Cette semaine, je suis allé voir The Children Act (en français My Lady), parce qu'après avoir disparu de la circulation durant les années 2000, Emma Thompson reste toujours très attendue lorsqu'elle retrouve le chemin des films de prestige dans lesquels son gigantesque talent mérite de s'épanouir. Ainsi, après son grand retour en forme dans le registre comique il y a cinq ans pour la genèse de Mary Poppins, la voici refaisant une entrée triomphale dans le drame avec ce film de Richard Eyre (Notes on a Scandal), centré sur une magistrate spécialisée dans le droit de l'enfant, qui doit décider si oui ou non un jeune homme encore mineur et témoin de Jéhovah peut refuser une transfusion sanguine qui pourrait le sauver. Le scénario est de Ian McEwan, qui a pour l'occasion adapté son propre roman, dont je vais devoir tout révéler étant donné que ma principale critique du film concerne précisément l'intrigue. Si vous n'y avez pas encore jeté un œil, vous voilà avertis.
Tout cela pour dire que The Children Act fonctionne très honorablement dans sa première partie: l'héroïne, Fiona Maye, est développée aussi bien dans sa vie personnelle que professionnelle, de telle sorte qu'on a constamment envie de savoir comment elle va résoudre ses problèmes, d'une part son couple battant de l'aile, et de l'autre son impartialité l'obligeant à rendre des verdicts pas toujours populaires. Ces deux aspects de l'histoire sont bien amenés. L'histoire maritale montre notamment assez de complicité entre Jack et Fiona, malgré l'énorme distance qui les sépare, pour donner une certaine saveur à cette relation malgré les clichés éculés (un couple sans enfant, une femme absorbée par sa carrière qui ne couche plus avec son mari, etc). Voir l'époux (Stanley Tucci) proposer à Fiona d'entrée de jeu de rester en bons termes mais d'accepter qu'il entame une liaison ailleurs, puisqu'ils ne se touchent plus depuis longtemps, est honnêtement intrigant, et comme précisé, les touches de complicité que l'on ressent, malgré leurs rapports de plus en plus froids, donnent un suspense salvateur quant à l'avenir de cette relation. De l'autre côté de la rue, les procès sont eux aussi captivants, puisque Fiona doit d'une part décider de la meilleure chose à faire dans le cas de bébés siamois à séparer, avant d'en arriver au cœur du sujet, à savoir le jeune adolescent, Adam, issu d'une secte pour qui la transfusion est un péché capital. Puisque le scénario adopte le point de vue, impartial, de la juge, on entend les arguments des deux côtés sans qu'à ce moment là le ton soit trop sentencieux envers la famille croyante, bien que l'on ne doute jamais du verdict dans la mesure où l'intérêt de l'enfant est le postulat de départ du travail de Fiona Maye. Révélation: bien entendu, elle juge bon que le jeune homme reçoive la transfusion permettant de le sauver, et l'on comprend bien qu'elle avait déjà pris sa décision avant même de le rencontrer, rencontre motivée par des motifs personnels et qui ne s'imposait pas nécessairement dans la procédure.
