Il n'y eut pas de candidates officielles pour cette série, le seul nom de Mary Pickford ayant suffit à mettre un terme à un suspense pas particulièrement insoutenable, encore que Ruth Chatterton était paraît-il tenue en assez haute estime à l'époque pour constituer une concurrente sérieuse en face. Ceci dit, comment lutter contre la fondatrice même des Academy Awards, a fortiori lorsque celle-ci s'est lancée dans une véritable campagne auprès de tous les électeurs possibles? Voici en tout cas ce que les bulletins de vote ont laissé apparaître chez ces derniers:
* Ruth Chatterton - Madame X
* Betty Compson - The Barker (pas vu)
* Jeanne Eagels - The Letter (nomination posthume)
* Corinne Griffith - The Divine Lady (film muet sonorisé)
* Bessie Love - The Broadway Melody
* Mary Pickford - Coquette
Je précise d'emblée que je ne pourrais pas parler de Betty Compson dans The Barker, le film n'existant que dans une seule copie jalousement conservée en Californie, en espérant que quelqu'un ait la bonne idée un jour de programmer une diffusion sur TCM. Pour les autres, on notera que la sonorisation musicale lors des passages chantés de la Divine Lady permirent à Corinne Griffth de finir parmi les finalistes de l'année, malgré l'interdiction de nommer des films muets afin de promouvoir l'arrivée du parlant (et peut-être couper l'herbe sous le pied de menaces non négligeables pour Pickford?). Autrement, peut-être que la mort prématurée de Jeanne Eagels lui valut quelques voix de sympathie, tandis que l'engouement pour The Broadway Melody, sacré meilleur film de la saison, donna possiblement plus de visibilité à la performance de Bessie Love. Néanmoins, personne n'était en mesure de battre Pickford cette année-là, de loin la plus célèbre et la plus haut placée parmi ces candidates. Méritait-elle sa nomination pour autant?
Je précise d'emblée que je ne pourrais pas parler de Betty Compson dans The Barker, le film n'existant que dans une seule copie jalousement conservée en Californie, en espérant que quelqu'un ait la bonne idée un jour de programmer une diffusion sur TCM. Pour les autres, on notera que la sonorisation musicale lors des passages chantés de la Divine Lady permirent à Corinne Griffth de finir parmi les finalistes de l'année, malgré l'interdiction de nommer des films muets afin de promouvoir l'arrivée du parlant (et peut-être couper l'herbe sous le pied de menaces non négligeables pour Pickford?). Autrement, peut-être que la mort prématurée de Jeanne Eagels lui valut quelques voix de sympathie, tandis que l'engouement pour The Broadway Melody, sacré meilleur film de la saison, donna possiblement plus de visibilité à la performance de Bessie Love. Néanmoins, personne n'était en mesure de battre Pickford cette année-là, de loin la plus célèbre et la plus haut placée parmi ces candidates. Méritait-elle sa nomination pour autant?
Je retire:
Ruth Chatterton dans Madame X: J'admets n'avoir vu le film qu'une seule et unique fois, et n'en avoir par conséquent aucun souvenir détaillé, et tout ce qui m'aura finalement marqué, c'est que l'histoire et la mise en scène étaient beaucoup trop assommantes pour donner envie de s'y intéresser plus avant. Hélas, pour couronner le tout, il en allait de même pour la performance de Ruth Chatterton, laquelle m'avait paru franchement datée au point d'échouer totalement à me faire ressentir la moindre émotion devant ce personnage pathétique, qui aurait sans doute gagné à ne pas forcer autant dans le pathos. Il me faudra tout de même revoir le film car j'aime toujours redonner une chance aux interprétations que je n'aime pas de prime abord, mais il est vrai que les débuts du parlant ne m'ont jamais permis de m'attacher à Ruth Chatterton en tant qu'actrice, à la différence de sa grande performance dans Dodsworth, quelques années plus tard.
