Tout en suivant activement l'actualité pour regarder les dernières heures de la dictature honteuse qui salit notre beau pays, j'essaie aussi de m'aérer l'esprit avec des choses plus sereines. C'est ainsi que, flânant dans une librairie en ce début d'avril, je suis tombé sur le nouveau tome d'une bande dessinée que j'aime beaucoup, Amours fragiles, une série historique belge de Philippe Richelle, imagée par Jean-Michel Beuriot, qui retrace le parcours d'un jeune Allemand opposé au nazisme dans l'Allemagne des années de guerre. Le sujet est évidemment très dur, mais cette série qui s'achèvera bientôt avec un neuvième tome vaut vraiment la lecture. Je l'avais découverte au milieu des années 2010, lorsque ma grand-tante Anne-Marie m'avait offert le premier opus lors du traditionnel repas de famille annuel. Cela change des livres d'occasion à moitié mangés par les rats, qu'elle avait eu l'audace de m'offrir les fois précédentes en prétendant les avoir achetés neufs chez un libraire mellois ! Quoi qu'il en soit, j'avais beaucoup aimé cette lecture, qui m'avait poussé à chercher la suite avec impatience. Mais je n'étais pas au bout de mes peines car, introuvables en librairie et constamment réservés dans ma médiathèque, il me fallut attendre longtemps avant de pouvoir enfin emprunter les précieux ouvrages à mon tour. Or, il s'était écoulé tant de temps depuis la lecture du premier volume que j'avais un peu oublié qui étaient les personnages secondaires, dont certains se ressemblent beaucoup, chose qui m'avait laissé un sentiment de confusion. La sortie du huitième tome ce mois-ci m'a permis de retrouver l'intégralité de la série en librairie, et de compléter enfin ma collection, en attendant la conclusion qui je l'espère ne mettra pas huit ans avant d'être publiée !
Parue dans un journal dès 1997, avant d'être formalisée dans un premier album édité en 2001, l'histoire du Dernier Printemps se concentre sur un jeune homme idéaliste du nom de Martin Mahner, issu de la classe moyenne allemande qui finit ses années lycée au moment de l'accession des nazis au pouvoir. Il observe alors impuissant comment tous les gens normaux de son entourage, y compris ses propres parents, se mettent à adhérer aux idées nauséabondes du parti, alors que lui-même s'éprend de sa nouvelle voisine juive, Katarina. Il retrouve celle-ci en France six ans plus tard dans Un été à Paris (2006), tout en se liant d'amitié avec ses colocataires également issus de la diaspora allemande, dont une certaine Maria. Celle-ci est l'héroïne du troisième album (2007), qui suit son retour dans son pays natal et son engagement contre les nazis, avant que l'histoire ne se recentre sur la relation compliquée entre Martin, désormais embrigadé contre son gré dans l'armée d'occupation, et Katarina, à présent appelée Catherine pour dissimuler ses origines. Ce quatrième volume au nom de l'héroïne (2009) évoque notamment le destin de son oncle, qui se voit spolié de ses biens par l'État français collaborateur, alors que tout le monde tente tant bien que mal de passer en zone libre. Le cinquième album voit Catherine s'engager dans la Résistance (2011) à Lyon, tandis que la tension est à son comble puisqu'une histoire de trahison est en jeu. En parallèle de l'épisode rhodanien, L'Armée indigne (2013) est intégralement consacré à Martin, qui a été envoyé sur le front ukrainien où il devient le témoin d'horreurs indescriptibles, avant qu'il ne parvienne à se faire rapatrier en Allemagne où il intègre une conspiration visant à tuer Hitler dans l'album En finir… (2015). Le Pacte, qui vient tout juste de paraître, fait directement suite à cette intrigue, puisqu'on y suit la vie clandestine du héros, obligé de se cacher de place en place, tandis que des milliers d'Allemands fuient l'arrivée des Russes à l'aube de la chute du régime.
En attendant le fin mot de l'histoire, ces huit albums sont absolument passionnants et permettent de croiser autant de personnages attachants dans toutes les strates des sociétés, des soldats humanistes forcés de taire leurs convictions aux travailleurs héroïques engagés dans la résistance, que d'admirateurs forcenés du régime prêts aux pires exactions, tout en passant par une galerie de personnes silencieuses qui font mine de ne rien voir. Tous les profils sont ainsi décrits eu gré des pages, ce qui rend la psychologique des personnages assez complexe pour être toujours captivante, puisqu'aucun être humain n'est absolument blanc ou noir, surtout dans des conditions politiques aussi extrêmes. Le trait est quant à lui clair et limpide, faisant la part belle aux gros plans sur les visages afin de transmettre toutes ces émotions tragiques au lecteur, avec une nette amélioration à partir du second opus. On apprécie d'autant mieux le sens du détail à propos des décors, autant à l'intérieur qu'à l'air libre : l'exiguïté des appartements d'étudiants, les salons bourgeois évidemment plus cossus, les villes en ruines et les champs d'Ukraine dévastés sous la neige sont autant d'images absolument marquantes qui laissent une impression durable. Philippe Richelle et Jean-Michel Beuriot ont d'ailleurs été distingués pour certains albums dans plusieurs festivals francophones, dont Angoulême, Montréal, Genève et Louvain, ce qui n'est que justice étant donné la qualité de leur travail. Montrer la guerre du point de vue allemand fut aussi un choix audacieux qui mérite d'être salué, car cela permet de sortir des sentiers battus tout en véhiculant des valeurs humanistes universelles.
Aimant beaucoup cette série, j'aurais même voulu que plusieurs personnages soient encore mieux développés afin de passer plus de temps avec eux. Je pense à Maria dans le troisième tome, ou encore Fredi dans le septième. C'est peut-être le seul défaut que j'adresserais à ces Amours fragiles, puisqu'à force de développer autant de personnages secondaires au fil des pages, on reste un peu frustrés d'en perdre de vue en cours de route. Malheureusement, étant donné les événements tragiques qui sont relatés, il fallait bien s'attendre à ce que nombre d'entre eux meurent dans d'atroces souffrances aux quatre coins de l'Europe, ce qui nous rappelle que la paix n'a pas de prix. La seule maladresse scénaristique est sans doute de toujours affubler Martin d'un meilleur ami différent dans chaque album, alors que ceux-ci sont tous calqués les uns sur les autres. Gunther, Henry ou encore Stefan sont finalement tous très similaires, les cheveux châtains contrastant avec la blondeur du héros, et tous fanfaronnant bien plus qu'un Martin finalement assez impersonnel par moments. Cela dit, je n'ai rien contre les personnes réservées, bien au contraire ! On trouvera aussi des similitudes clairement souhaitées entre Katarina, la femme fantasmée éloignée et Hilda, le havre de paix dans l'horreur, autant d'un point de vue physique que psychologique.
Comme je le disais, la galerie de personnages est telle qu'il est impossible de tous les passer en revue : j'en resterai donc à cette micro-critique très générale, afin de témoigner de mon grand intérêt pour cette série. Assurément, chaque histoire secondaire est aussi passionnante que la trame générale, ce qui fait d'Amours fragiles une réussite. J'attends donc la conclusion avec impatience, en tremblant de voir d'autres destins se clore prématurément alors que la guerre touche à sa fin. Notons que Philippe Richelle a également écrit une série consacrée aux guerres de Religion, avec le dessinateur Pierre Wachs. Je ne surprendrai personne en avouant que cela m'intéresse hautement !
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