Pour tenter de garder un semblant de forme, j'inaugure une série "Top 10" pour chaque année de cinéma. Comme il est souvent difficile de se limiter à dix œuvres par an, je voulais à l'origine traiter ce sujet dans ma rubrique "inventaires", mais je n'aurai jamais le temps d'écrire un paragraphe argumenté pour chaque film vu. Alors, voici un article de plus modeste envergure, comprenant les heureux élus, en un mélange de qualités artistiques et de plaisir pris devant eux, leurs dauphins, et d'autres films également dignes d'intérêt. Il va de soi que, me connaissant bien, ces classements sont fort susceptibles de changer: ils ne sont que le reflet de mon humeur du moment! Je suis par ailleurs navré pour les commentaires de plus en plus courts au fil de l'article, mais je n'ai plus assez de temps à consacrer à Gretallulah pour étoffer le tout.
Top 10:
n°1 Tarakanova, de Raymond Bernard (France). Autre ambition ayant éclaté sur le champ de bataille: un article où je comparais les fantasmes slaves d'Edith Jéhanne dans Le Joueur d'échecs et Tarakanova, chacune de ces œuvres de son mentor brillant par deux séquences oniriques, où l'héroïne se surprend à rêver d'un destin à portée de mains et pourtant inaccessible. Dans Le Joueur d'échecs, elle rêve d'une victoire lituanienne sur une musique somptueuse d'Henri Rabaud, et dans Tarakanova, elle s'imagine tsarine à la place de la Grande Catherine, en voguant sur les eaux apparemment calme de l'Adriatique. Or, si la réalisation est déjà fort belle dans les autres séquences, la mise en scène de ces fantasmes atteint un pic absolu et maîtrise et de séduction, ce qui m'a fait tomber sous le charme de ces films. Edith Jéhanne ajoute quant à elle à la beauté du geste car, si elle n'est pas l'actrice de cinéma muet la plus charismatique qui soit, elle n'en livre pas moins de jolies performances dans ces ambiances russes, notamment dans le double-rôle qui nous occupe, où elle joue à la fois l'usurpatrice Tarakanova qui se croit de toute bonne foi, et la grande-duchesse Dosithée reléguée dans un couvent, le tout avec assez d'esprit pour nous faire vibrer au gré de leurs péripéties. Elle se fait néanmoins dévorer par une Paule Andral magistrale dans le rôle de l'impératrice, dont la présence imposante et les éclats de rire terrifiants en font l'âme véritable du film, malgré de jolis seconds rôles autour d'elle, dont Rudolf Klein-Rogge dans le rôle d'un comte aux ambitions contrastées. Enfin, pour bien emporter toute mon adhésion, Tarakanova brille également par ses aspects techniques: des costumes de bal masqué à se damner, une décoration enchanteresse, en particulier la salle des tableaux, une photographie magnifique alternant entre gros plans et scènes de foule, mais encore un montage dynamique portant les aspirations de l'héroïne à leur paroxysme, voilà qui forme un voyage bien agréable qui nous fait voguer entre danses gitanes et ballets de cour, avec en prime des embruns de la Méditerranée. L'ensemble me fait en quelque sorte autant fantasmer que la princesse sur les flots, et le film semble tellement conçu pour me plaire que je n'ai aucune hésitation à le classer premier de l'année.
n°2 A propos de Nice, de Boris Kaufman et Jean Vigo (France). En général, je n'aime pas le cinéma de Jean Vigo: je hais l'Atalante et Zéro de conduite, auxquels je préfère déjà Taris, roi de l'eau, qui n'est pourtant pas un chef-d’œuvre. Aussi, quelle ne fut pas ma surprise de me retrouver absolument porté par ce documentaire sur Nice! Un montage vigoureux, une succession d'images captivantes, une prise de distance entre l'eau, la terre et le soleil, des monuments déformés, le tout avec un message social en filigrane: contre toute attente, j'ai adoré. Ainsi, tandis que les travailleurs se mouillent les mains, les touristes paressant sur la plage se voient transformés en crocodiles, et les bourgeoises sont mises à nu malgré leur garde-robe conséquente, avant de finir par danser dans l'indifférence générale quand vient la frénésie du carnaval. En définitive, A propos de Nice est à la fois une ode à la ville du sud, mais aussi une analyse assez fine des rapports sociaux, sous le vernis d'images audacieuses. C'est indéniablement mon court-métrage préféré de l'année.
n° 3 Morocco, de Josef von Sternberg (États-Unis). Le tandem Dietrich-Sternberg est assurément l'une des principales raisons de mon amour pour le cinéma, et cette première collaboration américaine regorge d'attraits captivants: des gros plans sur une actrice charismatique, et androgyne l'espace d'un instant; une décoration marocaine du meilleur goût, jusque dans les moindres détails de l'appartement de l'héroïne; des robes somptueuses, une photographie envoûtante en un savant jeu d'ombre et de lumière, une romance orientale planant bien au-dessus du mélodrame pour toucher davantage (l'apparent détachement des protagonistes fait mieux sentir leur désarroi lors des séparations); un grand acteur de genre, Adolphe Menjou, qui ne se laisse pas impressionner par une Marlene magnifiée à chaque seconde par son Pygmalion, une mélodie martiale de tambours qui orchestre tout le tragique d'une situation; Morocco est bel et bien un grand moment de cinéma. Je le classe volontiers dans le trio de tête du duo germanique, après leur impérial chef-d’œuvre russe et leur dernier caprice espagnol.
n° 4 City Girl, de Friedrich Wilhelm Murnau (États-Unis). Une histoire toute simple, l'adaptation d'une citadine à la vie rurale, dans une communauté qui la perçoit comme une pécheresse; mais l'élégance de Murnau en fait un chef-d’œuvre d'une incomparable beauté, où la frénésie urbaine cède le pas à des océans de blés, dont les épis frémissent au gré des émotions contrariées d'un couple bien sympathique. Mary Duncan et Charles Farrell sont sensationnels dans les derniers feux du cinéma muet, tous deux très attachants, lui par sa maladresse en ville, elle par sa volonté d'être estimée pendant les moissons, tandis que David Torrence joue très bien la note de sécheresse nécessaire pour porter ombrage à ces amours champêtres baignées de lumière. L'ensemble est magnifique, que dire de plus?
n°5 La Terre (Земля), d'Alexandre Dovjenko (Ukraine). Une nouvelle ambiance rurale, mais cette fois-ci avec une nature plus variée, ce qui permet à la caméra d'Alexandre Dovjenko de saisir des images d'une extraordinaire poésie: des pêches, des tournesols, des vaches, et nombre de gros plans sur les visages usés des travailleurs agricoles, perplexes face à l'arrivée de la modernité, de la collectivisation des terres à l'usage de nouvelles machines. Le sujet est cependant terrifiant quand on sait que l'Holodomor eut lieu seulement deux ans plus tard, mais La Terre n'en reste pas moins un document précieux, et un chef-d’œuvre lyrique, sur la vie ukrainienne en période de grands bouleversements.
n°6 Le Sel de Svanétie (მარილი სვანეთს), de Mikhaïl Kalatozov (Géorgie). Un montage brillant, comme toujours chez Kalatozov, et une photographie digne de tous les éloges, suffisent à transformer ce qui n'était à l'origine qu'un film touristique, lors du tournage d'une fiction interdite, en grand documentaire sur le travail et les paysages du Caucase, malgré un indéniable aspect de propagande et un regard apparemment pas toujours honnête sur la population locale. Je n'en ai plus assez de souvenirs pour en parler davantage, mais c'est assurément l'une des œuvres les plus impressionnantes de l'année.
n°7 All Quiet on the Western Front, de Lewis Milestone (États-Unis). Même si ça part d'une bonne intention, en l'occurrence dénoncer son sujet pour porter un message de pacification, je ne parviendrai jamais à aimer un film de guerre. Mais quand c'est aussi bien mis en scène que celui-ci, difficile de ne pas s'incliner: une introduction terrifiante sur la folie patriotique d'un professeur emportant l'adhésion de ses élèves, des scènes de combat glaçantes alternant, en lignes horizontales, entre mitrailleuses et hommes tombant à terre, et au centre de cet enfer, une poignée de bons acteurs, Lew Ayres, Louis Wolheim et William Bakewell, qui rendent si humains leurs personnages que leur sort en est désespérant.
n°8 With Byrd at the South Pole, produit par la Paramount (États-Unis). C'est peut-être moins sérieux que les grands documentaires glacés des années 1920, Nanook of the North ou The Great White Silence, mais j'ai absolument adoré celui-là! Que Byrd lise dans les pensées des pingouins, ou qu'il leur enseigne les caractères de la danse, je n'ai pu m'empêcher de rire aux éclats! Je suis davantage gêné, en revanche, de voir les chiens de traîneaux dormir dans la neige par des températures négatives. Par contre, la photographie est magnifique: entre les jeux d'ombres sur les voiles du navire et la blancheur éclatante des blocs de glace, le dépaysement produit bien son petit effet.
