J'ai fini par dénicher par le plus grand des hasards Bordertown, un film de 1935 produit par la Warner ayant inspiré deux histoires similaires par la suite, They Drive by Night (1940) et Blowing Wild (1953). Quelle meilleure occasion, donc, que de comparer ces trois films qui, bien qu'ayant chacun un thème différent (le casino, les poids lourds et la nitroglycérine), mettent tous en scène de charmantes jeunes femmes qui n'aiment rien tant qu'occuper leurs soirées en... tuant leur mari dans l'espoir de coucher avec le joli subalterne sur qui elles ont jeté leur dévolu! Et quand ces trois grâces sont incarnées par rien moins que Bette Davis, Ida Lupino et Barbara Stanwyck, l'excitation est évidemment à son comble! Notez simplement que pour bien parler de ces films, je vais devoir tout dévoiler: regardez au moins They Drive by Night avant histoire de ne pas trop souffrir des révélations.
Bordertown (1935)
Film d'Archie Mayo sorti le 23 janvier 1935. On y suit les mésaventures de Johnny Ramirez (Paul Muni), un avocat d'origine mexicaine radié du barreau à cause d'un coup d'éclat en plein tribunal, et devant refaire sa vie dans le monde du casino. Mais c'est sans compter sur Marie Roark (Bette Davis), la femme du patron (Eugene Pallette), qui dégoûtée par son époux se met à désirer avec ardeur le nouveau venu. L'arrivée en ville de l'élégante Margaret Lindsay, qui ne laisse pas Johnny indifférent, est alors propice au déchaînement de toutes les passions...
Contrairement à mon a priori négatif sur les premiers films de Bette Davis, lorgnant trop vers la série B à mon goût, Bordertown se suit avec grand intérêt: ça annonce bien davantage La Forêt pétrifiée du même Archie Mayo que les Dangerous et compagnie, et le dynamisme des situations fait qu'on ne s'ennuie jamais. Par contre, si comme à peu près tout le monde de nos jours on découvre Bordertown après They Drive by Night, le premier pâtit clairement de la comparaison. Et pour cause! Paul Muni y est catastrophique, or toute la première demi-heure repose entièrement sur ses épaules, avant l'arrivée de Bette Davis. Je suis vraiment désolé pour cet acteur qui s'investissait énormément dans ses rôles au moyen de recherches minutieuses sur le parcours des personnages qu'il avait à interpréter, mais force est de reconnaître qu'à chaque fois qu'on lui demande de jouer un étranger, il tombe dans une caricature telle que c'en devient imbuvable. Ici, il a beau incarner un avocat qui passe brillamment son diplôme, il ne peut s'empêcher de parler comme un demeuré (voir également The Good Earth deux ans plus tard), et alors qu'il reprend du poil de la bête une fois qu'il devient lui-même patron du casino et parvient à faire autorité, le voilà qui se remet à partir dans ses pires travers dès qu'il retrouve Margaret Lindsay (la femme du monde ayant causé du tort à son premier client). Sans compter que dès qu'il tente de mimer la colère, il ouvre si grand les yeux que c'est tout aussi caricatural. Dès lors, la première partie captive peu, car entre la mère mélodramatique au possible, le religieux sentencieux et le phrasé de Paul Muni, on n'arrive jamais à se connecter aux déboires du héros alors qu'il n'arrive pas à faire son travail correctement au tribunal.
L'heure suivante est en revanche bien plus trépidante, puisqu'une fois qu'il intègre le casino d'Eugene Pallette, le pauvre Johnny se retrouve dans les griffes d'une folle furieuse à qui il tente par tous les moyens d'échapper, tout en fondant d'amour pour la fourbe mais distinguée Margaret Lindsay. A partir de là, Bette Davis devient tout autant le premier rôle que Paul Muni, ce qui dynamise considérablement l'histoire puisque l'actrice doit brosser l'évolution d'une dame a priori normale vers la folie obsessionnelle. Pourtant, comparé à They Drive by Night, on percevra encore quelques défauts dans cette seconde partie, notamment en ce qui concerne la relation maritale entre les époux Roark, bien moins développée, de telle sorte qu'on passe très vite sur Eugene Pallette, alors que They Drive by Night gagne justement à étoffer le personnage d'Alan Hale pour justifier les actions, honnêtes ou maléfiques, de son entourage. Dans tous les cas, la performance de Bette Davis vaut le détour, même si c'est la moins réussie des trois films (à sa décharge, elle n'avait rien pour lui servir d'inspiration et a dû créer des innovations par elle-même). Parmi les points forts, il est admirable de la voir suggérer que le personnage est malade bien que Marie joue un rôle en société, prenant parfois le bras de son mari comme si elle tenait à lui, et l'on sent très bien la gradation vers la folie, en passant par des tentatives de séduction de plus en plus ardentes. Néanmoins, Davis cherche trop à impressionner et certains de ses tics de l'époque ont mal vieilli: elle surjoue trop certaines scènes, ressuscitant ses effets de Of Human Bondage dans la colère lorsqu'elle humilie Paul Muni en lui rappelant qu'il ne serait rien sans elle, et souvent, ses œillades sont si appuyées qu'on se demande pourquoi le pauvre Johnny ne s'enfuit pas en courant. Mais tout cela est heureusement estompé par la grande séquence finale du procès: alors qu'Archie Mayo voulait faire de Marie une hystérique s'arrachant les cheveux, Bette Davis était bien déterminée à imposer sa vision de la maladie mentale (sa propre sœur était atteinte de troubles mentaux), d'où sa volonté de se montrer relativement calme sans pour autant perdre en expressivité (elle plisse notoirement les yeux pour illustrer la perte de repères de Marie). Il est vraiment dommage que la scène soit trop courte (à peine trente secondes, et sans plans de coupe sur les autres personnages pour avoir leurs réactions!), car la façon plutôt nouvelle qu'a Bette Davis de jouer la folie est captivante à analyser.
La fin, amère, diffère quant à elle de They Drive by Night à travers le personnage incarné par une Margaret Lindsay toujours charismatique, qui loin de n'être qu'une petite amie sympa s'avère finalement pire encore que Marie, laquelle a au moins le mérite de ne pouvoir se contrôler (à mettre également au crédit de Davis, le regard plein d'amour qu'elle jette à Paul Muni juste avant d'être interrogée et de sombrer définitivement). En effet, Miss Elwell n'est en fin de compte qu'une riche héritière inconstante, qui croit pouvoir faire la charité à l'avocat déchu en lui filant un billet, et qui après lui avoir fait mille promesses décide de le rejeter d'un revers de la main quand il la demande en mariage, car "ils ne sont pas du même monde". En filigrane apparaît la question du racisme, sur laquelle Bordertown prend une position ambiguë. Les Mexicains y ont une image plutôt positive: la mère, très mauvaise actrice, apporte une touche maternelle rassurante au fil de l’œuvre; le religieux a quant à lui l'image d'un saint, et Johnny lui même est immédiatement positionné comme la victime de riches blancs inconscients (Margaret Lindsay et son amant, alias l'avocat qui s'acharne contre Johnny lors du procès qui lui coûtera son poste; puis Bette Davis, qui tente de le faire accuser du meurtre qu'elle a commis seule). Cependant, cette manie d'appuyer sur les clichés (les Mexicains très pieux, les coups de sang latins de l'avocat incapable de défendre correctement son client au tribunal, le phrasé abject de Paul Muni) ne jouent clairement pas en faveur d'un possible message progressiste dans le film, sans compter que, tout favorable soit-il aux Mexicains, Bordertown n'en reste pas moins insultant envers le domestique chinois de Bette Davis, lequel se fait rabrouer en courbant les épaules. Certes, les séquences où il intervient sont surtout là pour montrer que Marie perd peu à peu la raison en se mettant très facilement en colère pour un rien, mais la voir ne parler que sèchement à ses employés blancs alors qu'elle s'acharne sur son domestique est malheureusement assez négatif.
Bordertown a donc ses défauts, auxquels on pourra ajouter une scène de prison totalement ratée, sur laquelle a été ajoutée une musique guillerette du plus mauvais aloi. Plastiquement, c'est photographié de façon correcte par Tony Gaudio, avec notamment un bon duel tout en tension dans le bureau, alors que Bette Davis et Paul Muni sont éclairés par une lampe centrale. Les décors abusent quant à eux de colonnes torsadées, ce qui traduit toutefois assez bien le mauvais goût des personnages filmés. Le tout se suit avec grand plaisir, mais on peut difficilement parler d'un réel bon film. 6/10.
Contrairement à mon a priori négatif sur les premiers films de Bette Davis, lorgnant trop vers la série B à mon goût, Bordertown se suit avec grand intérêt: ça annonce bien davantage La Forêt pétrifiée du même Archie Mayo que les Dangerous et compagnie, et le dynamisme des situations fait qu'on ne s'ennuie jamais. Par contre, si comme à peu près tout le monde de nos jours on découvre Bordertown après They Drive by Night, le premier pâtit clairement de la comparaison. Et pour cause! Paul Muni y est catastrophique, or toute la première demi-heure repose entièrement sur ses épaules, avant l'arrivée de Bette Davis. Je suis vraiment désolé pour cet acteur qui s'investissait énormément dans ses rôles au moyen de recherches minutieuses sur le parcours des personnages qu'il avait à interpréter, mais force est de reconnaître qu'à chaque fois qu'on lui demande de jouer un étranger, il tombe dans une caricature telle que c'en devient imbuvable. Ici, il a beau incarner un avocat qui passe brillamment son diplôme, il ne peut s'empêcher de parler comme un demeuré (voir également The Good Earth deux ans plus tard), et alors qu'il reprend du poil de la bête une fois qu'il devient lui-même patron du casino et parvient à faire autorité, le voilà qui se remet à partir dans ses pires travers dès qu'il retrouve Margaret Lindsay (la femme du monde ayant causé du tort à son premier client). Sans compter que dès qu'il tente de mimer la colère, il ouvre si grand les yeux que c'est tout aussi caricatural. Dès lors, la première partie captive peu, car entre la mère mélodramatique au possible, le religieux sentencieux et le phrasé de Paul Muni, on n'arrive jamais à se connecter aux déboires du héros alors qu'il n'arrive pas à faire son travail correctement au tribunal.
L'heure suivante est en revanche bien plus trépidante, puisqu'une fois qu'il intègre le casino d'Eugene Pallette, le pauvre Johnny se retrouve dans les griffes d'une folle furieuse à qui il tente par tous les moyens d'échapper, tout en fondant d'amour pour la fourbe mais distinguée Margaret Lindsay. A partir de là, Bette Davis devient tout autant le premier rôle que Paul Muni, ce qui dynamise considérablement l'histoire puisque l'actrice doit brosser l'évolution d'une dame a priori normale vers la folie obsessionnelle. Pourtant, comparé à They Drive by Night, on percevra encore quelques défauts dans cette seconde partie, notamment en ce qui concerne la relation maritale entre les époux Roark, bien moins développée, de telle sorte qu'on passe très vite sur Eugene Pallette, alors que They Drive by Night gagne justement à étoffer le personnage d'Alan Hale pour justifier les actions, honnêtes ou maléfiques, de son entourage. Dans tous les cas, la performance de Bette Davis vaut le détour, même si c'est la moins réussie des trois films (à sa décharge, elle n'avait rien pour lui servir d'inspiration et a dû créer des innovations par elle-même). Parmi les points forts, il est admirable de la voir suggérer que le personnage est malade bien que Marie joue un rôle en société, prenant parfois le bras de son mari comme si elle tenait à lui, et l'on sent très bien la gradation vers la folie, en passant par des tentatives de séduction de plus en plus ardentes. Néanmoins, Davis cherche trop à impressionner et certains de ses tics de l'époque ont mal vieilli: elle surjoue trop certaines scènes, ressuscitant ses effets de Of Human Bondage dans la colère lorsqu'elle humilie Paul Muni en lui rappelant qu'il ne serait rien sans elle, et souvent, ses œillades sont si appuyées qu'on se demande pourquoi le pauvre Johnny ne s'enfuit pas en courant. Mais tout cela est heureusement estompé par la grande séquence finale du procès: alors qu'Archie Mayo voulait faire de Marie une hystérique s'arrachant les cheveux, Bette Davis était bien déterminée à imposer sa vision de la maladie mentale (sa propre sœur était atteinte de troubles mentaux), d'où sa volonté de se montrer relativement calme sans pour autant perdre en expressivité (elle plisse notoirement les yeux pour illustrer la perte de repères de Marie). Il est vraiment dommage que la scène soit trop courte (à peine trente secondes, et sans plans de coupe sur les autres personnages pour avoir leurs réactions!), car la façon plutôt nouvelle qu'a Bette Davis de jouer la folie est captivante à analyser.
La fin, amère, diffère quant à elle de They Drive by Night à travers le personnage incarné par une Margaret Lindsay toujours charismatique, qui loin de n'être qu'une petite amie sympa s'avère finalement pire encore que Marie, laquelle a au moins le mérite de ne pouvoir se contrôler (à mettre également au crédit de Davis, le regard plein d'amour qu'elle jette à Paul Muni juste avant d'être interrogée et de sombrer définitivement). En effet, Miss Elwell n'est en fin de compte qu'une riche héritière inconstante, qui croit pouvoir faire la charité à l'avocat déchu en lui filant un billet, et qui après lui avoir fait mille promesses décide de le rejeter d'un revers de la main quand il la demande en mariage, car "ils ne sont pas du même monde". En filigrane apparaît la question du racisme, sur laquelle Bordertown prend une position ambiguë. Les Mexicains y ont une image plutôt positive: la mère, très mauvaise actrice, apporte une touche maternelle rassurante au fil de l’œuvre; le religieux a quant à lui l'image d'un saint, et Johnny lui même est immédiatement positionné comme la victime de riches blancs inconscients (Margaret Lindsay et son amant, alias l'avocat qui s'acharne contre Johnny lors du procès qui lui coûtera son poste; puis Bette Davis, qui tente de le faire accuser du meurtre qu'elle a commis seule). Cependant, cette manie d'appuyer sur les clichés (les Mexicains très pieux, les coups de sang latins de l'avocat incapable de défendre correctement son client au tribunal, le phrasé abject de Paul Muni) ne jouent clairement pas en faveur d'un possible message progressiste dans le film, sans compter que, tout favorable soit-il aux Mexicains, Bordertown n'en reste pas moins insultant envers le domestique chinois de Bette Davis, lequel se fait rabrouer en courbant les épaules. Certes, les séquences où il intervient sont surtout là pour montrer que Marie perd peu à peu la raison en se mettant très facilement en colère pour un rien, mais la voir ne parler que sèchement à ses employés blancs alors qu'elle s'acharne sur son domestique est malheureusement assez négatif.
Bordertown a donc ses défauts, auxquels on pourra ajouter une scène de prison totalement ratée, sur laquelle a été ajoutée une musique guillerette du plus mauvais aloi. Plastiquement, c'est photographié de façon correcte par Tony Gaudio, avec notamment un bon duel tout en tension dans le bureau, alors que Bette Davis et Paul Muni sont éclairés par une lampe centrale. Les décors abusent quant à eux de colonnes torsadées, ce qui traduit toutefois assez bien le mauvais goût des personnages filmés. Le tout se suit avec grand plaisir, mais on peut difficilement parler d'un réel bon film. 6/10.
They Drive by Night (1940)
Film de Raoul Walsh sorti le 27 juillet 1940. Cette fois-ci, les héros sont les frères Fabrini, Joe (George Raft) et Paul (Humphrey Bogart), qui désirent se mettre à leur compte comme transporteurs de marchandises, après avoir été très mal payés par leur ancien employeur. Au cours de leurs pérégrinations, ils finissent par retrouver un ancien ami, Ed Carlsen (Alan Hale), devenu propriétaire d'une flotte de poids lourds, lequel décide de les prendre sous son aile. Mais son intrigante épouse, Lana (Ida Lupino), qui avait des vues sur Joe depuis plusieurs années, n'est pas décidée à lâcher sa proie à présent qu'elle l'a ferrée à nouveau! Les choses se compliquent d'autant plus que Joe noue en parallèle une relation de plus en plus intense avec Cassie Hartley (Ann Sheridan), la sympathique serveuse qu'il héberge depuis qu'elle est au chômage.
A la fois drame social et film noir, They Drive by Night est de loin le meilleur film de cette série de "femmes dangeureuses", ce qui n'étonnera guère sachant qu'aucun des deux autres metteurs en scène ne soutient la comparaison avec Raoul Walsh. Nous resterons en tout cas extrêmement reconnaissants envers la Warner, qui avait un génie incontestable dans le mélange des genres (voire également Mildred Pierce de Curtiz, un élégant croisement du film noir et du Women's Picture), au point de créer des œuvres parfaitement excitantes même quand les thèmes de départ ne m'attirent pas (les camions et les pots d'échappement, merci bien!). Comparée à Bordertown, la partie sociale est nettement mieux maîtrisée, parce qu'elle arrive à explorer de nombreux thèmes à travers une multitude de personnages bien développés, jusqu'aux seconds rôles. Premier thème abordé: les dangers de la route. Le film commence d'ailleurs par un accident en plein jour histoire de bien marquer les esprits d'entrée de jeu, avant que n'en surviennent deux autres de nuit, tous deux étant dus à l'extrême fatigue des chauffeurs devant parcourir de longues distances, ce qui est d'autant plus tragique que l'un des collègues des frères Fabrini s'endort au volant alors qu'il n'avait plus qu'à rentrer chez lui à vide pour se reposer. On comprend alors aisément les inquiétudes des femmes, épouses et petites amies, qui doivent passer de longues journées seules. Ce thème de l'absence est fort bien retranscrit par l'image, avec un split-screen rapprochant momentanément Ann Sheridan et George Raft alors qu'ils se téléphonent, lors d'un appel d'ailleurs limité à trois minutes qui sera impitoyablement interrompu par l'opératrice. De son côté, Gale Page, qui joue l'épouse d'Humphrey Bogart, en vient à se réjouir de l'accident ayant coûté un bras à son mari, car elle sait que cela met immédiatement fin à son travail dangereux et à ses absences répétées. Le scénario gagne justement à faire dialoguer ces points de vues différents et parfois choquants. En outre, l'élévation de Joe comme chef du garage de la flotte, geste reflétant le désir de Lana de le garder près d'elle, est perçu comme quelque chose d'extrêmement rassurant: on quitte les images sombres des routes de nuit pour de grandes salles lumineuses, en un jeu de contrastes saisissant. D'autre part, les thèmes du chômage et de l'entraide entre petites gens sont richement exploités: les frères Fabrini doivent constamment lutter contre des patrons avares capables d'envoyer leur sbires pour éviter qu'ils ne réclament le salaire auquel ils ont droit, ou contre la saisie de leur propre véhicule, tout en devant jouer d'astuces pour faire monter les prix une fois qu'ils sont à leur compte. De son côté, Cassie préfère quitter son emploi par dégoût des mains baladeuses, et la voir trouver un terrain d'entente avec les frères qu'elle avait rabroués de prime abord fait plaisir.
Ceci dit, si la partie sociale regorge d'intérêt, la partie noire n'a rien à lui envier, puisque là aussi, They Drive by Night brille tout particulièrement par sa mise en scène inspirée. Comme je le disais plus haut, le film de Walsh a l'avantage de mieux développer le personnage du patron, le temps de bien comprendre que Lana Carlsen a épousé un homme grossier, mais n'ayant pas mauvais fond, pour se sortir elle aussi d'une situation peu enviable au départ (Ed était chauffeur routier à la base, et Lana suggère assez de vulgarité pour supposer qu'elle n'a pas toujours été une femme du monde). Et l'on comprend également mieux pourquoi elle finit par succomber au meurtre: Ed passe son temps à la caresser, d'où l'image d'un emprisonnement physique étouffant, et elle a surtout bien conscience que c'est son nom de femme mariée qui empêche Joe de coucher avec elle, car il ne veut pas trahir son ami. La scène dans le jardin, où une fois larguée, Lana répéte en boucle "Mrs. Carlsen! Mrs. Carlsen!" avec dépit, puisque Joe ne veut pas l'appeler par son prénom, donne d'autant plus de force à ses actes à venir, alors que tout cela n'était suggéré qu'en une phrase dans Bordertown. Mais le plus impressionnant dans tout cela, c'est la façon qu'a Raoul Walsh de mettre en scène l'image des portes. Le réalisateur crée en fait une bonne montée en tension en montrant Ed présenter fièrement à ses invités son nouveau garage automatique qui s'ouvre simplement lorsque la lumière détecte une présence. Du coup, on angoisse absolument lorsque Lana comprend qu'elle a le choix de laisser son mari en vie ou non, alors qu'il lui suffit de laisser le moteur allumé et son mari ivre mort dans la voiture pour fermer le garage sans qu'il soit question de clefs. L'image d'Ida Lupino hésitant à franchir la ligne de détection a finalement beaucoup plus de force que celle de Bette Davis dans Bordertown: le fonctionnement du garage est bien amené par le scénario, le détecteur est nettement plus lumineux, et les deux portes gigantesques qui se referment d'elles-mêmes derrière l'actrice sont cent fois plus terrifiantes que la simple porte de 1935. En outre, il est tout simplement plus logique de laisser Ed assis à l'avant du véhicule, pour que Lana fasse croire qu'il aura voulu redémarrer la voiture en étant ivre, plutôt que l'installer à l'arrière comme c'est le cas chez les époux Roark. Enfin, la simple idée d'avoir installé des portes automatiques dans la prison est brillante, car ça renforce la performance d'Ida Lupino, pouvant ainsi suggérer le regret et le traumatisme.
Parlons franchement: Ida Lupino est exceptionnelle dans ce rôle. Dès son entrée en scène à la fenêtre d'un immeuble, on la sent d'emblée nerveuse, comme déjà sur la voie de sombrer dans la folie. Ses tentatives de séduction, mâtinées de vulgarité, sont quant à elles beaucoup plus suggestives que les œillades forcées de Bette Davis; ses pleurs de douleurs devant les policiers, alors que la mort de son mari est jugée accidentelle, réussissent pour leur part à mêler fausses larmes et sourire triomphant (!); la colère de Lana, alors que Joe la rejette encore une fois qu'elle est disponible, est constamment crédible, y compris selon les critères de jeu plus marqués de l'époque; et surtout, Ida réussit un véritable tour de force lorsqu'elle s'effondre sur sa porte, car elle parvient à rendre vrai le regret de Lana, qui ne voulait pas tellement tuer son mari qu'être aimée de Joe. Et cependant, ce n'est pas tout: les scènes de prison, après que Lana s'est volontairement accusée du meurtre d'Ed pour faire tomber Joe avec elle, sont chacune l'occasion d'un véritable morceau de bravoure, qu'il s'agisse pour Lana d'être sincèrement traumatisée par la vue de portes automatiques, ou qu'il lui faille défier Ann Sheridan du regard tout en se ridiculisant avec classe, en se prétendant être le grand amour de Joe. Mais Ida Lupino frappe encore plus fort avec une dernière séquence à couper le souffle, lorsqu'elle sombre totalement dans la folie au tribunal: toutes les émotions se bousculent sur son visage, de la peur au rire, avant que son obsession ne se focalise sur les fameuses portes, en une scène de cris incroyablement bien joués même dans l'emphase: "The doors made me do it!" A la fin, seul son tic de se passer la main dans les cheveux dès qu'elle a peur se remarque un peu trop, mais il s'agit là d'un véritable triomphe. L'histoire de Lana n'étant que secondaire compte tenu des thèmes sociaux évoqués à l'instant, Ida Lupino est sans conteste la grande lauréate de l'Orfeoscar du second rôle 1940, et dieu sait si l'année est chargée de ce côté là! Le documentaire dans les bonus du disque rappelle par ailleurs que l'actrice reçut une longue ovation lors de la première, au détriment de ses partenaires.
Ceux-ci sont pourtant excellents, mais il est vrai que leurs rôles n'ont pas autant de couleurs. George Raft y est en tout cas surprenant car il arrive à connecter l'audience à ses déboires, bien qu'il ne soit toujours pas capable d'avoir plus de deux expressions (il reste beaucoup trop froid devant l'accident de son frère, ou devant les confessions de sa belle-sœur). Mais le voir jouer un héros donne quoi qu'il en soit une impression de nouveauté qui lui sied bien. De son côté, Ann Sheridan se défend bien, en composant un personnage sympathique plein de bon sens. Elle arrive surtout à ne pas se faire éclipser par Ida Lupino lors de leur rencontre, et ce grâce à un jeu calme qui renforce le sérieux du personnage face à la folie de l'autre. En outre, son regard étonné au tribunal (celui de George Raft également), quoique pas exigeant pour l'actrice, permet de renforcer la force tragique de la séquence, ce dont manquait cruellement la mise en scène de 1935. Enfin, Humphrey Bogart est lui aussi plus expressif qu'à l'accoutumée, et si son unique scène de colère, alors qu'il se retrouve manchot en famille, est trop brève pour lui donner du grain à moudre, il se rattrape avec une jolie séquence comique, lorsqu'il fait des mimiques derrière le potentiel acheteur de citrons avec lequel son frère est en train de marchander!
Avec tous ces atouts à son actif, They Drive by Night est un film très riche, ce qui est d'autant plus surprenant que ça ne dure qu'une heure et demie. Mais décidément, tous ces thèmes s'entremêlent à la perfection, du drame social au film noir. Certains regrettent qu'Humphrey Bogart disparaisse quasiment du film après son accident, au profit d'Ida Lupino et de sa psyché compliquée, mais à partir du moment où il ne peut plus prendre la route, je ne vois pas ce que les scénaristes auraient pu ajouter, après déjà pas mal d'événements mouvementés le concernant. Quoi qu'il en soit, le film est une réussite totale. J'avais mis 7 jadis, mais redécouvrir un drame aussi captivant, qui plus est à partir d'un sujet auquel j'aurais pensé être hermétique, me fait désormais pencher vers un bon 8/10.
A la fois drame social et film noir, They Drive by Night est de loin le meilleur film de cette série de "femmes dangeureuses", ce qui n'étonnera guère sachant qu'aucun des deux autres metteurs en scène ne soutient la comparaison avec Raoul Walsh. Nous resterons en tout cas extrêmement reconnaissants envers la Warner, qui avait un génie incontestable dans le mélange des genres (voire également Mildred Pierce de Curtiz, un élégant croisement du film noir et du Women's Picture), au point de créer des œuvres parfaitement excitantes même quand les thèmes de départ ne m'attirent pas (les camions et les pots d'échappement, merci bien!). Comparée à Bordertown, la partie sociale est nettement mieux maîtrisée, parce qu'elle arrive à explorer de nombreux thèmes à travers une multitude de personnages bien développés, jusqu'aux seconds rôles. Premier thème abordé: les dangers de la route. Le film commence d'ailleurs par un accident en plein jour histoire de bien marquer les esprits d'entrée de jeu, avant que n'en surviennent deux autres de nuit, tous deux étant dus à l'extrême fatigue des chauffeurs devant parcourir de longues distances, ce qui est d'autant plus tragique que l'un des collègues des frères Fabrini s'endort au volant alors qu'il n'avait plus qu'à rentrer chez lui à vide pour se reposer. On comprend alors aisément les inquiétudes des femmes, épouses et petites amies, qui doivent passer de longues journées seules. Ce thème de l'absence est fort bien retranscrit par l'image, avec un split-screen rapprochant momentanément Ann Sheridan et George Raft alors qu'ils se téléphonent, lors d'un appel d'ailleurs limité à trois minutes qui sera impitoyablement interrompu par l'opératrice. De son côté, Gale Page, qui joue l'épouse d'Humphrey Bogart, en vient à se réjouir de l'accident ayant coûté un bras à son mari, car elle sait que cela met immédiatement fin à son travail dangereux et à ses absences répétées. Le scénario gagne justement à faire dialoguer ces points de vues différents et parfois choquants. En outre, l'élévation de Joe comme chef du garage de la flotte, geste reflétant le désir de Lana de le garder près d'elle, est perçu comme quelque chose d'extrêmement rassurant: on quitte les images sombres des routes de nuit pour de grandes salles lumineuses, en un jeu de contrastes saisissant. D'autre part, les thèmes du chômage et de l'entraide entre petites gens sont richement exploités: les frères Fabrini doivent constamment lutter contre des patrons avares capables d'envoyer leur sbires pour éviter qu'ils ne réclament le salaire auquel ils ont droit, ou contre la saisie de leur propre véhicule, tout en devant jouer d'astuces pour faire monter les prix une fois qu'ils sont à leur compte. De son côté, Cassie préfère quitter son emploi par dégoût des mains baladeuses, et la voir trouver un terrain d'entente avec les frères qu'elle avait rabroués de prime abord fait plaisir.
