Et maintenant, une question pour toi, cher lecteur amoureux du camp et des divas flamboyantes : qui est ta pharaonne préférée au cinéma ? Anne Baxter ou Claudette Colbert ?
mercredi 25 mai 2022
Hiéroglyphes et caméras
lundi 23 mai 2022
La tortue jaune
Mademoiselle Mozart
Disons-le tout de suite, Mademoiselle Mozart n'est pas un grand film, mais c'est parfaitement divertissant. L'histoire doit surtout à l'alchimie entre Danielle Darrieux, qui n'a jamais froid aux yeux et tance toujours ses soupirants afin d'exister par elle-même, et Pierre Mingand, son partenaire sympathique qui ne craint pas le ridicule tout en conservant son élégance habituelle, et qu'elle croisa dans sa carrière à plusieurs reprises, notamment dans Mauvaise Graine, Abus de confiance et Retour à l'aube. Tous deux adorent se confronter et se piéger l'un l'autre, ce qui donne beaucoup de piquant à un film qui autrement ne décollerait pas du registre "bon enfant". Il faut notamment voir les gros plans sur Danielle, qui essaie toujours de prendre un air revêche afin d'éloigner les hommes trop entreprenants, tout en ne pouvant dissimuler l'esquisse d'un sourire en coin devant des situations qui au fond l'amusent beaucoup. À ce titre, la tête qu'elle fait lorsque son employé tente de vendre, tant bien que mal, un instrument au premier client venu, est impayable.
Le scénario utilise nombre de quiproquos typiques du théâtre de boulevard pour faire rire, notamment dans des histoires de ventes, puisqu'il s'agit de sauver le magasin de la faillite alors que le bourgeois, qui n'a par essence jamais travaillé, se retrouve bien en peine lorsqu'il doit vendre des cors et chasse ou des pianos à queue. Il use alors de stratagèmes bien de sa classe, puisqu'il rachète secrètement la boutique et place l'huissier chargé de la liquidation comme propriétaire de façade, tout en achetant lui-même plusieurs instruments par jour qu'il donne à ses domestiques. Lorsque Danielle est dans la pièce, il fait venir une amie à lui, qui revient constamment déguisée sous un nouvel accoutrement, pour lui vendre des instruments avec l'argent qu'il lui a donné au préalable, mais la patronne finit par voir clair dans son jeu et découvre le pot aux roses en arrivant chez lui à l'improviste : toute la maisonnée est occupée à apprendre le solfège avec les instruments du magasin ! Pour l'obliger à mettre réellement la main à la pâte, et de plus en plus sensible à ce jeu de séduction, elle accepte de sortir avec lui s'il parvient à vendre, sans l'acheter lui-même, un objet au premier client entrant dans le magasin. Cela tombe sur le directeur d'une œuvre de charité qui vient uniquement demander l'aumône, mais le fringant vendeur n'est pas à court de ressources. C'est hélas le dernier grand moment du film : le troisième acte dérivant sur une soirée arrosée, à la suite de laquelle Danielle se retrouve dans le lit de son soupirant qui lui fait croire qu'il ne sait pas comment elle est arrivée là, n'est pas drôle du tout. La fin du film s'enlise dans cet interminable quiproquo jusqu'à un mariage attendu mais peu convaincant.
Au moins, le couple principal se charge d'électriser le tout. On ne peut pas en dire autant des personnages secondaires qui, je le disais, restent dans un esprit "gentillet" mais dont les ressors comiques n'ont pas très bien vieilli. Louis Baron fils campe ainsi un huissier beaucoup trop accommodant pour donner du relief au conflit principal ; Pauline Carton est quant à elle sympathique mais abuse de mimiques qui ne font plus rire grand monde désormais, sans compter qu'on a eu le malheur de lui attribuer un numéro musical horrifiant ; Pierrette Caillol est pour sa part très mal utilisée en comédienne déguisée en aviatrice ou en veuve éplorée, accents à l'appui, d'autant que ses apparition n'aboutissent qu'à faire une blague raciste dont on se serait bien passé ; Christiane Dor, la maîtresse de l'huissier, n'est qu'une silhouette de boulevard qui court après son amant (quel dommage de ne pas lui avoir fourré un rouleau à pâtisserie dans la main !), et enfin, la haute société du film est faussement coincée, mais rien qui arrache un véritable sourire. À vrai dire, même le quiproquo aux chiens qui ouvre le film est loin d'être hilarant en soi, même si l'on s'amusera de voir Pierre Mingand avec un danois au milieu d'hommes d'affaires affublés de fox-terriers. Un certaine franchise de ton est tout de même surprenante pour une comédie de cette époque, puisqu'on y parle de perversion sexuelle sans sourciller, de quoi trancher avec les répliques de boulevard complètement incongrues, à l'image de l'huissier confiant à de parfaits inconnus : "Tiens ! Voilà ma maîtresse !"
