samedi 26 janvier 2013

Oscar de la meilleure actrice 1948

En 1948, les Oscars sélectionnèrent un cru des plus intéressants où aucun faux pas n'est à déplorer:

* Ingrid Bergman - Joan of Arc
* Olivia de Havilland - The Snake Pit
* Irene Dunne - I Remember Mama
* Barbara Stanwyck - Sorry, Wrong Number
* Jane Wyman - Johnny Belinda

Jamais oscarisées, Irene Dunne alors à sa cinquième nomination et Barbara Stanwyck déjà nommée à trois reprises, durent à nouveau s'incliner face à plus jeune qu'elles, en l'occurrence devant Jane Wyman qui n'était nommée quant à elle que pour la seconde fois. Apparemment, le critère de sympathie aurait nettement joué en faveur de Wyman qui à la ville avait perdu un enfant en 1947, et qui à l'écran incarnait une jeune fille pauvre, sourde, muette, violée et... ça fait déjà beaucoup. Lorsqu'elle monta sur scène chercher son prix, elle déclara d'ailleurs non sans humour: "I accept this, very gratefully, for keeping my mouth shut once. I think I'll do it again.", puisqu'elle était ainsi la première interprète du cinéma parlant à être récompensée pour un rôle muet. Quoi qu'il en soit, avec un personnage aussi chargé, elle ne pouvait que séduire un bon nombre d'électeurs, d'où sa victoire. Concernant ses concurrentes, il est bien difficile de savoir comment elles ont pu être classées. Certes, le critère overdue a dû marcher pour Irene Dunne et Barbara Stanwyck, mais il est fort possible qu'Olivia de Havilland leur soit passée devant avec son portrait fort et plutôt révolutionnaire d'internée psychiatrique. Et même si Bergman avait déjà gagné quatre ans plus tôt, elle était encore tellement appréciée à Hollywood qu'elle put vraisemblablement recueillir un nombre de voix assez conséquent. De mon côté, bien que cette sélection ne me pose aucun problème, je vais apporter quelques modifications.

Je retire:

Ingrid Bergman - Joan of Arc: Sans surprise, la Bergman des années 1940 n'ayant jamais été l'une de mes favorites, elle doit à nouveau s'incliner face à d'autres. Pourtant, elle est pas mal dans le fond, en prenant la peine d'ajouter un petit côté volontaire à la sainte qui rend crédible la détermination de la combattante, et ce en restant par ailleurs très calme et très digne histoire de bien coller au mythe. Le problème, c'est que le film traîne tellement en longueur qu'on finit par être très vite saoulé par cette hagiographie à la sauce Fleming, et autant Gone with the Wind reste fascinant parce que regorgeant de personnages complexes et variés, autant Joan of Arc ennuie à force de se focaliser sur une Ingrid Bergman dans un registre pas bien difficile pour elle.


Irene Dunne - I Remember Mama: Comme on parle d'Irene Dunne, c'est forcément bien joué. En effet, l'actrice est parfaitement adéquate pour restituer le côté chaleureux de cette famille d'immigrés, en incarnant une matriarche aimante et maternelle prête à tout pour ne pas voir ses enfants désespérer, et ce en faisant, cerise sur le gâteau, un joli travail sur l'accent norvégien. Sa nomination est donc entièrement méritée. Soit, mais est-ce pour autant l'une des plus grandes créations de sa carrière? Je ne pense pas. Car même si le film se laisse regarder sans déplaisir, il m'est sincèrement impossible de rester passionné deux heures durant par une intrigue aussi banale desservie par des seconds rôles particulièrement lisses. Trina osera-t-elle révéler son mariage à ses soeurs? Le petit chat va-t-il mourir? Irene Dunne sera-t-elle démasquée sous son costume de femme de ménage? Autant d'événements qui à titre personnel ne m'intéressent pas, quand bien même Irene Dunne est là pour raviver le tout.


Jane Wyman - Johnny Belinda: Là encore, c'est une bonne performance dont j'ai toujours gardé un agréable souvenir, mais en la revoyant j'ai tout de même réalisé que ce n'est pas le genre de personnage que je préfère. Je ne nie cependant pas que Jane Wyman est effectivement l'une des sensations de l'année avec cette nomination pour un rôle aussi sombre, pas plus que je ne conteste son talent à pouvoir rendre fascinante cette jeune héroïne via un langage corporel tout en retenue, mais objectivement j'ai du mal à m'intéresser à cette performance plus avant. Peut-être mon goût pour les femmes plus piquantes est-il en cause, peut-être cette impression vient-elle davantage de la qualité du film, à ce jour le Negulesco que j'ai le moins apprécié, mais bien que trouvant Belinda tout à fait attachante et la performance de Wyman particulièrement réussie, je ne peux m'empêcher d'estimer cet acharnement sur le personnage un brin too much pour emporter totalement l'adhésion.


