Pour clore la journée, voici Martin Roumagnac, une œuvre de Georges Lacombe ayant la particularité d'être la seule rencontre à l'écran entre les amants célèbres Marlene Dietrich et Jean Gabin. C'est aussi, sauf erreur de ma part, le seul film où la sublime Allemande parle français, si l'on excepte sa reprise de Quand l'amour meurt dans Morocco, et dieu sait si l'accent de Marlene est séduisant, bien qu'on ne comprenne pas absolument toutes ses fins de phrases. Autrement, Martin Roumagnac est une sorte de film noir à la française, une expérience particulière qui ne me convainc qu'à moitié.
En fait, l'histoire est inintéressante au possible. Certes, je dis ça à chaque fois qu'on en vient aux intrigues criminelles, mais c'est une thématique qui ne me parle vraiment pas. Ici, l'assertion est tout de même justifiée parce que le scénario ne sait jamais où nous conduire: on nous présente une héroïne perçue comme une vamp des années 1920, on enchaîne sur une romance avec plein de clins d’œil à la filmographie de Dietrich dans les années 1930, entre galipettes dans le foin et brin de paille à la bouche telle Catherine II, puis on migre vers du film noir pur et dur de style années 1940 avant de finir sur une interminable séquence de procès. Tous ces aspects forment un rendu spécial, daté et pas vraiment fluide, et surtout, j'ai horreur des intrigues où l'un des personnages principaux disparaît à mi-parcours, à moins que ce ne soit nécessaire comme dans Psychose. Malheureusement, Martin Roumagnac perd tout intérêt dans sa dernière demi-heure, et c'est bien triste. Par ailleurs, il est dommage que le tracé de l'héroïne, Blanche, soit des plus flous: les notices françaises la présentent comme une aventurière alors qu'elle vend sagement des oiseaux dans une paisible boutique champenoise, la sœur de Jean Gabin l'assimile quant à elle à une prostituée bien qu'elle ne soit jamais entreprenante envers Martin, et finalement, on ne comprend jamais pourquoi cette veuve hébergée par son oncle se retrouve demandée en mariage par un consul. A vrai dire, on ne sait même pas pourquoi elle va voir un match de boxe alors qu'un tel sport la laisse de marbre!
Pour compenser le peu d'intérêt du scénario, Georges Lacombe nous gratifie heureusement de belles séquences qui permettent de suivre le tout sans déplaisir. La scène des violons au restaurant donne notamment lieu à de jolies images que renforcent les décors sophistiqués (parce que c'est bien connu, les petits villages champenois ont tous leur cabaret bohémien où l'on joue la sérénade aux amants!). La fin est également bien travaillée, avec le plan sur le titre du journal et les jeux d'ombres et de lumière dans des recoins secrets. Mais le clou du spectacle, c'est cette rencontre à la campagne où Marlene tente de réconforter un Daniel Gélin tout timide, en lui disant qu'elle ne l'aime pas mais qu'il doit être heureux malgré tout, car l'important, c'est d'aimer. La photographie de Roger Hubert (Les Enfants du Paradis) donne vraiment de la vigueur à l'ensemble, de même que certains effets symboliques un peu pompiers se mariant néanmoins bien au tout, à l'image de la porte de la grange battant à tous vents tandis qu'il se passe des choses à l'intérieur, ou de l'envol des oiseaux quand Blanche se met à craquer à force de se sentir prisonnière dans cette petite bourgade. Sa façon de pousser la glace de sa penderie qui débouche sur un vaste plan de ring de boxe (c'est fou tout ce qu'on trouve au cœur de la Champagne!) constitue encore un mouvement digne d'intérêt.
Deux petits bémols tout de même: d'une part, la descente d'escaliers par le prisme des jambes ne ressemble qu'à une mauvaise parodie de Double Indemnity, la faute à des marches en colimaçon qui masquent l'essentiel de ce qu'il faudrait voir. D'autre part, la séduction de bas étage est loin d'aboutir à l'effet escompté, entre ces images où Marlene s'apprête à dégrafer son décolleté les yeux à moitié plissés, et ces tactiques de collégiens énamourés pour mettre l'autre dans son lit. Ainsi, quand Gabin ramasse le bijou tombé devant les mollets de la troublante héroïne, nous avons droit à ce dialogue ridicule: "C'est joli, mais c'est dommage que ce soit en argent." "Pourquoi?" "Parce qu'on dit que l'argent fait pas l'bonheur." "Qu'est-ce que c'est le bonheur?" "Alors là, j'vais pouvoir vous répondre! Héhé!" Et que dire de cette technique de drague enfantine? "Tiens voilà l'orage! Ça monte vite! Allons nous réfugier dans la grange! Vite! Courons dans les champs tels des cabris!" Et un peu plus tard, quand les deux amants ressortent ébouriffés de leur abri de fortune: "Mais? Il n'a pas plu!" "Tiens donc! L'orage est parti aussi vite qu'il est venu!" Sans parler du couplet sur les inséparables qu'on ne peut acheter que par paire... Par la suite, on mise sans scrupules sur les jambes pour bien faire comprendre aux spectateurs quel est le point fort de l'héroïne, avec Marlene raccommodant ses robes la jambe à l'air sur un tapis, Marlene passant sur la place du village en se déhanchant, Marlene remontant furtivement sa jupe en se couchant dans l'herbe, etc. Le message est clair.
Du côté de l'interprétation, c'est assez mitigé. Jean Gabin est égal à lui-même mais il joue bien son attirance pour la paire de jambes qui s'exhibe devant lui. En revanche, Marlene n'a pas l'air concerné outre mesure par ce qu'elle fait. A chaque fois que j'ai voulu faire une capture d'écran en phase de séduction, elle semblait plus s'ennuyer qu'autre chose, et franchement, ses regards n'ont rien de magnétique. Mais la séquence rustique avec Daniel Gélin la voit tout de même briller momentanément, entre baiser d'amante qui n'accordera rien d'autre et gestes de la main plus maternels. Le jeune acteur est quant à lui correct en blanc-bec qui ne s'en remet pas d'avoir parlé à une femme mure, Jean d'Yd est pour sa part très mou dans un rôle d'oncle peu captivant, tandis que Marcel Herrand en fait des tonnes sous sa veste de consul hautain. Le pic de la distribution est en fait Jean Darcante qui, non content de voler la vedette à tout le monde lors du procès, est apte à dynamiser considérablement cette dernière partie bancale. A se demander si les avocats n'ont pas comploté pour s'assurer d'éclipser les héros des films noirs de l'année, tel Hume Cronyn dans Le Facteur.
Moralité: Martin Roumagnac comporte de bien jolies images qui soulignent le soin apporté au projet, mais l'histoire ennuie à mourir. On aurait même préféré une héroïne unijambiste mais capable de dire non, plutôt qu'une bombe sexuelle semblant s'abandonner à la passion sans aucune conviction. 5/10.
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Tallulah: Vous auriez dû poster une photo des jambes, dahling. C'est tout ce qui nous intéresse!
Marlene: Mais rien ne vous interdit de venir les voir... quand je vous inviterai à boire un verre de lait.
Tallulah: Cruelle que vous êtes!
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