Je prolonge encore un moment ma "pause 1946", ayant vraiment besoin de voir autre chose après cet été chargé. A la place, je vais vous parler de religieuses et de laves du Vésuve avec The White Sister, un film produit et réalisé par Henry King, adapté de l'un des derniers romans italianisants de Francis Marion Crawford, avec Lillian Gish et Ronald Colman dans les rôles principaux. Le film raconte l'histoire d'Angela Chiaromonte, fille d'un prince napolitain, qui perd tout du jour au lendemain à la mort de son père. Sa demi-sœur, issue d'un premier mariage, brûle en effet le testament afin de tout hériter par droit d'aînesse et chasse Angela du palais. S'ensuit alors une romance intrépide avec un bel officier chargé de batailler en Afrique, sur fond de crise de conscience religieuse: peut-on aimer un homme terrestre après s'être promise au Christ parce qu'on le croyait disparu à jamais dans le désert?
L'intrigue est évidemment très datée mais ça n'est pas déplaisant. On ne nous épargne rien du martyre de Sainte Lillian, la vierge pure tourmentée par un membre de sa famille comme dans Broken Blossoms, caractère typique d'un drame des années 1920 où l'on n'aimait rien tant que voir ses héroïnes chastes, pures et innocentes, à la différence des flappers de comédie. La notion de pureté est même très appuyée par l'histoire, car lorsque Angela voit son effigie sur le tableau du peintre amoureux, elle ne manque pas de dire qu'elle ne sera jamais aussi pure que le résultat, avec son voile blanc de sainteté, ce qui n'est évidemment pas sans faire écho au second acte religieux. En temps normal, j'aurais trouvé le dilemme chrétien agaçant, puisque plus personne aujourd'hui n'hésiterait à renier ses vœux pour fuir avec l'être aimé, mais j'apprécie assez le sens des responsabilités pour admirer la force d'Angela dans sa quête de contrôler ses désirs. Surtout, la religion est servie avec de jolis effets de mise en scène, que ce soit dans son aspect traditionnel, où la prise de voile devient saisissante avec les cheveux prêts à être coupés, voire terrifiante puisque cette séquence est brillamment entrecoupée par le voyage de retour du soldat disparu (même si c'est géographiquement impossible, on se surprend à souhaiter qu'il arrive à temps!); mais aussi dans son aspect inattendu, avec ce baiser brûlant de la religieuse avec son amant retrouvé, scène admirablement osée pour l'époque. Le dilemme d'Angela, qui tremble de désir pour son ancien soupirant mais ne veut pas trahir ses vœux, est par ailleurs admirablement bien interprété par Lillian Gish, qui parvient à restituer de multiples émotions contradictoires dans un même plan sans jamais les surjouer.
Tout ceci mène à un dernier acte spectaculaire avec l'éruption du Vésuve, événement qui tient en haleine à mesure qu'on voit la jauge augmenter dans la cellule du scientifique, et spectaculaire est définitivement le bon mot pour définir le film. En effet, l'histoire traditionnelle de jeune fille martyre, où se mêlent des propos bêtement sentencieux sur la validité d'un mariage avec le Christ, le tout sur fond de rebondissements aberrants comme les retrouvailles dans la chapelle; est en fait constamment dynamisée par le caractère épique du film, si bien qu'on ne s'ennuie à aucun moment. On voyage ainsi entre palais napolitains, école plus stricte de banlieue, sables du Sahara, hôpitaux richement ornés et laves de volcan, de telle sorte qu'il y a toujours une aventure à suivre pour étoffer la trame principale sur une jeune fille sage et naïve qui aurait pu agacer. La photographie de Roy Overbaugh sert quant à elle admirablement le propos, avec les ombres du port, les reflets des jardins princiers dans l'onde pure, ou encore les mains blanches d'amants qui s'enlacent sur fond sombre, ce qui ajouté au montage de la séquence des vœux offre de quoi vibrer tout au long de ces deux heures et demie de fiction.