Mary Pickford dans Coquette: Diantre, la transition au parlant est plus que douloureuse! Visiblement peu à l'aise dans un film qui enchaîne les situations ridicules, à commencer par son entrée en scène absolument grotesque, où elle virevolte telle un moucheron, et qui reste finalement moins une histoire construite qu'un prétexte assez creux pour permettre à l'actrice de quitter définitivement l'ère du muet, cheveux courts de flapper à l'appui, Pickford rate chacune de ses scènes de façon monumentale : elle piaille, elle couine, n'est pas plus crédible en séductrice qu'en amante éplorée, et surjoue en permanence. On peut donc légitimement parler de ratage, mais! Reconnaissons tout de même à sa décharge que lorsqu'on est la plus grande superstar du muet et qu'on doive se lancer tête la première dans le parlant, la pression est telle et l'exercice si périlleux que ça n'est pas facile du tout de donner le ton. On sera alors assez indulgent envers une grande actrice qui nous a tant ravi jadis, et on lui reconnaîtra au moins le mérite d'avoir essayé. Peut-être aurait-elle pu faire mieux avec un meilleur projet à la base.
Bessie Love dans The Broadway Melody: Si le film ne méritait clairement d'être couronné comme l'œuvre de l'année cette saison-là, pour n'être qu'un prétexte visant à éblouir le spectateur avec du son et de la musique sans pour autant raconter quelque chose de captivant, j'admettrai tout de même que Bessie Love en est le meilleur élément, grâce à son dynamisme réussissant à voler la vedette à tous ses partenaires, et à son personnage finalement touchant et sympathique. Cependant, je reste assez mitigé quant à son jeu, pourtant pas mal dans le registre de l'humour et de la légèreté, avec quelques grimaces amusante qui obtiennent l'effet recherché, mais dont l'artificialité hérité d'un trop-plein d'expressivité propre au muet a plutôt tendance à desservir les moments dramatiques: voir par exemple ses efforts flagrants qui la conduisent à ne faire rien d'autre que pleurnicher au téléphone, sans parler de sa façon de mimer la colère. Ceci dit, rien que pour la fraîcheur qu'elle apporte à l'histoire grâce à son personnage enjoué, elle reste au minimum très digne d'intérêt.
Corinne Griffith dans The Divine Lady: En se révélant absolument charmante d'un bout à l'autre du film, Corinne Griffith ne s'est pas contentée de séduire tout le casting, puisqu'elle peut se targuer de me compter parmi ses admirateurs, quoique ça tienne davantage à la mise en scène qui la présente chantant Loch Lomond à la harpe, au clair de Lune; scène qui ne pouvait que me ravir quelle soit la personne filmée à ce moment. Mais tout de même, l'actrice fait malgré tout honneur à sa Lady Hamilton, bien que tout le monde l'ait oublié depuis la version fracassante de Vivien Leigh. Car sincèrement, la jeune fille enjouée et pas très bien élevée du début est plutôt amusante, et Corinne Griffith a au moins le mérite de faire déjà preuve d'une certaine distinction qui annonce la métamorphose en une jeune femme bien plus raffinée capable de faire tout le charme de la cour de Naples. On regrettera malgré tout qu'elle ne lui donne pas plus de force au moment où Emma en censée avoir une influence en politique, et je reconnais que l'actrice ne fait plus grand chose passée l'introduction rigolote, à l'exception d'un petit sourire intéressant lorsqu'elle reproche à l'amiral Nelson de n'avoir pas voulu venir à sa rencontre. Par ailleurs, ses regards pas toujours subtils, sont en fait les mêmes que dans son film précédent, The Garden of Eden, si bien que le personnage ne semble pas aussi bien construit qu'on pourrait le croire en phase de découverte, l'actrice présentant finalement les mêmes tics d'une héroïne à l'autre. Ceci dit, elle porte presque tout le poids du film sur ses épaules, et son charme fait parfaitement croire à cette divine lady: il y a tout à fait de quoi être conquis la première fois.