n°9 The Big House, de George Hill (États-Unis). Je ne pensais pas aimer un film à propos d'hommes en prison, mais le rythme est si dynamique, les décors si angoissants et les scènes de foule si impressionnantes que celui-ci a fini par devenir l'une des œuvres incontournables de l'année. Une grande partie de son charme repose sur la performance de Chester Morris, au charisme indéniable, et par l'histoire pleine d'énergie écrite par Frances Marion. Les seconds rôles, Wallace Beery, Leila Hyams et Robert Montgomery, sont quant à eux tout à fait corrects sans en faire plus qu'il n'en faut.
n°10 Ladies of Leisure, de Frank Capra (États-Unis). Je n'avais pas du tout aimé la première fois, mais j'ai changé d'avis la seconde, parce que Ladies of Leisure est très joliment mis en scène, alors que ce drame "intérieur", si l'on peut dire, n'appelait pas nécessairement une telle qualité visuelle. Quoi qu'il en soit, c'est le premier grand rôle de Barbara Stanwyck, époustouflante de bout en bout, autant par son dynamisme que par son désarroi. Par sa seule présence, la scène du portrait est absolument savoureuse, et celle des larmes dans le lit déchirante à souhait. Et décidément, l'heureux tandem Capra-Stanwyck donne un véritable souffle et une modernité réelle à cette histoire d'une autre époque.
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J'aime aussi:
The Divorcee, de Robert Leonard (États-Unis): un film en son temps sulfureux qui mêle drame et comédie, dont il nous reste le charme incomparable des fêtes légères de la haute société new-yorkaise, et une exquise performance de Norma Shearer, très à son aise en divorcée conquérante. Qu'elle parle d'orgasme avec son mari, ou qu'elle embrasse un inconnu au bal du nouvel an, elle y est divine, de telle sorte qu'elle élève ce petit film sans autre éclat par elle-même, en compagnie d'un pétillant Robert Montgomery.
Holiday, d'Edward Griffith (États-Unis): un autre film bourgeois et mondain destiné à faire rêver en une période de grave crise, brillant par son absence de mise en scène, mais heureusement rattrapé par un scénario tiré d'une pièce à grand succès de la fin des années 1920, et par une galerie d'acteurs en grande forme. Ann Harding est très attachante dans toute sa théâtralité charismatique, Mary Astor fait des merveilles dans le rôle difficile d'une fiancée hautaine non dénuée d'humour et de sentiments, tandis qu'Edward Everett Horton se charge d'électriser le tout avec une bonne dose de fantaisie.
Laughter, d'Harry d'Abbadie d'Arrast (États-Unis): un autre film mondain, décidément (!), traitant d'histoires d'amour contrariées au sein d'une grande famille, puisque l'héroïne, arriviste, s'éprend d'un amant bien moins terne que son époux. Le scénario est excellent car tous les personnages sont complexes, sachant que l'histoire réserve également son lot de surprises, dont une séquence ahurissante de bataille d'ours morts. Les comédiens sont quant à eux tout à fait à la hauteur, notamment un Fredric March pétillant, un Frank Morgan touchant à souhait, et une Nancy Carroll qui n'en finit pas de me surprendre par son charisme et son énergie.
Liliom, de Frank Borzage (États-Unis): ce n'est certainement pas le meilleur film de Borzage, mais les décors de la fête foraine, les costumes bohèmes, le train de rêves et la photographie parfaitement contrastée relèvent les faiblesses de l'intrigue et le manque de nuance des interprètes. Et puis, la mise en scène est bien trop captivante pour être ignorée: la promenade nocturne dans le sous-bois sombre surplombant les manèges illuminés, alors que tout semble aller pour le mieux, laisse très vite place au jour, où les ors de la fête ne sont plus que ferraille, où les arbres ont perdu leurs feuilles, et où rien ne va plus à l'intérieur du foyer. Le tout forme un assez joli film, malgré une histoire sinistre, auquel je pense bien plus que je ne l'aurais cru.
Madam Satan, de Cecil B. DeMille (États-Unis): une œuvre incroyable et inclassable, à mi-chemin entre la comédie musicale, la comédie de remariage bourgeoise et le film de science-fiction, où une épouse allègrement trompée décide de sortir les griffes pour reconquérir son mari, à la manière de Catwoman. Et le tout dans un dirigeable s'il vous plaît! Comme dans Why Change Your Wife? dix ans plus tôt, le mythe de la femme qui doit devenir séduisante pour son mari est franchement sexiste, mais l'histoire est traitée avec tant d'extravagance qu'il est impossible de n'être pas diverti: les décors et costumes rivalisent d'excès, et les cascades n'en finissent plus de faire rire, en particulier l'atterrissage de l'intrigante Trixie, absolument ravie d'être parachutée dans un hammam d'hommes! En outre, Kay Johnson est attachante dès le départ, avant même sa métamorphose, et les grands seconds rôles de l'époque, Roland Young et Lillian Roth, sont croustillants à souhait.
