Un film avec Basil Rathbone, Claudette Colbert et Charles Boyer, sur des Russes blancs émigrés à Paris, le tout dans un registre comique, forcément, on a très envie d'aimer. Et même si je suis loin de me rouler par terre devant le cinéma d'Anatole Litvak, le souvenir de films très sympathiques comme All This, and Heaven Too ne manquait pas d'être fort séduisant avant le visionnage. Cerise sur le gâteau: nombre de critiques définissent Tovarich comme un proto-Ninotchka. On comprend donc pourquoi je recherchais ce film désespérément depuis des lustres, sans compter que, plus encore que le Lubitsch, la perspective ancillaire dans une grande famille déjantée rappelle surtout My Man Godfrey. Malheureusement, ça ne soutient la comparaison avec aucun des deux...
En réalité, l'humour tombe à plat dès le départ. On se force vaguement à sourire devant l'introduction sur la foule en liesse le 14 juillet, tandis que le couple de héros, aristocrates dissimulés à Paris pour protéger la fortune du tsar, demande à tous les Parisiens ignorants pourquoi ils font la fête - tout ça pour apprendre horrifiés qu'on y célèbre une révolution; mais après coup, la sauce ne prend plus, à l'image du vol de marchandises opéré par la grande-duchesse Tatiana pour ne pas avoir à dépenser le patrimoine impérial pour survivre. La voir se faire voler son sac en retour ne fait rire personne, et les explications à la foule ne sont guère convaincantes. Plus tard, une fois que le couple parvient à se faire engager comme domestiques d'une famille bourgeoise, toujours pour gagner de quoi manger en évitant ainsi de dilapider le trésor des Romanov par honneur et loyauté, l'humour manque, une fois de plus, cruellement de piquant. Les enjeux comiques sont en effet écartés d'un revers de la main puisque les héros s'intègrent trop vite à la maisonnée pourtant suspicieuse à leur égard à l'origine, et les péripéties sont encore trop bon enfant pour prêter à sourire. Le chien qui apporte la chaussure n'est pas spécialement drôle, Isabel Jeans n'a pas le centième de la drôlerie excentrique d'une Alice Brady, et l'interminable partie d'escrime entre Charles Boyer et le fils Dupont, tandis que Claudette Colbert chante des airs russes à la guitare sans s'étonner de rien, est hélas trop mal amenée pour faire rire. Même quand les héros s'embrassent dans les escaliers au vu et au su de tous, ça choque si peu leurs employeurs que l'effet comique meurt dans l'instant. Quant au troisième acte, une fois qu'arrive le commissaire bolchevique chargé de coincer les faux domestiques afin qu'ils restituent la fortune au peuple russe, le ton y est tout simplement sinistre. Les dialogues Colbert-Rathbone sont chargés d'une tension négative qui se marie très mal avec le reste du film, au point qu'on dérive momentanément vers du tragique avant de revenir vers une dernière minute de comédie sortant de n'importe où.
Par ailleurs, la mise en scène d'Anatole Litvak n'aide pas à rendre le texte plus vivant, car Tovarich est filmé comme une pièce de théâtre, et ce qui pouvait être drôle sur scène n'est hélas pas assez rythmé à l'écran. Le film accuse alors des longueurs ça et là, à la différence d'un My Man Godfrey survolté. Mais on reconnaîtra tout de même au réalisateur une bonne maîtrise de l'espace: les acrobaties des héros sur les toits de Paris, le dialogue devant leurs portraits en habits de cour, découpé de telle manière que chaque personnage parle avec son double du passé en arrière-plan; le baiser incongru sur l'épaule du maître de maison, l'église russe vue depuis la fenêtre de la cuisine, voilà autant de choses qui fonctionnent effectivement. Mais quel dommage que Litvak n'ait pas réussi à mieux rythmer le tout! La photographie de Charles Lang n'a pour sa part rien d'exceptionnel, mais les plans de foule dans les grands salons parisiens regorgent d'attraits, au grand dam de l'actrice principale, visiblement furieuse de n'être pas filmée que d'un seul profil, comme elle en avait l'habitude, encore que toutes mes captures d'écran révèlent toujours la face connue de la Lune, je ne vois donc pas vraiment le problème... Son interprétation est de toute façon bien plus intéressante à analyser, et force est de reconnaître que la dame a toujours beaucoup de charisme, bien qu'elle ne soit pas en mesure de donner plus de piquant à des situations assez plates à l'origine. Elle est également un peu trop grimaçante quand ça n'a pas lieu d'être, accentuant justement le côté trop théâtral de l'exercice, avant d'être étonnamment fade lors de la joute finale avec son ennemi juré. A ses côtés, Charles Boyer est assez charmant, mais je n'ai pas grand chose à signaler sur sa performance, sinon qu'il marche avec une épée dans son pantalon...
