dimanche 14 août 2022

Urbi et Albi


Bon. Me voilà à Bergerac pour les six prochains mois. J'adore la Dordogne, mais là, c'est vraiment terra incognita pour moi. J'en profite pour découvrir un peu le Périgord pourpre, mais à petite dose, car je ne veux pas tout faire trop vite, et parce qu'il y a encore trop de touristes pour pouvoir photographier les monuments. Ainsi, j'attends septembre avec impatience pour en savoir plus sur cette contrée, en espérant qu'il se remette à pleuvoir au plus vite. À la place, j'évoque aujourd'hui une autre ville découverte pour la première fois cette année, la rougeoyante préfecture du Tarn : Albi. Je ne savais pas trop ce que j'allais en penser, car je ne suis pas le plus grand amateur au monde des villes du sud, ni un grand amoureux des briques. Mais j'ai adoré ! C'est vraiment un gros coup de cœur qui a cette fois-ci coïncidé avec les avis des guides touristiques, à la différence du Puy-en-Velay l'année dernière. À l'origine, j'avais prévu de passer la nuit à Sauveterre-de-Rouergue ce soir-là, mais lorsque j'ai réalisé que le seul hôtel ouvert dans la bastide était hors de prix, je m'en suis donc allé dans le département d'à-côté, et tant mieux, car j'ai pu m'imprégner d'Albi toute la soirée au crépuscule, puis sous un soleil éclatant le lendemain. J'y ai même vécu une aventure romanesque dans la lignée des grandes histoires d'amour d'antan ! Il fallait donc que je vinsse en Albi ce jour de printemps, c'était écrit. La promenade sous la vigne du palais de la Berbie, qui surplombe une rivière bordée de pins parasols et de murailles rouges, invite certainement à la romance : je ne connais pas la capitale de l'Italie, mais on se croirait tout bonnement à Rome !


Cette impression est confirmée par la place accordée aux monuments du culte catholique, avec en point d'orgue la cathédrale Sainte-Cécile. Construite dans le style gothique méridional entre les XIIIe et XVe siècles, cette cathédrale en impose par son allure de palais fortifié imprenable, dont les murs d'une solidité redoutable sont percés de vitraux longilignes vertigineux. L'évêque Bernard de Castanet, à qui l'on attribue le projet d'édification, souhaitait un bâtiment de grande ampleur afin de réaffirmer la toute puissance du catholicisme dans la région, après la terrible croisade qui avait ravagé le territoire albigeois quelques décennies plus tôt. Assurément, on ne peut manquer cet édifice qui étale sa silhouette massive dans tout l'ouest de la ville. Malgré tout, Sainte-Cécile n'a rien de monstrueux, loin des sinistres outrances de Notre-Dame du Puy-en-Velay qui m'avaient terrifié l'été dernier.


La dentelle flamboyante de pierres blanches du porche d'entrée est certainement bien plus accueillante et harmonieuse que le trou noir béant de la cathédrale vellave. Ce baldaquin finement ciselé donne au contraire envie de gravir les escaliers qui conduisent au saint des saints. Pour tout dire, le contraste avec la brique austère des murs est d'une élégance extrême : on est impressionné mais irrésistiblement attiré par cet assemblage magnifique de variations gothiques. Avec les vieilles tours du palais de la Berbie juste à côté, la place Sainte-Cécile m'a d'ailleurs donné le sentiment d'être un troubadour se préparant à visiter les châteaux du Languedoc, tels Les Visiteurs du soir.


Et l'émerveillement n'en finit pas une fois qu'on a franchi le seuil, car l'intérieur de la cathédrale est à mourir de ravissement. Je ne suis pourtant pas rentré dans le chœur gothique flamboyant car je refuse de donner de l'argent à l'Église, mais je ne suis pas déçu car les lieux accessibles à tous sont eux-mêmes exceptionnels. Tout est peint dans un bleu roi somptueux et apaisant, sur lequel se détachent les ors scintillants, les blancs purs et les rouges chatoyants des saints et des apôtres. Ces fresques datent de l'aube du XVIe siècle.


