vendredi 22 juin 2012

Oscar de la meilleure actrice 1932/1933

Si je ne traite pas cette année dès à présent, je vais devenir fou à lier! Pourquoi? Parce qu'il s'agit de la période d'éligibilité la plus longue de l'histoire des Oscars, allant d'août 1932 à décembre 1933. Or, sachant qu'il est parfois plus que difficile de se limiter à cinq candidates une année normale, ça devient encore plus ingérable si l'on y ajoute cinq mois supplémentaires! A noter au passage la paresse non masquée de l'Académie qui s'est contentée de trois nominations, toutes issues de films sortis en 1933. Les heureuses élues furent ainsi:

* Katharine Hepburn - Morning Glory
* May Robson - Lady for a Day
* Diana Wynyard - Cavalcade

On a donc: en premier lieu, une actrice australienne septuagénaire qui faisait du cinéma depuis les années 1910, mais généralement plus habituée aux rôles secondaires. De fait, la nomination de Robson n'a rien d'étonnant: non contente d'avoir l'âge et la respectabilité de son côté, elle jouait en outre un rôle émouvant à souhait que Capra aurait aimé donner à Marie Dressler, laquelle aurait certainement reçu une troisième nomination consécutive si tel avait été le cas. Difficile de passer à côté de cette performance, donc. En face, deux actrices d'une autre génération quoique d'horizons différents: Diana Wynyard comme Katharine Hepburn en étaient au tout début de leurs carrières cinématographiques, chacune ayant percé au préalable face à un ou plusieurs Barrymore (excusez du peu!), respectivement dans Rasputine and the Empress et A Bill of Divorcement. A priori, Wynyard et Robson partaient avec un avantage de taille, celui de figurer dans des films nommés pour quatre Oscars, dont meilleur film et meilleur directeur, Cavalcade ayant notamment raflé ces prix. Cependant, c'est finalement Hepburn qui remporta la statuette, ce qui d'un point de vue contemporain semble être un bon choix, l'histoire ayant montré qui d'elle ou de Wynyard devait passer à la postérité. Et là, il n'y a même pas photo!

Pour ma part, j'ai promis dans mon premier post de me restreindre à cinq candidates par an, mais en raison du grand nombre de films éligibles pour cette saison particulière, j'ai longtemps pensé élargir ma sélection. Finalement, je me suis ravisé, car si je commence à faire des exceptions, je ne vais plus m'en sortir. Donc, pas de remords, et on passe tout de suite aux choses sérieuses!

Je retire:

Diana Wynyard - Cavalcade: Bon, je me suis enfin décidé à revoir le film histoire d'avoir un avis plus nuancé que ce qu'aurait laissé supposer ma première version de l'article, mais malheureusement, la révision n'a fait que confirmer l'impression initiale, à savoir que l'actrice use d'un jeu extrêmement daté, ou tout du moins très enraciné dans des codes théâtraux qui passent mal devant une caméra, et ne font qu'alourdir le propos au lieu d'apporter une certaine fluidité qui aurait fait du bien à cet univers étouffant presque exclusivement vu de l'intérieur d'un salon. Ainsi, lorsque le scénario demande à l'actrice d'être expressive, elle appuie toujours beaucoup trop sur le sentiment, à l'image de l'au-revoir à son mari lors du départ du paquebot, où sa détresse apparaît comme bien trop jouée, sans compter qu'elle a une fâcheuse tendance à porter la main au front dès que l'héroïne est désespérée, ce qui arrive souvent étant donné les drames qu'elle doit affronter. Autrement, Wynyard est malheureusement assez inexpressive, voire franchement ennuyeuse lorsqu'elle n'a pas de grands moments dramatiques à jouer, ce qui a pour conséquence de renforcer l'irritante sensation de confinement que j'évoquais. Et même si l'on peut mettre au crédit de l'actrice de bien restituer les manières de cette grande bourgeoise britannique, qui n'hésite pas à faire preuve d'une effroyable condescendance en patronnant l'épouse d'un ancien domestique ivrogne, elle trouve tout de même le moyen de trop forcer le trait dans le registre de la grande dame anglaise, comme le souligne sa diction lors de son entrée en scène. Enfin, si son vieillissement est plutôt bien esquissé dans son comportement, ce n'est hélas pas assez crédible sur le plan physique, ce qui reste bien dommage car c'est pourtant bien dans les séquences finales que l'actrice se révèle vraiment intéressante, se décidant enfin à abandonner la tonalité trop mélodramatique du reste du film. Dans tous les cas, ce voyage dans l'histoire britannique à travers ses événements les plus mémorables ne suscite pas le quart de l'excitation qu'on peut ressentir devant une thèse sur le même sujet, et les acteurs y sont pour autant que la réalisation peu inventive.