Ma sélection:

Olivia de Havilland - The Snake Pit: En tranchant quelque peu avec les personnages plus habituels incarnés par l'actrice, Virginia Stuart Cunningham reste probablement le rôle le plus fascinant de la carrière d'Olivia. En effet, la réussite est indéniable car l'actrice n'hésite pas à donner tout ce qu'elle a dans le ventre pour rendre saisissant et réaliste ce portrait d'internée psychiatrique, sans jamais craindre de montrer les aspects les plus sombres du personnage lors des crises les plus aiguës, et ce tout en livrant une performance savamment contrôlée. Ainsi, tout repose sur l'équilibre entre les deux mondes dans lesquels évolue Virginia, selon sa propre perception du réel, et l'on appréciera d'autant plus que l'actrice prenne toujours soin de nuancer l'héroïne, sans jamais donner l'impression que celle-ci est complètement folle. En outre, Olivia fait une brillante ouverture sur la dernière partie, avec en point d'orgue le choc ultime que constitue le séjour dans la fosse, et force est de reconnaître que le changement qui s'opère à ce moment-là dans son esprit est fort bien retranscrit, y compris de façon vocale lorsque la caméra filme les lieux en plongée. Une grande réussite, donc.


Barbara Stanwyck - Sorry, Wrong Number: Quatre ans après son rôle mythique dans Double Indemnity, Barbara Stanwyck se retrouve à nouveau dans un film noir, à la différence que celui-ci lui donne encore plus de grain à moudre puisqu'elle doit jouer une hypocondriaque clouée au lit. Or, l'actrice est une fois de plus épatante, en réussissant notamment à porter la moitié du film sur ses épaules alors qu'elle reste cloîtrée dans un environnement particulièrement asphyxiant. Elle sait donc parfaitement tirer toutes les ficelles du personnage pour éveiller constamment l'intérêt, accentuant judicieusement son jeu au fur et à mesure que l'intrigue s'assombrit. De surcroît, elle est fort crédible en mégère franchement antipathique, aspect que l'on retrouve également dans les scènes de flashback, mais le tout est si bien nuancé qu'on ne peut s'empêcher de se passionner pour l'héroïne et de lui souhaiter un bon dénouement, sans qu'à aucun moment Stanwyck cherche à se rendre plus avenante. Et même si ce n'est pas le plus grand rôle de l'actrice, Sorry, Wrong Number n'en reste pas moins l'un de ses nombreux pics, respect.


Jean Arthur - A Foreign Affair: Jean Arthur dans son avant-dernier rôle, voilà qui fait à nouveau des étincelles. En effet, l'actrice se montre une fois de plus très drôle, et ce alors qu'elle bénéficie du personnage le plus difficile, en l'occurrence une déléguée du Congrès bien trop absorbée par le sérieux de son travail pour avoir jamais pensé à se divertir ou à se mettre en valeur. Bien entendu, elle devient en tout point hilarante dès que les masques tombent et qu'elle se trouve prise au piège d'une passion aussi subite qu'inattendue, mais de fait, l'actrice n'attend pas cet exquis retournement de situation pour faire preuve de beaucoup d'humour, comme en témoignent ces regards outrés par ses découvertes des moeurs berlinoises, ou sa tentative désespérée de passer pour une Allemande afin de n'être pas démasquée. Mais évidemment, rien ne bat l'ensemble des scènes suivant son épanouissement progressif, depuis ces expressions de jeune fille énamourée à ce grand moment d'anthologie qui la voit chanter et danser, ivre, au beau milieu d'un bar. Et si l'on ajoute que les désillusions de Phoebe Frost finissent de la rendre éminemment sympathique, inutile de dire que Jean Arthur s'impose définitivement comme le meilleur membre du casting.