Ma sélection:
Betty Compson dans The Docks of New York: A priori, un film sur les bas-fonds d'un port ne semble pas du tout fait pour moi, mais lorsque Josef von Sternberg est aux commandes, ça devient tout de suite beaucoup plus impressionnant, et ce d'autant plus lorsque la toujours captivante Betty Compson fait partie de la troupe, afin d'apporter à l'héroïne la dose de charisme et de forte présence requise, histoire de sortir du cliché de la demoiselle en détresse qu'on aurait pu attendre, encore qu'un personnage féminin fort ne soit pas une surprise chez le génial réalisateur, comme en avait témoigné Evelyn Brent l'année précédente, et comme le montrera Marlene Dietrich par la suite. Mais tout de même, Betty Compson apporte énormément à un rôle assez fin sur le papier, si bien qu'on se soucie tout à fait du parcours de l'héroïne, bien qu'à la réflexion je préfère malgré tout l'histoire propre à Olga Baclanova. Quoi qu'il en soit, Compson compose un personnage tout aussi passionnant qui s'intègre parfaitement à cet univers sordide à travers ses manières un peu rustre et sa façon quelque peu vulgaire de fumer une cigarette. Mais ce qui rend cette interprétation aussi poignante, c'est que l'actrice sait tout à fait insérer de l'émotion dans ce rôle, de telle sorte que sa mélancolie, cadrant très bien avec cette fille des bas-fonds désabusée sauvée in extremis d'une tentative de suicide, n'est jamais jouée sur l'unique note attendue: par moment, le regard se voile légèrement, et l'on ressent tout le poids du passé du personnage sans que l'actrice ait besoin d'en faire plus, d'où une réussite incontestable. En fait, elle joue admirablement avec ses yeux et dévoile, sans aucun effort apparent, une sensibilité déchirante qui perce sous le masque désenchanté que revêt son visage, réplique idéale aux expressions assez touchantes de George Bancroft dans la chambre à coucher. En quelque sorte, Betty Compson apparaît comme le contrepoint nécessaire à la bestialité de son partenaire sans pour autant verser dans l'excès inverse, à tel point que sa performance apparaît toujours comme très bien dosée et calculée, chose guère étonnante quand on a vu l'actrice auparavant, bien que The Docks of New York reste son sommet parmi ce que j'ai découvert jusqu'à présent.
Joan Crawford dans Our Dancing Daughters: Si Joan Crawford fut toujours dans l'ombre de Norma Shearer et Greta Garbo, puis Greer Garson, qui se partageaient chacune les projets de prestige de la MGM, ça ne l'empêcha nullement, à mon avis, d'être leur égale absolue en matière de jeu, même si les véhicules n'étaient pas toujours dignes de son talent. Mais avec Our Dancing Daughters, la question ne se pose pas: il s'agit de son meilleur film muet et, disons-le sans détour, Crawford y est resplendissante de dynamisme et de spontanéité, sans que jamais aucun tic n'ait fait vieillir sa prestation 90 ans plus tard. En effet, dans le registre de la légèreté qui ouvre le film, elle n'a pas son pareil pour nous ancrer directement dans l'histoire: ses regards désireux sont intenses, son autodérision fait mouche à plus d'une reprise, notamment lorsqu'elle avoue à l'homme qui lui plaît être connue comme "Diana the Dangerous", sa façon de goûter le champagne avec son doigt la rend divine de séduction, sa manière de faire le signe de l'égorgement quand il est question des mères s'inquiétant que leurs filles veillent si tard est hilarante, et à vrai dire, même sa maladresse sert totalement le personnage lorsqu'elle glisse et arrive aux pieds de l'homme désiré en souriant. Les moments de tendresse sont eux aussi joués avec brio, en particulier parce que Crawford suggère de l'émotion dans ses regards, y compris lorsque Diana use sciemment de cette technique pour se faire embrasser à la campagne, et comme il y a toujours de la légèreté derrière l'émotion, on ne peut qu'admirer ce que l'actrice fait du personnage. Enfin, la partie plus dramatique liée aux machinations d'Anita Page achève de rendre cette performance absolument magnifique, et l'extrême justesse de Crawford lorsqu'elle doit jouer le choc avant de faire naître des larmes discrètes au coin des yeux reste à louer mille fois, avant que sa dignité teintée de défi ne vienne conclure cette trajectoire passionnante. On notera encore que l'actrice crée une très bonne alchimie avec ses partenaires, notamment Dorothy Sebastian, et finalement, seule sa façon de danser, plus frénétique que gracieuse, sonne quelque peu étrange, encore que ça colle assez bien à l'idée qu'on a d'une flapper. Quoi qu'il en soit, c'est constamment juste, souvent subtil et dans tous les cas très réussi: la nomination est entièrement méritée.