Je conclurai alors sur le dernier acte dominé par mon héros Basil Rathbone, toujours d'une séduction redoutable avec cette fois-ci une barbichette qui lui sied bien, mais... qui reste beaucoup trop aristocratique pour incarner un émissaire communiste crédible. Lorsqu'il dit avoir jadis travaillé comme plongeur pour payer ses études pendant que les grands-ducs dansaient à Tsarskoïe Selo, on n'y croit absolument pas devant son port royal et sa capacité à se fondre entièrement dans un univers bourgeois à sa façon de tenir un cigare ou une coupe de champagne en main. En réalité, les rôles sont trop nettement inversés par rapport à ce qu'ils devraient être: Basil a davantage l'air d'un Félix Youssoupov réclamant aux communistes qu'on lui restitue sa fortune, tandis que Claudette Colbert et Charles Boyer passent davantage pour de joyeux intellectuels enthousiastes à l'idée de travailler pour gagner leur vie. On ne croit donc pas vraiment à ce qu'on nous dit...
Finalement, Tovarich aura été une déception: tout était alléchant de prime abord, mais un rythme pesant, des situations pas nécessairement drôles, des rapports conflictuels sinistres et des personnages peu crédibles rendent hélas l'ensemble assez plat. Ce n'est heureusement pas un mauvais film, mais un 6- tendant vers le 5 me semble déjà très généreux...
Par ailleurs, la mise en scène d'Anatole Litvak n'aide pas à rendre le texte plus vivant, car Tovarich est filmé comme une pièce de théâtre, et ce qui pouvait être drôle sur scène n'est hélas pas assez rythmé à l'écran. Le film accuse alors des longueurs ça et là, à la différence d'un My Man Godfrey survolté. Mais on reconnaîtra tout de même au réalisateur une bonne maîtrise de l'espace: les acrobaties des héros sur les toits de Paris, le dialogue devant leurs portraits en habits de cour, découpé de telle manière que chaque personnage parle avec son double du passé en arrière-plan; le baiser incongru sur l'épaule du maître de maison, l'église russe vue depuis la fenêtre de la cuisine, voilà autant de choses qui fonctionnent effectivement. Mais quel dommage que Litvak n'ait pas réussi à mieux rythmer le tout! La photographie de Charles Lang n'a pour sa part rien d'exceptionnel, mais les plans de foule dans les grands salons parisiens regorgent d'attraits, au grand dam de l'actrice principale, visiblement furieuse de n'être pas filmée que d'un seul profil, comme elle en avait l'habitude, encore que toutes mes captures d'écran révèlent toujours la face connue de la Lune, je ne vois donc pas vraiment le problème... Son interprétation est de toute façon bien plus intéressante à analyser, et force est de reconnaître que la dame a toujours beaucoup de charisme, bien qu'elle ne soit pas en mesure de donner plus de piquant à des situations assez plates à l'origine. Elle est également un peu trop grimaçante quand ça n'a pas lieu d'être, accentuant justement le côté trop théâtral de l'exercice, avant d'être étonnamment fade lors de la joute finale avec son ennemi juré. A ses côtés, Charles Boyer est assez charmant, mais je n'ai pas grand chose à signaler sur sa performance, sinon qu'il marche avec une épée dans son pantalon...
Je conclurai alors sur le dernier acte dominé par mon héros Basil Rathbone, toujours d'une séduction redoutable avec cette fois-ci une barbichette qui lui sied bien, mais... qui reste beaucoup trop aristocratique pour incarner un émissaire communiste crédible. Lorsqu'il dit avoir jadis travaillé comme plongeur pour payer ses études pendant que les grands-ducs dansaient à Tsarskoïe Selo, on n'y croit absolument pas devant son port royal et sa capacité à se fondre entièrement dans un univers bourgeois à sa façon de tenir un cigare ou une coupe de champagne en main. En réalité, les rôles sont trop nettement inversés par rapport à ce qu'ils devraient être: Basil a davantage l'air d'un Félix Youssoupov réclamant aux communistes qu'on lui restitue sa fortune, tandis que Claudette Colbert et Charles Boyer passent davantage pour de joyeux intellectuels enthousiastes à l'idée de travailler pour gagner leur vie. On ne croit donc pas vraiment à ce qu'on nous dit...
Finalement, Tovarich aura été une déception: tout était alléchant de prime abord, mais un rythme pesant, des situations pas nécessairement drôles, des rapports conflictuels sinistres et des personnages peu crédibles rendent hélas l'ensemble assez plat. Ce n'est heureusement pas un mauvais film, mais un 6- tendant vers le 5 me semble déjà très généreux...
Tu n'as pas déjà songé à nous faire un article sur Basil Rathbone (avec barbichette ou non) ? Je le connais encore très peu...
RépondreSupprimerC'est une bonne idée! A brûle-pourpoint, j'ai même un bon top 5 qui se précise dans ma tête. J'espère simplement que j'arriverai à être à peu près objectif, vu que le critère "jeu d'acteur" n'est pas le seul qui entre en compte dans l'intérêt que je lui porte...
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