mardi 17 novembre 2015

Meilleure actrice internationale 1928

Aujourd'hui, jouons avec l'une des mes années préférées dans la plupart des catégories, 1928. Dans le détail, la liste de films vus n'est pas très longue car si l'on excepte les courts-métrages, ça ne fait pas énormément d’œuvres à prendre en compte, a fortiori pour les actrices, mais j'ai tout de même tenté de varier les pays au maximum, dans la limite de ce que j'ai pu trouver, comme le montrera l'inventaire qui paraîtra dans les prochains jours n'est pas du tout prêt. Au point de changer un peu de mes habituelles sélections américaines? Voyons ça dès à présent!


Mes demi-finalistes:

Betty Compson dans The Docks of New York: A priori, un film sur les bas-fonds d'un port ne semble pas du tout fait pour moi, mais lorsque Josef von Sternberg est aux commandes, ça devient tout de suite beaucoup plus impressionnant, et ce d'autant plus lorsque la toujours captivante Betty Compson fait partie de la troupe, afin d'apporter à l'héroïne la dose de charisme et de forte présence requise, histoire de sortir du cliché de la demoiselle en détresse qu'on aurait pu attendre, encore qu'un personnage féminin fort ne soit pas une surprise chez le génial réalisateur, comme en avait témoigné Evelyn Brent l'année précédente, et comme le montrera Marlene Dietrich par la suite. Mais tout de même, Betty Compson apporte énormément à un rôle assez fin sur le papier, si bien qu'on se soucie tout à fait du parcours de l'héroïne, bien qu'à la réflexion je préfère malgré tout l'histoire propre à Olga Baclanova. Quoi qu'il en soit, Compson compose un personnage tout aussi passionnant qui s'intègre parfaitement à cet univers sordide à travers ses manières un peu rustres et sa façon quelque peu vulgaire de fumer une cigarette. Mais ce qui rend cette interprétation aussi poignante, c'est que l'actrice sait tout à fait insérer de l'émotion dans ce rôle, de telle sorte que sa mélancolie, cadrant très bien avec cette fille des bas-fonds désabusée sauvée in extremis d'une tentative de suicide, n'est jamais jouée sur l'unique note attendue: par moment, le regard se voile légèrement, et l'on ressent tout le poids du passé du personnage sans que l'actrice ait besoin d'en faire plus, d'où une réussite incontestable. En fait, elle joue admirablement avec ses yeux et dévoile, sans aucun effort apparent, une sensibilité déchirante qui perce sous le masque désenchanté que revêt son visage, réplique idéale aux expressions assez touchantes de George Bancroft dans la chambre à coucher. En quelque sorte, Betty Compson apparaît comme le contrepoint nécessaire à la bestialité de son partenaire sans pour autant verser dans l'excès inverse, à tel point que sa performance apparaît toujours comme très bien dosée et calculée, chose guère étonnante quand on a vu l'actrice auparavant, bien que The Docks of New York reste son sommet parmi ce que j'ai découvert jusqu'à présent.