Katharine Hepburn - Morning Glory: Là aussi, j'ai enfin retrouvé une copie du film qui me permet de détailler mon impression à son sujet, sauf que si Diana Wynyard ne m'a pas davantage déçu par rapport à la première fois, Kate m'a en revanche très nettement moins enthousiasmé compte tenu du souvenir relativement favorable que j'avais de cette performance. Pour commencer, il faut avouer qu'elle rend le personnage exaspérant dès qu'elle se met à monopoliser la parole, et à chaque fois, c'est pour parler d'un ton monocorde qui finit par agacer rapidement, au point qu'on ne voit finalement plus que l'actrice réciter ses répliques, sans la moindre part laissée à l'héroïne qui est pourtant censée s'intéresser aux choses dont elle parle, encore qu'Hepburn parvienne in extremis à dessiner un certain désir sur son visage, de quoi sauver quelques meubles. Mais lorsqu'elle rêve par exemple de voir "Eva Lovelace in Romeo and Juliet", j'ai uniquement l'impression que c'est Hepburn qui tente d'impressionner, et non Eva qui s'enthousiasme vraiment pour son possible futur. En fait, Hepburn veut trop en faire mais ça ne fonctionne pas, et à force de chercher à voler la vedette à tout le monde, on perd l'innocence du personnage, théoriquement timide, comme le montre sa façon de dominer ses rivales snob rien que par sa prestance. D'autre part, elle force beaucoup trop dans son jeu, de quoi donner lieu à ses scènes vraiment maladroites comme sa gaucherie devant Adolphe Menjou, et sa désastreuse séquence d'ivresse lors de la soirée, où elle va même jusqu'à s'entrecouper dans sa griserie pour réciter du Shakespeare comme si de rien n'était! Et quand arrive la dernière partie, on la perd totalement car à force d'énoncer toutes ses répliques de la même manière, quelles que soient les émotions, il est impossible de faire la différence entre les moments où Eva est censée être elle-même, et ceux où elle se met volontairement en représentation. Quant à la fin, c'est tellement surjoué, à grand renfort de "I'm not afraid!" "I'm not afraid!", que ça me rappelle à quel point j'ai détesté l'actrice avant de parvenir à l'apprécier. En somme, si le charisme et la forte personnalité d'Hepburn pouvaient faire passer la pilule la première fois, la révision ne joue clairement pas en sa faveur.