Par moments, on se croirait dans un tarot géant, comme en témoigne ce soleil coiffé d'une lune au milieu des étoiles. Mention spéciale à la pénitente armée d'un fouet qui cherche à punir les pécheurs, mais qui a eu l'inverse de l'effet escompté puisqu'elle ma plutôt donné envie de jouir de la vie et de mon séjour.


Outre les alcôves et les plafonds, la cathédrale se démarque également par sa fresque du Jugement dernier, peinte à la fin du XVe siècle sur la tribune soutenant l'orgue, mais percée à l'époque moderne pour ouvrir un accès à la chapelle Saint-Clair sous le clocher. La symétrie n'en reste pas moins remarquable, sans que le percement ait altéré la lecture verticale sur plusieurs degrés allant de l'enfer au paradis, avec les âmes au centre, les élus s'apprêtant à rejoindre les anges à gauche, tandis que les maudits sont précipités vers l'abîme à droite.


Avec les airs baroques qui accompagnaient cette visite, la cathédrale Sainte-Cécile m'a bien semblé être le paradis sur terre, malgré la présence d'ecclésiastiques sûrement moins tolérants que leur courtoisie de coutume le laisserait supposer. Vous me trouverez sûrement sévère avec les religieux, mais il faut dire qu'à chaque fois que j'en ai croisés sur ma route, ils ont tous cherché à me pousser au baptême, alors même que je n'avais pas l'âge d'entendre quoi que ce fût à la religion. Quand j'allais visiter ma pieuse arrière-grand-mère vendéenne, il s'est trouvé à plusieurs reprises qu'elle fût à confesse, suite à quoi le prêtre ne manquait jamais de nous faire remarquer que je n'étais pas encore baptisé… Plus tard, j'ai brièvement été en contact avec deux curés bienveillants qui venaient en aide à des homosexuels catholiques pour les aider à s'assumer, ce qui est tout à leur honneur, mais qui militaient ardemment pour que je me convertisse en retour. Ils auraient attendu longtemps : je n'ai pas besoin d'épouser une religion pour faire ce que je crois être bon pour moi et pour le monde alentour, et si tel était le cas, je serais plus spontanément attiré par le zoroastrisme. Mais là encore, pas la peine de m'envoyer des vénérateurs du feu persan sur des airs de Rameau : je ne veux pas adopter une religion, quelle qu'elle soit, et plus on insistera de toutes parts, plus je résisterai.


L'autre église emblématique de la ville, c'est la collégiale Saint-Salvi, ensemble hétéroclite où s'entremêlent les styles roman et gothique sur des fondations carolingiennes, elles-mêmes bâties sur une nécropole mérovingienne. La césure entre roman et gothique se lit dans la couleur des pierres : les bandes lombardes blanches sont indéniablement romanes, alors que l'étage en brique toulousaine est incontestablement gothique. Le hasard a même fait que l'ombre d'un pigeon s'est imprimée sur la tourelle de la Gacholle en passant devant le soleil, à qui je tournais le dos. Je ne sais pas comment appeler ce style-là. Le style gothique colombin ?!


Le réceptionniste de l'hôtel m'avait plus particulièrement invité à voir le cloître Saint-Salvi, son lieu favori dans l'ensemble de la ville. C'est ce que j'ai fait. Ce n'est pourtant pas mon cloître favori de France, la faute aux destructions successives de trois des quatre galeries, mais ce jardin n'en reste pas moins agréable avec ses compositions végétales. C'est visiblement le rendez-vous de prédilection de la jeunesse albigeoise.


Il y avait décidément beaucoup à dire sur les églises d'Albi. La cité épiscopale est justement classée à l'Unesco depuis douze ans, ce qui est amplement mérité. Le périmètre inclut également le palais de la Berbie, où résidaient les évêques et qui accueille désormais le musée Toulouse-Lautrec, ainsi que le pont Vieux qui enjambe le Tarn, mais tout cela fera l'objet d'un prochain article. J'ai tellement aimé ce séjour que je suis d'humeur à m'étendre sur le sujet. Affaire à suivre… Je vous laisse aujourd'hui avec cette photographie du clocher de Sainte-Cécile, qu'un promeneur m'a invité à saisir sous cet angle. Haut de 78 mètres, il fut conçu spécialement pour avoir l'air d'un donjon. Le résultat est impressionnant.

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