jeudi 18 août 2016

La Symphonie pastorale (1946)


C'est la deuxième fois que je regarde La Symphonie pastorale cette année: j'ai découvert le film cet hiver, et voici que ma rétrospective 1946 en fait un passage obligé en plein été. Ça tombe bien, ses images de neige sont rafraîchissantes, et j'ai mieux aimé ce nouveau visionnage, même si je ne pense pas retenter l'expérience avant longtemps.

Adaptée d'un roman d'André Gide, cette œuvre de Jean Delannoy raconte l'histoire de Gertrude, une sauvageonne aveugle recueillie par un pasteur suisse, qui l'éduque en lui cachant la laideur du monde afin qu'elle reste parfaitement heureuse. Ce faisant, il tombe amoureux de son élève, suscitant bien sûr la jalousie de sa famille. Lorsqu'une opération permet de guérir le handicap de Gertrude, et qu'elle découvre le physique attrayant du fils du pasteur, les choses se compliquent d'autant plus... 

Ça m'apprendra à voir les films avant de lire les romans d'origine, mais ce qui devrait paraître sulfureux sur le papier donne un peu l'impression de tomber à plat ici. Certes, Gertrude tombe elle-même amoureuse du pasteur du temps de sa cécité, et lui caresse langoureusement les mains en sachant qu'ils ne risquent rien car il est marié et que ce ne sont là que gestes d'affection, mais cette problématique est traitée avec tant de pudeur que ça frôle parfois la niaiserie, à l'image du sourire qu'on doit esquisser à l'aide des mains parce que Gertrude ne sait pas le faire toute seule à l'âge adulte! Bien qu'elle soit aveugle de naissance, le rire est un sentiment humain qu'elle aurait dû avoir tout le temps de ressentir dans la chaleur du foyer où elle a été élevée. Même le pauvre petit lapin qu'on lui offre n'arrive pas à lui faire bouger les pommettes... Les dialogues de cette première partie renforcent d'ailleurs cette impression de pudibonderie, la faute à une héroïne parangon de pureté qui n'a jamais conscience du mal, et à un héros sentencieux qui agace. La femme jalouse qui devrait théoriquement troubler cette harmonie est pour sa part trop stéréotypée pour donner plus de dynamisme au tableau par contraste. Par bonheur, les choses commencent à bouger une fois que Gertrude part se faire opérer, avec un renversement du vocabulaire traditionnel qui fait mouche, la jeune fille confiant à son tuteur avec émotion: "C'est la dernière fois que je ne vous vois pas."

Pour restituer la délicatesse du sujet, la mise en scène de Jean Delannoy fait preuve d'élégance. On apprécie par exemple de voir Michèle Morgan apparaître pour la première fois par reflet dans un miroir, afin de souligner sa condition tragique tout en maintenant le suspense quant au physique que Gertrude aura acquis en grandissant. Si je ne suis pas friand de la scène du sourire, vraiment peu crédible, j'aime en revanche la séquence des mains, lorsque le fils du pasteur place les doigts de Gertrude sur l'orgue afin qu'elle l'accompagne lors d'une symphonie ambiguë, à un moment où la personnalité d'un jeune homme qu'elle ne voit pas n'est pas en mesure de lui faire oublier ses sentiments pour le père. Une autre séquence très mémorable également, c'est la sortie de Gertrude de la clinique, où elle découvre le monde alors que des flocons de neige tombent discrètement sur son visage: c'est beau et ça estompe la niaiserie de certaines phrases comme "C'est donc ça la neige?" Eh! La fille a vécu vingt ans dans la montagne tout de même! En parlant de neige, l'ambiance hivernale de ce village alpin est admirablement restituée par le réalisateur et son photographe, Armand Thirard, malgré une caméra volontairement en biais parfois. On nous concocte ainsi de jolis plans sur les montagnes, plans qui donnent à la fois un côté rassurant aux lieux, quand on se promène par beau temps autour du village, mais aussi un côté cruel, quand Gertrude doit revenir seule chercher un soulier dans la neige bien qu'elle ait sauvé la vie d'un enfant une heure plus tôt. La cruauté se manifeste d'autant plus dans la seconde partie, lorsque l'héroïne découvre la réalité de son environnement, et l'un des tous derniers plans est vraiment saisissant. Autrement, la musique de Georges Auric prend des accents lyriques lors des scènes d'amour, mais ce n'est pas une partition qui marque réellement les esprits.

A mon avis, le grand défaut de cette Symphonie pastorale, c'est l'interprétation. Pour être honnête, je ne suis pas fan de Michèle Morgan, une actrice d'une beauté et d'une distinction renversantes, mais que je trouve franchement terne dans les films que j'ai vus actuellement. Ici, sa diction excessivement appliquée et sa voix monocorde forment un mélange beaucoup trop sirupeux qui endort au lieu de nuancer la trop grande pureté de l'héroïne. Elle récite ses répliques bien trop sagement et manque de charisme, si bien qu'on a du mal à s'intéresser au personnage alors que tout est fait pour qu'on la trouve touchante, par son courage et sa façon de ne pas se plaindre. Pierre Blanchar est quant à lui doté d'un rôle de pasteur vraiment trop coincé pour charmer de quelque manière, et l'on sent mal sa folie passionnelle grandissante vers la fin, malgré une scène réussie avec la larme à l’œil lors du départ de Gertrude pour la clinique, quand il pressent qu'elle ne l'aimera plus après l'avoir vu. Les autres acteurs sont pour leur part inutilement maniérés, que ce soit Line Noro dans le cliché de l'épouse jalouse, ou Jean Desailly qui ouvre bêtement les mains en retrouvant Gertrude après son opération. Seule Andrée Clément fait preuve de retenue dans le rôle de la fiancée inquiète, tandis que Jacques Louvigny bénéficie du seul personnage rigolo du canton.

Je crois avoir fait le tour. Je conclurai en évoquant le retour de Gertrude au village, en pleine messe, une séquence réussie par ses échanges de regards parmi la foule sur fond de cantiques. Mais la mise en scène n'en reste pas moins cruellement lente et pudique dans une bonne partie du film pour en faire un bon cru. La "Palme d'or" (qui n'avait pas encore ce nom), quoique partagée avec dix autres films à Cannes, semble pour le moins excessive alors qu'il y avait La Belle et la Bête parmi la sélection française, et le prix d'interprétation pour Michèle Morgan laisse à penser que le jury a été plus sensible au rôle qu'à la performance en tant que telle. Honnêtement, même ses larmes sont forcées dans son unique scène expressive. Comme pour bien des films dont la beauté formelle fait plaisir mais dont le traitement laisse sur sa faim, on navigue dans les eaux troubles du 5 et du 6.

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