Joan Crawford dans Our Dancing Daughters: Si Joan Crawford fut toujours dans l'ombre de Norma Shearer et Greta Garbo, puis Greer Garson, qui se partageaient chacune les projets de prestige de la MGM, ça ne l'empêcha nullement, à mon avis, d'être leur égale absolue en matière de jeu, même si les véhicules n'étaient pas toujours dignes de son talent. Mais avec Our Dancing Daughters, la question ne se pose pas: il s'agit de son meilleur film muet et, disons-le sans détour, Crawford y est resplendissante de dynamisme et de spontanéité, sans que jamais aucun tic n'ait fait vieillir sa prestation 90 ans plus tard. En effet, dans le registre de la légèreté qui ouvre le film, elle n'a pas son pareil pour nous ancrer directement dans l'histoire: ses regards désireux sont intenses, son autodérision fait mouche à plus d'une reprise, notamment lorsqu'elle avoue à l'homme qui lui plaît être connue comme "Diana the Dangerous", sa façon de goûter le champagne avec son doigt la rend divine de séduction, sa manière de faire le signe de l'égorgement quand il est question des mères s'inquiétant que leurs filles veillent si tard est hilarante, et à vrai dire, même sa maladresse sert totalement le personnage lorsqu'elle glisse et arrive aux pieds de l'homme désiré en souriant. Les moments de tendresse sont eux aussi joués avec brio, en particulier parce que Crawford suggère de l'émotion dans ses regards, y compris lorsque Diana use sciemment de cette technique pour se faire embrasser à la campagne, et comme il y a toujours de la légèreté derrière l'émotion, on ne peut qu'admirer ce que l'actrice fait du personnage. Enfin, la partie plus dramatique liée aux machinations d'Anita Page achève de rendre cette performance absolument magnifique, et l'extrême justesse de Crawford lorsqu'elle doit jouer le choc avant de faire naître des larmes discrètes au coin des yeux reste à louer mille fois, avant que sa dignité teintée de défi ne vienne conclure cette trajectoire passionnante. On notera encore que l'actrice crée une très bonne alchimie avec ses partenaires, notamment Dorothy Sebastian, et finalement, seule sa façon de danser, plus frénétique que gracieuse, sonne quelque peu étrange, encore que ça colle assez bien à l'idée qu'on a d'une flapper. Quoi qu'il en soit, c'est constamment juste, souvent subtil et dans tous les cas très réussi: la nomination est entièrement méritée.
Jeanne Eagels dans The Letter: J'avoue avoir bloqué deux minutes sur son timbre rocailleux et son jeu théâtral, avant de réaliser qu'il s'agit en fait d'une très bonne façon de révéler toute la puissance de ses sentiments contrariés sans aucune délicatesse par son amant. Puis le film a enchaîné avec la scène du procès, achevant par-là même de me faire devenir un fervent adepte de cette performance, tant l'actrice se révèle convaincante dans sa façon de mentir à ses juges sous le couvert d'une image respectable. Et si le soufflé retombe quelque peu lors de la confrontation avec l'épouse, une fin complètement intense, qu'un sur-jeu délirant sert à ravir, laisse finalement une très bonne impression.