Ceci dit, si la partie sociale regorge d'intérêt, la partie noire n'a rien à lui envier, puisque là aussi, They Drive by Night brille tout particulièrement par sa mise en scène inspirée. Comme je le disais plus haut, le film de Walsh a l'avantage de mieux développer le personnage du patron, le temps de bien comprendre que Lana Carlsen a épousé un homme grossier, mais n'ayant pas mauvais fond, pour se sortir elle aussi d'une situation peu enviable au départ (Ed était chauffeur routier à la base, et Lana suggère assez de vulgarité pour supposer qu'elle n'a pas toujours été une femme du monde). Et l'on comprend également mieux pourquoi elle finit par succomber au meurtre: Ed passe son temps à la caresser, d'où l'image d'un emprisonnement physique étouffant, et elle a surtout bien conscience que c'est son nom de femme mariée qui empêche Joe de coucher avec elle, car il ne veut pas trahir son ami. La scène dans le jardin, où une fois larguée, Lana répéte en boucle "Mrs. Carlsen! Mrs. Carlsen!" avec dépit, puisque Joe ne veut pas l'appeler par son prénom, donne d'autant plus de force à ses actes à venir, alors que tout cela n'était suggéré qu'en une phrase dans Bordertown. Mais le plus impressionnant dans tout cela, c'est la façon qu'a Raoul Walsh de mettre en scène l'image des portes. Le réalisateur crée en fait une bonne montée en tension en montrant Ed présenter fièrement à ses invités son nouveau garage automatique qui s'ouvre simplement lorsque la lumière détecte une présence. Du coup, on angoisse absolument lorsque Lana comprend qu'elle a le choix de laisser son mari en vie ou non, alors qu'il lui suffit de laisser le moteur allumé et son mari ivre mort dans la voiture pour fermer le garage sans qu'il soit question de clefs. L'image d'Ida Lupino hésitant à franchir la ligne de détection a finalement beaucoup plus de force que celle de Bette Davis dans Bordertown: le fonctionnement du garage est bien amené par le scénario, le détecteur est nettement plus lumineux, et les deux portes gigantesques qui se referment d'elles-mêmes derrière l'actrice sont cent fois plus terrifiantes que la simple porte de 1935. En outre, il est tout simplement plus logique de laisser Ed assis à l'avant du véhicule, pour que Lana fasse croire qu'il aura voulu redémarrer la voiture en étant ivre, plutôt que l'installer à l'arrière comme c'est le cas chez les époux Roark. Enfin, la simple idée d'avoir installé des portes automatiques dans la prison est brillante, car ça renforce la performance d'Ida Lupino, pouvant ainsi suggérer le regret et le traumatisme.
Parlons franchement: Ida Lupino est exceptionnelle dans ce rôle. Dès son entrée en scène à la fenêtre d'un immeuble, on la sent d'emblée nerveuse, comme déjà sur la voie de sombrer dans la folie. Ses tentatives de séduction, mâtinées de vulgarité, sont quant à elles beaucoup plus suggestives que les œillades forcées de Bette Davis; ses pleurs de douleurs devant les policiers, alors que la mort de son mari est jugée accidentelle, réussissent pour leur part à mêler fausses larmes et sourire triomphant (!); la colère de Lana, alors que Joe la rejette encore une fois qu'elle est disponible, est constamment crédible, y compris selon les critères de jeu plus marqués de l'époque; et surtout, Ida réussit un véritable tour de force lorsqu'elle s'effondre sur sa porte, car elle parvient à rendre vrai le regret de Lana, qui ne voulait pas tellement tuer son mari qu'être aimée de Joe. Et cependant, ce n'est pas tout: les scènes de prison, après que Lana s'est volontairement accusée du meurtre d'Ed pour faire tomber Joe avec elle, sont chacune l'occasion d'un véritable morceau de bravoure, qu'il s'agisse pour Lana d'être sincèrement traumatisée par la vue de portes automatiques, ou qu'il lui faille défier Ann Sheridan du regard tout en se ridiculisant avec classe, en se prétendant être le grand amour de Joe. Mais Ida Lupino frappe encore plus fort avec une dernière séquence à couper le souffle, lorsqu'elle sombre totalement dans la folie au tribunal: toutes les émotions se bousculent sur son visage, de la peur au rire, avant que son obsession ne se focalise sur les fameuses portes, en une scène de cris incroyablement bien joués même dans l'emphase: "The doors made me do it!" A la fin, seul son tic de se passer la main dans les cheveux dès qu'elle a peur se remarque un peu trop, mais il s'agit là d'un véritable triomphe. L'histoire de Lana n'étant que secondaire compte tenu des thèmes sociaux évoqués à l'instant, Ida Lupino est sans conteste la grande lauréate de l'Orfeoscar du second rôle 1940, et dieu sait si l'année est chargée de ce côté là! Le documentaire dans les bonus du disque rappelle par ailleurs que l'actrice reçut une longue ovation lors de la première, au détriment de ses partenaires.
Ceux-ci sont pourtant excellents, mais il est vrai que leurs rôles n'ont pas autant de couleurs. George Raft y est en tout cas surprenant car il arrive à connecter l'audience à ses déboires, bien qu'il ne soit toujours pas capable d'avoir plus de deux expressions (il reste beaucoup trop froid devant l'accident de son frère, ou devant les confessions de sa belle-sœur). Mais le voir jouer un héros donne quoi qu'il en soit une impression de nouveauté qui lui sied bien. De son côté, Ann Sheridan se défend bien, en composant un personnage sympathique plein de bon sens. Elle arrive surtout à ne pas se faire éclipser par Ida Lupino lors de leur rencontre, et ce grâce à un jeu calme qui renforce le sérieux du personnage face à la folie de l'autre. En outre, son regard étonné au tribunal (celui de George Raft également), quoique pas exigeant pour l'actrice, permet de renforcer la force tragique de la séquence, ce dont manquait cruellement la mise en scène de 1935. Enfin, Humphrey Bogart est lui aussi plus expressif qu'à l'accoutumée, et si son unique scène de colère, alors qu'il se retrouve manchot en famille, est trop brève pour lui donner du grain à moudre, il se rattrape avec une jolie séquence comique, lorsqu'il fait des mimiques derrière le potentiel acheteur de citrons avec lequel son frère est en train de marchander!
