lundi 24 avril 2017

Isabelle Huppert aux portes du Paradis?


Comme je garde mon chat cette semaine, nous en avons profité pour regarder hier soir le film maudit de Michael Cimino, le pourtant bien nommé Heaven's Gate, sorti en 1980 mais n'étant resté qu'une unique semaine à l'affiche des salles américaines, après avoir ruiné son studio.

Je n'ai pas le temps de détailler mon ressenti, qu'on pourra résumer en ces grandes lignes: c'est à la fois très bien travaillé, mais également très lent, à tel point que les ferments d'ennui qui existaient déjà dans The Deer Hunter (le mariage de trois quarts d'heure, la bande de potes urinant pendant dix minutes au bord d'une route dans un même plan-séquence), semblent s'être développés d'autant plus dans les deux années qui ont suivi. On a ainsi droit à une interminable introduction à Harvard, puis à de nombreux plans où il ne se passe pas grand chose: le rythme n'est pas très bien dosé, car Michael Cimino s'attarde trop à nous montrer des images bucoliques pour dériver sur une violence crue destinée à choquer. Or, tous ces (très jolis) plans du Wyoming contribuent un peu à estomper la portée du message social, alors qu'avoir coupé les scènes au bon moment aurait permis de parfaitement bien développer les deux axes principaux: le triangle amoureux et les rapports de force entre riches propriétaires et pauvres émigrants, sur fond de critique de l'imagerie américaine d'un pays a priori accueillant. 

Autrement, je ne supporte vraiment plus la violence au cinéma, même si celle-ci est indissociable de cette histoire précise, si bien que voir des gens fusillés de toutes parts, ou des animaux réellement maltraités (dont un ignoble combat de coqs qui n'apporte rien à l'affaire) m'irrite au plus haut point, sans compter que le combat final est lui-même très lent malgré les flots d'action qui interviennent enfin. Malgré ces réserves, tout est très bien travaillé sur la forme: la photographie de Vilmos Zsigmond et la musique de David Mansfield s'intègrent parfaitement au récit, malgré ce que les Razzies tenteraient de vous faire croire, tandis que le scénario reste passionnant sur le papier, entre portée politique et soin accordé aux détails, comme en témoignent les murs tapissés de journaux chez Christopher Walken, qui brûleront tristement quelques séquences plus tard. A la fin, j'ai mis 5/10 dans mon classement: beaucoup de bonnes choses de part et d'autres, mais un rythme général franchement pesant qui nous égare à de trop nombreuses reprises. Je préfère de loin McCabe et Mrs. Miller dans un registre d'images similaire.

Mais cela ne répond pas à la question qui me taraude depuis hier: suis le seul à trouver Isabelle Huppert brillante devant cette Porte du Paradis, du nom de la salle de bal où les couples dansent magnifiquement sur des patins à roulettes? En effet, je trouve l'actrice exceptionnelle de son apparition à son chant du cygne, grâce à un personnage d'une vivacité réjouissante qui parvient constamment à contenir la pesanteur du rythme général. Je me suis ainsi surpris à guetter chacune de ses apparitions, et je trouve d'ailleurs que les reproches qu'on lui fait sur la toile pour ce rôle sont franchement injustes. Pas assez belle pour incarner une tenancière de maison close? Au contraire, ses cheveux détachés lui confèrent une aspect terrien qui la rend sublime tout en soulignant le caractère exalté du personnage (on peut même la trouver nettement plus jolie que la Constance Miller de Julie Christie, divine mais peu mise en valeur par sa coiffure). Pas assez vive pour donner envie de suivre les aventures d'un trio amoureux qui n'intéresse personne? Exagération totale: elle est constamment dynamique et rend chacune des séquences où elle est impliquée captivante. En fait, le seul reproche qu'on pourrait lui faire est de ne pas réussir, du tout, à dissimuler son fort accent français, mais à sa manière dont elle dit "Entre" à son amant, on peut sincèrement se demander si Ella Watson n'est pas une émigrante européenne qui évoluerait au Far West sous un nom anglicisé, ce qui se marierait fort bien au propos. Quoi qu'il en soit, Huppert offre tout ce qu'il est possible de tirer d'une performance: de la gaieté dès sa première apparition, une absence de pudeur jamais vulgaire, de la tristesse sincère quand vient le temps des adieux, beaucoup de doute, parfois un peu de colère, et toujours beaucoup de force: n'oublions pas que c'est Ella qui tient les rênes de la calèche, ou qui parvient à se sauver d'une embuscade à bride abattue. Bref, l'interprétation est fabuleuse, au point que ce rôle devient ma performance favorite chez les actrices de 1980. Mais d'après tout ce que je lis, j'ai l'impression d'être le seul à m'enthousiasmer autant pour cette composition, ce qui m'étonne. Peut-être le rôle de la pute au grand cœur est-il un peu galvaudé, mais tout de même, l'actrice réussit chaque émotion avec une force de conviction impressionnante.


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