Greta Garbo dans A Woman of Affairs: J'ai toujours considéré A Woman of Affairs comme le meilleur film muet de la Divine, et la revisite n'a fait que confirmer l'impression initiale, malgré une déception minime au niveau de l'histoire qui, en dépit d'une galerie de personnages plutôt bien écrits, n'en reste pas moins un bon gros mélodrame typique de ces années-là, la légèreté de la première partie n'étant pas aussi bien développée que dans mon souvenir. Ceci dit, ce n'est nullement un empêchement à la réussite interprétative, et je persiste à croire que Garbo n'a jamais été aussi bonne dans un rôle muet, encore que Torrent ou Gösta Berling... Quoi qu'il en soit, dès le début, son caractère insouciant et spontané, gentiment taquin, colle exactement à l'image d'une riche héritière des Années Folles qui n'a d'autres soucis en tête qu'une histoire de cœur, et son célèbre clin d’œil à son frère souligne bien l'humour dont la Divine était capable malgré sa réputation un peu froide. Elle nous permet ainsi de nous attacher directement à Diana, et son portrait cohérent d'une jeune femme un peu frivole impose d'emblée un personnage parfaitement crédible, crédibilité qui ne lui fait par la suite jamais défaut. En effet, à mesure que l'héroïne plonge dans les affres de la douleur amoureuse, de la déception, et des conséquences d'un sacrifice pour sauver une personne qu'elle estime très fort, Garbo ne manque jamais de faire ressortir toute la complexité de ces émotions mêlées, à l'image de ses sourires teintés d'amertume mais aussi d'espoir, de quoi aérer une histoire un peu trop chargée par moment, sans que jamais l'actrice ne nous demande de plaindre son personnage, sur qui le sort s'acharne injustement. En fait, seule la séquence à l'hôpital n'est pas loin de franchir la ligne de la lourdeur, Garbo abandonnant à ce moment-là sa modernité pour mieux se réfugier dans une théâtralité trop manifeste qui la conduit à surjouer l'abattement physique, à grand renfort de mains dans les cheveux. Mais autrement, la reste de la performance fonctionne sans jamais verser dans une quelconque ancienneté, et même cette scène à l'hospice n'est pas mal jouée en face. On appréciera encore l'alchimie de l'actrice avec John Gilbert, auquel il lui suffit d'adresser un sourire pour ranimer la flamme du mythique Flesh and the Devil tout en restant sur des rapports bien plus humains. Et puis Garbo ne s'efface absolument pas devant Hobart Bosworth et Dorothy Sebastian, bien que ces personnages aient le pouvoir de la dominer, sachant que sa complicité sincère avec la seconde, et sa froideur apparente sous laquelle on sent poindre des blessures loin d'être cicatrisées avec le premier, sont des choix de jeu plus que dignes d'éloge.
Lillian Gish dans The Wind: Si je n'ai pas forcément été saisi outre mesure par certaines des interprétations précédentes de la légendaire Lillian Gish, la faute à des personnages un peu trop enfantins, ou tout du moins trop purs, dans des films à présent très datés, Le Vent m'a immédiatement fait réaliser à quel point le talent de l'actrice était grand, d'autant que cette superbe production de Victor Sjöström reste le meilleur écrin imaginable pour voir celui-ci s'épanouir. Pour commencer, ce qui frappe dans cette interprétation, c'est que Lillian Gish n'incarne pas une victime obligée de se dessiner un sourire avec les doigts pour affronter le destin: elle agit ici par elle-même et fait constamment preuve de volonté, comme en témoigne sa grande confrontation avec sa cousine peu avenante, qu'elle sait dominer d'un simple regard. Cependant, malgré sa force, Letty n'en reste pas moins toujours un peu apeurée, ici par un vent métaphorique qui la conduira à devenir pleinement adulte, mais cette peur n'est jamais surjouée: certes, c'est très expressif puisque nous sommes dans un film muet où le destin de l'héroïne se lit principalement dans ses yeux, mais tout vient en fait de l'intérieur, sans que jamais l'actrice ait besoin de faire le moindre effort physique pour marquer son ressenti. L'évolution de ce personnage complexe est ainsi fort bien rendue par une série d'expressions très maîtrisées, parmi lesquelles on retiendra son inquiétude grandissante lors du voyage de départ vers des contrées hostiles et inconnues, ou encore sa gêne de jeune fille bien élevée devant les manières un peu rustres d'un Lars Hanson qu'elle ne veut pourtant pas blesser. Son alchimie avec son partenaire est d'ailleurs excellente, et leurs rapports très bien écrits sont d'autant plus magnifiés par les interprètes, en particulier Lillian Gish, qui sait totalement s'affirmer quand quelque chose lui déplaît, bien que le village entier la considère comme une petite chose fragile à protéger. Toutefois, ce sont vraiment les séquences finales qui rendent cette interprétation exceptionnelle, puisque à mesure que les rafales de vent s'amplifient lors de la visite d'un importun qui n'inspire à l'héroïne que dégoût, l'actrice fait le choix très pertinent d'intensifier ses sentiments à travers son regard, là encore sans aucun ornement inapproprié, afin de mieux toucher par des émotions qui viennent entièrement de l'âme. Le plan où elle se retrouve cheveux au vent et revolver en mains, tout en suggérant de la force malgré ses yeux emplis d'effroi reste l'une de ses plus grandes réussites et font absolument comprendre pourquoi la comédienne reste l'une des plus respectées de son temps.