Joan Crawford dans Our Dancing Daughters: Si Joan Crawford fut toujours dans l'ombre de Norma Shearer et Greta Garbo, puis Greer Garson, qui se partageaient chacune les projets de prestige de la MGM, ça ne l'empêcha nullement, à mon avis, d'être leur égale absolue en matière de jeu, même si les véhicules n'étaient pas toujours dignes de son talent. Mais avec Our Dancing Daughters, la question ne se pose pas: il s'agit de son meilleur film muet et, disons-le sans détour, Crawford y est resplendissante de dynamisme et de spontanéité, sans que jamais aucun tic n'ait fait vieillir sa prestation 90 ans plus tard. En effet, dans le registre de la légèreté qui ouvre le film, elle n'a pas son pareil pour nous ancrer directement dans l'histoire: ses regards désireux sont intenses, son autodérision fait mouche à plus d'une reprise, notamment lorsqu'elle avoue à l'homme qui lui plaît être connue comme "Diana the Dangerous", sa façon de goûter le champagne avec son doigt la rend divine de séduction, sa manière de faire le signe de l'égorgement quand il est question des mères s'inquiétant que leurs filles veillent si tard est hilarante, et à vrai dire, même sa maladresse sert totalement le personnage lorsqu'elle glisse et arrive aux pieds de l'homme désiré en souriant. Les moments de tendresse sont eux aussi joués avec brio, en particulier parce que Crawford suggère de l'émotion dans ses regards, y compris lorsque Diana use sciemment de cette technique pour se faire embrasser à la campagne, et comme il y a toujours de la légèreté derrière l'émotion, on ne peut qu'admirer ce que l'actrice fait du personnage. Enfin, la partie plus dramatique liée aux machinations d'Anita Page achève de rendre cette performance absolument magnifique, et l'extrême justesse de Crawford lorsqu'elle doit jouer le choc avant de faire naître des larmes discrètes au coin des yeux reste à louer mille fois, avant que sa dignité teintée de défi ne vienne conclure cette trajectoire passionnante. On notera encore que l'actrice crée une très bonne alchimie avec ses partenaires, notamment Dorothy Sebastian, et finalement, seule sa façon de danser, plus frénétique que gracieuse, sonne quelque peu étrange, encore que ça colle assez bien à l'idée qu'on a d'une flapper. Quoi qu'il en soit, c'est constamment juste, souvent subtil et dans tous les cas très réussi et, bien que l'année soit trop exceptionnelle sur le plan de l'interprétation féminine pour permettre à Crawford de se qualifier avec ce superbe rôle, la nomination n'en resterait pas moins entièrement méritée dans l'absolu.


Renée Falconetti dans La Passion de Jeanne d'Arc: Pour incarner le personnage le plus mythique de l'histoire de France, Renée Falconetti nous offrira finalement la performance la plus iconique du cinéma muet, son jeu très expressif étant sans conteste le plus commenté de la période, au point que de nombreux critiques ont conclu qu'il était impossible de comprendre l'interprétation d'avant le parlant sans avoir vu Falconetti souffrir une heure vingt durant dans de multiples gros plans. Et certes, je ne nie absolument pas le pouvoir de fascination que parvient à exercer un tel travail, d'autant que le film est un chef-d’œuvre, mais sans vouloir faire de mauvais esprit, je suis à présent convaincu que le génie de cette performance vient avant tout de Dreyer, et pas tellement de son actrice principale, contrairement à ce que j'avais pu croire lors de ma saisissante découverte du film. Je m'explique: la dame souffre très bien, au point de nous connecter entièrement à son parcours de jeune femme prise au piège d'une situation extrêmement éprouvante, de telle sorte qu'on ressort de l'expérience assez nerveux. Certes. Mais c'est aussi que le réalisateur n'a pas ménagé l'actrice, qui n'eut dès lors pas grand mal à se glisser dans la peau du personnage. Autrement, elle pleure très bien, quoique sa technique soit assez visible puisqu'elle plisse légèrement les yeux avant de faire couler les larmes, mais au moins, cette expressivité ancre son interprétation dans quelque chose de très concret, ce qui sert le film. Certes. Malgré tout, lorsqu'on regarde cette performance dans le détail, il reste difficile de la prendre au sérieux la moitié du temps pour deux raisons. La première, c'est que lorsque l'actrice ne sait plus quoi faire après avoir autant pleuré d'un œil que de l'autre, elle se contente d'écarquiller ses yeux vitreux sans tenter d'ajouter quoi que ce soit aux trop nombreuses séquences où elle se réfugie dans cette zone de confort, de quoi me prouver que sa composition est en fait moins "active" que "réactive". Ce qui nous mène au deuxième point, à savoir que la Jeanne d'Arc que nous voyons ici est moins une construction pensée et réfléchie par l'actrice qu'une formidable orchestration de la part du réalisateur, qui s'intéresse davantage à la souffrance qu'à la psychologie de l'héroïne. Ainsi, on ne comprend pas à tous les coups où Jeanne veut en venir: par moments elle a l'air illuminée comme une mystique, par moments elle semble beaucoup plus humaine et sensée, et à d'autres reprises, elle se met à provoquer ses juges avec des sourires en coin un brin manipulateurs qui contredisent totalement la pureté entrevue jusqu'alors. Je suis donc au regret de trouver cette interprétation pas toujours logique, toute iconique soit-elle. Mais le film reste un chef-d’œuvre sans égal que Falconetti est loin de desservir, sans que je sois totalement convaincu par son approche du personnage. Elle est toutefois plus intéressante à découvrir une première fois que lorsqu'on y revient avec un regard plus objectif.