Bien, mais une fois la décision prise, on sent bien que peu de temps s'est écoulé depuis le début du film, et l'on se demande vraiment ce qu'on va bien pouvoir nous raconter par la suite. Le retour du mari après deux jours d'escapade maintient la brève illusion que l'histoire va résoudre la question du couple dans sa dernière partie, mais le scénario a finalement choisi un rebondissement plus savoureux. En effet, personne n'a songé à vérifier, mais il semble bien que le pauvre Adam ait reçu les plaquettes de... Glenn Close dans Fatal Attraction! Car voilà notre jeune ressuscité subitement métamorphosé en stalker de la pire espèce, qui harcèle Fiona au téléphone, lui adresse des courriers à n'en plus finir, et la suit jusque dans les demeures les plus reculées de la campagne anglaise! Par bonheur, The Children Act n'ayant pas pour objectif de se transformer en film d'horreur, les motifs invoqués sont relativement raisonnables: Adam a finalement pris goût à la vie et n'accepte plus les croyances de ses parents extrémistes, aussi se met-il à la recherche d'une mère de substitution en la personne de Fiona. La juge, rongée de son côté par le désespoir de n'avoir jamais eu d'enfants, ne perd pourtant jamais son professionnalisme et met toujours des barrières entre elle et l'adolescent, mais le mal est fait: le scénariste, apeuré à l'idée que trop de simplicité nuise à son succès, décide de laisser dériver son histoire vers un roman à l'eau de rose, puisque lors d'une énième rebuffade de Fiona, Adam se met à l'embrasser, ce à quoi sa partenaire semble prendre plus de goût qu'elle ne voudrait se l'avouer. Sincèrement, je ne suis absolument pas convaincu par un tel rebondissement et, si l'histoire du stalker pouvait encore être acceptée, bien que déjà exagérée, via son thème maternel, autant le coup du baiser est un dérapage total qui contraste avec la personnalité réelle des personnages.
Difficile, dès lors, de ne pas voir dans le dernier acte une ficelle aussi grosse qu'un câble transatlantique destinée à faire pleurer les foules, à grand renfort de mélodies au piano et de suicide romantique. La tension lors du concert du Nouvel An, alors que Fiona joue devant l'élite londonienne, est certes palpable, mais on ne doute à aucun moment qu'elle ne va pas quitter la scène au beau milieu d'une mélodie pour courir en robe de soirée dans les rues mouillées afin de retrouver Adam sur son lit d'hôpital. C'est si évident que j'ai été assez mal à l'aise pendant toute la séquence du concert en réalisant que le metteur en scène et le scénariste allaient vraiment tenter de faire durer le suspense de la sorte. Et souvenons-nous: j'adore les mélodrames et les grandes envolées lyriques, on pourrait même dire que je préfère nettement une mise en scène de ce genre aux choses d'un réalisme plus cru, mais pas quand les personnages réagissent en complète contradiction avec ce qu'ils ont été jusqu'à présent. Une telle séquence aurait eu une véritable portée si les personnages avaient été des amants séparés par la force du destin, mais pas lorsque ceux-ci s'égarent dans l'esquisse d'une relation mal définie à laquelle on ne croit jamais. En outre, la lecture inachevée de la lettre, que Fiona reprend après le décès d'Adam, n'apporte rien à l'affaire, et pour finir, montrer le jeune homme se suicider une fois majeur en refusant une nouvelle transfusion après une rechute me chagrine. Car découvrir un personnage prétentieux refuser un traitement par pur caprice ne me rend pas favorable à un tel dénouement.