Si l'on s'arrête cinq minutes pour analyser ma sélection, on voit que contrairement à celle de l'Académie, ce sont presque exclusivement des films muets qui sont à l'honneur, à l'exception notoire de La Lettre. Certes, mais avouons que j'ai franchement du mal à être séduit par ces premiers parlants, aussi bien pour les performances d'actrices que pour la qualité des films, et il serait extrêmement dommage de laisser de côté de très bons films muets sous prétexte de l'avènement d'une nouvelle technique. J'assume donc pleinement mes choix et passe sans plus tarder à la révélation que vous attendez tous... Ladies & Gentlemen, the winner is...
Lillian Gish - The Wind
Pendant très longtemps, c'est la Divine qui avait l'avantage, puisqu'elle oscille à merveille entre humour et tragique dans A Woman of Affairs, dévoilant par-là même les différentes facettes d'un personnage dépressif très bien développé, sans compter qu'elle s'est également montrée excellente en 1928 en femme fatale prise au piège de ses sentiments dans The Mysterious Lady. Cependant, avec le recul, j'estime que ces deux très bons rôles muets ne sont toutefois pas les plus grandioses de sa brillante carrière, et à ce titre, je me vois mieux la récompenser pour l'un de ses indépassables personnages parlants. D'autant qu'à force d'être dépressive dans A Woman of Affairs, elle me divertit finalement moins que par le passé. A l'inverse, la performance de Lillian Gish est de celles qui m'impressionnent de plus en plus à chaque visite, au point que je n'ai absolument plus honte d'assumer de faire comme tout le monde et de lui donner l'Oscar pour le plus grand rôle muet de sa filmographie. L'évolution du personnage telle qu'elle la dessine est d'ailleurs tellement bien rendue que je suis à présent un fan inconditionnel de Letty, et jamais Lillian n'aura été plus intense et charismatique qu'ici. Si l'on ajoute enfin que The Wind est un chef-d'oeuvre absolu, d'un cran bien au-dessus des pourtant excellents films de Garbo, alors je n'ai plus aucun scrupule à voter pour elle, aussi puis-je clamer haut et fort que la meilleure actrice américaine de 1928, c'est bel et bien Lillian Gish. Sur ce, la Divine prend la seconde place de mon classement, suivie par Joan Crawford dans son premier rôle éblouissant, puis par Betty Compson pour son personnage touchant, avant de laisser la volcanique Jeanne Eagels fermer la marche pour le seul rôle parlant de la sélection. Mais il est vrai que les débuts du parlants sont loin d'être ma période cinématographique préférée, tandis que les derniers feux du muet ont conclu la décennie en apothéose. A ce titre, ma liste ne sera guère étonnante.
Et en ce qui concerne les autres concurrentes légitimes, laissons venir Sylvia Fowler afin de classer les performances...
dignes d'un Oscar: Joan Crawford (Our Dancing Daughters), Greta Garbo (A Woman of Affairs) (The Mysterious Lady), Lillian Gish (The Wind)
dignes d'une nomination: Betty Compson (The Docks of New York), Jeanne Eagels (The Letter),
séduisantes: Lina Basquette (The Godless Girl): pour son dynamisme rafraîchissant. Corinne Griffith (The Divine Lady): voir ci-dessus. Notons au passage que l'actrice est égale à elle-même mais toujours charmante dans The Garden of Eden la même saison. Bessie Love (The Broadway Melody): voir ci-dessus. Gloria Swanson (Queen Kelly): because she's lost... her temper. Fay Wray (The Wedding March): parce qu'elle y est fort sympathique et qu'elle sait bien comment percer à l'écran.
sans saveur: Mary Astor (Romance of the Underworld), Jobyna Ralston (The Power of the Press): deux rôles qui me sont sortis de la tête aussi vite qu'ils y étaient entrés. Louise Brooks (Beggars of Life): désolé, je préfère vraiment la Louise Brooks de Pabst. Greta Garbo (Wild Orchids) (The Single Standard): entre moiteur et redondance, deux performances mineures au sein d'une carrière exemplaire. Pola Negri (The Way of Lost Souls): un dernier film muet étonnamment terne dont pâtit la grande Pola.
atroces: Ruth Chatterton (Madame X): à revoir, donc, impossible de m'y faire en attendant. Mary Pickford (Coquette): ''pia pia pia he kiiiiilled hiiiim pia pia pia!'' Norma Shearer (The Trial of Mary Dugan): ''snif snif snif Jimmyyyyy snif snif snif!'' Alors, à leur décharge, reconnaissons qu'il n'était pas évident de se jeter dans le bain du parlant à cette époque, mais ça n'empêche pas le résultat d'être malheureusement apocalyptique.