Our Blushing Brides, d'Harry Beaumont (États-Unis): le troisième volet des aventures de Joan la flapper, après Our Dancing Daughters et Our Modern Maidens et, bien que le parlant le rende peut-être un peu moins séduisant que ses aînés, ça n'en reste pas moins un excellent divertissement. Les intérieurs Art déco sont à ravir, le défilé de mode préfigure joliment celui de Femmes, et Joan Crawford est une fois de plus parfaitement nuancée en incarnant pour la première fois le personnage-type de sa période MGM, celui de la petite vendeuse éprise de son patron.
Romance, de Clarence Brown (États-Unis): On a connu Brown plus inspiré visuellement, mais je ne suis pas aussi exigeant que j'en ai l'air: il me suffit d'une introduction sur une version surannée de la Dernière Rose de l'été, et me voilà conquis. Si l'on y ajoute encore une Greta Garbo incroyablement charmante et pétillante, et tellement plus drôle que d'habitude, malgré un accent tout sauf latin; de grandes demeures aristocratiques durant les vacances d'hiver, des robes bouffantes et un charmant petit singe qui fait oublier des seconds rôles très pâles, le charme est bel et bien au rendez-vous. On est pourtant assez loin du brillant de La Dame aux camélias, mais Romance est l'archétype du film fait pour moi, aussi m'était-il impossible d'y résister.
Tonka Šibenice, de Karl Anton (Tchécoslovaquie): un mélodrame comme on n'avait pas peur d'en faire à l'époque, où le sort s'acharne sur l'héroïne jusqu'à lui faire mendier son pain dans des rues enneigées, dont il se dégage toutefois une puissance indéniable, avec notamment une grande séquence de cachot aux accents quasi expressionnistes. Surtout, Ita Rina est excellente malgré un scénario qui s'ingénie à rendre son personnage passif, puisqu'elle sait passer de l'arrogance à l'abandon total de soi avec une maîtrise et une mesure impressionnante.
Holiday, d'Edward Griffith (États-Unis): un autre film bourgeois et mondain destiné à faire rêver en une période de grave crise, brillant par son absence de mise en scène, mais heureusement rattrapé par un scénario tiré d'une pièce à grand succès de la fin des années 1920, et par une galerie d'acteurs en grande forme. Ann Harding est très attachante dans toute sa théâtralité charismatique, Mary Astor fait des merveilles dans le rôle difficile d'une fiancée hautaine non dénuée d'humour et de sentiments, tandis qu'Edward Everett Horton se charge d'électriser le tout avec une bonne dose de fantaisie.
Laughter, d'Harry d'Abbadie d'Arrast (États-Unis): un autre film mondain, décidément (!), traitant d'histoires d'amour contrariées au sein d'une grande famille, puisque l'héroïne, arriviste, s'éprend d'un amant bien moins terne que son époux. Le scénario est excellent car tous les personnages sont complexes, sachant que l'histoire réserve également son lot de surprises, dont une séquence ahurissante de bataille d'ours morts. Les comédiens sont quant à eux tout à fait à la hauteur, notamment un Fredric March pétillant, un Frank Morgan touchant à souhait, et une Nancy Carroll qui n'en finit pas de me surprendre par son charisme et son énergie.
Liliom, de Frank Borzage (États-Unis): ce n'est certainement pas le meilleur film de Borzage, mais les décors de la fête foraine, les costumes bohèmes, le train de rêves et la photographie parfaitement contrastée relèvent les faiblesses de l'intrigue et le manque de nuance des interprètes. Et puis, la mise en scène est bien trop captivante pour être ignorée: la promenade nocturne dans le sous-bois sombre surplombant les manèges illuminés, alors que tout semble aller pour le mieux, laisse très vite place au jour, où les ors de la fête ne sont plus que ferraille, où les arbres ont perdu leurs feuilles, et où rien ne va plus à l'intérieur du foyer. Le tout forme un assez joli film, malgré une histoire sinistre, auquel je pense bien plus que je ne l'aurais cru.
Madam Satan, de Cecil B. DeMille (États-Unis): une œuvre incroyable et inclassable, à mi-chemin entre la comédie musicale, la comédie de remariage bourgeoise et le film de science-fiction, où une épouse allègrement trompée décide de sortir les griffes pour reconquérir son mari, à la manière de Catwoman. Et le tout dans un dirigeable s'il vous plaît! Comme dans Why Change Your Wife? dix ans plus tôt, le mythe de la femme qui doit devenir séduisante pour son mari est franchement sexiste, mais l'histoire est traitée avec tant d'extravagance qu'il est impossible de n'être pas diverti: les décors et costumes rivalisent d'excès, et les cascades n'en finissent plus de faire rire, en particulier l'atterrissage de l'intrigante Trixie, absolument ravie d'être parachutée dans un hammam d'hommes! En outre, Kay Johnson est attachante dès le départ, avant même sa métamorphose, et les grands seconds rôles de l'époque, Roland Young et Lillian Roth, sont croustillants à souhait.
Our Blushing Brides, d'Harry Beaumont (États-Unis): le troisième volet des aventures de Joan la flapper, après Our Dancing Daughters et Our Modern Maidens et, bien que le parlant le rende peut-être un peu moins séduisant que ses aînés, ça n'en reste pas moins un excellent divertissement. Les intérieurs Art déco sont à ravir, le défilé de mode préfigure joliment celui de Femmes, et Joan Crawford est une fois de plus parfaitement nuancée en incarnant pour la première fois le personnage-type de sa période MGM, celui de la petite vendeuse éprise de son patron.
Romance, de Clarence Brown (États-Unis): On a connu Brown plus inspiré visuellement, mais je ne suis pas aussi exigeant que j'en ai l'air: il me suffit d'une introduction sur une version surannée de la Dernière Rose de l'été, et me voilà conquis. Si l'on y ajoute encore une Greta Garbo incroyablement charmante et pétillante, et tellement plus drôle que d'habitude, malgré un accent tout sauf latin; de grandes demeures aristocratiques durant les vacances d'hiver, des robes bouffantes et un charmant petit singe qui fait oublier des seconds rôles très pâles, le charme est bel et bien au rendez-vous. On est pourtant assez loin du brillant de La Dame aux camélias, mais Romance est l'archétype du film fait pour moi, aussi m'était-il impossible d'y résister.
Tonka Šibenice, de Karl Anton (Tchécoslovaquie): un mélodrame comme on n'avait pas peur d'en faire à l'époque, où le sort s'acharne sur l'héroïne jusqu'à lui faire mendier son pain dans des rues enneigées, dont il se dégage toutefois une puissance indéniable, avec notamment une grande séquence de cachot aux accents quasi expressionnistes. Surtout, Ita Rina est excellente malgré un scénario qui s'ingénie à rendre son personnage passif, puisqu'elle sait passer de l'arrogance à l'abandon total de soi avec une maîtrise et une mesure impressionnante.
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Films mythiques / Je respecte plus que je n'aime:
Allemagne: L'Ange bleu, de Josef von Sternberg: c'est le mythe absolu dans la filmographie Sternberg-Dietrich, mais j'ai toujours trouvé l'ensemble hautement désagréable et l'histoire franchement datée, bien qu'Emil Jannings soit très bon, comme à son habitude, dans l'expression de la déchéance. Les Hommes le dimanche, d'Edgar Ulmer et Robert Siodmak: des histoires croisées lors d'un dimanche estival, dans un film ayant valeur documentaire pour ses interprètes amateurs et son portrait d'une vie hédoniste avant le nazisme. A revoir, car je sens que ça pourrait monter plus haut dans mon classement. Westfront 1918: Vier von der Infanterie, de George Wilhelm Pabst: je suis incapable de déterminer quel film je préfère entre celui de Pabst et celui de Milestone, tout simplement parce qu'entre ces deux-là et leurs homologues français (Les Croix de bois), anglais (Tell England) et international (Niemandsland), sans parler des films d'aviation américains (Wings, Hell's Angels et The Dawn Patrol), j'ai l'impression d'avoir vu une bonne dizaine de fois le même film en cinq ans. Les deux "fronts de l'ouest" sont à mon sens les meilleures illustrations de la Première Guerre mondiale, celle de Pabst ayant les mêmes qualités que celle de Milestone, mais comme j'ai vu l'américaine d'abord, c'est à celle-ci que je pense le plus spontanément.
États-Unis: Animal Crackers, de Victor Heerman: c'est loufoque et inspiré, les frères Marx y ont comme d'habitude de l'énergie à revendre, mais leur style de comédie n'a jamais été de ceux qui me touchent. Ça n'en reste pas moins un bon film à recommander chaudement, mais ce n'est pas ma tasse de thé. Anna Christie, de Clarence Brown (version américaine) et Jacques Feyder (version allemande): je n'ai jamais su bien voir la différence entre les deux, et je n'y parviendrai probablement jamais parce que je n'aime pas l'histoire et n'ai pas le désir de revoir ni l'une, ni l'autre. Cependant, Garbo y parle pour la première fois, et sa voix se marie extrêmement bien à cette héroïne des bas-fonds malgré un jeu trop noblement théâtral pour le milieu concerné, alors que Marie Dressler est à l'inverse parfaite dans le rôle de la poivrote des quais. Below Zero, de James Parrott: plus encore que pour les Marx Brothers, je suis franchement insensible au style Laurel et Hardy, mais la mise en scène enneigée de ce court-métrage m'a davantage parlé que les autres œuvres. The Dawn Patrol, d'Howard Hawks, et Hell's Angels, d'Howard Hughes: The Dawn Patrol est certainement plus fin, grâce au talent infiniment supérieur du bon Howard, mais je lie ces deux films ensemble parce que leur point d'orgue en sont leurs séquences d'aviation, indiscutablement impressionnantes compte tenu de l'époque à laquelle elles furent tournées. The Dawn Patrol est d'ailleurs si bon que certaines scènes furent réutilisées dans la version d'Edmund Goulding en 1938, film auquel je suis nettement plus sensible, en particulier pour sa distribution de rêve.