Olga Tschechowa dans Moulin Rouge: J'avoue n'avoir jamais entendu parler de cette dame avant ce mois-ci, et peut-être que son histoire controversée a tendance à éclipser son talent d'actrice, mais le fait est qu'elle est constamment captivante dans cette intrigue bien de son temps, malgré l'énorme défaut du film de ne jamais montrer le Moulin Rouge en lui-même (tout au plus a-t-on droit à une séquence de cabaret tout droit sortie des Années Folles et non de la Belle Epoque), pour préférer se recentrer sur un bon mélodrame typique des derniers feux du cinéma muet. Ceci dit, ça n'empêche nullement la performance de fonctionner à merveille, l'actrice y ajoutant tout le charisme requis et la dose d'émotion contenue qui donne un air de modernité à son travail, afin d'aérer cette histoire chargée de mère "méprisable" qui tente de protéger sa fille "respectable", à force de graviter aux marches de la bonne société parisienne. En fait, elle rappelle Irene Rich dans Lady Windermere's Fan mais sans la touche d'humour que Lubitsch avait su insérer dans sa performance, et préfigure Helen Morgan dans Applause, mais sans les flots de mélodrame qui emportèrent cette dernière l'année d'après. Ainsi, à mi-chemin entre ces deux interprétations iconiques, Olga Tschechowa pourrait être plus facilement oubliable, mais il n'en est rien, tant elle brille dès l'ouverture du film par sa présence et son visage singulier. La première demi-heure fait d'ailleurs tout le sel de sa composition, puisqu'elle s'y montre aussi vivace au cabaret que sincèrement émue et compatissante dès qu'on en vient à sa fille, le tout en faisant preuve de tout le défi nécessaire pour contrer les plans d'un personnage aimé dont elle se méfie, sachant qu'elle ne s'écrase absolument pas devant le père de celui-ci, bien qu'elle soit dans une position plus défavorable par comparaison. Par ailleurs, son charisme est tel qu'elle réussit à nous faire croire qu'elle est bien la mère d'Eve Gray, alors que les deux actrices n'avaient que trois ans de différence, Tschechowa parvenant à estomper sa jeunesse trop marquée par des manières plus mûres qui servent totalement le propos. A la fin, on regrettera surtout qu'une fois passée cette première partie mémorable, l'actrice n'ait plus grand chose à se mettre sous la dent et doive se contenter de meubler un temps d'écran qui traîne en longueur, mais quoi qu'il en soit, son entrée en scène reste passionnante et finalement inoubliable.


Mes finalistes

5. Gloria Swanson dans 
Sadie Thompson

Après une récente visite, je suis désormais un peu moins enthousiaste qu'en phase de découverte, mais la réussite reste bel et bien au rendez-vous, aussi bien du côté du film, Raoul Walsh étant toutefois encore plus brillant comme acteur ici, que du côté de l'interprétation, Swanson apportant au rôle le fort caractère que Sadie demandait. Ainsi, elle fait une entrée détonante dans l'histoire, au point qu'on ne remarque plus qu'elle, et pas uniquement à cause de son chapeau de dix-huit kilomètres carrés, dans la mesure où il lui suffit de sourire pour révéler le charisme et la dynamisme de l'héroïne avant même que le paquebot accoste. Une fois à terre, on est ensuite frappé par l'humour et la séduction un brin vulgaire que l'actrice donne au personnage, ce qui est en outre un réel exploit de la part d'une comédienne davantage associée aux grandes mondaines Art Déco. Mais vraiment, la composition fonctionne absolument, et l'on n'est jamais étonné que tous les marins de l'île virevoltent autour d'elle tant elle se montre spontanée et toujours prompte à s'amuser. D'ailleurs, son rire lorsqu'elle joue avec le miroir a beau être très joué, il n'en est pas moins sincère et tout à fait crédible. Bref, on croit vraiment à cette jeune femme dynamique un peu prostituée sur les bords, même si Swanson accentue un poil trop cet aspect à cause d'une expressivité propre au muet à ce moment-là déjà dépassée par d'autres collègues (voir plus haut), mais dans tous les cas, le pouvoir de divertissement est bien là. La seule chose que j'apprécie moins que par le passé, finalement, c'est la deuxième partie puritaine, lorsque Sadie est forcée de se repentir: on ne doute jamais qu'il s'agit bien de la même femme qu'au départ (à la différence de Crawford dans le remake), mais on se demande tout de même pourquoi une personne aussi forte que Sadie arrive à se laisser convaincre de ses supposés péchés, alors qu'elle ne manque pourtant pas de soutiens sur l'île. Par bonheur, à défaut de pouvoir acheter cette performance à 100%, on notera que la clef de cette performance, à savoir la grande confrontation avec Lionel Barrymore, n'en reste pas moins très réussie, puisque Swanson parvient à s'y montrer aussi dure que désespérée dans le même laps de temps, tout en accentuant encore une fois un peu trop la colère. A la fin, je suis tout de même toujours conquis par cette interprétation, et Swanson s'en tire vraiment avec tous les honneurs, pour ce qu'on peut attendre d'une performance du cinéma muet.


4. Greta Garbo dans
A Woman of Affairs

J'ai toujours considéré A Woman of Affairs comme le meilleur film muet de la Divine, et la revisite n'a fait que confirmer l'impression initiale, malgré une déception minime au niveau de l'histoire qui, en dépit d'une galerie de personnages plutôt bien écrits, n'en reste pas moins un bon gros mélodrame typique de ces années-là, la légèreté de la première partie n'étant pas aussi bien développée que dans mon souvenir. Ceci dit, ce n'est nullement un empêchement à la réussite interprétative, et je persiste à croire que Garbo n'a jamais été aussi bonne dans un rôle muet, encore que Torrent ou Gösta Berling... Quoi qu'il en soit, dès le début, son caractère insouciant et spontané, gentiment taquin, colle exactement à l'image d'une riche héritière des Années Folles qui n'a d'autres soucis en tête qu'une histoire de cœur, et son célèbre clin d’œil à son frère souligne bien l'humour dont la Divine était capable malgré sa réputation un peu froide. Elle nous permet ainsi de nous attacher directement à Diana, et son portrait cohérent d'une jeune femme un peu frivole impose d'emblée un personnage parfaitement crédible, crédibilité qui ne lui fait par la suite jamais défaut. En effet, à mesure que l'héroïne plonge dans les affres de la douleur amoureuse, de la déception, et des conséquences d'un sacrifice pour sauver une personne qu'elle estime très fort, Garbo ne manque jamais de faire ressortir toute la complexité de ces émotions mêlées, à l'image de ses sourires teintés d'amertume mais aussi d'espoir, de quoi aérer une histoire un peu trop chargée par moment, sans que jamais l'actrice ne nous demande de plaindre son personnage, sur qui le sort s'acharne injustement. En fait, seule la séquence à l'hôpital n'est pas loin de franchir la ligne de la lourdeur, Garbo abandonnant à ce moment-là sa modernité pour mieux se réfugier dans une théâtralité trop manifeste qui la conduit à surjouer l'abattement physique, à grand renfort de mains dans les cheveux. Mais autrement, la reste de la performance fonctionne sans jamais verser dans une quelconque ancienneté, et même cette scène à l'hospice n'est pas mal jouée en face. On appréciera encore l'alchimie de l'actrice avec John Gilbert, auquel il lui suffit d'adresser un sourire pour ranimer la flamme du mythique Flesh and the Devil tout en restant sur des rapports bien plus humains. Et puis Garbo ne s'efface absolument pas devant Hobart Bosworth et Dorothy Sebastian, bien que ces personnages aient le pouvoir de la dominer, sachant que sa complicité sincère avec la seconde, et sa froideur apparente sous laquelle on sent poindre des blessures loin d'être cicatrisées avec le premier, sont des choix de jeu plus que dignes d'éloge.


