Hier soir, j'ai enfin découvert The Wild, Wild Rose, 野玫瑰之戀 / Yě méiguī zhī liàn en chinois, un titre original comprenant le mot "amour" que la traduction ne souligne pas; à savoir une comédie musicale hongkongaise de Wang Tian-lin, soit un film relativement oublié qui n'a même pas droit à sa page Wikipédia chinoise, mais sur lequel l'irremplaçable Anne Coumont a réussi à mettre la main avant de me le recommander chaudement. Sachant que j'adore les chinoiseries et le shídàiqǔ, cette rose sauvage dégageait de loin un parfum qui devait théoriquement me plaire. Qu'en a-t-il été?
Eh bien oui, je suis conquis. Tout d'abord parce que le film est une alliance réussie de comédie musicale et de film noir, a priori pas mes genres préférés mais qui réunis me font beaucoup plus palpiter que pris séparément. L'intrigue est ainsi rythmée par de succulents numéros musicaux qui ouvrent la voie à chaque nouveau rebondissement, et cette structure insuffle un incroyable dynamisme à l'ensemble, si bien qu'on ne s'ennuie jamais alors que tout se passe quasiment dans les mêmes décors pendant 80% du film. En fait, le réalisateur sait parfaitement comment utiliser le décor du bar en multipliant les prises de vues depuis divers recoins, et ne ménageant pas les gros plans sur son actrice principale dont la beauté n'enlève rien au plaisir, bien au contraire, de telle sorte qu'on a toujours l'impression de bouger entre ces quatre murs, y compris quand il n'y a pas de musique, d'où une impression de mise en scène aérée à défaut d'être absolument originale. Quoi qu'il en soit, les numéros sont dynamiques à souhait, l'actrice n'y étant pas pour rien, et le noir et blanc reste encore très bien photographié pour mettre en valeur l'atmosphère de désirs troubles et de séduction qui conduisent à une seconde partie plus sombre, ambiance idéale pour dériver vers du film noir et des passions dévorantes sur fond de triades héritées de la Chine des années 1930. A vrai dire, même la photographie d'extérieur, beaucoup plus rare en proportion, continue de mettre en valeur l'histoire, en particulier lors de la séquence de pluie devant la prison, et ces nombreux aspects excellents font du film une véritable réussite technique qu'on ne saurait que louer.
Cette réussite est mise au service d'un scénario excitant quoique peu novateur, l'histoire étant librement inspirée de Carmen, avec toutes les transpositions nécessaires pour bien coller à la scène hongkongaise des années 1950-60. On commence alors sur des intrigues de courtisanes typiques, la flamboyante chanteuse se mettant en tête de séduire son nouveau pianiste plus par jeu que par réel engouement, et j'apprécie absolument la franchise de l'héroïne qui précise à plusieurs reprises qu'elle tombe amoureuse de tous les hommes qu'elle rencontre et qu'aucune passion ne dure avec elle. Mais si l'on commence avec Carmen, avec à ses côtés un Don José pianiste à la moralité chancelante, une Micaëla et une mère affaiblie prêtes à tout pour le tirer des griffes de l'artiste tapageuse, et des gangsters tout juste sortis de prison en guise de brigands; on finit tout de même davantage avec La traviata, car contrairement à la sulfureuse Andalouse, Sijia est toujours amoureuse de Hanhua jusqu'au bout, et ne le rejette que pour le protéger de la triade qui fait pression sur elle. L'héroïne gagne ainsi en complexité, et observer le regard des dames évoluer à son égard lui donne finalement plus de profondeur qu'à la femme simplement volage de l'opéra de Bizet. L'adaptation du scénario est alors excellente en ajoutant à Carmen des fragments d'autres histoires d'amour célèbres, et le résultat se suit avec un intérêt constant.