May Robson - Lady for a Day: Comme pour Hepburn, je dois avouer que la révision de cette performance m'a assez déçu, alors que paradoxalement j'ai bien mieux aimé le film la seconde fois. En effet, j'ai d'abord regretté que l'intrigue ne laisse pas une plus grande marge de manœuvre à Apple Annie dans la seconde partie, mais le scénario est en fait bien équilibré, si bien que ce qui m'était d'abord apparu comme un problème me semble à présent tout à fait correct. En revanche, si May Robson m'avait beaucoup ému de prime abord, sans doute parce que je me fais souvent avoir dès qu'on me met du Tchaïkovski dans les oreilles, je l'ai trouvée beaucoup moins efficace cette fois-ci, principalement parce qu'Annie est en fin de compte moins un personnage qu'un symbole, et que l'actrice ne fait objectivement rien pour la rendre vraiment intéressante, se contentant de faire ce que lui demandent l'histoire et le réalisateur. C'est notamment flagrant dans la seconde partie où, au lieu de complexifier le personnage qui doit jouer à la grande dame d'un jour au beau milieu d'une vie de misère, elle reste simplement calme à parler de façon maternelle à sa fille, sans jamais donner de véritable épaisseur à l'héroïne qui n'est plus alors qu'un émouvant cliché. Dès lors, c'est bien le début du film qui donne tout son intérêt au personnage, puisque c'est à ce moment-là que May Robson a un véritable effort de composition à faire, exercice dont elle se sort malgré tout assez bien, ajoutant des gestes mécaniques pour renforcer la nervosité d'Annie, principalement dans l'épisode de la lettre dans le hall d'hôtel, où elle s'essuie par exemple le front avec son mouchoir. Elle use aussi d'un ton plus rauque pour se faire entendre, tout en restant très touchante en expliquant que la lettre vient de sa fille, mais très vite, la gestuelle devient de plus en plus agaçante, surtout quand l'actrice accentue de plus en plus ses grimaces pour quémander la pitié qu'on ressent pourtant naturellement pour elle vu sa détresse. Elle a donc beau rester franchement émouvante quand elle est filmée en pleine misère, tournant même la photo de sa fille pour boire en cachette, il faut quand même bien avouer qu'elle en fait trop par moment, de quoi priver la performance d'une partie de son potentiel. Ainsi, je suis quelque peu mitigé sur cette redécouverte, mais ça reste tout de même plutôt bon, et tout à fait divertissant, qu'on se rassure!


Ma sélection:

Tallulah Bankhead - Faithless: Sans surprise vu le titre du blog, il fallait bien que l'incomparable Tallulah fasse son entrée dans ma liste d'Oscars. Et quelle meilleure occasion pour ce faire que d'incarner un personnage très proche de ce qu'elle était en vrai, à savoir une riche héritière assoiffée de mondanités; rôle grâce auquel il lui est possible de faire éclater son incroyable charisme, à la différence de l'infâme The Cheat de l'année précédente? A ce titre, le rôle n'est peut-être pas très difficile pour elle, mais voir Tallulah faire du Tallulah de façon tout à fait décomplexée me réjouit toujours autant. Et elle s'y révèle si vivante et dynamique que je l'apprécie d'autant plus: sa façon théâtrale de prononcer ses répliques via son inimitable voix, sa manière de mimer l'ivresse, l'émotion qu'elle dégage dans les scènes dramatiques, mais surtout sa gaieté pétillante lors des moments de joie... tout m'a décidément beaucoup plu!


Kay Francis - Trouble in Paradise: Un rôle où Kay Francis n'est pour une fois pas pâlichonne et ne se laisse pas voler la vedette par ses partenaires, ça ne saurait passer inaperçu. Comme à son habitude, elle fait preuve d'une classe et d'une élégance redoutables qui servent à merveille ce personnage de grande bourgeoise parisienne fortunée. Mais c'est pourtant la moindre de ses qualités. En effet, comment n'être pas aussitôt charmé par sa manière de s'insérer dans l'univers de Lubitsch avec humour et grâce? Elle se révèle ainsi très drôle dans son attachement quelque peu naïf à un Herbert Marshall qu'elle croit pouvoir gouverner, avant de se montrer toute mignonne face à une Miriam Hopkins bien plus intéressée par ses bijoux que par sa conversation. Mais le meilleur, c'est surtout sa façon de se comporter avec ses prétendants, avec en point d'orgue sa réaction finale devant Marshall qui reste très réussie et tout à fait digne de ce très bon cru lubitschien.


Greta Garbo - Queen Christina: Comment les Oscars ont-ils pu snober cette performance? Voilà qui m'échappe. Parce que non seulement le film est un chef d'oeuvre, mais c'est aussi un très grand exploit de la Divine. En effet, pour une actrice aussi mythique, incarner une reine n'était que la moindre des choses, et Garbo a précisément la prestance et la gravité requises, au point d'en imposer à tout le monde dès qu'elle entre en scène. Et bien entendu, elle ne manque pas d'humaniser Christine en ajoutant beaucoup d'humour au rôle, comme en témoignent ses sourires chaleureux devant l'ambassadeur de France et plus encore le plaisir manifeste qu'elle a de se jouer de John Gilbert en se faisant passer pour un homme. Or, les relations entre ces deux partenaires de légende fonctionnent comme au temps de leurs grands succès du muet, et Garbo n'a jamais été aussi adorable que lorsqu'elle s'épanouit à ses côtés, avant de restituer à merveille la tonalité plus sombre de la dernière partie, faisant au passage preuve d'un érotisme latent en se débarbouillant par exemple dans la neige, ou en dégustant une grappe de raisins. Cependant, la dimension la plus intéressante de cette performance, c'est tout ce jeu sur les ambiguïtés sexuelles, Garbo trouvant le parfait équilibre entre masculin et féminin, au point d'être même plus à l'aise en femme dans des habits d'homme qu'en femme dans des robes de satin. Enfin, elle est également ravie d'interpréter un personnage bisexuel de façon totalement décomplexée, ce qui ajoute au charme de cette performance. Cerise sur le gâteau, les envolées lyriques caractéristiques de sa carrière passent très bien ici, car elle en use surtout quand la reine se met en scène, mais évite précisément d'en faire trop lors des moments dramatiques, d'où une compréhension parfaite du rôle. En somme, il s'agit là d'un rôle éblouissant dont la postérité a surtout retenu la célèbre séquence à la proue du navire, bien que ma préférée reste de loin celle des souvenirs dans la chambre d'auberge, où non contente d'être plus cinématographique que jamais, la Divine offre l'un des moments les plus humains et touchants de sa filmographie. En bref, voilà une nouvelle performance divine et brillante, avec ce personnage suédois exceptionnel qui va comme un gant à une actrice suédoise d'exception.


Miriam Hopkins - The Stranger's Return: Sachant qu'elle était à l'affiche de deux Lubitsch à la même période, sa nomination pour un King Vidor manifestement peu connu peut surprendre. Oui, mais voilà, j'adore ce film! Tout d'abord parce qu'il est intelligemment scénarisé: si l'on excepte les deux cousines stéréotypées comme jamais, tous les personnages piquent l'intérêt puisqu'aucun ne se résume à une unique dimension. Par ailleurs, j'aime beaucoup l'environnement rural dans lequel se déroule l'intrigue, et où prend forme la performance de Miriam Hopkins qui se montre redoutablement efficace à tous les niveaux. En effet, elle trouve le parfait équilibre entre fille de la campagne et citadine, la première étant constamment dotée de la classe acquise à la ville, la seconde sachant fort bien s'adapter à la société rurale qu'elle redécouvre, avec en point d'orgue la délicieuse scène de la tarte! Par ailleurs, c'est un réel plaisir de voir que l'actrice ne se pose jamais en victime alors qu'elle est plus ou moins traitée comme une étrangère dans sa propre famille, ce qui lui permet d'étoffer ses rapports avec les autres habitants de la ferme, dont Lionel Barrymore avec qui elle noue une complicité vivace qui débouche sur des échanges particulièrement savoureux, et impose la talentueuse Miriam comme une partenaire de choix pour le mythique acteur, peut-être même plus encore que Joan Crawford dans Grand Hotel. Il faut dire que ces retrouvailles autour d'une cigarette crépitent de façon fabuleuse, d'où mon enthousiasme! Enfin, Miriam prend le parti de ne pas faire montre de ses manières expansives plus habituelles, usant au contraire de toute sa subtilité pour bien correspondre à la tonalité du film, et renforcer par-là même la force de sa relation amoureuse avec Franchot Tone, ce qui est évidemment un très bon choix. On se retrouve alors avec un portrait très détaillé sur différents niveaux entre amour naissant, rapports familiaux, et réadaptation à un univers qu'on a quitté jadis, de quoi donner au spectateur le goût d'une performance complète fort bien analysée par l'actrice.