3. Eleanor Boardman dans
The Crowd

A ce stade, je ne suis pas encore aussi familier avec Eleanor Boardman qu'avec mes autres finalistes, mais c'est aussi que la dame a une filmographie un peu moins conséquente, ce qui ne m'a pas empêché de la classer en assez bonne position dans mon panthéon, précisément en grande partie grâce à La Foule, de loin son sommet interprétatif, et qui reste reconnu pour être l'une des performances muettes ayant le mieux vieilli, l'actrice n'étant jamais autant théâtrale qu'on aurait pu l'attendre dans ce type de rôle. En outre, contrairement à ce qu'ont pu nous servir d'autres personnages féminins de la même époque moins bien écrits, Eleanor Boardman est la preuve qu'on peut très bien jouer à l'épouse aimante et endurante en donnant vie à une héroïne qui a de la personnalité, et qui, sans jamais forcer dans le pathos, cherche toujours à aller de l'avant. L'écriture comme l'interprétation annoncent ainsi une réelle modernité, ce qu'on perçoit très bien dans les quatre actes du films. Dans le premier, tout d'humour et de légèreté, elle est en effet idéale de spontanéité pour donner vie à cette relation amoureuse naissante, de quoi exercer une grande séduction sur le public qui ne peut dès lors que s'attacher à elle grâce à son naturel désarmant. Dans le second, où s'annonce à présent une sorte de lassitude quotidienne propre à tous les couples qui durent, Eleanor n'a encore une fois besoin d'aucun tic pour rester ferme mais compréhensive face à James Murray, hormis lors d'une petite séquence de dispute qui reste malgré tout bien jouée, même dans les codes du muet. En fait, seule la partie réellement dramatique est jouée avec force expressivité, mais ça ne choque nullement pour un film de 1928, et puisque l'héroïne sait comment avancer en dépit du tragique, ça permet à l'actrice de repartir vers bien plus de sobriété, ce qui fait beaucoup de bien et aère totalement le propos. Enfin, le dernier acte, à mi-chemin entre émotions et gravité, est abordé avec un calme serein qui fait ressortir toute la force de larmes savamment dosées, d'où l'impression d'une trajectoire complétée avec un grand talent, durant laquelle on n'aura jamais douté de la cohérence de l'interprétation malgré les divers états d'âme du personnage. A la fin, Eleanor Boardman nous aura brossé un portrait crédible de femme tout à fait normale, et c'est ma foi fort rafraîchissant.


2. Marion Davies dans
The Patsy

A l'époque où j'avais écrit la première version de cet article, je n'avais jamais vu Marion Davies dans autre chose que The Patsy, mais après avoir commencé à étoffer mes connaissances, je réalise à quel point sa réputation de grande actrice comique est amplement justifiée. Je dirai même que la dame est la reine du timing comique, dans la mesure où chacune de ses expressions parvient à relever l'esprit d'une scène, et ce avec un naturel désarmant qui dévoile tout le génie de l'actrice, chez qui on ne décèle jamais la moindre trace d'effort. A vrai dire, son talent de comédienne est visible dès les premières secondes, puisque rien que sa façon de se tenir à table pour manger sa soupe souligne la gaucherie d'une héroïne qu'on doit immédiatement identifier comme le vilain petit canard de la maisonnée, mais sans que Davies ait besoin de faire quoi que ce soit d'apparent pour se glisser dans la peau du personnage: bien sûr, c'est une composition, mais son maintien et ses manières sont tellement bien en phase avec le type de comédie recherchée que l'illusion est totale. En outre, l'actrice ne s'arrête pas là puisque malgré la situation peu enviable de Patricia, constamment humiliée par sa mère et sa sœur, elle ne fait jamais l'erreur de forcer dans l'excès et d'accentuer la maladresse de l'héroïne pour qu'on la plaigne. C'est même tout le contraire! Davies la dote précisément d'une forte dose d'esprit et de fantaisie qui nous attache à elle dès l'ouverture, et c'est justement cette fraîcheur et cette légèreté qui permettent au comique de fonctionner à plein régime. Ça n'empêche évidemment pas l'émotion de poindre malgré tout, et force est de reconnaître que l'actrice est également hors de tout reproche dans ce registre, son rapport à son partenaire masculin restant toujours un peu drôle quoique touchant, preuve d'un subtil équilibre savamment construit. Cependant, le véritable clou du spectacle, et peut-être le plus grand morceau de bravoure de la carrière de Marion Davies, c'est bien entendu cette série d'imitations irrésistiblement hilarante, à mesure qu'elle se met à parodier sans aucune retenue mais de façon constamment crédible Mae Murray, bouche en cœur et dents en avant à l'appui; Lillian Gish, qui prend très cher au passage avec son air de jeune fille fragile effrayée, et Pola Negri, sortie tout droit d'un film d'aventures! Non seulement c'est à se rouler par terre tellement c'est drôle, mais c'est en outre tellement réaliste qu'on se demande parfois si les modèles ne sont pas venus le temps d'un caméo dans le film! Bref: Marion Davies, actrice comique de talent et de génie? C'est oui!