La scène la plus célèbre et la plus réussie de Mademoiselle Mozart est le duo "Ça vient tout doucement", une chanson très agréable qui reflète à merveille le caractère des deux héros, lui en amoureux intrépide qui tente maladroitement de se faire aimer, elle en jeune femme de 19 ans parfaitement maîtresse des situations et de ses émotions. Les autres chansons chantées en cours de route sont "You", "Dans la vie" et "Le Bonheur c'est un rien" : j'adore les duos, qui furent enregistrés plus tard sur disque pour un son de meilleure qualité, mais leur effet dans le film est moindre que le duel pianistique. Tous ces airs ont été écrits par Camille François et composés par Wal-Berg et illustrent parfaitement le style de musique que j'adore dans ces années-là. Ces mélodies entraînantes ou langoureuses permettent de passer un bon moment devant ce film sympathique, qui est cependant loin du chef-d'œuvre, malgré l'énergie communicative de Pierre Mingand et Danielle Darrieux. Je craignais que le disque des éditions Gaumont fût cher payé vu l'absence de restauration, mais l'image reste correcte en l'état. À noter également l'une des toutes premières apparitions de Michèle Morgan, parmi les chorus girls du restaurant.
dimanche 22 mai 2022
Mandoline et mandarines
Surtout, l'évolution de ces dix dernières années est plutôt positive : j'avais créé le blog alors que j'étais au cœur d'une dépression de huit ans, une époque affreuse où j'avais constamment froid, où je passais mon temps à vérifier trois fois que j'avais bien fermé ma porte, et où j'étais tristement isolé dans une grande ville inhospitalière. Entre relations familiales très difficiles et premières amours exécrables, je reviens de loin. L'avantage, c'est que lorsque l'on sort d'une dépression, on devient beaucoup plus serein. La clef, je crois, est l'esprit de découverte : ne jamais rester enfermé au milieu des seules choses que l'on connaît, s'informer sur des sujets méconnus, prendre le premier moyen de transport à sa disposition pour partir visiter de nouveaux lieux, observer la nature et les formes du paysage autour de soi, s'inscrire dans un club de théâtre, voilà autant de choses qui m'ont sauvé, alors que j'étais livré à moi-même et n'avais personne pour m'aider à sortir d'un tunnel dont je ne voyais pas le bout. Il faut savoir ravaler son orgueil, et accepter de tirer un trait sur des amitiés qui n'en sont plus : on ne fait pas les bonnes rencontres tout de suite, et l'on a d'abord l'impression que les nouvelles activités ne sont pas à la hauteur de nos ambitions, mais de fil et aiguille, ces contacts nous ouvrent de plus en plus de portes vers de nouveaux horizons, jusqu'à ce qu'on finisse par se retrouver dans un univers et une compagnie qui nous plaisent. Ne surtout pas avoir peur du temps qui passe : il n'y a aucune honte à accomplir quelque chose qui nous satisfasse à un âge plus avancé qu'on l'eût voulu.
Pour le moment, je suis plutôt d'humeur vagabonde dans un esprit géographique, et moins cinématographique que par le passé : je regarde nettement moins de films qu'il y a dix ans, mais j'apprécie grandement de pouvoir me détacher des écrans et partir à la découverte de lieux insolites à portée de main. Je romps ainsi avec la ligne éditoriale qui était celle du blog à ses débuts, mais à l'époque, je n'avais pas la maturité nécessaire pour réaliser qu'il est illusoire d'attribuer des prix à des actrices, au lieu de profiter des interprétations de chacune d'entre elles sans aucun esprit de compétition. J'ai tout de même envie de continuer à parler de cinéma et de divas égocentriques, alors n'hésitez pas à me suggérer des noms de comédiennes dont la filmographie mériterait d'être explorée. Il y a plus d'un an, j'ai revu la seconde version de Dr. Jekyll & Mr. Hyde, et contre toute attente, j'y ai trouvé Ingrid Bergman épatante. Comme quoi, aucune pensée n'est figée dans le temps, et tout est matière à redécouverte !
