lundi 23 mai 2022

Mademoiselle Mozart


Allez, un article de cinéma, tout de même ! Je disais l'autre jour que j'ai vu pour la première fois la très attendue Mademoiselle Mozart, une comédie loufoque de 1936, le registre de prédilection de la divine Danielle Darrieux. Dans ce film écrit, produit et réalisé par Yvan Noé d'après sa propre pièce, elle y incarne la directrice d'un magasin d'instruments de musique situé avenue Mozart à Paris. Malheureusement, les affaires ne marchent pas fort, car il ne se trouve pas de clients ayant besoin au quotidien de flûtes ou de trombones. Mais c'est sans compter sur Pierre Mingand, un héritier richissime qui, cherchant à échapper à un mariage arrangé, tombe amoureux de la demoiselle et entreprend de se faire employer par elle pour la séduire. Sauf que la dame n'est pas dupe et n'entend pas lui mener la vie facile : confrontations explosives garanties !

Disons-le tout de suite, Mademoiselle Mozart n'est pas un grand film, mais c'est parfaitement divertissant. L'histoire doit surtout à l'alchimie entre Danielle Darrieux, qui n'a jamais froid aux yeux et tance toujours ses soupirants afin d'exister par elle-même, et Pierre Mingand, son partenaire sympathique qui ne craint pas le ridicule tout en conservant son élégance habituelle, et qu'elle croisa dans sa carrière à plusieurs reprises, notamment dans Mauvaise Graine, Abus de confiance et Retour à l'aube. Tous deux adorent se confronter et se piéger l'un l'autre, ce qui donne beaucoup de piquant à un film qui autrement ne décollerait pas du registre "bon enfant". Il faut notamment voir les gros plans sur Danielle, qui essaie toujours de prendre un air revêche afin d'éloigner les hommes trop entreprenants, tout en ne pouvant dissimuler l'esquisse d'un sourire en coin devant des situations qui au fond l'amusent beaucoup. À ce titre, la tête qu'elle fait lorsque son employé tente de vendre, tant bien que mal, un instrument au premier client venu, est impayable.

Le scénario utilise nombre de quiproquos typiques du théâtre de boulevard pour faire rire, notamment dans des histoires de ventes, puisqu'il s'agit de sauver le magasin de la faillite alors que le bourgeois, qui n'a par essence jamais travaillé, se retrouve bien en peine lorsqu'il doit vendre des cors et chasse ou des pianos à queue. Il use alors de stratagèmes bien de sa classe, puisqu'il rachète secrètement la boutique et place l'huissier chargé de la liquidation comme propriétaire de façade, tout en achetant lui-même plusieurs instruments par jour qu'il donne à ses domestiques. Lorsque Danielle est dans la pièce, il fait venir une amie à lui, qui revient constamment déguisée sous un nouvel accoutrement, pour lui vendre des instruments avec l'argent qu'il lui a donné au préalable, mais la patronne finit par voir clair dans son jeu et découvre le pot aux roses en arrivant chez lui à l'improviste : toute la maisonnée est occupée à apprendre le solfège avec les instruments du magasin ! Pour l'obliger à mettre réellement la main à la pâte, et de plus en plus sensible à ce jeu de séduction, elle accepte de sortir avec lui s'il parvient à vendre, sans l'acheter lui-même, un objet au premier client entrant dans le magasin. Cela tombe sur le directeur d'une œuvre de charité qui vient uniquement demander l'aumône, mais le fringant vendeur n'est pas à court de ressources. C'est hélas le dernier grand moment du film : le troisième acte dérivant sur une soirée arrosée, à la suite de laquelle Danielle se retrouve dans le lit de son soupirant qui lui fait croire qu'il ne sait pas comment elle est arrivée là, n'est pas drôle du tout. La fin du film s'enlise dans cet interminable quiproquo jusqu'à un mariage attendu mais peu convaincant.

Au moins, le couple principal se charge d'électriser le tout. On ne peut pas en dire autant des personnages secondaires qui, je le disais, restent dans un esprit "gentillet" mais dont les ressors comiques n'ont pas très bien vieilli. Louis Baron fils campe ainsi un huissier beaucoup trop accommodant pour donner du relief au conflit principal ; Pauline Carton est quant à elle sympathique mais abuse de mimiques qui ne font plus rire grand monde désormais, sans compter qu'on a eu le malheur de lui attribuer un numéro musical horrifiant ; Pierrette Caillol est pour sa part très mal utilisée en comédienne déguisée en aviatrice ou en veuve éplorée, accents à l'appui, d'autant que ses apparition n'aboutissent qu'à faire une blague raciste dont on se serait bien passé ; Christiane Dor, la maîtresse de l'huissier, n'est qu'une silhouette de boulevard qui court après son amant (quel dommage de ne pas lui avoir fourré un rouleau à pâtisserie dans la main !), et enfin, la haute société du film est faussement coincée, mais rien qui arrache un véritable sourire. À vrai dire, même le quiproquo aux chiens qui ouvre le film est loin d'être hilarant en soi, même si l'on s'amusera de voir Pierre Mingand avec un danois au milieu d'hommes d'affaires affublés de fox-terriers. Un certaine franchise de ton est tout de même surprenante pour une comédie de cette époque, puisqu'on y parle de perversion sexuelle sans sourciller, de quoi trancher avec les répliques de boulevard complètement incongrues, à l'image de l'huissier confiant à de parfaits inconnus : "Tiens ! Voilà ma maîtresse !"

La scène la plus célèbre et la plus réussie de Mademoiselle Mozart est le duo "Ça vient tout doucement", une chanson très agréable qui reflète à merveille le caractère des deux héros, lui en amoureux intrépide qui tente maladroitement de se faire aimer, elle en jeune femme de 19 ans parfaitement maîtresse des situations et de ses émotions. Les autres chansons chantées en cours de route sont "You", "Dans la vie" et "Le Bonheur c'est un rien" : j'adore les duos, qui furent enregistrés plus tard sur disque pour un son de meilleure qualité, mais leur effet dans le film est moindre que le duel pianistique. Tous ces airs ont été écrits par Camille François et composés par Wal-Berg et illustrent parfaitement le style de musique que j'adore dans ces années-là. Ces mélodies entraînantes ou langoureuses permettent de passer un bon moment devant ce film sympathique, qui est cependant loin du chef-d'œuvre, malgré l'énergie communicative de Pierre Mingand et Danielle Darrieux. Je craignais que le disque des éditions Gaumont fût cher payé vu l'absence de restauration, mais l'image reste correcte en l'état. À noter également l'une des toutes premières apparitions de Michèle Morgan, parmi les chorus girls du restaurant.

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