Après n'avoir fait jouer sa star principale que dans des comédies, Universal tenta en 1943 d'épouser l'air du temps en plaçant la divine Deanna Durbin au cœur d'histoires marquées par la guerre, en l'occurrence sauver des enfants en Chine pour les mettre à l'abri de l'autre côté du Pacifique. Cependant, comme pour Hers to Hold, on n'est pas encore dans le contre-emploi qui viendra un an plus tard avec Christmas Holiday: ici, les scènes d'humour ne manquent pas, malgré la tonalité plus sérieuse en arrière-plan.
Malheureusement, The Amazing Mrs. Holliday n'est pas un grand film. Deanna a pourtant soutenu que Jean Renoir lui-même en avait dirigé les deux tiers, bien que Bruce Manning fût seul crédité au générique, mais le résultat est là: le mélange d'humour et de drame se fait sans liant. On passe souvent d'une scène tragique à une farce sans crier gare, de quoi déstabiliser tout l'édifice. Par exemple, le village chinois doit être évacué à cause de l'arrivée des Japonais, d'après le flashback dans lequel l'héroïne narre ses aventures? Et bam, on enchaîne aussitôt sur une scène de repas où la pauvre Mrs. Holliday n'arrive pas à attraper une cerise avec sa cuillère, et suit le fruit d'un bout à l'autre de la table avant de finir par le manger avec ses doigts, devant une assistance aristocratique scandalisée! Plus loin, la réminiscence nous montre le torpillage du paquebot sur lequel périssent le capitaine et l'un des enfants que Ruth avait pour charge de sauver? Bingo, on passe directement à une petite musique guillerette de retour au temps présent! Prises indépendamment les unes des autres, les séquences fonctionnent intrinsèquement, le coup de la cerise étant par exemple réellement drôle, mais l'assemblage ne marche pas.
De même, on est un peu déçu par la maigreur des scènes de guerre. On nous promettait ainsi des aventures héroïques en Chine, et l'on se retrouve dans 85% du film dans... une grande demeure de San Francisco où tout le monde est bien coiffé! Le choix des lieux n'est pas anodin, puisqu'il s'agit de mettre en place un quiproquo, selon lequel Deanna se fait passer pour l'épouse du défunt capitaine du paquebot afin que sa richissime famille accepte de prendre en charge les orphelins, qui sans passeport sont constamment menacés d'être renvoyés en Chine. Tout cela est admirable, sauf que la supercherie ne tient pas longtemps, de quoi faire perdre tout intérêt au second acte, qui se transforme en romance des plus convenues pour meubler le temps. Autrement, on notera que les enfants sont tous Américains sauf un, ce qui n'enlève rien à la bravoure de l'héroïne, mais renforce un peu trop le sentiment patriotique qu'on nous décrit trop lourdement. Dommage, également, que les images de guerre n'aient aucune once d'émotion: l'évacuation du village se fait quasiment dans la bonne humeur, à l'exception d'un bombardement qui prendra une vie, la dame chinoise qui donne son bébé à Ruth dans les ruines meurt de façon ridicule à l'arrière-plan, et la scène de canot de sauvetage semble ennuyer tous les protagonistes. Ce qui est d'autant plus rageant, c'est que le film révèle certaines limites dans le jeu de Deanna Durbin, elle pourtant si excellente dans le registre comique. Ainsi, comme dans Hers to Hold, elle garde un visage fermé dès qu'intervient le drame, on point qu'on la croirait insensible à l'idée de perdre son père sous les bombes, ou un enfant en pleine mer.
Par contre, elle est absolument délicieuse dans toutes les scènes volontairement drôles, la cerise en tête, et son chant est parfait. La musique est principalement composée de berceuses, dont Mighty Lak' a Rose, mais histoire de bien coller à la tradition, on n'hésite pas à faire chanter Tosca à l'actrice, à mesure que le film revient à la veine habituelle des comédies romantiques. C'est beau, mais on s'éloigne à grand pas du cœur du sujet, à savoir les orphelins en temps de guerre.
Moralité: Ruth Kirke Holliday est certainement héroïque, mais elle ne semble jamais vraiment savoir où elle va. L'alliance de guerre et de comédie fruitée est évidemment très bancale malgré les séductions qui se dégagent de l’œuvre, dont le son et les décors. Honnêtement, j'ai bien mieux aimé que ce qu'on pourrait croire à me lire, mais force est de reconnaître que le tout reste très médiocre. Un 6 serait bien trop généreux, mais dans le même temps, c'est nettement meilleur que Hers to Hold. Un retour à la rassurante zone-tampon entre le 5 et le 6 s'impose.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire