Joan Fontaine aurait eu 100 ans aujourd'hui. Ce qui est doublement triste car elle n'a pas été loin de les fêter en vrai, et cet anniversaire arrive, caprice du sort, la même semaine où nous avons perdu l'autre grande dame du cinéma née en 1917, Danielle Darrieux. Pour chasser ces sombres pensées, réjouissons-nous avec un top 5 des performances d'une actrice qui tourna tout de même avec George Cukor, Alfred Hitchcock et Max Ophüls!
5 ~ Ivy Lexton dans
Ivy (1947)
Si je me réfère à une critique non publiée que j'avais écrite lors d'une redécouverte de ce film de Sam Wood il y a trois ans, j'avais été très enthousiaste pour le contre-emploi opéré par l'actrice. En effet, alors que Joan Fontaine restera dans les annales comme la jeune fille timide et romantique par excellence (voir le reste du quintette), elle se dévoile dans Ivy sous un jour nouveau, celui d'une croqueuse de diamants n'ayant pas peur d'empoisonner des hommes pour collecter leur fortune! La surprise était de taille, et ce fut un réel plaisir que de découvrir une héroïne aussi peu scrupuleuse malgré son aura romantique et ses robes en dentelle. La performance m'avait également paru très lisible: on comprenait d'emblée ce que voulait le personnage, la réussite tenant dans la capacité de l'actrice de jouer de charme et de bonnes manières pour mieux tromper son monde, la dame ayant bien conscience que pour captiver le spectateur, Ivy doit être vue à l’œuvre. Toujours selon mes notes, sa fraîcheur dans la bonne humeur était particulièrement délicieuse, et sa perversité impressionnante puisqu'elle réussissait à faire passer tout le poids de l'ennui avec son époux en un regard... juste après avoir plaisanté avec lui. Le reste de la performance était de mémoire assez joliment nuancé, l'actrice sachant ajouter de l'inquiétude à sa dureté, avec toujours un charme fou pour mieux duper ses pairs. Tout n'était cependant pas au point sur la durée, la comédienne ayant le travers de minauder beaucoup trop dans la seconde partie, avec en outre quelques grimaces maladroites, mais d'après mes dires, elle savait toujours se rattraper pour éviter que son interprétation ne s'essouffle. Ce sera à revoir avec plaisir, mais ce second visionnage confirmait une déjà bonne impression initiale.
4 ~ La seconde Mrs. de Winter dans
Rebecca (1940)
Voici ce que je disais il y a environ cinq ans, une opinion toujours valable à l'heure actuelle: "Après s'être contentée de petits seconds rôles lors des années 1930, Joan Fontaine a commencé sa grande décennie en beauté avec ce rôle juteux sublimé par un climat angoissant qu'Hitchcock a restitué à merveille. Dès le départ, il ne fait aucun doute que Fontaine est le personnage: à la fois dynamique et impressionnable, elle rend parfaitement l'esprit de cette jeune fille de compagnie qui dès son séjour sur la Riviera ne se sent pas très à l'aise devant un Laurence Olivier mystérieux à souhait. Mais le clou du spectacle, c'est évidemment la progressive découverte de Manderley où Fontaine se révèle tellement nerveuse qu'on n'a aucun mal à croire aux troubles qu'elle ressent face à une demeure hantée par le souvenir d'une première épouse, dont le spectre est constamment ravivé par une Judith Anderson austère à souhait, et une décoration grandiose bien décidée à écraser de toute sa noblesse la frêle héroïne. Mais évidemment, Fontaine ne s'arrête pas là, aussi ne manque-t-elle pas de briller dès que son personnage parvient à vaincre ses démons pour s'imposer dans cet univers qui la dépasse, avec en point d'orgue la scène sur la plage avec Laurence Olivier: elle y gagne alors le charisme qui lui faisait défaut (ce qui servait le personnage!) dans la première partie, événement qui constitue l'apogée de son parcours avant que le point de vue passe de l'épouse au mari. L'actrice trouve ainsi l'équilibre idéal entre force de caractère et sentiment de n'être jamais à sa place, comme pour souligner le passage entre adolescence et âge adulte qui préfigure d'autres très bons rôles dans sa carrière."
3 ~ Jane Eyre dans
Jane Eyre (1943)
Autre opinion qui n'a pas changé ces cinq dernières années, sur ce joli film de Robert Stevenson: "Le rôle de Jane Eyre est totalement fait pour Joan Fontaine, dans la lignée des héroïnes gothiques amorcée par Rebecca, et autant dire que l'actrice s'en sort une fois de plus avec brio. Tout d'abord parce qu'elle se montre forte et fait preuve de détermination: on appréciera notamment comment Jane tient tête au directeur d'école rien qu'en gardant un air froid mais pas discourtois, avant d'admirer la façon dont l'actrice ne se laisse pas écraser par l'imposant Orson Welles, dont la taille et la voix de stentor auraient pourtant pu l'éclipser. Mais il n'en est rien, et Fontaine a suffisamment d'audace pour composer à ses côtés un très bon duo. Leurs échanges lui permettent notamment de révéler une héroïne forte qui sait dire ce qu'elle pense sans toutefois jamais oublier sa place, d'où le langage corporel assez soumis qu'adopte la comédienne malgré sa franchise; et lorsque les deux protagonistes deviennent complices, l'actrice conserve judicieusement tous ces aspects tout en y ajoutant une plus grande sensibilité émotionnelle qui émeut. Elle est notamment très bonne lorsque les larmes lui montent aux yeux lors de la réception, et la grande scène où Jane confesse enfin ses sentiments est réellement touchante par sa justesse de ton, et ce d'autant plus qu'avant d'en arriver là, Fontaine a parfaitement joué sur le mode de l'inquiétude, en faisant par exemple très bien naître le dépit sur son visage à propos des tourments causés par la présence d'une supposée rivale au château. La comparaison avec la brillante invitée souligne d'ailleurs le talent de l'actrice à adopter des manières très simples qui rendent crédible sa façon de se croire peu attirante, de même que sa relative réserve et sa politesse sont parfaitement en phase avec ce personnage de gouvernante. L'angoisse, élément clef de l'intrigue, est encore une sensation que l'actrice sait très bien faire sentir dans ses regards, de quoi rehausser le mystère que renferme la demeure ancestrale de Rochester, mais par bonheur, tout n'est pas qu'obscurité dans ce rôle, puisque Fontaine est absolument lumineuse dans les séquences plus enjouées avec Margaret O'Brien, ce qui étoffe joliment sa composition."
2 ~ Lisa Berndle dans
Letter from an Unknown Woman (1948)
Lettre d'une inconnue est sans conteste le plus grand film de Joan Fontaine, mais également le sommet de Max Ophüls, qui n'a jamais fait mieux que ce chef-d'oeuvre malgré ses morceaux de bravoure français avec Danielle Darrieux. Lettre d'une inconnue est aussi mon choix personnel pour le prix du meilleur film de 1948, et force est de reconnaître que ce film permet à Joan Fontaine de réaliser un exploit plus grand encore qu'en 1943 (voir ci-dessous), puisqu'elle doit convaincre que malgré ses 30 ans elle est bien une adolescente au début de l'histoire, avant d'avoir à jouer une femme plus mature mère d'un enfant. Or, Fontaine est tout simplement formidable à chaque période de la vie de l'héroïne: on croit autant à la jeune fille qu'à la grande dame mariée, et ce d'autant plus que l'actrice reste extrêmement fidèle à l'esprit du personnage tout au long du film, trouvant le juste équilibre entre un tempérament volontaire et une réserve délicate devant l'homme qu'elle aime et qui ne fait presque jamais attention à elle. La longue promenade viennoise où elle est enfin remarquée par le pianiste la montre sous un jour extrêmement chaleureux qui découle logiquement de la spontanéité de la jeune fille que Lisa était quelques années auparavant (n'hésitant pas à se glisser dans le saint des saints, ou à casser une alliance particulièrement brillante à Linz); tandis que la séparation, où elle comprend qu'elle n'aura été qu'une nuit parmi tant d'autres pour l'être aimé, est déchirante tant la scène est jouée avec subtilité. Quant à la tendre complicité liant Lisa à un époux bien averti qu'elle n'est pas amoureuse de lui, c'est l'une des plus jolies formes d'affection qu'on ait vue au cinéma, et l'actrice sait parfaitement en restituer toute la délicatesse. Moralité: ce film est vraiment d'une perfection absolue, et Joan Fontaine n'y est pas pour rien.
1 ~ Tessa Sanger dans
The Constant Nymph (1943)
Autre résumé d'il y a cinq ans, n'ayant pas revu ce film d'Edmund Goulding depuis, quoique ayant toujours gardé un souvenir très positif de cette performance: "Pour commencer, le grand exploit de Joan Fontaine ici est de se montrer extrêmement convaincante en adolescente. Certes, l'actrice était encore jeune, mais réussir à paraître 12 ans de moins sans autres artifices que sa coiffure et ses vêtements prouve que Fontaine a su totalement cerner le personnage et saisir la psychologie d'une jeune fille tourmentée par ses premiers sentiments. On sent bien que Tessa admire Lewis, mais il n'y a aucune trace de soumission ou de mièvrerie: Fontaine compose avec Charles Boyer sans se laisser écraser et n'oublie pas de rester dynamique en faisant preuve de caractère et de repartie. Elle se comporte en outre de la même façon avec le reste d'un très bon casting, au premier rang duquel Alexis Smith et Charles Coburn: elle a beau être traitée par eux comme une enfant, elle ne se laisse pour autant jamais dominer et s'arrange pour laisser une très bonne impression sans toutefois chercher à leur voler la vedette." Souvent, ce film est cité comme la plus belle expérience de cinéma vécue par l'actrice, et l'on comprend aisément pourquoi devant une telle réussite.
Autres performances que j'aime: Peggy Day dans The Women (1939), un rôle ingrat de cruche de service au sein d'une distribution flamboyante, que l'actrice parvient à rendre hilarant en n'ayant jamais peur de donner le meilleur d'elle-même dans les scènes les plus ridicules (l'expression de parfaite naïveté sur le discours du "bonheur illusoire"!), tout en révélant une facette cachée d'un personnage qui ne perd finalement jamais le nord en laissant son mari repentant se charger des frais de communication! Lina McLaidlaw dans Suspicion (1941), une performance honnie parce que récompensée d'un Oscar au détriment d'une compétition brillante, mais Fontaine y est sincèrement touchante à mesure qu'elle doute des intentions de Cary Grant. Eût-elle réussi à contrôler son sourcil fou, cette interprétation aurait pu devenir réellement captivante. Eve Graham dans The Bigamist (1953), où sous la direction de la divine Ida Lupino, Joan Fontaine rend très émouvant l'instant où elle réalise la duplicité de son mari, après avoir été très sereine auparavant.
Pour le reste, nous listerons un bon nombre de performances auxquelles on ne peut rien reprocher mais qui me transportent peu: This Above All (1942), From This Day Forward (1946), encore que je l'y trouve un peu trop star pour un sujet aussi réaliste, September Affair (1950) et Beyond a Reasonable Doubt (1956); des sommets de camp dont j'ai peu de souvenirs: The Affairs of Susan (1945), Ivanhoe (1952), où elle m'avait fait bonne impression pour le pur plaisir de voir une princesse à marier tenir la dragée haute à de terribles Normands, et Casanova's Big Night (1954); un énorme navet où elle est cependant très drôle alors qu'elle lutte contre un troupeau de moutons et une méchante à cornes: The Witches (1966); et deux ratés: Gunga Din (1939), où elle est coincée dans un rôle de fiancée insipide à pleurer, et Born to Be Bad (1950), où elle semble si méchante et prédatrice d'entrée de jeu qu'on se demande pourquoi les autres personnages ne fuient pas en courant.
Quoi qu'il en soit, personne ne bat Fontaine dans le registre des romances délicates aux parfums gothiques ou surannés, comme en témoigne ce quatuor impressionnant allant de Rebecca à Lettre d'une inconnue, en passant par Jane Eyre et La Nymphe au cœur fidèle. Pour toutes ces jolies performances, nous resterons éternellement reconnaissants envers Joan Fontaine, à qui nous souhaitons de conquérir de nouvelles légions d'admirateurs dans ce nouveau siècle.
Pour le reste, nous listerons un bon nombre de performances auxquelles on ne peut rien reprocher mais qui me transportent peu: This Above All (1942), From This Day Forward (1946), encore que je l'y trouve un peu trop star pour un sujet aussi réaliste, September Affair (1950) et Beyond a Reasonable Doubt (1956); des sommets de camp dont j'ai peu de souvenirs: The Affairs of Susan (1945), Ivanhoe (1952), où elle m'avait fait bonne impression pour le pur plaisir de voir une princesse à marier tenir la dragée haute à de terribles Normands, et Casanova's Big Night (1954); un énorme navet où elle est cependant très drôle alors qu'elle lutte contre un troupeau de moutons et une méchante à cornes: The Witches (1966); et deux ratés: Gunga Din (1939), où elle est coincée dans un rôle de fiancée insipide à pleurer, et Born to Be Bad (1950), où elle semble si méchante et prédatrice d'entrée de jeu qu'on se demande pourquoi les autres personnages ne fuient pas en courant.
Quoi qu'il en soit, personne ne bat Fontaine dans le registre des romances délicates aux parfums gothiques ou surannés, comme en témoigne ce quatuor impressionnant allant de Rebecca à Lettre d'une inconnue, en passant par Jane Eyre et La Nymphe au cœur fidèle. Pour toutes ces jolies performances, nous resterons éternellement reconnaissants envers Joan Fontaine, à qui nous souhaitons de conquérir de nouvelles légions d'admirateurs dans ce nouveau siècle.
Il m'en manque beaucoup ! Je la trouve parfaite dans son genre ("romantisme délicat" lui va comme un gant !) dans Rebecca, le film où je la préfère à l'état actuel de mes découvertes. Quant à Jane Eyre, elle était née pour ce rôle et s'en sort de belle manière, mais le film ne m'a pas enthousiasmé outre mesure (les versions modernes sont meilleures). J'avoue ne pas être fan du style d'Ophüls, ce qui fait que sa performance dans Lettre d'une inconnue ne m'a pas laissé un souvenir fabuleux...
RépondreSupprimerJ'admets en retour ne pas connaître les autres adaptations de Jane Eyre. J'ai dû voir celle avec Charlotte Gainsbourg dans les années 1990, et autant dire que ça remonte à trop loin.
SupprimerL'un des grands atouts de Joan Fontaine est pour moi sa filmographie: je tiens Jane Eyre et Rebecca pour de très bon films et Lettre d'une inconnue pour un chef-d’œuvre absolu. Ce qui lui fait trois grands sommets à son actif, quatre si l'on ajoute The Women, mais je suis désormais fâché avec ce film incroyablement toxique.
Pas que romantique et pas que délicate... C'est oublier son rôle dans "Born to be bad" (la bad, très bad, c'est elle!) de Nicholas Ray.
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