France: L'Âge d'or, de Luis Buñuel: un grand film surréaliste, où les scorpions le disputent aux gros plans terrifiants, aux vaches alitées et aux évêques sadiques. La critique de la société bourgeoise et catholique fait rage, mais les images violentes de Buñuel en font difficilement un film aimable. Celles qui s'en font, de Germaine Dulac: deux chansons de Fréhel pour parler de femmes à la dérive car victimes du patriarcat. Le projet est très intéressant à défaut d'être absolument captivant d'un point de vue cinématographique. Sous les toits de Paris, de René Clair: l'histoire est terriblement datée, et le rythme pas aussi vibrant que dans d'autres films de Clair, mais la reconstitution des rues de Paris par Lazare Meerson et la gouaille d'Albert Préjean font mouche à plus d'une reprise.
Japon: L'épouse de la nuit (その夜の妻), de Yasujirō Ozu: certainement pas le sommet du maître, mais il n'est jamais inintéressant de voir ses premiers films. L'histoire policière est honnêtement peu captivante.
États-Unis: Animal Crackers, de Victor Heerman: c'est loufoque et inspiré, les frères Marx y ont comme d'habitude de l'énergie à revendre, mais leur style de comédie n'a jamais été de ceux qui me touchent. Ça n'en reste pas moins un bon film à recommander chaudement, mais ce n'est pas ma tasse de thé. Anna Christie, de Clarence Brown (version américaine) et Jacques Feyder (version allemande): je n'ai jamais su bien voir la différence entre les deux, et je n'y parviendrai probablement jamais parce que je n'aime pas l'histoire et n'ai pas le désir de revoir ni l'une, ni l'autre. Cependant, Garbo y parle pour la première fois, et sa voix se marie extrêmement bien à cette héroïne des bas-fonds malgré un jeu trop noblement théâtral pour le milieu concerné, alors que Marie Dressler est à l'inverse parfaite dans le rôle de la poivrote des quais. Below Zero, de James Parrott: plus encore que pour les Marx Brothers, je suis franchement insensible au style Laurel et Hardy, mais la mise en scène enneigée de ce court-métrage m'a davantage parlé que les autres œuvres. The Dawn Patrol, d'Howard Hawks, et Hell's Angels, d'Howard Hughes: The Dawn Patrol est certainement plus fin, grâce au talent infiniment supérieur du bon Howard, mais je lie ces deux films ensemble parce que leur point d'orgue en sont leurs séquences d'aviation, indiscutablement impressionnantes compte tenu de l'époque à laquelle elles furent tournées. The Dawn Patrol est d'ailleurs si bon que certaines scènes furent réutilisées dans la version d'Edmund Goulding en 1938, film auquel je suis nettement plus sensible, en particulier pour sa distribution de rêve.
France: L'Âge d'or, de Luis Buñuel: un grand film surréaliste, où les scorpions le disputent aux gros plans terrifiants, aux vaches alitées et aux évêques sadiques. La critique de la société bourgeoise et catholique fait rage, mais les images violentes de Buñuel en font difficilement un film aimable. Celles qui s'en font, de Germaine Dulac: deux chansons de Fréhel pour parler de femmes à la dérive car victimes du patriarcat. Le projet est très intéressant à défaut d'être absolument captivant d'un point de vue cinématographique. Sous les toits de Paris, de René Clair: l'histoire est terriblement datée, et le rythme pas aussi vibrant que dans d'autres films de Clair, mais la reconstitution des rues de Paris par Lazare Meerson et la gouaille d'Albert Préjean font mouche à plus d'une reprise.
Japon: L'épouse de la nuit (その夜の妻), de Yasujirō Ozu: certainement pas le sommet du maître, mais il n'est jamais inintéressant de voir ses premiers films. L'histoire policière est honnêtement peu captivante.
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Egalement dignes d'intérêt:
Pour sa gaieté: Die Drei von der Tankstelle, de Wilhelm Thiele (Allemagne): une charmante opérette portée par de non moins charmants comédiens, et par de jolies chansons passées à la postérité.