Avec tous ces atouts à son actif, They Drive by Night est un film très riche, ce qui est d'autant plus surprenant que ça ne dure qu'une heure et demie. Mais décidément, tous ces thèmes s'entremêlent à la perfection, du drame social au film noir. Certains regrettent qu'Humphrey Bogart disparaisse quasiment du film après son accident, au profit d'Ida Lupino et de sa psyché compliquée, mais à partir du moment où il ne peut plus prendre la route, je ne vois pas ce que les scénaristes auraient pu ajouter, après déjà pas mal d'événements mouvementés le concernant. Quoi qu'il en soit, le film est une réussite totale. J'avais mis 7 jadis, mais redécouvrir un drame aussi captivant, qui plus est à partir d'un sujet auquel j'aurais pensé être hermétique, me fait désormais pencher vers un bon 8/10.
Blowing Wild (1953)
Ce film d'Hugo Fregonese, sorti le 16 septembre 1953, diffère plus clairement des deux autres, qui à défaut de ne pas tourner autour des mêmes métiers avaient de très nombreux points communs. Blowing Wild est tout de même à part: ça ressemble davantage à un western, avec bandits de grand chemin en sombreros, et comme objets de convoitise le pétrole et la nitroglycérine. La femme fatale, Marina Conway (Barbara Stanwyck) est aussi plus développée et intervient d'ailleurs très tôt dans l'histoire, tandis que Paco Conway (Anthony Quinn) tranche avec les physiques plus gras et repoussants d'Alan Hale et Eugene Pallette. Le crime n'a également pas la même portée que dans les films précédents, puisqu'il s'agit de pousser l'époux encombrant dans un puits, sous une machine broyeuse. Le film est en tout cas l'occasion pour Gary Cooper et Barbara Stawyck de se réunir une dernière fois, après leurs péripéties de 1941.
Ce film d'Hugo Fregonese, sorti le 16 septembre 1953, diffère plus clairement des deux autres, qui à défaut de ne pas tourner autour des mêmes métiers avaient de très nombreux points communs. Blowing Wild est tout de même à part: ça ressemble davantage à un western, avec bandits de grand chemin en sombreros, et comme objets de convoitise le pétrole et la nitroglycérine. La femme fatale, Marina Conway (Barbara Stanwyck) est aussi plus développée et intervient d'ailleurs très tôt dans l'histoire, tandis que Paco Conway (Anthony Quinn) tranche avec les physiques plus gras et repoussants d'Alan Hale et Eugene Pallette. Le crime n'a également pas la même portée que dans les films précédents, puisqu'il s'agit de pousser l'époux encombrant dans un puits, sous une machine broyeuse. Le film est en tout cas l'occasion pour Gary Cooper et Barbara Stawyck de se réunir une dernière fois, après leurs péripéties de 1941.
J'ai découvert ce film hier soir dans la foulée de Bordertown, et je vous avouerai ne pas trop savoir comment en parler. La copie que j'ai dénichée n'était pas de bonne qualité et malgré tout, difficile de passer à travers les innombrables défauts formels de l’œuvre: montage à la guillotine avec des fins de scènes sabrées, photographie épileptique capable de transformer une scène de poursuite en voiture en image de mauvaise série télévisée, sachant que l'ambiance trop ostensiblement western se marie assez mal à l'atmosphère noire recherchée. La musique a beau être signée Dimitri Tiomkin, la chanson guillerette du générique passe très mal sur les scènes de chevauchée, tant le refrain ressemble à une chanson sucrée pour midinettes, malgré une composition plus habituellement "western" lors des couplets. Bref, on est dans de la série B pur jus. Cependant, l'ambiance hispanique est souvent agréable, entre cactus, façades blanches et Barbara Stanwyck prenant l'air sur le balcon d'une hacienda. Surtout, Blowing Wild n'est pas exactement mal mis en scène. Certaines images contiennent plus d'un trait de génie, par exemple dans la façon de positionner Jeff et Marina côte à côte, en dissimulant les bras qui se touchent, comme pour suggérer qu'ils se prennent la main, alors que Paco regarde devant lui au premier plan. Le gros plan sur le visage de Barbara Stanwyck, embrassée de force alors que son regard tente de fuir la scène et se porte sur la machine à broyer, est également très fort et mémorable. De même, les contrastes des vêtements blancs sur la nuit noire créent de jolies images, de quoi prouver que tout n'est pas à jeter dans le film, malgré d'impardonnables erreurs.
Barbara Stanwyck est en réalité, et sans surprise, la véritable lumière du film. Dès son apparition, on sent tout de suite qu'elle n'aime pas son mari, mais tout cela est joué avec une subtilité incroyable qui tranche avec les effets plus prononcés de Bette Davis et Ida Lupino, malgré le brillant de la seconde. Surtout, certains de ses regards suggèrent de véritables vestiges d'amour chez l'héroïne, et lorsque celle-ci joue sur le mode de la séduction, c'est avec un tel charisme qu'on ne peut évidemment que tomber sous le charme. D'ailleurs, la mise en scène gagne au contact de cette actrice hors pair, notamment lorsque Marina rentre dans la chambre de Jeff, qui braque sa lampe sur elle pour voir qui est là, avant que la dame n'allume elle-même une autre lumière en un geste fort suggestif. Pour aller plus loin, Barbara Stanwyk joue extrêmement bien le conflit la liant à Gary Cooper: elle fait monter la tension rien que par sa façon de le regarder et de se placer par rapport à lui, tandis que ses rapports non moins conflictuels avec Ruth Roman, la seconde femme du film, d'ailleurs dotée de beaucoup d'allure, sont retranscrits avec tout ce qu'il faut de défi et de calme froid dans le regard. Surtout, à mettre au crédit de la star, la furtive expression de plaisir qui passe entre deux dents de la machine à broyer, juste après le meurtre (cf la scène du klaxon dans Double Indemnity), mais également l'inquiétude calme lors des séquences de la nouvelle vie du personnage, avant une explosion de colère savamment dosée. A côté, les autres acteurs ne sont pas nécessairement mauvais, mais aucun d'entre eux n'est aussi marquant que les personnages de They Drive by Night. De toute manière, Barbara éclipse tout le monde dès qu'elle monte à cheval: la partie était perdue d'avance.