Barbara Stanwyck - The Bitter Tea of General Yen: A l'origine, je ne voulais pas la nommer cette année car, Barbara étant la plus grande actrice de composition du Golden Age, de nombreuses nominations l'attendent bien au chaud. Mais finalement, impossible de faire l'impasse sur elle, 1933 restant une très grande année pour la dame, avec Baby Face et The Bitter Tea à son actif. Et puis, je dois l'avouer, j'aime trop l'Asie, et par-là même tout ce qui me la rappelle, quand bien même il ne s'agit que d'un orientalisme très fantasmé, pour passer outre. Quoi qu'il en soit, Barbara est à nouveau excellente à tout point de vue dans un rôle complexe, en l'occurrence celui d'une fiancée de missionnaire en pleine confusion des sentiments après avoir été enlevée par un général chinois. Dans un phrasé moderne et médical, il s'agit d'une véritable analyse du syndrome de Stockholm que livre ici l'actrice, qui nourrit justement le rôle de façon progressive en résistant très nettement à son attirance envers Nils Asther, avant de céder peu à peu. Ainsi, c'est avec une facilité déconcertante qu'elle passe du dégoût au désir, ce que résume parfaitement la célèbre séquence onirique où l'on ressent toutes ces émotions contradictoires qui bouleversent l'héroïne. D'autre part, Barbara a également, et ce n'est évidemment pas une surprise, le charisme nécessaire pour porter ce personnage volontaire qui n'hésite pas à défendre la concubine de son ravisseur, et à proposer sa propre vie en échange tout en défiant le mystérieux général du regard. Elle ne perd donc jamais une occasion d'étoffer son rôle, mais comment en douter lorsqu'on a affaire à Barbara Stanwyck? Quoi qu'il en soit, elle rend l'héroïne réellement poignante, surtout dans les dernières séquences, tout en participant à la remise en cause des pires clichés d'un orientalisme fantasmé afin de donner une image positive des sentiments entre une Occidentale et un (hélas faux) Asiatique, ce qui est plutôt osé pour un film de 1933. On peut alors critiquer l'emploi d'un acteur danois pour le rôle du général, mais il n'en reste pas moins que cette histoire d'amour est bouleversante, et tout particulièrement grâce à Barbara.

Et maintenant que ma sélection vient d'être dévoilée, je réalise que les deux stars qui ont donné leur nom à ce blog se trouvent en concurrence directe. De même que les deux amies à la ville qu'étaient Kay Francis et Miriam Hopkins font également partie de la même sélection, mais pour deux films différents. Voilà qui devrait promettre quelques duels juteux, non? Nevertheless... the winner is...


Greta Garbo - Queen Christina

Ça a presque failli être Miriam Hopkins dont c'est le grand moment de gloire en premiers rôles, puisque outre l'excellent Stranger's Return, elle brille également dans deux divines comédies de Lubitsch (Trouble in Paradise et Design for Living), tout en se fondant à merveille dans l'univers osé et sordide de Jack La Rue dans le très sombre The Story of Temple Drake. Cependant, Miriam est assurée de gagner à d'autres reprises dans ma liste, et à la réflexion le rôle qui me séduit le plus cette année, dans un chef-d'oeuvre absolu qui plus est, c'est bel et bien Greta Garbo dans Queen Christina. Parce que mine de rien, c'est l'une des performances les plus éblouissantes du monde, et rien ne me semble plus divinement moderne que ce personnage ouvertement bisexuel qui se refuse aux convenances du mariage, avant de se laisser troubler par l'amour d'un bel ambassadeur, et c'est également une joie extrême de revoir le couple mythique Garbo/Gilbert se reformer à l'écran. Garbo l'emporte donc, l'alchimie entre son incomparable aura et le brillant de cette oeuvre étant l'un des plus grands chocs que le cinéma m'aura fait ressentir. Sur ce, Miriam Hopkins se classe seconde pour ses innombrables rôles merveilleux, Barbara troisième pour son héroïne troublante et troublée, Tallulah quatrième pour son dynamisme rafraîchissant, puis Kay Francis cinquième pour sa classe follement envoûtante.