La musique constitue de son côté une adaptation tout autant réussie, puisque les grands airs d'opéras sont ici joués et chantés à la façon d'un mambo, et le résultat reste si plaisant qu'il est extrêmement judicieux de revoir les plus grands succès de Sijia lorsque celle-ci remonte sur scène après avoir touché le fond. Grance Chang, qui interprète elle-même toutes les chansons du film, est d'ailleurs idéale pour incarner ce mélange savoureux d'opéra et de shídàiqǔ, et même si elle ne se risque pas à chanter les plus hautes notes du Un bel dì, vedremo de Madame Butterfly lorsqu'elle se déguise en Japonaise pour passer une nouvelle audition, ça ne pose aucun problème grâce au rythme bien plus vif de la réorchestration, qui a largement de quoi faire passer un excellent moment. Et puis la chanteuse a vraiment une très jolie voix, changeant de timbre au passage lorsqu'elle s'amuse à jouer le rôle d'un homme, et elle réussit absolument chaque passage dans plusieurs registres différents, le tout en sachant absolument comment occuper l'espace avec son corps pour éblouir comme les plus grandes interprètes de comédie musicale les plus célèbres. Le seul mini bémol de sa prestation, c'est qu'elle ne donne pas assez de vibrato à ses raclements de gorge lors de sa reprise de l'Habanera de Carmen, mais vu le degré d'éblouissement qu'elle atteint dans tout le reste, avec de si jolis aigus, on sera bien en peine de lui reprocher quoi que ce soit. Notons tout de même que si la musique fait la part belle aux airs d'opéra, les paroles sont quant à elles totalement modifiées pour mieux servir l'histoire, et moins détonner dans un cabaret, ce qui était évidemment le bon choix. Quant aux accords de guitare sans paroles lors de la plus grande scène de séduction du film, ils mettent si bien en valeur le désir fébrile des personnages qu'on ne souhaiterait rien d'autre pour agrémenter ce moment.
Cette réussite est mise au service d'un scénario excitant quoique peu novateur, l'histoire étant librement inspirée de Carmen, avec toutes les transpositions nécessaires pour bien coller à la scène hongkongaise des années 1950-60. On commence alors sur des intrigues de courtisanes typiques, la flamboyante chanteuse se mettant en tête de séduire son nouveau pianiste plus par jeu que par réel engouement, et j'apprécie absolument la franchise de l'héroïne qui précise à plusieurs reprises qu'elle tombe amoureuse de tous les hommes qu'elle rencontre et qu'aucune passion ne dure avec elle. Mais si l'on commence avec Carmen, avec à ses côtés un Don José pianiste à la moralité chancelante, une Micaëla et une mère affaiblie prêtes à tout pour le tirer des griffes de l'artiste tapageuse, et des gangsters tout juste sortis de prison en guise de brigands; on finit tout de même davantage avec La traviata, car contrairement à la sulfureuse Andalouse, Sijia est toujours amoureuse de Hanhua jusqu'au bout, et ne le rejette que pour le protéger de la triade qui fait pression sur elle. L'héroïne gagne ainsi en complexité, et observer le regard des dames évoluer à son égard lui donne finalement plus de profondeur qu'à la femme simplement volage de l'opéra de Bizet. L'adaptation du scénario est alors excellente en ajoutant à Carmen des fragments d'autres histoires d'amour célèbres, et le résultat se suit avec un intérêt constant.
La musique constitue de son côté une adaptation tout autant réussie, puisque les grands airs d'opéras sont ici joués et chantés à la façon d'un mambo, et le résultat reste si plaisant qu'il est extrêmement judicieux de revoir les plus grands succès de Sijia lorsque celle-ci remonte sur scène après avoir touché le fond. Grance Chang, qui interprète elle-même toutes les chansons du film, est d'ailleurs idéale pour incarner ce mélange savoureux d'opéra et de shídàiqǔ, et même si elle ne se risque pas à chanter les plus hautes notes du Un bel dì, vedremo de Madame Butterfly lorsqu'elle se déguise en Japonaise pour passer une nouvelle audition, ça ne pose aucun problème grâce au rythme bien plus vif de la réorchestration, qui a largement de quoi faire passer un excellent moment. Et puis la chanteuse a vraiment une très jolie voix, changeant de timbre au passage lorsqu'elle s'amuse à jouer le rôle d'un homme, et elle réussit absolument chaque passage dans plusieurs registres différents, le tout en sachant absolument comment occuper l'espace avec son corps pour éblouir comme les plus grandes interprètes de comédie musicale les plus célèbres. Le seul mini bémol de sa prestation, c'est qu'elle ne donne pas assez de vibrato à ses raclements de gorge lors de sa reprise de l'Habanera de Carmen, mais vu le degré d'éblouissement qu'elle atteint dans tout le reste, avec de si jolis aigus, on sera bien en peine de lui reprocher quoi que ce soit. Notons tout de même que si la musique fait la part belle aux airs d'opéra, les paroles sont quant à elles totalement modifiées pour mieux servir l'histoire, et moins détonner dans un cabaret, ce qui était évidemment le bon choix. Quant aux accords de guitare sans paroles lors de la plus grande scène de séduction du film, ils mettent si bien en valeur le désir fébrile des personnages qu'on ne souhaiterait rien d'autre pour agrémenter ce moment.