Pour couronner le tout, les personnages principaux sont presque tous dignes d'intérêt. Angela doit à mon avis beaucoup à Lillian Gish, qui suggère en elle une grande force de caractère qui n'était peut-être pas déjà là sur le papier, tout du moins dans la première partie. Ainsi, l'héroïne a beau être naïve car elle fait confiance à sa demi-sœur sans se méfier, et sage parce qu'elle ne se plaint jamais même à la rue, elle n'agace à aucun moment parce que Lillian la dote de vivacité et de petits défauts appréciables. Par exemple, au lieu d'écouter sa leçon, Angela préfère danser au son de la musique et aller draguer le jeune soldat de ses rêves au fond du parc, "imperfections" par rapport à la pureté déifiée par le portrait qui la rendent directement attachante. Et quand elle reçoit une lettre de son soupirant, elle saute de joie et lance des regards espiègles à la ronde pour vérifier que le prêtre, à qui elle en montre un paragraphe qui le concerne, ne va pas lire le reste. Pour finir, comme je le disais, ses dilemmes concernant ses vœux, son amour et sa capacité à pardonner la voient passer par toutes sortes d'émotions, y compris négatives puisqu'on sent qu'elle n'est pas forcément encline à donner l'absolution à qui la demande, de quoi nuancer le personnage à merveille. Certes, on pourrait s'étonner qu'elle s'affole peut-être un peu trop vite après le baiser dans le monastère, alors qu'Angela ne demanderait normalement qu'à prolonger l'étreinte, mais avec tous les sentiments qui se bousculent dans sa tête suite à ces retrouvailles surprenantes, on comprend tout de même sa réaction très vive. Finalement, le seul bémol de cette interprétation, c'est l'annonce de la mort du soldat: Lillian tourne alors sur elle-même en faisant la grimace, ce qui est si ridicule, même pour un film muet, que je n'ai pu m'empêcher d'éclater de rire devant cette scène. Sans compter que le scénario lui demande bêtement de devenir catatonique dans la seconde qui suit, en tombant comme électrocutée dans les bras du prêtre... Heureusement, ça ne dure pas longtemps, et le reste de sa performance est absolument parfait, vraiment parfait. Lillian prend même la tête, provisoirement, dans la course à l'Orfeoscar de 1923, ce qui ne veut encore rien dire vu toutes les découvertes qu'il me reste à faire.
Concernant les autres personnages, on appréciera grandement la présence rafraîchissante de la bien nommée Juliette La Violette dans le rôle de la gouvernante au grand cœur. Celle-ci se charge en effet de donner de la chaleur au premier acte tragique puisqu'elle offre un foyer à Angela après que la marquise les a chassées du palais, mais l'actrice donne également une certaine dose de truculence pour mieux contraster avec les drames de la suite, à grand renfort d’œillades complices même dans l'inquiétude. Pour le reste, J. Barney Sherry est imposant comme il se doit en figure moralisante dans cette petite société napolitaine, Ronald Colman est crédible en fringant amoureux sans être très mémorable pour autant, et l'on apprécie que les personnages du peintre et du scientifique ne soient pas là que pour faire joli, permettant au contraire à l'intrigue d'avancer. La seule performance vraiment décevante vient de Gail Kane en méchante demi-sœur, puisqu'elle force uniquement dans le registre de la sécheresse, sans nuance aucune. Ce qui devient ridicule à mesure que l'intrigue se déroule.
Moralité: The White Sister n'est pas un chef-d’œuvre, mais c'est un charmant coup de cœur qui mérite amplement un bon 7/10. Bien sûr, ce n'est pas exempt de scories, en particulier cette bataille dans le désert filmée assez platement, sans parler des problèmes que pose l'absence de restauration de la pellicule, trop usée pour montrer Lillian Gish reculer hors champ lors d'un dialogue, ce qui donne l'impression qu'elle disparaît telle Miss Tick sur les pentes du Vésuve. Par bonheur, rien de tout ça n'est une entrave au plaisir, mais je gage que bon nombre de cinéphiles risquent d'aimer moins que moi, en raison de ce dilemme religieux qui paraîtra daté à plus d'un.
Tout ceci mène à un dernier acte spectaculaire avec l'éruption du Vésuve, événement qui tient en haleine à mesure qu'on voit la jauge augmenter dans la cellule du scientifique, et spectaculaire est définitivement le bon mot pour définir le film. En effet, l'histoire traditionnelle de jeune fille martyre, où se mêlent des propos bêtement sentencieux sur la validité d'un mariage avec le Christ, le tout sur fond de rebondissements aberrants comme les retrouvailles dans la chapelle; est en fait constamment dynamisée par le caractère épique du film, si bien qu'on ne s'ennuie à aucun moment. On voyage ainsi entre palais napolitains, école plus stricte de banlieue, sables du Sahara, hôpitaux richement ornés et laves de volcan, de telle sorte qu'il y a toujours une aventure à suivre pour étoffer la trame principale sur une jeune fille sage et naïve qui aurait pu agacer. La photographie de Roy Overbaugh sert quant à elle admirablement le propos, avec les ombres du port, les reflets des jardins princiers dans l'onde pure, ou encore les mains blanches d'amants qui s'enlacent sur fond sombre, ce qui ajouté au montage de la séquence des vœux offre de quoi vibrer tout au long de ces deux heures et demie de fiction.
