Autre film "africain" de la MGM en cette décennie colorée des années 1950, voici Mogambo, dont le titre ne veut rien dire, sinon qu'il s'agit d'un jeu de mot avec Mocambo, le nom d'une boîte de nuit connue à l'époque. C'est dire le sérieux de l'affaire! Cependant, si l'on ajoute John Ford aux commandes et Clark Gable dans le premier rôle, on est tout de même en droit de s'attendre à un bon film. Sans compter que ce sont surtout les femmes qui mènent la danse: Ava Gardner et Grace Kelly.
Malheureusement, Mogambo n'est pas un bon film. En effet, si Les Mines du roi Salomon ne racontaient pas grand chose mais avaient au moins le mérite de divertir grandement par leurs images, cet opus fordien tombe dans l'écueil inverse: on n'a pas assez de beaux paysages, et l'on a beaucoup trop de sentiments, le film n'étant qu'un soap opera de la pire espèce. L'histoire reprend en fait la formule amoureuse de Scaramouche sorti un an plus tôt: un héros très occupé qui n'avait jamais pris le temps de se soucier des femmes auparavant, une courtisane agitée qui enchaîne les remarques caustiques bien qu'elle soit sincèrement amoureuse, et une jeune fille de bonne famille très accomplie. Le problème, c'est qu'autant les personnages de Scaramouche étaient drôles et nuancés (la courtisane n'était pas vulgaire et la princesse était complice et amusante), autant ceux de Mogambo sont dénués de tout charme: Donald Nordley, le gros nigaud de l'affaire qui ne se rend même pas compte que sa femme a une liaison sous son nez, est lisse à mourir (on le croirait d'ailleurs plus amoureux de Clark Gable que de Grace Kelly puisque, selon ses propres mots, il le trouve très séduisant); son épouse Linda est une insupportable mijaurée qui fait des manières et traite toute l'équipe du haut de son imbuvable mépris; et Victor Marswell, le vieux chasseur solitaire, n'a hélas pas grand chose pour lui: il met des animaux en cage et blesse des cœurs sans arrière-pensées, bien qu'il essaie maladroitement de présenter des excuses à Eloise, la danseuse de cabaret débarquée dans la savane par le plus grand des hasards.
Le plus gênant, c'est que l'histoire est un sommet de misogynie. Le film a beau tourner autour de ses deux héroïnes, celles-ci ne pensent qu'à une seule chose: les mâles. On ne connaîtra rien de leurs centres d'intérêt: elles se battent seulement pour les faveurs de Marswell, et quand Eloise tente de faire contre mauvaise fortune bon cœur en trouvant des qualités à sa rivale, elle lui dit que celle-ci a tout pour elle car... elle est belle et bien mariée. Par ailleurs, à aucun moment la flamboyante Eloise, pourtant capable de s'adapter à n'importe quel environnement, ne parviendra à penser à elle: elle enchaîne les remarques acerbes envers la liaison adultérine qui se joue sous ses yeux, et les propos de son meilleur soutien parmi l'équipe sont quant à eux trop lourdement appuyés pour lui être de quelque secours que ce soit, notamment lorsqu'il suggère allègrement que Marswell s'est trompé de partenaire idéale. Heureusement, Eloise a droit à quelques bribes sur sa vie passée, où l'on apprend qu'elle n'a pas toujours été la danseuse vulgaire qu'on connaît, mais tout ce qui touche à sa vie présente la ramène à une sorte d'instinct amoureux assez bestial qui ennuie vite. Autrement, la présenter comme bonne chrétienne malgré sa vie tumultueuse nous paraît aujourd'hui très daté et maladroitement réactionnaire.