Réussi d'un point de vue musical, formel et scénaristique, The Wild, Wild Rose se devait encore d'être porté par une interprétation de haut niveau afin de clore le cercle vertueux. Et en toute honnêteté, ça fonctionne assez bien, même si aucun des personnage secondaire n'arrive à se hisser à la cheville de Grace Chang, sans qu'ils aient pour autant démérité. Il faut dire que Yang Chang doit volontairement s'effacer pour laisser briller sa partenaire, mais si son personnage de Don José un peu blafard finit par agacer à force de soumission puis de jalousie possessive, l'acteur est loin d'être mauvais en adaptant son jeu au personnage, tout en soulignant bien son évolution depuis le pianiste rangé très propre sur lui à l'alcoolique nerveux qui regrette de n'avoir pas saisi des opportunités pour vivre pleinement sa passion dévorante. Dans le rôle de la mère inquiète, Sha-Fei Ouyang est quant à elle excellente en faisant preuve d'une grande humanité et d'une ouverture d'esprit qu'on n'aurait pas soupçonnée de prime abord, au point qu'on finit vraiment par apprécier son personnage dans la deuxième partie. Ta Lei en vieil ami qui tente de sauver sa famille est également bon en ayant le droit de nuancer son caractère sympathique par de la colère qui arrive toujours à point nommé, tandis que Yun Shen en bonne copine pas née de la dernière pluie s'arrange pour laisser une forte impression avec le peu à sa disposition. En fait, le seul défaut du film, c'est Feng Su dans un rôle de Micaëla ennuyeuse comme la pluie et qui pleurniche à n'en plus finir, même quand on lui parle de choses qui n'ont rien à voir avec son histoire d'amour avortée: "Je te ressers du riz?" "Ouiiiiiinnnnnn! [Se cache le visage dans les mains.]" Je plaisante, mais j'exagère à peine. Ah oui, et les petits enfants d'Old Wang qui pleurnichent en cœur, et en rythme (!), devant leur mère qui fait sa diva sacrificielle en refusant les médicaments sont... insupportables!
Heureusement que Grace Chang est là pour leur servir de contrepoint dynamique. Et disons-le très clairement: sa performance est le meilleur aspect du film. Comme je le précisais tout à l'heure, le rôle est très riche, et beaucoup plus complexe que celui d'une simple courtisane incendiaire, et l'actrice lui fait absolument honneur dans tous les registres. Sa Carmen est ainsi tout autant volcanique que drôle (la scène du banc est à hurler de rire, sans rien à envier à la séduction hilarante d'une Barbara Stanwyck dans The Lady Eve!), tout aussi mesquine avec ses rivales que fidèle avec ses proches, et surtout, elle brûle la pellicule à chaque apparition, s'arrangeant même pour être plus séduisante et désirable qu'une Rita Hayworth en plein strip-tease sans pour autant avoir à retirer des gants. Quant à ses exploits scéniques, elle est aussi fabuleuse que toutes les grandes chanteuses américaines réunies, et sa capacité à faire évoluer ses émotions au rythme des chansons reste à louer mille fois, notamment ses larmes sur Madame Butterfly. Mais comme je le disais, Carmen devient davantage Violetta au fur et à mesure de l'intrigue, et sa façon de se laisser surprendre, sans le montrer, d'être tombée sincèrement amoureuse, est une bonne transition vers la seconde partie plus noire; tandis que sa grande scène de rejet contraint, tout en nervosité contenue et en larmes retenues qu'elle réserve aux seuls spectateurs, n'est pas indigne de ce que fit une Greta Garbo jadis, la théâtralité éclatante en moins. A vrai dire, même les tics de l'actrice (moues réprobatrices et main passée dans les cheveux) sont toujours extrêmement bien dosés, sans revenir trop souvent, de telle sorte que la performance ne semble jamais autrement que parfaitement maîtrisée. Quant à sa réaction à la gifle, qui pourrait sembler excessive à un public occidental, elle est en fait si bien ancrée dans les codes d'interprétation chinois que ça ne me pose aucun problème.
Bref, l'éblouissement est bel et bien là et cette interprétation est appelée à rester dans les mémoires pendant longtemps. L'occasion pour moi de vous dévoiler mon nouveau projet: comme je commence à tourner en rond à force de me baser exclusivement sur les dates de sortie des films aux Etats-Unis, lesquelles nous privent par-là même de nombreuses performances étrangères hélas jamais sorties là-bas à temps, je pensais allonger mes articles et proposer deux options à chaque fois, d'une part ma sélection "américaine", qui peut contenir des performances étrangères mais souvent en décalage d'une année par rapport à leur date de sortie d'origine; et d'autre part ma sélection "internationale" qui ne tiendra plus compte des frontières et m'obligera à choisir le meilleur de l'année dans un éventail bien plus vaste. Or, Grace Chang a d'ores et déjà sa place assurée dans la sélection internationale 1960. D'ailleurs, le film mériterait lui aussi distinction dans de multiples catégories, pour toutes les raisons énumérées qui en font une vraie réussite. Je ne suis néanmoins pas sûr que ce soit un chef-d’œuvre absolu comme vous le dira Anne, mais c'est néanmoins excellent et n'ai aucun reproche particulier à faire, ce qui me poussera à monter à un 8+, voire à 9 en fonction de ce que donnera un peu plus de recul. Je vous laisse en compagnie de Grace Chang.