Pour couronner le tout, les personnages principaux sont presque tous dignes d'intérêt. Angela doit à mon avis beaucoup à Lillian Gish, qui suggère en elle une grande force de caractère qui n'était peut-être pas déjà là sur le papier, tout du moins dans la première partie. Ainsi, l'héroïne a beau être naïve car elle fait confiance à sa demi-sœur sans se méfier, et sage parce qu'elle ne se plaint jamais même à la rue, elle n'agace à aucun moment parce que Lillian la dote de vivacité et de petits défauts appréciables. Par exemple, au lieu d'écouter sa leçon, Angela préfère danser au son de la musique et aller draguer le jeune soldat de ses rêves au fond du parc, "imperfections" par rapport à la pureté déifiée par le portrait qui la rendent directement attachante. Et quand elle reçoit une lettre de son soupirant, elle saute de joie et lance des regards espiègles à la ronde pour vérifier que le prêtre, à qui elle en montre un paragraphe qui le concerne, ne va pas lire le reste. Pour finir, comme je le disais, ses dilemmes concernant ses vœux, son amour et sa capacité à pardonner la voient passer par toutes sortes d'émotions, y compris négatives puisqu'on sent qu'elle n'est pas forcément encline à donner l'absolution à qui la demande, de quoi nuancer le personnage à merveille. Certes, on pourrait s'étonner qu'elle s'affole peut-être un peu trop vite après le baiser dans le monastère, alors qu'Angela ne demanderait normalement qu'à prolonger l'étreinte, mais avec tous les sentiments qui se bousculent dans sa tête suite à ces retrouvailles surprenantes, on comprend tout de même sa réaction très vive. Finalement, le seul bémol de cette interprétation, c'est l'annonce de la mort du soldat: Lillian tourne alors sur elle-même en faisant la grimace, ce qui est si ridicule, même pour un film muet, que je n'ai pu m'empêcher d'éclater de rire devant cette scène. Sans compter que le scénario lui demande bêtement de devenir catatonique dans la seconde qui suit, en tombant comme électrocutée dans les bras du prêtre... Heureusement, ça ne dure pas longtemps, et le reste de sa performance est absolument parfait, vraiment parfait. Lillian prend même la tête, provisoirement, dans la course à l'Orfeoscar de 1923, ce qui ne veut encore rien dire vu toutes les découvertes qu'il me reste à faire.
Concernant les autres personnages, on appréciera grandement la présence rafraîchissante de la bien nommée Juliette La Violette dans le rôle de la gouvernante au grand cœur. Celle-ci se charge en effet de donner de la chaleur au premier acte tragique puisqu'elle offre un foyer à Angela après que la marquise les a chassées du palais, mais l'actrice donne également une certaine dose de truculence pour mieux contraster avec les drames de la suite, à grand renfort d’œillades complices même dans l'inquiétude. Pour le reste, J. Barney Sherry est imposant comme il se doit en figure moralisante dans cette petite société napolitaine, Ronald Colman est crédible en fringant amoureux sans être très mémorable pour autant, et l'on apprécie que les personnages du peintre et du scientifique ne soient pas là que pour faire joli, permettant au contraire à l'intrigue d'avancer. La seule performance vraiment décevante vient de Gail Kane en méchante demi-sœur, puisqu'elle force uniquement dans le registre de la sécheresse, sans nuance aucune. Ce qui devient ridicule à mesure que l'intrigue se déroule.
Moralité: The White Sister n'est pas un chef-d’œuvre, mais c'est un charmant coup de cœur qui mérite amplement un bon 7/10. Bien sûr, ce n'est pas exempt de scories, en particulier cette bataille dans le désert filmée assez platement, sans parler des problèmes que pose l'absence de restauration de la pellicule, trop usée pour montrer Lillian Gish reculer hors champ lors d'un dialogue, ce qui donne l'impression qu'elle disparaît telle Miss Tick sur les pentes du Vésuve. Par bonheur, rien de tout ça n'est une entrave au plaisir, mais je gage que bon nombre de cinéphiles risquent d'aimer moins que moi, en raison de ce dilemme religieux qui paraîtra daté à plus d'un.
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