mercredi 22 mai 2013

Casse-tête hollywoodien

J'ai deux grands problèmes dans ma vie : un, je suis maniaque, et deux, je suis fidèle à plusieurs dames à la fois, qu'elles se nomment Irene Dunne, Greta Garbo ou Miriam Hopkins. Si vous avez lu mes réflexions de la semaine dernière, vous savez que récompenser mes actrices de prédilection tout en suivant la règle du jeu des Oscars est un casse-tête insoluble qui occupe une bonne partie de mes nuits.


L'autre jour, je pensais que le problème pouvait se résumer en la personne d'Irene Dunne à l'aune de sa compétition des plus rudes en 1937. Mais finalement, j'ai revu The Awful Truth une énième fois, et pour avoir trouvé le film encore meilleur que dans mes souvenirs, et avoir la certitude de récompenser à la fois Leo McCarey et Cary Grant pour cette oeuvre, j'accepte d'inclure Irene Dunne à leurs côtés dans le palmarès. D'autant qu'elle mérite tout autant l'Oscar que ses deux principales concurrentes tragiques de la même année, à savoir Barbara Stanwyck et surtout Greta Garbo. Dans l'absolu, je reste peut-être davantage ébloui par Garbo, mais couronner The Awful Truth dans trois catégories a finalement bien plus de sens, donc va pour Irene.


Le problème est-il ainsi réglé? Pas vraiment. Parce que mon obsession pour les grandes divas du Golden Age me donne extrêmement envie de sacrer Greta Garbo à deux reprises, et si je me résous à ne pas lui donner un prix pour Camille, il me faut absolument compenser cette perte par une victoire pour Queen Christina. L'ennui, c'est que 1933 est aussi le meilleur moment pour récompenser Miriam Hopkins en tant que leading lady, car bien que déjà lauréate dans ma liste dans la catégorie seconds rôles, elle reste à mes yeux l'une des plus grandes actrices du Golden Age, et mon plus grand coup de cœur hollywoodien, au point qu'il m'est foncièrement impossible de ne pas la distinguer au moins une fois chez les premiers rôles. Sans compter que 1932/1933 est une saison très riche dans sa carrière, et peu d'actrices peuvent se targuer de m'avoir autant réjoui dans une si courte période: 1931 (The Smiling Lieutenant, 24 Hours, Dr. Jekyll and Mr. Hyde), 1932 (Trouble in Paradise) et 1933 (The Story of Temple Drake, The Stranger's Return, Design for Living), avec en point de mire l'un de ses sommets dans Becky Sharp en 1935. Dès lors, l'affaire "Irene Dunne" se solde par un décalage du problème de quatre ans, et jamais la question de la césure des premières années aux Oscars ne s'était posée avec autant d'acuité.


Alors, quelles solutions?

Je conserve mon système personnel dans lequel les seconds rôles remontent à 1928, tout en respectant le timing des Oscars. Partant du principe qu'Irene Dunne gagne en 1937, on en revient au duel Hopkins/Garbo évoqué plus haut. Dans ce cas, après maintes hésitations, je vais quand même me résoudre à sacrifier Garbo qui l'emporte déjà dans cette catégorie en 1928, puisqu'il me semble tout à fait inenvisageable de ne pas distinguer Miriam au moins une fois comme premier rôle. Je reste donc sur mes positions, mais ça m'agace beaucoup de ne donner qu'un unique prix à la Divine dont je suis éperdument épris. D'un autre côté, Miriam est extrêmement versatile cette même année, entre comédies lubitschiennes (Trouble, Design), drame d'une noirceur incomparable (Temple Drake), et grand rôle tout en retenue (Stranger's Return), tandis que Garbo ne compte que Queen Christina pour s'imposer, ce qui est déjà beaucoup, ceci dit. Quoi qu'il en soit, je maintiens Miriam à la première place, avec l'espoir que d'autres hypothèses me satisfassent de plus ample manière.

Je joue entièrement le jeu des Oscars en enlevant les seconds rôles, tout en gardant la césure des premières années. Ici, le début de ma liste reste absolument le même, à savoir: Mary Pickford en 27/28 pour My Best Girl, La Divine en 28/29 pour A Woman of Affairs, Norma Shearer en 29/30 pour The Divorcee et Marlene en 30/31 pour Morocco. Mais les choses changent à partir de la saison 1931/1932 dans la mesure où je remplace Nancy Carroll, Jean Harlow et Lilyan Tashman par celles que je nomme en seconds rôles dans mon premier système, d'où une nouvelle sélection composée de Mae Clarke (Waterloo Bridge), Barbara Stanwyck (The Miracle Woman), Joan Crawford (Grand Hotel), Ann Dvorak (Scarface) et Miriam Hopkins (Dr. Jekyll and Mr. Hyde). Dès lors, le duel Clarke/Stanwyck du système précédent se trouve remplacé par un duel Crawford/Hopkins, avec une victoire de la seconde puisque son Ivy Pearson de Dr. Jekyll and Mr. Hyde reste à me yeux le plus grand rôle féminin de la saison.

