Je profite de ce que les films de Margaret Lockwood, introuvables dans le commerce, sont disponibles en ligne pour compléter ma collection, quitte à faire une entorse à ma rétrospective 1946! Un an après Bedelia, voici donc Jassy, un film de Bernard Knowles qui permit à l'actrice légendaire de renouer avec les mélodrames Gainsborough. Les studios n'y sont d'ailleurs pas allés de main morte: décors aristocratiques avec châteaux et colonnes, costumes dignes de la fameuse Wicked Lady de 1945, complots à tous les étages et le tout en couleurs s'il vous plaît! Le résultat est un divertissement sans égal dont l'histoire peine néanmoins à captiver.
Jassy est en fait une métisse anglo-gitane persécutée par les autres villageois parce que ses origines l'assimilent évidemment à une sorcière. Son don de double-vue ne sera d'ailleurs jamais exploité par le film sauf pour introduire le personnage, mais passons. De l'autre côté de l'échelle sociale, on retrouve deux familles ennemies: les Hatton et les Helmar. Les premiers sont propriétaires du beau château du comté mais le perdent au jeu au profit des seconds, et partent donc se réfugier dans un cottage. Quelle meilleure occasion pour le gentil fiston que de sauver Jassy d'une mauvaise passe, quitte à minauder avec elle dans la forêt bien qu'il soit toujours amoureux de la fille de ses rivaux, Dilys Helmar. Alors que les Helmar commencent à martyriser les paysans de la région, Jassy est envoyée en pensionnat par Mrs. Hatton, peu ravie de voir son fils courir la campagne avec elle, et bien qu'elle ne serve qu'à faire le ménage chez les nobles filles de la pension, la voilà qui se lie d'amitié avec Dilys... qui la ramène au comté dans ses bagages en lui offrant la vie de château à laquelle les Hatton n'ont plus droit. N'ayant pas oublié que le jeune Hatton lui a jadis épargné une lapidation, Jassy se met alors en tête de reconquérir la demeure pour la restituer à l'héritier légitime...
Honnêtement, si l'histoire n'est pas complexe, elle est par moments trop compliquée. On a du mal à vraiment savoir qui veut quoi avec ces personnages pas toujours logiques. Par exemple, la romance entre Dilys Helmar et Barney Hatton ne brille pas par sa cohérence, de même que les réactions du méchant Helmar vis-à-vis de Jassy, qu'il est censé mépriser, varient un peu trop d'une heure à l'autre. A cette petite société se greffe une servante muette dont on se demande constamment à quoi elle sert, avant qu'elle n'effectue un retour triomphal à la fin pour conclure un film qui ne savait plus trop quelle direction prendre. Et que penser de Jassy, que tout le monde utilise comme une souillon mais qui est déjà cent fois plus éduquée et raffinée que toute la noblesse de la région réunie? Dans tous les cas, le second acte consécutif à l'arrivée de l'héroïne au château est de loin le plus intéressant, puisque l'histoire se met enfin à suivre une ligne directrice à peu près logique à travers l'ambition de Jassy quant au domaine.
On notera d'ailleurs que Margaret Lockwood adapte sa voix à mesure qu'elle gravit les échelons: autant elle part dans les aigus en jeune paysanne parfois un peu geignarde, autant elle devient nettement plus calme et posée une fois confrontée au beau monde. Sa dignité de châtelaine est d'ailleurs exemplaire, ce qui est en outre logique puisque Jassy savait déjà faire preuve de distinction auparavant, malgré une voix plus nasillarde. Dommage que l'actrice n'ait pas davantage d'émotions à jouer. J'apprécie beaucoup le dialogue où elle révèle, très digne, pourquoi son visage rappelle bien quelque chose à Helmar, puisqu'elle fait preuve à la fois de séduction et de reproche dans le même plan. Mais pour le reste? Son interprétation reste très uniforme et surprend peu, toute divertissante soit-elle. Pour les autres acteurs, Basil Sydney est un assez bon méchant, capable de manier cravache et pistolet dans des scènes de colère intense, mais on regrettera que Patricia Roc soit très oubliable dans un rôle mal écrit de jeune fille de bonne famille: elle suggérait infiniment plus de choses dans The Wicked Lady. Sinon, Dermot Walsh est plutôt mignon en couleurs, mais ça n'est qu'un blanc-bec sans charisme particulier.
Du coup, l'interprétation n'est que correcte mais sans plus, et le scénario part dans du grand n'importe quoi après un début inutilement compliqué. Pourtant, Jassy reste un réel plaisir. Tout d'abord sur le plan visuel: les décors de Maurice Carter et George Provis sont absolument ravissants, entre les cuisines aux ustensiles de cuivre bien rangés et la chambre à coucher d'Helmar avec ses tapisseries aux mille couleurs; les costumes d'Elizabeth Haffenden atteignent eux aussi des sommets où les capes bleues le disputent aux robes rouges, malgré une curieuse coloration XIXe siècle par moments; et la photographie de Geoffrey Unsworth crée de jolis contrastes, en particulier dans un plan où Jassy éteint des bougies devant un âtre, dans la pénombre. Dès lors, on se fiche complètement de l'histoire devant tant de belles images, c'est dire le pouvoir de séduction de la forme! Par ailleurs, deux séquences assez amusantes viennent pimenter le tout, d'une part lorsque Jassy se change dans une diligence et jette ses vieux vêtements à travers la forêt (!), et d'autre part lorsqu'elle défie Helmar en ponctuant sa phrase par un mouvement sur l'échiquier.
Conclusion: Jassy est un film irrésistible pour ses superbes images colorées, mais l'histoire est pour le moins chaotique. J'hésite entre un 5 et un 6, mais c'est un tel divertissement que j'ai envie d'être indulgent.
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