Dès lors, l'histoire pâtit énormément de ce quatuor amoureux nauséabond, auquel l'exotisme des lieux ne parvient pas à donner de piquant. En fait, la trop longue première partie sur la mise en place des passions se déroule exclusivement en intérieur, dans des studios hollywoodiens, si bien qu'il faut attendre bien trop longtemps avant de voir enfin les belles images d'Afrique promises. Nous montrer des animaux en cage comme une chose positive n'aide évidemment pas à redorer le blason de l'intrigue, sans compter que j'ai absolument horreur de cette mythologie de la chasse, où les humains se croient autorisés à tirer sur des animaux pour se défendre alors que ce sont eux qui violent le territoire des gorilles. Bref, tout cela me rend nerveux, et la mise en scène de John Ford n'est hélas pas assez inspirée pour faire sortir ce mélodrame sans relief de sa torpeur. Certes, l'opposition entre les deux femmes est parfois soulignée avec intelligence, à l'instar de ce jeu de mouchoirs pendant "Comin' Thro' the Rye", où Grace Kelly s'évente élégamment sous le porche pour s'éloigner de ces gens qu'elle méprise, tandis qu'Ava Gardner tortille son propre carré de tissu en chantant à cœur joie, mais comme tout le texte s'ingénie à faire dire des bêtises aux héroïnes, les contrastes imagés sont hélas assez vains.
Avec autant de clichés qui inondent le film, les acteurs ont évidemment du mal à toucher par leurs performances. Clark Gable a bien un regard sympathique lorsqu'il réalise qu'Eloise est une brave fille dans le fond, mais comme les trois quarts de l'intrigue le montrent intéressé par la sainte nitouche, le personnage perd soudainement tout intérêt. Pour la petite histoire, il paraît que l'acteur souffrait de son manque de pilosité et aurait imposé à tous les hommes de la distribution de s'épiler le torse afin de rester le plus viril d'entre eux... Comme si tripoter Ava Gardner et une bouteille d'alcool dans le même plan ne suffisait pas à nous "rassurer" sur cette sacro-sainte virilité... Bien que davantage touchant et heureusement pas autant obsédé par sa masculinité que son partenaire, Philip Stainton est hélas oubliable dans un rôle à la Thomas Mitchell. Grace Kelly reste quant à elle imperturbable pour bien souligner sa distinction face à sa rivale qui se déhanche au moindre mouvement, mais elle est atrocement mauvaise dès qu'elle doit exprimer de l'inquiétude ou du désarroi: elle grimace à n'en plus finir, ce qui passe très mal pour ce personnage déjà insupportable sur le papier. Un peu plus de nuance n'aurait pas été de trop. Reste donc Ava Gardner, seule lumière du film, qui parvient à dynamiser cette histoire mortellement ennuyeuse rien que par son interprétation. Certes, elle en fait des tonnes, se promenant toujours en s'agitant, et bougeant la tête à chaque fois qu'elle apparaît dans le cadre, mais ça sert tellement bien le personnage qu'on ne regrette rien. Ses scènes les plus calmes révèlent de leur côté toute l'émotion qui affleure chez ce personnage blessé, si bien qu'on ressent vraiment quelque chose pour Eloise malgré la misogynie du scénario, qui la présente comme un joli corps sans cervelle. Seul bémol: elle grimace également lorsqu'elle voit un animal menaçant, mais par bonheur pour elle, ça n'a lieu qu'une fois. Dans tous les cas, on appréciera l'effort de composition d'une actrice qui ne s'est pas toujours investie dans ses rôles, même si le résultat est un peu plombé par le soap opera dans lequel elle est coincée. Un bonus tout de même: elle se moque des grandes oreilles de Clark Gable en imitant Dumbo, ce qui lui vaut mon respect éternel!
Conclusion: Mogambo n'est qu'un combat de femmes pour les faveurs d'un homme, et l'on ne pouvait pas faire plus sexiste et ennuyeux. On a par ailleurs trop de scènes renfermées dans des chambres en lieu et place des paysages africains, qui finissent heureusement par arriver en cours de route. Tout ça est bien décevant, seule Ava Gardner parvenant à sortir l'ensemble de sa torpeur, sans trouver pour autant le rôle du siècle... 5/10.