Ceci étant dit, ces énormes maladresses scénaristiques ne nuisent pas vraiment au film. Ce miracle est dû à une seule et unique âme salvatrice, la bien nommée Emma Thompson, qui réussit l'exploit de conserver le professionnalisme du personnage même quand l'histoire dérape. L'actrice joue avec des émotions complexes sur différents tableaux, et l'on n'en attendait pas moins d'une comédienne de cette trempe: par exemple, dans l'intimité de l'appartement, elle montre bien comment Fiona se désintéresse de son mari mais à quel point elle vivrait très mal que celui-ci la trompe, et lorsqu'elle lui bat froid, on comprend par ses regards qu'une réconciliation est toujours possible à l'avenir. Dans la vie professionnelle, Emma Thompson brosse sans difficultés le sérieux extrême de l'héroïne, qui a d'autres chats à fouetter qu'écouter des blagues de fond de couloirs, sans vouloir être malpolie pour autant, mais sous ces dehors terre à terre voire ternes, elle ajoute également, sans jamais l'appuyer, la conscience qu'a Fiona de sa supériorité. Ainsi, lorsqu'elle quitte le procès pour voir l'adolescent sur son lit d'hôpital, alors que c'est parfaitement inutile, il y a clairement une part d'excentricité due à sa célébrité et à son habitude d'avoir le dernier mot. Mais surtout, Emma Thompson sait toujours comment donner une grande force à la seconde partie faiblarde, en faisant preuve d'une sécheresse de bon aloi avec l'adolescent qui la suit, malgré la complicité riante qu'elle avait nouée avec lui avant de prendre sa décision, ou encore en essayant coûte que coûte de rester fidèle à l'esprit de l'héroïne. La scène du concert a beau être honteusement exagérée sur le papier, Emma Thompson lui donne une vraie densité en révélant comment, tout en ayant envie de partir immédiatement pour l'hôpital, Fiona tente tout de même de résister intérieurement et reste finalement plus longtemps que prévu au piano. Les larmes finales sont encore très justes: quand son mari lui demande si elle était amoureuse du garçon, on aurait pu craindre des pleurnicheries de la pire espèce avec une actrice de moindre qualité, mais l'effondrement lacrymal d'Emma Thompson est incroyablement authentique. Respects! Dans tous les cas, Emma Thompson fait le film, au point qu'on passera assez vite sur les autres personnages. Admettons alors que Stanley Tucci est simplement bon, sans être fabuleusement complexe, dans le rôle d'un mari finalement sympathique, mais qu'en face, Fionn Whitehead n'est pas à la hauteur en jeune mourant: ses grimaces dans les émotions fortes font amateur au possible, et alors que le scénario nous demande de pleurer pour lui, il n'arrive jamais, au contraire, à rendre son personnage sympathique. En revanche, j'ai beaucoup aimé l'infirmière, qui en seulement trente secondes d'apparition donne de la chaleur à la scène potentiellement bancale de la première rencontre.
Conclusion: Emma Thompson est une très grande actrice (ce n'est pas nouveau) qui se fait hélas trop rare, mais à chaque fois que le rôle en vaut la chandelle, elle est toujours au minimum fabuleuse. Je réalise simplement qu'à l'exception de sa première dame dans Primary Colors, ses grands rôles impliquent tout de même toujours le célibat d'une vieille fille: Howards End, Much Ado, Les Vestiges du jour, Au nom du père, Raison et sentiments, Wit, Saving Mr. Banks... Bien que mariée, Fiona Maye recoupe finalement pas mal de ces thématiques, puisqu'il est bien dit qu'elle ne se laisse plus toucher depuis longtemps, et que sa rencontre avec un adolescent fait naître en elle un désir de maternité mâtiné de romantisme. Mais bien qu'évoluant en terrain connu, elle livre une performance complexe digne d'être saluée, et sauve un film bancal d'un potentiel naufrage. On ne perdra donc rien à voir The Children Act au cinéma, même si les rebondissements de la seconde partie ne me convainquent guère.
J'ai vu le film la semaine dernière et je suis absolument d'accord avec toi : personnages et relations mal définis, impossible de vraiment percevoir les motivations des uns et des autres (en ce qui me concerne, je ne sais toujours pas pourquoi elle va le voir à l'hôpital, je ne sais pas quel est son rapport à la croyance, je ne sais pas ni ce qu'elle veut, ni ce qui lui veut, je ne sais pas non plus pourquoi il décide de mourir à la fin, je ne sais pas ce que pensent ces parents ...) Alors, certes, je suppose que cette absence de réponse aux questions fait partie du propos du réalisateur et surtout du scénariste, mais dans la mesure où tout est très conventionnel sur d'autres points ... je suis perdu.
RépondreSupprimerSouhaitons que le pure retour à la comédie d'Emma Thompson, l'an prochain, soit plus à la hauteur (quand on pense qu'elle fait hurler de rire avec 15 minutes à l'écran dans Bridget Jones III, on est plein d'espoir.
Le Vengeur de Rosalind