Mais indéniablement, pas mal d'excellentes candidates auraient tout autant mérité d'entrer dans ma liste. Laissons Sylvia Fowler nous dire ce qu'il en est des performances...


dignes d'un Oscar: Greta Garbo (Queen Christina), Miriam Hopkins (Trouble in Paradise) (The Story of Temple Drake) (The Stranger's Return) (Design for Living): comme indiqué ci-dessus, cette année se joue pour moi entre ces deux extraordinaires candidates, l'avantage étant tout de même à Garbo pour ce rôle plus grandiose que jamais. Barbara Stanwyck (Baby Face): je ne la fais pas entrer dans ma sélection à cause du Capra, et parce que je préfère l'approche comique qu'avait Jean Harlow du personnage l'année précédente. N'en reste pas moins une savoureuse interprétation que Stanwyck sait rendre très crédible malgré cette histoire quelque peu improbable puisque traitée sur le mode tragique. Quant à The Bitter Tea of General Yen, la performance est trop exquise pour être ignorée, et ce dans un film noyé sous des flots de chinoiseries que j'aimerais toutes avoir dans mon salon. Et on ne se moque pas!


dignes d'une nomination: Tallulah Bankhead (Faithless), Kay Francis (Trouble in Paradise): voir ci-dessus. Mary Astor & Jean Harlow (Red Dust): parce qu'elles sont absolument géniales, surtout Harlow bénéficiant du meilleur rôle, pulvérisant par-là même les actrices du remake plus célébré. Marion Davies (Blondie of the Follies): un personnage attachant et une divine imitation de Garbo suffisent très largement à la faire entrer dans le top de l'année! Marlene Dietrich (Blonde Venus): à nouveau très bien mise en valeur par Sternberg, Marlene se révèle toujours aussi glaciale tout en réussissant à m'émouvoir dans sa descente aux enfers, surtout lorsqu'elle chante une berceuse avec une boîte à musique. Irene Dunne (Back Street): une excellente approche du registre de la déception amoureuse, où l'actrice sait comment rester intense en retenant ses larmes. Ann Harding & Myrna Loy (The Animal Kingdom): la première reste très théâtrale mais constamment juste, la seconde plus moderne et complexe, et le tout est vraiment très bon.


séduisantes: Katharine Hepburn (A Bill of Divorcement) (Morning Glory) (Little Women): finalement, je la préfère dans les deux rôles pour lesquels elle ne fut pas nommée, mention spéciale à Little Women où elle impose la version la plus mythique de Jo. May Robson (Lady for a Day): voir ci-dessus. Claudette Colbert (The Sign of the Cross): parce qu'elle pétille dans ce rôle de grande méchante, mais surtout parce qu'elle se baigne dans un bain de milkshake à moitié fermenté sous les projecteurs, et rien que pour ça, respect. Joan Crawford (Rain): une interprétation ratée à cause des scènes d'illumination religieuse, mais les autres parties concernant la prostituée tapageuse sont trop marquantes pour la classer plus bas. Marlene Dietrich (The Song of Songs): bien sûr, Marlene en paysanne prude et naïve n'a aucune crédibilité, mais ce nu artistique sur du Tchaïkovski fait toujours son petit effet. Irene Dunne (Ann Vickers) (No Other Woman) (If I Were Free): une actrice à nouveau excellente dans des films plus que ternes. Rien ne bat son sommet de la saison dans Back Street. Kay Francis (One Way Passage): un beau rôle bien dans l'air du temps, mais je la préfère vraiment chez Lubitsch. Helen Hayes (A Farewell to Arms): de tout ce que j'ai pu voir, son meilleur rôle des années 1930. Jeanette MacDonald (Love Me Tonight): sa tête sur l'air du "It's too perfect" est drôle, mais drôle! Mae West (I'm No Angel) (She Done Him Wrong): une gigantesque boule de charisme dans des films malheureusement ratés. Fay Wray (The Most Dangerous Game) (King Kong): parce qu'elle est tellement cool et rafraîchissante qu'on ne s'en lasse pas. Loretta Young (Man's Castle): un personnage extrêmement touchant qui prouve que l'actrice n'a pas été distinguée pour les bons rôles par l'Académie.