Oh la la ... on dirait vraiment que les coups de cœur ont été rares cet été :-(
RépondreSupprimerPour l'Afrique, il ne reste plus qu'à voir ou à revoir Quand la Marabunta gronde ou La Piste des éléphants !!!
L'AACF
Ou The African Queen! Mais je ne l'ai pas encore en DVD, donc ça n'est pas d'actualité. En revanche, j'ai bien la Marabunta sur mes étagères, mais... ça se passe en Amazonie! Si j'arrive à trouver un deuxième film dans ces contrées, j'essaierai de faire une étude comparative.
SupprimerPour les coups de cœur, il y a heureusement eu Les Plus Belles Années et Une Question de vie ou de mort, et je n'ai pas encore parlé d'Humoresque, Dragonwyck ou La Belle et la Bête. Je garde le meilleur pour la fin! (Non que Dragonwyck soit un chef-d'œuvre, mais j'adore envers et contre tout!)
Hmm, un film où Ava Gardner donne la meilleure performance, voilà qui n'est pas forcément bon présage !
RépondreSupprimerD'ailleurs, as-tu remarqué le fabuleux slogan sur l'affiche, qui fait un parallèle des plus subtils entre "la bataille des sexes !" et "la bataille des gorilles!" ? Je crois que c'est le plus grotesque de l'affaire.
(Un article sur Humoresque ? J'a hâte !)
Exact! Merci de me rappeler ce détail qui m'avait sauté aux yeux sur le moment, mais que j'avais oublié après avoir rangé le DVD sur son étagère: entre Ava Gardner, le regard lubrique et l'épaule nue, et le gorille dans toute sa puissance, cette affiche est en effet un monstre de ridicule. Le pire: le slogan résume très bien le ton ultra sexiste de chacune des répliques...
SupprimerJe garde Humoresque pour la fin histoire de finir en beauté! Article à paraître début septembre.
Absolument ! A propos, l'anecdote que tu racontes au sujet de Gable m'étonne un peu, car j'avais lu quelque part que les studios forçaient leurs acteurs à se raser le torse au cas où ils apparaîtraient sans chemise à l'écran (pour des raisons de censure je suppose) ; je suis donc un peu surpris que ce soit Gable qui ait lancé cette initiative cette fois-là. Mais peut-être que dans les années 50 les studios étaient moins rigides sur ce point-là, je ne sais pas.
SupprimerCe sera l'apothéose pour cette année-là ! D'ailleurs, comptes-tu faire une autre rétrospective annuelle une fois que tu auras fini 1946 ?
C'est Donald Sinden, Monsieur Grace Kelly dans le film, qui aurait rapporté cette anecdote, confirmant par-là même les rumeurs de liaisons entre les deux stars. N'étant pas du tout spécialiste de la question des poils dans l'histoire du cinéma, je n'en sais guère plus, mais peut-être que ça dépendait du studio dans lequel on signait? Dans The General Died at Dawn (Paramount, 1936), Gary Cooper n'est clairement pas glabre par exemple...
SupprimerPour les rétrospectives, je ne sais pas encore. Ça dépend vraiment de l'humeur du moment. Une année qui m'intrigue énormément dans l'immédiat, c'est 1923: j'ai vu si peu de films que j'ai envie de compléter mes lacunes. Mais je ne suis pas sûr de suivre l'année sur le long terme comme je l'ai fait pour 1946. J'aimerais juste pouvoir garder ma motivation à écrire mes avis sur les films vus, afin de savoir quoi en penser au moment de faire des listes!
Il me semble que j'avais lu ça à propos de Picnic, avec William Holden qui avait dû le faire sous la pression du studio - mais il est possible que mes souvenirs soient inexacts et que ça n'ait pas été généralisé. Après tout, la question n'a pas grande importance !
RépondreSupprimerOui, il y a pas mal des choses qui ont l'air intéressantes en 1923 : la comtesse du Barry, Salomé, The Ten Commandments, ... Mais peut-être que tu as déjà vu ceux-là. En tout cas, c'est une bonne idée !