Blowing Wild m'intéressant nettement moins que les deux films précédents, j'ai plus de mal à développer mon ressenti (les séquences avec les bandits ou avec Ruth Roman m'ont barbé), mais en dépit de trouvailles intéressantes, ce n'est pas assez bon pour espérer dépasser un faible 5/10. Barbara Stanwyck est excellente, mais ce n'est pas une performance qui surprend dans sa carrière, d'autant que le personnage est le moins fou des trois, d'où mon intérêt peut-être plus prononcé pour les essais de Bette Davis dix-huit ans plus tôt malgré certaines scories. Ida Lupino donne de toute manière la plus grande interprétation citée dans cet article.
Conclusion: les trois films ont beau reprendre une trame similaire, ils sont heureusement assez variés pour que chacun soit une découverte plaisante, y compris Blowing Wild, beaucoup plus hispanique que les deux autres, malgré son image offensante des Mexicains (la Warner dut même couper des scènes pour le vendre au Mexique). D'un autre côté, si les histoires sont plutôt misogynes, film noir oblige, il est appréciable de constater qu'aucune des meurtrières en question n'est présentée comme une femme fatale froide et sanguinaire. Marie Roark, Lana Clarlsen et Marina Conway veulent simplement être aimée de l'homme qu'elles désirent, et n'envisagent pas de tuer leur époux de prime abord. Ce sont toujours des circonstances fortuites qui les poussent à sauter le pas. Bette Davis, Ida Lupino et Barbara Stanwyck arrivent en outre à donner une dimension humaine à ces femmes, au point qu'on finit par les trouver touchantes d'une certaine manière (deux d'entre elles sont clairement malades), bien que l'on ne soit pas de leur côté.
Barbara Stanwyck est en réalité, et sans surprise, la véritable lumière du film. Dès son apparition, on sent tout de suite qu'elle n'aime pas son mari, mais tout cela est joué avec une subtilité incroyable qui tranche avec les effets plus prononcés de Bette Davis et Ida Lupino, malgré le brillant de la seconde. Surtout, certains de ses regards suggèrent de véritables vestiges d'amour chez l'héroïne, et lorsque celle-ci joue sur le mode de la séduction, c'est avec un tel charisme qu'on ne peut évidemment que tomber sous le charme. D'ailleurs, la mise en scène gagne au contact de cette actrice hors pair, notamment lorsque Marina rentre dans la chambre de Jeff, qui braque sa lampe sur elle pour voir qui est là, avant que la dame n'allume elle-même une autre lumière en un geste fort suggestif. Pour aller plus loin, Barbara Stanwyk joue extrêmement bien le conflit la liant à Gary Cooper: elle fait monter la tension rien que par sa façon de le regarder et de se placer par rapport à lui, tandis que ses rapports non moins conflictuels avec Ruth Roman, la seconde femme du film, d'ailleurs dotée de beaucoup d'allure, sont retranscrits avec tout ce qu'il faut de défi et de calme froid dans le regard. Surtout, à mettre au crédit de la star, la furtive expression de plaisir qui passe entre deux dents de la machine à broyer, juste après le meurtre (cf la scène du klaxon dans Double Indemnity), mais également l'inquiétude calme lors des séquences de la nouvelle vie du personnage, avant une explosion de colère savamment dosée. A côté, les autres acteurs ne sont pas nécessairement mauvais, mais aucun d'entre eux n'est aussi marquant que les personnages de They Drive by Night. De toute manière, Barbara éclipse tout le monde dès qu'elle monte à cheval: la partie était perdue d'avance.
Blowing Wild m'intéressant nettement moins que les deux films précédents, j'ai plus de mal à développer mon ressenti (les séquences avec les bandits ou avec Ruth Roman m'ont barbé), mais en dépit de trouvailles intéressantes, ce n'est pas assez bon pour espérer dépasser un faible 5/10. Barbara Stanwyck est excellente, mais ce n'est pas une performance qui surprend dans sa carrière, d'autant que le personnage est le moins fou des trois, d'où mon intérêt peut-être plus prononcé pour les essais de Bette Davis dix-huit ans plus tôt malgré certaines scories. Ida Lupino donne de toute manière la plus grande interprétation citée dans cet article.
Conclusion: les trois films ont beau reprendre une trame similaire, ils sont heureusement assez variés pour que chacun soit une découverte plaisante, y compris Blowing Wild, beaucoup plus hispanique que les deux autres, malgré son image offensante des Mexicains (la Warner dut même couper des scènes pour le vendre au Mexique). D'un autre côté, si les histoires sont plutôt misogynes, film noir oblige, il est appréciable de constater qu'aucune des meurtrières en question n'est présentée comme une femme fatale froide et sanguinaire. Marie Roark, Lana Clarlsen et Marina Conway veulent simplement être aimée de l'homme qu'elles désirent, et n'envisagent pas de tuer leur époux de prime abord. Ce sont toujours des circonstances fortuites qui les poussent à sauter le pas. Bette Davis, Ida Lupino et Barbara Stanwyck arrivent en outre à donner une dimension humaine à ces femmes, au point qu'on finit par les trouver touchantes d'une certaine manière (deux d'entre elles sont clairement malades), bien que l'on ne soit pas de leur côté.
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