J'ai écrit un super paragraphe à ce sujet, mais je suis bloqué sur mon passage en revue des actrices de 1941 depuis cinq saisons désormais… Alors que c'est déjà rédigé aux deux tiers… Je ne sais pas comment débloquer tout ça. Bref, si vous voulez me suggérer un article sur une actrice en particulier, n'hésitez pas à me proposer des idées, ça pourrait peut-être me remotiver à parler davantage de cinéma si je perçois l'écriture comme une commande.
~ Mes articles favoris ~
dimanche 15 mai 2022
Le pont de Sénoueix
samedi 14 mai 2022
Randonnée à Montferrand
dimanche 1 mai 2022
Églises troglodytiques du Sud Charente
La chapelle Saint-Georges de Gurat
L'église Saint-Jean d'Aubeterre
Le bourg d'Aubeterre
Walk on the Wild Side
Je ne sais pas ce qu'il en est dans le livre, mais à coup sûr, le scénario adapté par Edmund Morris et John Fante n'y va pas de main morte pour opposer la pourriture du gang de Jo, véritable mafia n'hésitant pas à cogner ou vendre des femmes au plus offrant, à la dignité de leurs victimes, du naïf Dove aux prostituées repenties. Dans cette ambiance de chair et de sang alourdie par la moiteur méridionale, la personne qui inspire le plus d'empathie est aussi la seule qui exerce un métier « honnête », Teresina, seul personnage qui marche « du bon côté de la rue ». Avec cette galerie de femmes aux caractères contrastés, le film se suit assurément sans déplaisir, d'autant que la distribution est particulièrement alléchante : deux légendes de l'âge d'or d'Hollywood y côtoient l'icône de la nouvelle vague américaine, sans oublier Juanita Moore qui ne fait malheureusement que de la figuration. Impossible d'y résister quand on est gay !
Ces rencontres constituent aussi un véritable choc des générations : le tournage fut particulièrement chaotique, mais pas à cause des tenantes de la vieille garde, qui étaient toujours ponctuelles et connaissaient leur texte par cœur. On sait à quel point Barbara Stanwyck était une grande professionnelle, tandis qu'Anne Baxter était généralement adorée par ses metteurs en scène pour son sérieux et sa conscience du travail à accomplir. Enceinte de six mois au moment de la production, cette dernière vécut d'autant plus mal les caprices de ses jeunes collègues. Qu'on juge un peu : Jane Fonda fit apparemment des pieds et des mains pour modifier ses répliques, tout en se plaignant que Laurence Harvey ne savait pas jouer, reproche que lui-même adressait à Capucine… Ambiance ! Barbara Stanwyck, qui n'était pas dupe, avait quant à elle fait savoir à Laurence Harvey qu'il serait de bon ton qu'il cesse de faire sa prima donna et se « bouge le cul » pour les besoins du film : cela fit rire l'acteur qui s'entendit dès lors très bien avec elle, preuve que la dame avait décidément l'art de sympathiser avec tout le monde, comme l'affirmaient toutes les équipes techniques avec qui elle avait travaillé depuis les années 1930.
Au-delà de ces querelles d'ego, la fracture est très nettement marquée du côté de l'interprétation : Anne Baxter et Barbara Stanwyck sont nettement meilleures que toute la nouvelle génération réunie. Ce n'est pourtant pas le plus grand rôle de l'étoile d'Un Coeur pris au piège et d'Assurance sur la mort. Barbara est certainement vigoureuse dans les bottes d'une dure à cuire dont l'élégance acquise ne masque pas l'origine populaire, et elle a le courage d'interpréter un personnage ouvertement lesbien. On lit d'ailleurs un peu partout que c'était la première fois qu'on voyait une vraie lesbienne au cinéma, à quoi je répondrai : n'oublions pas Joan Blondell et Lilyan Tashman dans Millie, trente ans plus tôt ! Ou ne serait-ce que Shirley MacLaine dans La Rumeur un an auparavant. Même si en l'occurrence, Jo Courtney est à ranger dans la catégorie des Mrs. Danvers obsédées par la fourrure de leurs fantasmes, puisque son homosexualité est une fois de plus perçue comme quelque chose de prédateur et donc d'hyper négatif. Il est même suggéré que Jo est devenue lesbienne par ennui, parce que son mari a perdu ses jambes, comme s'il s'agissait d'une déviance non naturelle. Le message est clair. Pour sûr, Barbara appuie assez fort sur la dureté du personnage, quitte à être un peu moins subtile qu'à l'accoutumée, quoique toujours juste et nuancée, en laissant entrevoir une certaine crainte de voir Hallie lui échapper. Dans le fond, je n'ai rien à lui reprocher d'un point de vue interprétatif, mais ce n'est pas la performance que je préfère dans sa carrière.