sans saveur: Ethel Barrymore (Rasputin and the Empress): un personnage naturellement ennuyeux que l'actrice n'a pas su rendre plus fascinant. Claudette Colbert (I Cover the Waterfront): sa performance n'est peut-être pas si mal, mais je n'ai aucune envie de revoir le film pour m'en refaire une idée. Ginger Rogers (Professional Sweetheart): Ginger en nuisette jetant des objets à la tête de ses partenaires, ça aurait dû être plus drôle.


ratées: Irene Dunne (Thirteen Women): ça vient peut-être davantage de ce film elliptique et brouillon au possible, mais il faut bien le reconnaître, là où Myrna Loy et même Peg Entwistle prennent la peine de donner un peu de consistance à leurs "personnages", Irene Dunne s'ennuie en permanence et ne parvient à exprimer aucune émotion, même lorsqu'elle prend conscience des menaces pesant sur elle. Diana Wynyard (Cavalcade): peut-être bon pour l'époque, et collant bien dans le fond avec cet esprit très victorien, mais beaucoup trop daté de nos jours pour pouvoir digérer quelque chose d'aussi pesant.


à découvrir: Joan Crawford (Dancing Lady), Bette Davis (Three on a Match) (The Cabin in the Cotton), Marie Dressler (Prosperity) (Tugboat Annie), Glenda Farrell (I Am a Fugitive from a Chain Gang), Lillian Gish (His Double Life), Jean Harlow (Bombshell), Helen Hayes (The White Sister), Katharine Hepburn (Christopher Strong), Mary Pickford (Secrets), Norma Shearer (Smilin' Through), Sylvia Sidney (Madame Butterfly), Barbara Stanwyck (Ladies They Talk About)

Et pour les inquiets, j'évoquerai Marie Dressler et Jean Harlow pour Dinner at Eight en parlant des seconds rôles.


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3 commentaires:

  1. Je ne ferai pas une étude comparée de tes choix vs. ceux de l'Académie puisque je n'ai vu que trois films sur les neuf proposés. Je suis cependant très satisfaite de l'élection de Miriam qui doit faire partie des actrices les plus sous-estimées du Golden Age.

    Je vais d'ailleurs en profiter pour parler de Design for Living dont je garde avec le temps un souvenir assez mitigé. Certes c'est un Lubitsch avec tout ce que ça implique en matière de burlesque et de regard amusé sur les comportements humains, les acteurs pris individuellement sont bons (même si j'ai surtout été subjugué par Miriam) mais il manque un truc. Une certaine connivence que l'on retrouve dans le Miriam Hopkins/Lionel Barrymore et que je n'ai pas du tout ressenti dans les deux couples du Lubitsch cité. That's strange.

    Et le film avec Helen Hayes ne me donne pas vraiment envie, la faute à la photo choisie qui donne à l'actrice un faux air de Claudette Colbert. Et Claudette Colbert infirmière c'est juste no way!

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    1. Design for Living n'est effectivement pas le meilleur Lubitsch et fait d'ailleurs partie de ces films que j'ai moins aimé au second visionnage qu'au premier. J'ai néanmoins beaucoup d'estime pour Miriam et Fredric March, c'est surtout le personnage de Gary Cooper auquel j'accroche moins.

      Quant à Helen Hayes, elle joue bien mais n'est certes pas la plus intéressante cette année là. Je pense d'ailleurs sérieusement à la remplacer par Jean Harlow...

      Sinon, cadeau:
      http://www.oscars.org/events-exhibitions/features/images/war-films/women_so-proudly-we-hail.jpg

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    2. A propos: j'ai finalement limité ma sélection à cinq candidates. Hayes a beau être pas mal, elle ne me satisfaisait pas assez pour l'emporter face à Stanwyck ou Harlow... Et ça ne me convenait nullement de faire une exception pour elle alors que d'autres années, j'ai été obligé de retrancher des performances bien meilleures faute de place (en l'occurence, Janet Gaynor en 1937, Claudette Colbert ou Miriam Hopkins en 1939, etc). Donc, pas de regrets, et on en revient à cinq concurrentes qui me satisfont tout à fait!

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