samedi 31 décembre 2016

La joie des serpillières.


Je suis bien content d'avoir attendu de regarder Joy, du très en vogue David O. Russell, sur un téléviseur, car ce n'est pas du tout le genre de films que j'aurais aimé avoir sur mes étagères: ça représente tout ce que j'abomine par-dessus tout, en particulier sur la question du télé-achat, abysse absolu de l'histoire de l'humanité après les génocides. Surtout, le film manque d'une énorme cohérence narrative, de quoi déstabiliser tout l'édifice en dépit de certaines qualités...

Pour commencer, on pourra reprocher à l'histoire d'être d'une simplicité enfantine: on suit le parcours ultra rabâché d'une jeune héroïne quelconque aux talents insoupçonnés, qui se transformera bien entendu en redoutable entrepreneuse à force de ténacité, histoire de bien nous rappeler qu'il faut toujours croire à ses rêves et ne jamais baisser les bras. Ce n'est pas inintéressant en soi, mais on a le sentiment d'avoir déjà vu cette histoire environ 155428 fois, d'où un cruel manque d'originalité qui ennuie. En outre, bien des rebondissements ne sont pas acceptables du point de vue de la dramaturgie. Par exemple, lorsque Joy tente de faire connaître la serpillière magique qu'elle vient d'inventer, autant l'incompétence totale du vendeur censé faire la démonstration est un retournement de situation plutôt bien trouvé, pour souligner que le succès n'est jamais acquis même à portée de mains, autant le second essai par Joy elle-même n'a aucune cohérence, car comment croire qu'une personne puisse rester plus d'une minute à balbutier devant une caméra sans que les téléspectateurs aient déjà changé de chaîne en masse? C'est là encore un argument supposé tenir en haleine avant un virage miraculeux à 180° qu'on a déjà trop vu dans ce type de fictions. Par ailleurs, la grande intrigue secondaire de la deuxième partie, destinée à étoffer un film qui ne savait plus quoi raconter, se résout d'un claquement de doigts dans les cinq dernières minutes, alors que toute la question des droits et du dépôt de brevet est amenée de façon extrêmement brouillonne.

Dans un tout autre registre, on reprochera au scénario de contenir tout un lot de caricatures en lieu et place de personnages dignes de ce nom, de telle sorte qu'il est impossible de se prendre au jeu de ce chemin vers le succès: la divine Virginia Madsen est coincée dans un rôle de mère amorphe qui ne bouge jamais de son lit, Robert De Niro confirme qu'il n'est plus que l'ombre de ce qu'il fut avec un nouveau numéro agaçant, la meilleure amie qui n'existe jamais pour elle-même et la demi-sœur jalouse n'ont elles aussi qu'une unique dimension, Bradley Cooper est juste là pour ressusciter la formule de Silver Linings Playbook et American Hustle, et Diane Ladd est pour sa part très distinguée, mais... lui avoir confié la narration de l'histoire est une très mauvaise idée puisqu'elle meurt à mi-parcours et continue toutefois à papoter tranquillement même six pieds sous terre! En outre, on lui fait dire des choses sans aucun intérêt, comme "Joy ne savait pas, à ce moment-là, alors qu'elle marchait sereinement dans la rue par un beau soleil d'été, qu'elle deviendrait une impératrice du commerce, blablabla". Quant à Isabella Rossellini, elle n'est certes pas dénuée de charisme, mais sa manière de faire constamment le pitre alors qu'elle souhaite qu'on la prenne très au sérieux ne fonctionne absolument pas: elle se veut très menaçante alors qu'elle fait subir un interrogatoire poussé à la pauvre Joy, mais on croirait davantage une grand-mère gâteau dans la pièce de fin d'année d'une classe de maternelle. Evidemment, c'est un choix, mais ça met vraiment l'accent sur le grand défaut du film, celui de ne jamais trouver une ligne de conduite claire entre drame et comédie. Dans le fond, ces personnages caricaturaux sont supposés faire rire, mais étant donné que Jennifer Lawrence approche son rôle d'une manière bien plus sérieuse et dramatique, le fossé devient hélas trop profond.