1. Lillian Gish dans
The Wind

Si je n'ai pas forcément été saisi outre mesure par certaines des interprétations précédentes de la légendaire Lillian Gish, la faute à des personnages un peu trop enfantins, ou tout du moins trop purs, dans des films à présent très datés, Le Vent m'a immédiatement fait réaliser à quel point le talent de l'actrice était grand, d'autant que cette superbe production de Victor Sjöström reste le meilleur écrin imaginable pour voir celui-ci s'épanouir. Pour commencer, ce qui frappe dans cette interprétation, c'est que Lillian Gish n'incarne pas une victime obligée de se dessiner un sourire avec les doigts pour affronter le destin: elle agit ici par elle-même et fait constamment preuve de volonté, comme en témoigne sa grande confrontation avec sa cousine peu avenante, qu'elle sait dominer d'un simple regard. Cependant, malgré sa force, Letty n'en reste pas moins toujours un peu apeurée, ici par un vent métaphorique qui la conduira à devenir pleinement adulte, mais cette peur n'est jamais surjouée: certes, c'est très expressif puisque nous sommes dans un film muet où le destin de l'héroïne se lit principalement dans ses yeux, mais tout vient en fait de l'intérieur, sans que jamais l'actrice ait besoin de faire le moindre effort physique pour marquer son ressenti. L'évolution de ce personnage complexe est ainsi fort bien rendue par une série d'expressions très maîtrisées, parmi lesquelles on retiendra son inquiétude grandissante lors du voyage de départ vers des contrées hostiles et inconnues, ou encore sa gêne de jeune fille bien élevée devant les manières un peu rustres d'un Lars Hanson qu'elle ne veut pourtant pas blesser. Son alchimie avec son partenaire est d'ailleurs excellente, et leurs rapports très bien écrits sont d'autant plus magnifiés par les interprètes, en particulier Lillian Gish, qui sait totalement s'affirmer quand quelque chose lui déplaît, bien que le village entier la considère comme une petite chose fragile à protéger. Toutefois, ce sont vraiment les séquences finales qui rendent cette interprétation exceptionnelle, puisque à mesure que les rafales de vent s'amplifient lors de la visite d'un importun qui n'inspire à l'héroïne que dégoût, l'actrice fait le choix très pertinent d'intensifier ses sentiments à travers son regard, là encore sans aucun ornement inapproprié, afin de mieux toucher par des émotions qui viennent entièrement de l'âme. Le plan où elle se retrouve cheveux au vent et revolver en mains, tout en suggérant de la force malgré ses yeux emplis d'effroi reste l'une de ses plus grandes réussites et font absolument comprendre pourquoi la comédienne reste l'une des plus respectées de son temps.


Lillian Gish, félicitée par des bouquets de fleurs après sa victoire.