Pour leurs interprètes: The Devil's Holiday, d'Edmund Goulding (États-Unis): Nancy Carroll au pic de sa forme, donnant puissance et nuance à un personnage d'arriviste au sein d'une distribution catastrophique. Fast and Loose, de Fred Newmeyer (États-Unis): Miriam Hopkins se débrouille très bien pour son premier film, sans avoir encore le piquant qu'elle déploiera à merveille dans ses grandes œuvres de l'année suivante. On y croise aussi Carole Lombard, bien que ce soit surtout Ilka Chase qui domine les seconds rôles par son tempo comique. Follow Thru, de Laurence Schwab et Lloyd Corrigan (États-Unis): de charmants costumes chamarrés dans un Technicolor ravissant, et une Zelma O'Neal pétillante à souhait. Framed, de George Archainbaud (États-Unis): Evelyn Brent en femme vengeresse aura toujours de quoi marquer les esprits, même dans des films très en-dessous de son talent. Let Us Be Gay, de Robert Leonard (États-Unis): des costumes extravagant, et surtout, une Norma Shearer inoubliable en séductrice conquérante illuminant chaque séquence où elle apparaît, après un début qui laissait craindre le pire. En revanche, navré de vous décevoir, mais Marie Dressler grimace tant et tant qu'elle en devient épouvantable. Elle est nettement meilleure la même année dans Min and Bill, de George Hill (États-Unis), où son dernier regard déchirant compense amplement une performance par trop énergique, et un film que je n'aime pas.
Monte Carlo, d'Ernst Lubitsch (États-Unis): un Lubitsch où la sauce, une fois n'est pas coutume, ne prend pas, la faute à une distribution peu inspirante et peu inspirée, et à des chansons oubliables. Heureusement, il y a Jeanette MacDonald, décoiffante (et décoiffée) d'humour et de charisme, sauvant par sa seule présence l'ensemble du film du naufrage! The Office Wife, de Lloyd Bacon (États-Unis): une histoire bien de son temps sur une secrétaire ambitieuse et son patron, où Joan Blondell brille par sa forte personnalité, non pas dans le rôle principal, mais dans celui de la sœur qui n'est dupe de rien. The Royal Family of Broadway, de George Cukor et Cyril Gardner (États-Unis): une vision déjantée de la fratrie Barrymore, où mon favori Fredric March cabotine plus encore que son modèle John, laissant la charmante Ina Claire nous toucher davantage. Sin Takes a Holiday, de Paul Stein (États-Unis): Constance Bennett qui s'épanouit miraculeusement dans la haute société, et Basil Rathbone qui la courtise. Cela suffit à m'émoustiller. The Unholy Three, de Jack Conway (États-Unis): même en grand-mère, Lon Chaney est toujours impressionnant: chapeau! Va d'un pas léger (朗かに歩め), de Yasujirō Ozu (Japon): comme pour l'épouse de la nuit, pas le meilleur Ozu qui soit, mais Satoko Date y livre une très belle performance.
Monte Carlo, d'Ernst Lubitsch (États-Unis): un Lubitsch où la sauce, une fois n'est pas coutume, ne prend pas, la faute à une distribution peu inspirante et peu inspirée, et à des chansons oubliables. Heureusement, il y a Jeanette MacDonald, décoiffante (et décoiffée) d'humour et de charisme, sauvant par sa seule présence l'ensemble du film du naufrage! The Office Wife, de Lloyd Bacon (États-Unis): une histoire bien de son temps sur une secrétaire ambitieuse et son patron, où Joan Blondell brille par sa forte personnalité, non pas dans le rôle principal, mais dans celui de la sœur qui n'est dupe de rien. The Royal Family of Broadway, de George Cukor et Cyril Gardner (États-Unis): une vision déjantée de la fratrie Barrymore, où mon favori Fredric March cabotine plus encore que son modèle John, laissant la charmante Ina Claire nous toucher davantage. Sin Takes a Holiday, de Paul Stein (États-Unis): Constance Bennett qui s'épanouit miraculeusement dans la haute société, et Basil Rathbone qui la courtise. Cela suffit à m'émoustiller. The Unholy Three, de Jack Conway (États-Unis): même en grand-mère, Lon Chaney est toujours impressionnant: chapeau! Va d'un pas léger (朗かに歩め), de Yasujirō Ozu (Japon): comme pour l'épouse de la nuit, pas le meilleur Ozu qui soit, mais Satoko Date y livre une très belle performance.