C'est dommage, parce que la star hollywoodienne de la décennie est loin d'être mauvaise dans le détail: son charisme naturel se marie bien à la force de caractère de l'héroïne, ses déceptions multiples sont bien retranscrites, et même sa scène de larmes est plus que correcte. Mais voilà, aucun de ses efforts, qui soit dit en passant auraient abouti au même résultat entre les mains d'une autre actrice non débutante, ne fait corps avec la tonalité générale du film, surtout lorsqu'elle doit donner la réplique à des personnages semi-comiques tels l'implacable mais guillerette Isabella. Le plus frustrant: l'extrême jeunesse de l'actrice ne colle jamais au personnage, puisque lorsqu'elle entre dans l'intrigue, Joy est une mère de deux enfants largement trentenaire. Or, Jennifer Lawrence fait bien trop adolescente pour être crédible dans ce rôle! On a d'ailleurs beaucoup de mal à se repérer dans le temps car elle ne vieillit jamais: j'ai cru un long moment que ses efforts pour vendre sa fameuse serpillière avaient lieu à la fin des années 1970, juste après son mariage, alors qu'il s'agissait des années... 1990! On comprend alors mieux pourquoi les gens commencent à parler d'ordinateurs et pourquoi Joan Rivers parade sur les plateaux de télévision pour vendre des bijoux, mais il n'en reste pas moins que Joy a davantage l'air d'une fillette de vingt ans que d'une quasi quadragénaire épanouie.

Bref, ces défauts de fabrication, auxquels on ajoutera encore une imagerie forte de clichés, dont le tir au fusil pour se défouler, le souvenir de l'enfance pour émouvoir et la démarche triomphante en lunettes de soleil, rendent le film franchement médiocre, bien que ça se suive finalement sans déplaisir et qu'il y ait en outre d'assez jolies couleurs pour faire passer un bon moment. Nous conclurons sur la question du féminisme, puisque Joy est présenté sous cette étiquette. Il est vrai qu'observer le faire-valoir de la maisonnée, toujours à s'occuper des tâches ingrates pendant que personne ne bouge, se transformer en femme indépendante par son seul génie scientifique est plutôt positif, mais plus elle marche vers le succès, plus Joy acquiert des particularités vraiment très masculines. Le costume viril qu'elle porte à Dallas pour rendre des coups est un peu trop appuyé pour être honnête, même si le personnage reste au moins fidèle à ses goûts, puisque c'est elle qui insistait auparavant pour vendre des produits en pantalons, au lieu de jouer à la potiche trop maquillée comme Joan Rivers. L'image de l'héroïne au pic de son triomphe, alors qu'elle est à égalité avec un Bradley Cooper qui faisait jadis autorité sur elle, est elle aussi trop ostensiblement masculine: elle savoure son succès dans un fauteuil en cuir tandis que la meilleure amie semble ravie de lui porter des coupes de champagne qu'elle se gardera bien de toucher, et Joy est encore extrêmement paternaliste avec la mère de famille inventeuse qu'elle reçoit, malgré un échange au dénouement positif. Tout ça pour dire que certes, l'héroïne passe de femme de ménage à entrepreneuse dans un mouvement plutôt féministe, mais elle acquiert un comportement si masculin qu'on a finalement l'impression que le film met en lumière ces mêmes valeurs masculines, et n'est favorable qu'aux femmes qui deviennent elles-mêmes masculines en chemin (voir encore pourquoi Isabella Rossellini bénéficie d'une bien meilleure image dans le scénario que la mère de famille).

En définitive, Joy est un film décevant et parfois trop brouillon, mais ça se découvre tout de même sans déplaisir, sans donner envie pour autant de tenter l'expérience une seconde fois. Ça confirme surtout que je n'aime pas le cinéma de David O. Russell, après le pénible Silver Linings Playbook. Je suis malgré tout satisfait de pouvoir compléter ma liste à Oscars 2015, quoique me voyant dans l'obligation de classer Jennifer Lawrence dernière dans sa catégorie. Elle est plus que correcte, mais elle n'arrive jamais à élever le film de quelque manière que ce soit, sans compter qu'elle est assez mal distribuée du point de vue de l'âge (mais pas de la force de caractère). Je suppose qu'on nage autour d'un 5/10.

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