction n'existent que dans le calme, mais la perception que l'actrice a de son personnage ne fonctionne jamais: je trouve par exemple Jessica Chastain nettement plus convaincante dans un film grotesque mais amusant comme Miss Sloane, que Laura Dern cherchant trop à accentuer le côté dévastateur d'un personnage déterminé à gagner avec mille et un mouvements à la seconde.


En outre, non contente d'être représentée par un clown, la pauvre Scarlett Johansson est affublée d'une mère elle aussi calamiteuse dans son jeu outré et flou à la fois. Le personnage étant exaspérant sur le papier, on regrette le calme tranquille d'une Jane Alexander dans l'affaire Kramer, ce type d'interprétation apportant bien plus de crédibilité à ce genre de personnages pris entre deux feux. On regrettera surtout que Noah Baumbach ne soit pas du tout à l'aise avec l'ensemble des seconds rôles féminins. Même la sœur de la mariée, qui hérite d'un rôle de femme un peu paumée, est jouée de manière particulièrement imprécise, sans que cela illustre les pensées confuses du personnage. En revanche, les avocats masculins, au service de l'époux, ont des contours bien mieux cernés dès le départ, aussi est-il assez dommage que cette histoire, qui se voulait parfaitement équilibrée entre les deux points de vue, soit avant tout une balance délicate penchant irrésistiblement d'un côté.


Conclusion: Marriage Story n'est pas un mauvais film, mais ça ne m'a pas plu. C'est bien trop long pour une histoire qu'on pouvait traiter tout aussi bien en une heure et demie, et les seconds rôles féminins tirent, à mon grand regret, l'ensemble de l’œuvre vers le bas. Adam Driver et Scarlett Johansson s'en sortent heureusement avec tous les honneurs, mais je reste malgré tout assez froid devant leur histoire, pourtant très juste et nuancée comme il se doit. Ce premier essai Netflix n'est ainsi qu'à moitié concluant, et je regrette par ailleurs que cette maison de production n'ait jamais pris la peine de sortir ce film sur grand écran dans de trop nombreux pays. Ne le faire qu'aux États-Unis pour se qualifier pour un Oscar est une manœuvre d'assez mauvais goût, alors que pour le reste du monde ça reste plus une vidéo "internet" qu'un film de cinéma. Je tiens à rester ouvert d'esprit et apprécier toutes les formules, mais attention à ne pas négliger le bonheur qu'il y a à se trouver devant un grand écran. Une bonne nouvelle néanmoins: je pourrais vous parler demain d'Hollywood, une mini-série sur laquelle il y a beaucoup à dire, en bon comme en mauvais, mais qui a indéniablement le mérite d'être tout à fait obsédante. Il y a certainement du bon à prendre sur cette plateforme, malgré son emprise croissante terrifiante sur le monde audiovisuel.