Par ricochet, la voie semble entièrement dégagée en 1932/1933 pour Garbo dans Queen Christina, mais c'est à présent Barbara Stanwyck qui pose problème. Vous me direz que je peux toujours la couronner en 1933 pour The Bitter Tea of General Yen ou Baby Face, en 1941 pour The Lady Eve ou Ball of Fire, ou en 1944 pour Double Indemnity, mais je préfère tout de même un peu plus Garbo, Bette Davis et Tallulah en ces trois occasions. Quant à 1937... Stop! Après tout le mal que je me suis donné pour Irene Dunne, on n'y touche plus! Donc soit je laisse la Divine se contenter de son prix de 1928 et je sacre Barbara en 1933, soit je fait perdre Tallulah en 1944 en raison de sa filmographie moins conséquente. Mon amour pour Ms Bankhead m'incite cependant à opter pour la première solution, mais on retombe sur ce satané cercle vicieux qui m'empêche de donner deux prix à Greta Garbo! Sachant qu'en 1941 la question du second Oscar de Bette Davis ne se pose pas : Bette doit avoir au moins deux Oscars, surtout si elle ne gagne pas en 1950.

 Tant qu'à ne pas jouer entièrement le jeu des Oscars dans mon premier système où j'inclus des seconds rôles avant 1936, autant aller jusqu'au bout de ma démarche et opter pour un classement cohérent. A savoir un classement qui ne serait plus à cheval sur deux années. Et là... Miracle! La magie opère! On aurait ainsi Barbara Stanwyck en 1931 pour The Miracle Woman (et Miriam Hopkins en second rôle pour Dr. Jekyll), Miriam en premier rôle pour Trouble in Paradise en 1932 (et Joan Crawford en supporting pour Grand Hotel), Greta Garbo en 1928 pour A Woman of Affairs, puis en 1933 pour Queen Christina, puis Irene Dunne en 1937 pour The Awful Truth. Ici, le seul problème interviendrait en 1930 puisque je ferais gagner Marlene pour Morocco sur Norma Shearer pour The Divorcee, mais puisque l'année 1929 se libère dans ce troisième système, il y aurait peut-être moyen de la récompenser à ce moment là, à condition de revoir Their Own Desire et de découvrir The Last of Mrs. Cheyney. Mais finalement, puisque j'obtiendrais ainsi une année 1927 complète afin de caser Mary Pickford, ça m'obligerait à prendre en compte des performances sorties trop tôt pour être considérées par les Oscars, à l'instar de Clara Bow pour It. A l'aune de ces nombreux changements par rapport à la cérémonie officielle, pourquoi ne pas faire démarrer ma propre liste de prix plus tôt dans les années 1920? Je pourrais alors primer les plus grands acteurs du cinéma muet, et éventuellement sacrer Norma en 1925 pour son excellent rôle dans Lady of the Night. De cette façon, Lillian Gish n'aurait pas besoin d'attendre trop longtemps avant de remporter son premier prix, Lon Chaney et Pola Negri auraient tout loisir d'être récompensés, et Louise Dresser compenserait sa perte en 1934 neuf ans plus tôt, pour un rôle assez similaire.

Voilà ce qu'il en est de mes réflexions. Finalement, dans un cas comme dans l'autre, les trois systèmes se valent puisque Garbo s'arrange quand même pour gagner au moins une fois, et les sept nominations que je lui concède sont déjà un sacré honneur. A part ça, je suis sûr de m'aligner sur les Oscars à partir de 1936, en raison des seconds rôles, mais pour les années précédentes ma troisième solution semble la meilleure. Viendront bientôt des articles comparés, toutes catégories confondues, quant aux choix que j'aurais fait dans chacun des systèmes présentés jusqu'à 1935. On verra ainsi qui des Oscars ou des Orfeoscars ont le plus de chances de résoudre ce casse-tête. Quoi qu'il en soit, j'y vois déjà plus clair dans cet exercice bien plus difficile qu'on pourrait le croire, et si je parviens à caser tous mes acteurs favoris via ma troisième hypothèse, alors tout sera pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Sur ce, j'ai cinq ans d'insomnies à rattraper, bonne nuit à tous!


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