En résumé, on reste une fois encore sur une sélection hollywoodienne, mais je ne me verrais vraiment pas nommer Falconetti bien qu'elle soit certainement la plus populaire de nos jours. En fait, mon principal problème vient de Joan Crawford: j'ai adoré la découvrir et en écrivant, je réalise à quel point je l'aime dans ce rôle, de telle sorte que je me demande vraiment pourquoi je ne la laisse pas entrer dans le top 5. A vrai dire, son approche de la déception sentimentale est encore plus fraîche que celle de Garbo dans un mélodrame un peu trop daté, et le jeu moderne de l'actrice a finalement bien mieux vieilli que l'expressivité un peu trop prononcée de Gloria Swanson. Dès lors, pourquoi résister? A priori, j'en étais arrivé à ces réflexions en me disant que Crawford étant déjà nommée sept fois en trente ans dans ma liste, il me semblait plus judicieux de laisser la place à Swanson dans un très beau rôle de composition qui m'a sincèrement autant conquis la deuxième fois, sachant que j'ai finalement du mal à nommer cette dernière beaucoup et, Sadie Thompson restant le film où je la préfère, ça m'ennuie vraiment de la laisser pour compte. Mais Crawford me plaît mieux je crois... Après, ne l'ayant vue qu'une fois, je tiens à attendre quelques mois pour avoir un peu plus de recul avant un deuxième essai, mais si celui-là est aussi concluant que le premier, attendez-vous à la voir remonter dans le classement, quitte à se hisser jusque dans le top 3. Bref, pour le moment on dit Boardman, Gish et Davies pour sûr, tandis que les deux dernières places se jouent entre Garbo, Crawford et Swanson, mais impossible de me décider! Sincèrement, une année où Betty Compson n'a aucune chance de prétendre au top pour son meilleur rôle a tout d'une année exceptionnelle, ce qui est bon signe, mais rend le choix plus cornélien à bien des égards. Seule la victoire de Lillian Gish coule de source, étant donné qu'il s'agit de son sommet, que je réussirai à récompenser Swanson, Crawford et Garbo d'autres années, que j'espère sincèrement pouvoir faire quelque chose pour Marion Davies quand j'aurai découvert ses autres rôles muets, et qu'étant un peu moins fan d'Eleanor Boardman, ça ne me dérange pas trop de l'avoir simplement comme "nommée", quoiqu'elle ait encore une chance en 1923, sans que j'y croie vraiment cependant. Bref, 1928 me ravit au plus haut point, et l'important est de voir les films en question.

Pour les autres performances de l'année dignes d'intérêt, je pense à: Renée Adorée dans The Cossacks, qui est réduite au cliché sexiste de la ménagère furieuse qui attend qu'un homme viril vienne la calmer, mais qui a tellement de personnalité qu'elle ne passe nullement inaperçue; Bebe Daniels dans Feel My Pulse, où elle est une fois encore dynamique bien que le film laisse fortement à désirer; Greta Garbo dans The Mysterious Lady, qui m'a un peu déçu cette fois-ci, étant donné qu'elle ne prend pas de risques et que sa séduction est bien trop forcée au départ, malgré de bonnes séquences angoissantes d'inquiétude dans la partie polonaise; Janet Gaynor dans Street Angel, qui réagit enfin devant le coup du sort, sans se contenter de faire la bouche en cœur en attendant qu'on la plaigne (hourra!); et Fay Wray dans The Wedding March, pour son alchimie relativement piquante avec Erich von Stroheim dans une première partie toute de désirs et de séduction. Autrement, certaines sources disent que la version muette de Godless Girl est sortie en 1928, mais comme tous les autres sites référencent les deux versions comme datant de 1929, j'ai toujours considéré Lina Basquette comme éligible à ce moment-là, d'où mon silence à son sujet dans cet article. Enfin, pour la précision, Evelyn Brent est supporting dans The Last Command, contrairement à ce que j'avais pensé la première fois.

Pour rappel, mes sélections oscariennes incluant l'année 1928 ont été mises à jour. Et une fois n'est pas coutume, la scission de l'année en deux saisons, 1927/1928 et 1928/1929, m'arrange absolument, puisque ça me permet de sélectionner mes sept finalistes de l'année pour les deux premières cérémonies!

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