à découvrir: Evelyn Brent (Broadway), Betty Compson (The Barker), Camilla Horn (Eternal Love), Carole Lombard (High Voltage), Colleen Moore (Why Be Good?), Mary Nolan (Desert Nights), Fay Wray (The Four Feathers)
grandes performances en langue étrangère: Ita Rina (Erotikon): parce qu'elle a beaucoup de présence à l'écran dans un film d'une modernité tout à fait séduisante. Renée Falconetti (La Passion de Jeanne d'Arc): une performance impressionnante de prime abord mais dont je ne suis plus du tout friand après coup, la faute à ce regard vitreux trop prononcé et à des éclairs de provocation pas toujours adéquats. En outre, j'ai surtout l'impression qu'il s'agit avant tout d'une performance "réactive", plus qu'une construction totalement sentie et réfléchie. L'actrice souligne alors très bien la douleur, mais c'est plus le film, iconique, qui tire son interprétation vers le haut que l'inverse.
dignes d'un Oscar: Joan Crawford (Our Dancing Daughters), Greta Garbo (A Woman of Affairs) (The Mysterious Lady), Lillian Gish (The Wind)
dignes d'une nomination: Betty Compson (The Docks of New York), Jeanne Eagels (The Letter),
séduisantes: Lina Basquette (The Godless Girl): pour son dynamisme rafraîchissant. Corinne Griffith (The Divine Lady): voir ci-dessus. Notons au passage que l'actrice est égale à elle-même mais toujours charmante dans The Garden of Eden la même saison. Bessie Love (The Broadway Melody): voir ci-dessus. Gloria Swanson (Queen Kelly): because she's lost... her temper. Fay Wray (The Wedding March): parce qu'elle y est fort sympathique et qu'elle sait bien comment percer à l'écran.
sans saveur: Mary Astor (Romance of the Underworld), Jobyna Ralston (The Power of the Press): deux rôles qui me sont sortis de la tête aussi vite qu'ils y étaient entrés. Louise Brooks (Beggars of Life): désolé, je préfère vraiment la Louise Brooks de Pabst. Greta Garbo (Wild Orchids) (The Single Standard): entre moiteur et redondance, deux performances mineures au sein d'une carrière exemplaire. Pola Negri (The Way of Lost Souls): un dernier film muet étonnamment terne dont pâtit la grande Pola.
atroces: Ruth Chatterton (Madame X): à revoir, donc, impossible de m'y faire en attendant. Mary Pickford (Coquette): ''pia pia pia he kiiiiilled hiiiim pia pia pia!'' Norma Shearer (The Trial of Mary Dugan): ''snif snif snif Jimmyyyyy snif snif snif!'' Alors, à leur décharge, reconnaissons qu'il n'était pas évident de se jeter dans le bain du parlant à cette époque, mais ça n'empêche pas le résultat d'être malheureusement apocalyptique.
à découvrir: Evelyn Brent (Broadway), Betty Compson (The Barker), Camilla Horn (Eternal Love), Carole Lombard (High Voltage), Colleen Moore (Why Be Good?), Mary Nolan (Desert Nights), Fay Wray (The Four Feathers)
grandes performances en langue étrangère: Ita Rina (Erotikon): parce qu'elle a beaucoup de présence à l'écran dans un film d'une modernité tout à fait séduisante. Renée Falconetti (La Passion de Jeanne d'Arc): une performance impressionnante de prime abord mais dont je ne suis plus du tout friand après coup, la faute à ce regard vitreux trop prononcé et à des éclairs de provocation pas toujours adéquats. En outre, j'ai surtout l'impression qu'il s'agit avant tout d'une performance "réactive", plus qu'une construction totalement sentie et réfléchie. L'actrice souligne alors très bien la douleur, mais c'est plus le film, iconique, qui tire son interprétation vers le haut que l'inverse.
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