Bref, l'éblouissement est bel et bien là et cette interprétation est appelée à rester dans les mémoires pendant longtemps. L'occasion pour moi de vous dévoiler mon nouveau projet: comme je commence à tourner en rond à force de me baser exclusivement sur les dates de sortie des films aux Etats-Unis, lesquelles nous privent par-là même de nombreuses performances étrangères hélas jamais sorties là-bas à temps, je pensais allonger mes articles et proposer deux options à chaque fois, d'une part ma sélection "américaine", qui peut contenir des performances étrangères mais souvent en décalage d'une année par rapport à leur date de sortie d'origine; et d'autre part ma sélection "internationale" qui ne tiendra plus compte des frontières et m'obligera à choisir le meilleur de l'année dans un éventail bien plus vaste. Or, Grace Chang a d'ores et déjà sa place assurée dans la sélection internationale 1960. D'ailleurs, le film mériterait lui aussi distinction dans de multiples catégories, pour toutes les raisons énumérées qui en font une vraie réussite. Je ne suis néanmoins pas sûr que ce soit un chef-d’œuvre absolu comme vous le dira Anne, mais c'est néanmoins excellent et n'ai aucun reproche particulier à faire, ce qui me poussera à monter à un 8+, voire à 9 en fonction de ce que donnera un peu plus de recul. Je vous laisse en compagnie de Grace Chang.
J'adorerais avoir le courage de me mettre à ce cinéma là, mais c'est vraiment un vaste continent et je ne sais pas où trouver les films avec sous-titres. En tout cas j'avais aimé ta sélection musicale de présentation d'il y a quelques années. Merci pour l'article, du coup.
RépondreSupprimerJ'avoue aussi que je suis content, lors de mon petit tour quotidien, de ne plus tomber sur l'affiche de Voyage au bout de la nuit qui me faisait un peu peur !!!
l'AACF
Oui, c'est le grand problème des films chinois, il est quasiment impossible de les trouver aujourd'hui avec sous-titres, sans passer par des moyens particuliers. A vrai dire, même les films de Gong Li qui existent en DVD sont à des prix indécents, alors que ça n'a que 20 ans! Je pense à Shanghai Triad où elle aussi chante divinement.
SupprimerJ'imagine néanmoins que tu pourrais aimer The Wild, Wild Rose, qui a un esprit assez américain dans son style.
Et désolé pour l'affiche du chasseur de cerfs! Au moins, j'en suis débarrassé et c'est une bonne chose de faite. J'ai même découvert qu'il y avait bien pire dans la sélection officielle de l'année et que le film méritait son Oscar par défaut.
Je suis vraiment content que Gretallulah persiste, je crois que c'est la première fois que je vois un blog à oscar, à part un, peut-être deux, qui ne s'arrête pas en chemin. A un moment il y en avait un demi-douzaine aux USA (Alex in movieland, Fritz and the oscars, Oscarnerd ...) qui ont tous laissé tomber leur lectorat.
RépondreSupprimerLongue vie à Gretallulah.
L'AACF
Fritz écrit, de loin, les meilleurs articles sur la question. Je serais curieux d'avoir son opinion quant aux années qu'il n'a pas encore traitées.
SupprimerThe Wild, Wild Rose n'est peut-être pas dépourvue de quelques -minimes- scories, il n'en reste pas moins un chef-d’œuvre absolu et une des meilleures réinterprétations de Carmen et le sommet de la carrière de Grace Chang / Ge Lan.
SupprimerPuisque tu as apprécié l'actrice, tu peux essayer le sympathique Mambo Girl / Man bo nu lang qui propose de jolis numéros de chant. Sinon, j'ai aussi The Magic Lamp / Bao lian deng mais je n'ai pas encore osé passer le cap du conte chinois.
Ah! Et j'avais oublié que Mambo Girl était à ma disposition! Bon, pour le moment, Wild Rose est trop récent pour me donner envie de voir un film similaire dans la foulée, mais ce devrait être un bon divertissement d'automne.
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