Pour son ambiance: Outside the Law, de Tod Browning (États-Unis): Je préfère la version de 1920 avec Priscilla Dean et Lon Chaney, également réalisée par Browning, mais ce remake avec Edward G. Robinson parvient à rester digne d'intérêt malgré tout.
Pour leur photographie: The Big Trail, de Raoul Walsh (États-Unis): une histoire de colons tout à fait traditionnelle, mais les images de la caravane devant un coucher de soleil, ou la promenade dans une forêt de séquoias géants, sont d'une beauté exceptionnelle. Song o' My Heart, de Frank Borzage (États-Unis): un Borzage raté, mais deux ou trois plan d'une chaumière dans la campagne irlandaise rendent le tout au moins agréable visuellement.
Pour leurs décors: Just Imagine, de David Butler (États-Unis), King of Jazz, de John Murray Anderson (États-Unis), Lord Byron of Broadway, d'Harry Beaumont et William Nigh (États-Unis), Reaching for the Moon, d'Edmund Goulding (États-Unis) et The Vagabond King, de Ludwig Berger (États-Unis): aucune de ces comédies musicales n'a grand intérêt, si ce n'est de voir les studios de l'époque s'amuser avec le son aux débuts du parlant, mais leurs décors futuristes, médiévaux ou Art déco, ou encore leurs chaussures et pianos géants, leur donnent à toutes un éclat singulier. The Vagabond King a au moins le mérite d'être amusant, parce que le narcissique Dennis King ne peut s'empêcher de pointer le bout de son nez dans tous les solos de Jeanette MacDonald, ce qui en devient si ridicule que la princesse a justement renommé la meilleure chanson du film, "Only a Rose", en "Only a Nose"!
Pour ses cascades: Feet First, de Clyde Bruckman (États-Unis): un grand succès d'Harold Lloyd où l'escalade d'un gratte-ciel donne le vertige.
Courts métrages: Arctic Antics, d'Ub Iwerks, Night, de Walt Disney et Winter, de Burt Gillett (États-Unis): des Silly Symphonies typiques de leur temps, faisant la part belle à la nature et aux animaux, notamment en ce qui concerne les amusants pingouins de l'Arctique. The Chain Gang, de Burt Gillett (États-Unis): si Mickey Mouse en est le héros, les autres animaux sont beaucoup plus touchants. The Devil's Cabaret, de Nick Grindé (États-Unis): une décoration diabolique dans un Technicolor rougeoyant. Romance sentimentale, de Sergueï Eisenstein et Grigori Alexandrov (France): une nature tempétueuse, un piano enchanté et une promenade aérienne, soit autant d'images trop belles pour considérer ce court-métrage comme une œuvre simplement mineure dans la filmographie du génie russe.
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Egalement vus:
Argentine: Viejo smoking. États-Unis: Abraham Lincoln, The Bad Man, The Bat Whispers, The Big Pond, Borrowed Wives, Check and Double Check, Clancy in Wall Street, The Cuckoo's, Danger Lights, Dangerous Nan McGrew, Dixiana, Free and Easy, Going Wild, The Golf Specialist, Good News, Hell Harbor, Her Man, Hook, Line and Sinker, Inside the Lines, Ladies in Love, Ladies Love Brutes, A Lady to Love, The Last of the Duanes, Let's Go Native, Midnight in a Toy Shop, Night Owls, Night Work, Only the Brave, Paradise Island, Party Girl, The Pay-Off, Peacock Alley, Playful Pan, The Return of Dr. Fu Manchu, Safety in Numbers, Sarah and Son, Seven Days Leave, The Silver Horde, Sinkin' in the Bathtub, Sunny Skies, Swing You Sinners!, Tom Sawyer, Tomatoes Another Day, Up the River, Whoopee!, Young Man of Manhattan. France: Le Mystère de la chambre jaune, Prix de beauté, Traitement expérimental d'une hémorragie chez le chien. Royaume-Uni: Borderline, Juno and the Paycock.
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Le péché de l'année:
The Lottery Bride, de Paul Stein (États-Unis): c'est tellement mauvais qu'il devient impératif de voir cette petite perle pour rire tout son soûl! Entre la pauvre Jeanette MacDonald affublée d'une tenue traditionnelle du plus mauvais goût, les personnages qui disparaissent sans laisser de traces, et une course-poursuite dans des blocs de polystyrène qui tentent vainement de ressembler à de la glace, on touche le gros lot!
Merci de votre lecture. A suivre, 1933 ou 1934, ou peut-être 1931 si je suis d'humeur à avancer de façon chronologique, voire 1949 ou 1956 histoire de changer d'air.
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Merci de votre lecture. A suivre, 1933 ou 1934, ou peut-être 1931 si je suis d'humeur à avancer de façon chronologique, voire 1949 ou 1956 histoire de changer d'air.
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