Joan Fontaine - Letter from an Unknown Woman: Avec Tessa Sanger dans The Constant Nymph, Lisa Berndle est sans conteste le plus beau rôle de Joan Fontaine, peut-être son meilleur si l'on prend en compte la qualité supérieure du chef-d'oeuvre d'Ophüls. Il faut dire que ce film lui permet de réaliser un exploit plus grand encore qu'en 1943, puisqu'elle doit convaincre que malgré ses 30 ans elle est bien une adolescente au début de l'histoire, avant d'avoir à jouer une femme plus mature mère d'un enfant. Or, Fontaine est tout simplement formidable à chaque période de la vie de l'héroïne : on croit autant à la jeune fille qu'à la grande dame mariée, et ce d'autant plus que l'actrice reste extrêmement fidèle à l'esprit du personnage tout au long du film, trouvant le juste équilibre entre un tempérament volontaire mais aussi très réservé. Mais ce qui fait de ce rôle une très grande réussite, c'est avant tout le talent de Fontaine à toucher le spectateur au plus profond de son âme, en composant une héroïne touchée par la grâce si émouvante qu'on ne peut être que submergé.


Ida Lupino - Road House: Si l'on veut voir du Negulesco en 1948, on a le choix : soit de se prendre de sympathie pour une Jane Wyman muette dans une intrigue sombre à souhait, soit d'être davantage séduit par une Ida Lupino chanteuse dans une histoire plus convenue de triangle amoureux. C'est finalement la seconde qui l'emporte pour moi, car l'actrice ne se laisse justement jamais enfermer dans le schéma a priori trop simpliste de la "jeune femme désabusée qui fait chavirer le coeur des deux héros", cherchant au contraire à rendre le personnage toujours plus complexe au fil de l'intrigue. Malgré tout, ce n'est pas l'interprète qui m'a le plus touché dans le casting, la faute à une Celeste Holm en très grande forme, mais force est de reconnaître que la performance d'Ida Lupino reste très réussie, avec notamment cette propension à laisser se dévoiler les émotions de l'héroïne d'une manière très contrôlée afin de bien en restituer l'état d'esprit. Autre atout, Ida n'est pas doublée lors des scènes chantées, de quoi lui permettre de révéler un timbre suave et profond qui lui sied à merveille et contribue à rendre le personnage plus vivant que jamais.

Voilà pour ma liste. And now... the winner is...


Youpi! Venez tous fêter ça en Iowa!
Jean Arthur - A Foreign Affair

Objectivement, les soeurs de Havilland mériteraient elles aussi le trophée haut la main, mais Jean Arthur est tellement énorme dans son propre registre que 1948 me semble le meilleur moment pour la faire gagner. J'aurais donc tendance à classer Olivia seconde et Joan Fontaine troisième, devant une excellente Barbara Stanwyck qui laisserait Ida Lupino fermer la marche, quoique je l'aime également beaucoup.

En guise de conclusion, laissons Sylvia Fowler nous parler des performances...

dignes d'un Oscar : Jean Arthur (A Foreign Affair), Olivia de Havilland (The Snake Pit), Joan Fontaine (Letter from an Unknown Woman)




dignes d'une nomination : Ida Lupino (Road House), Barbara Stanwyck (Sorry, Wrong Number), Jane Wyman (Johnny Belinda): voir ci-dessus. Lauren Bacall (Key Largo): le meilleur rôle Golden Age de l'actrice. Rita Hayworth (The Lady from Shanghai): peut-être très bien dirigée, mais indéniablement très bien castée. Vivien Leigh (Anna Karenina): une actrice mythique dans un rôle légendaire, bien que je préfère l'éclat de la version de 1935. Moira Shearer (The Red Shoes): son jeu s'essouffle quelque peu dans la seconde partie, mais sa performance n'en reste pas moins très solide.


séduisantes : Marlene Dietrich (A Foreign Affair): une performance qui n'a rien de brillant, quoique voir Marlene oser incarner une sympathisante nazie vaille le détour. Irene Dunne (I Remember Mama): voir ci-dessus. Lana Turner (The Three Musketeers): ultra kitsch, mais dire que je ne prends pas un pied énorme devant ce film serait un mensonge éhonté.


sans saveur : Ingrid Bergman (Joan of Arc): pas aussi mal qu'on a pu le dire, mais on peut sans problème vivre sans.




à découvrir : Joan Bennett (Secret Beyond the Door), Ann Blyth (Another Part of the Forest), Bette Davis (June Bride), Katharine Hepburn (State of the Union), Jennifer Jones (Portrait of JennieMyrna Loy (Mr. Blandings Builds His Dream House), Aline MacMahon (The Search), Jeanette Nolan (MacBeth), Merle Oberon (Berlin Express)


grandes performances en langue étrangère : Wei Wei (Le printemps d'une petite ville), Zhou Xuan (L'histoire secrète de la cour des Qing): deux bons rôles qui agrémentent joliment cette année 1948.

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