La lumière de la distribution est donc Anne Baxter, malgré une grosse erreur de casting, puisque sa patronne de café est censée être mexicaine. D'où son nom fort exotique et cette perruque très sombre qui ne lui sied guère, et qui fait regretter qu'on n'ait pas donné le rôle à Katy Jurado, ou à d'autres vraies Mexicaines hélas très invisibilisées dans le cinéma américain d'alors et d'aujourd'hui. Malgré tout, force est de reconnaître qu'Anne Baxter est, malgré un grimage peu convaincant, franchement excellente. Elle hérite certes du personnage le plus touchant du scénario, mais elle montre bien sa souffrance de la solitude et les blessures du passé, avec assez de dignité pour pardonner à ceux qui tentent de lui dérober le seul objet de valeur qu'elle possède, ou pour ne pas se faire d'illusions sur les sentiments qu'elle peut inspirer à Dove. En tout cas, on est loin des outrances de Néfertari : Anne est beaucoup plus mesurée dans la poussière texane que sous le soleil d'Égypte, ce qui lui permet d'être émouvante sans jamais tomber dans le piège du mélodrame malgré la teneur du texte.
À côté, ses partenaires qui la firent tourner en bourrique tout au long du tournage sont moins convaincants, à commencer par Jane Fonda. Tellement soucieuse de se faire un prénom et être enfin reconnue pour autre chose que sa filiation, elle use de toutes les ficelles horrifiantes sorties de la fabrique de farces et attrapes plus connue sous le nom d'Actors Studio, au point d'être vraiment mauvaise dès son entrée en scène, à s'agiter dans tous les sens pour essayer de se mettre dans la peau d'une petite fugueuse dont elle ne reste qu'à la surface. Elle parvient à captiver davantage dans le second acte, puisque Kitty devient héroïque à sa manière, et réussit même à être plutôt pas mal lorsqu'elle tient tête à son maquereau, mais en début de carrière, Jane Fonda n'avait pas encore le talent qu'elle déploya plus tard dans les années 1970. Au moins, elle reste une actrice essayant de jouer. Il est difficile de retourner le compliment à Capucine, qui sans démériter pour autant, reste avant tout une mannequin superbement photographiée. Les critiques de l'époque lui reprochaient d'être la maîtresse du producteur du film, qui avait insisté pour qu'elle soit habillée à la mode de luxe des années 1960 afin de rayonner à l'écran, et ce alors qu'elle jouait une prostituée des années 1930. Pour le coup, ce décalage aide la dame à ne pas se sentir dans son élément dans la maison close, ce qui est justement la problématique d'une héroïne avant tout façonnée par son talent de sculptrice. Néanmoins, cela ne fait pas de Capucine une comédienne très expressive : elle brille d'élégance dans chaque plan mais ne montre pas assez quelle est sa véritable activité rémunérée. Et même si ses sentiments pour Dove paraissent sincères, elle choisit tout de même la voie facile du désabusement pour éviter de montrer ses limites. Il faut dire que son absence d'alchimie avec Laurence Harvey n'aide pas, lui-même n'étant pas mauvais quoique échouant à donner beaucoup d'épaisseur à son personnage.
Le film ne fut pas très bien accueilli par la critique lors de sa sortie, ses détracteurs reprochant notamment à Edward Dmytryk d'avoir accouché d'un mélodrame sordide, peut-être à cause des sujets sulfureux abordés, ou à cause des actions passées du metteur en scène qui fut vivement décrié pour avoir dénoncé ses collègues communistes lors de la chasse aux sorcières. À titre personnel, j'ai trouvé Walk on the Wild Side tout à fait divertissant, malgré des personnages manquant de subtilité, notamment la clique Courtney. Edward Dmytryk n'était certes pas le réalisateur le plus inspiré de sa génération, mais jusqu'à présent, je suis plutôt favorable à son œuvre, notamment grâce à Ouragan sur le Caine et Le Bal des maudits. Mais comme tout le monde, y compris Dmytryk, je pense aussi que Walk on the Wild Side est finalement éclipsé par son générique conçu avec brio par Saul Bass : ce chat noir qui contrôle son territoire avec sérénité au son d'Elmer Bernstein est la promesse d'un chef-d'œuvre, ce que le film n'est pas, sans être à rejeter pour autant.