A mon avis, une autre très bonne année après 1939 en ce qui concerne les performances d'actrices US. Au programme:
* Bette Davis - The Little Foxes
* Olivia de Havilland - Hold Back the Dawn
* Joan Fontaine - Suspicion
* Greer Garson - Blossoms in the Dust
* Barbara Stanwyck - Ball of Fire
Evidemment, ce qui était très attendu à l'époque, c'était le duel fratricide entre Joan et Olivia, la première ayant notamment raflé l'Oscar que la seconde estimait devoir gagner si la date de sortie de Suspicion n'avait été avancée (le film est sorti en janvier 1942 en Californie mais la première ayant eu lieu en novembre 1941, Fontaine put être sélectionnée). Il faut dire que si l'on mesure la popularité d'une nomination à l'intensité des applaudissements les soirs de remises de prix, cette cérémonie aurait dû se jouer entre Olivia et Barbara Stanwyck, de quoi ajouter de l'eau au moulin de la soeur déconfite. Mais de fait, même si la performance de Joan Fontaine dans Suspicion n'était pas la plus populaire, l'AMPAS était très tentée de lui offrir un lot de consolation après sa défaite pour Rebecca un an plus tôt, de telle sorte qu'elle avait peu de chance de perdre cette année-là. Pour le reste de la compétition, Bette Davis battait son propre record en étant nommée pour la quatrième fois consécutive, mais les regards étaient visiblement tournés ailleurs après ses deux victoires de la décennie précédente. Greer Garson recevait quant à elle sa seconde nomination, et la première d'une série de cinq consécutives, preuve qu'elle était en passe de s'imposer comme The Actress MGM de ces années de guerre, époque à laquelle Norma Shearer et Greta Garbo tournaient leurs derniers films quand Joan Crawford entamait une traversée du désert qui devait la conduire à quitter le studio peu après.
Quoi qu'il en soit, voilà une sélection où se côtoient de nombreux grands noms du cinéma des années 1940. Mais pour ma part, vais-je laisser les soeurs de Havilland s'entretuer dans ma propre liste? C'est ce que nous allons voir dès à présent!
Je retire:
Greer Garson - Blossoms in the Dust: De loin la performance la moins intéressante de ce champ, et qui me pose le même problème que Roz Russell dans Sister Kenny, à savoir que l'héroïne a beau être charismatique tout en étant excellemment interprétée, il manque quelque chose qui empêche de s'intéresser à elle plus avant. Pourtant, elle a pas mal de bons moments, au premier rang desquels ses tentatives de secouer la société et les hommes de loi qui veulent freiner ses projets, mais il m'est néanmoins bien difficile de me passionner pour une femme dont la seule raison de vivre est de récupérer tous les orphelins qui lui tombent sous la main, sous l'oeil bienveillant d'un mari trop accommodant. A l'image de cette performance, le film se voudrait flamboyant, mais il n'est ni plus ni moins qu'un mélodrame ultra conventionnel dont la pellicule en technicolor fait plus mal aux yeux qu'autre chose. Alors... je sais que tout le monde aime Greer Garson, mais en ce qui me concerne, elle commence sérieusement à m'énerver toute bonne actrice qu'elle soit... Et ce n'est pas cette performance calibrée pour les Oscars par son studio qui lui fait gagner des points.
Joan Fontaine - Suspicion: Je l'ai pourtant beaucoup appréciée, mais... si je devais ne retenir qu'une chose de sa prestation, ce serait ce sourcil gauche qui se barre en live toutes les 3 secondes! Et mine de rien, ça fait beaucoup pour un film d'1h30. Toutefois, si l'on ferme les yeux sur cet aspect irritant, que reste-il? Un bon rôle que j'aime beaucoup et qui aurait mérité sa nomination dans ma liste si une concurrence particulièrement rude ne lui faisait face la même année. En effet, Fontaine a beau incarner une victime, elle prend toujours la peine d'affirmer sa personnalité, de quoi lui permettre de tenir tête à un Cary Grant à nouveau désarmant. Elle est de surcroît très bonne dans ses tentatives de percer un mystère angoissant, et même si la fin n'était pas celle prévue par Hitchcock et apporte justement une petite déception, ça n'enlève rien à la force de la performance de l'actrice. En somme, Joan Fontaine s'allie fort bien à Hitchcock et Cary Grant pour faire passer un très bon moment avec un personnage dynamique, mais souffre malheureusement d'une rivalité trop forte pour gagner sa place dans mes propres nominations. Dommage.
Barbara Stanwyck - Ball of Fire: C'est Barbara, je l'adore, y compris dans ce rôle qui lui permet de faire preuve d'émotion via ses sentiments contrariés tout en brillant dans le registre comique avec en point d'orgue cette entrée phénoménale chez Gary Cooper, clin d’œil vulgaire mais jouissif à l'appui. Ceci dit, malgré cette indéniable réussite qui n'a certainement pas volé sa nomination, Barbara est encore meilleure la même année dans un autre film... Vous avez tous deviné de quoi je veux parler!
Ma sélection:
Bette Davis - The Little Foxes: Là, c'est la collaboration Wyler-Davis portée à son paroxysme, aussi le film comme la performance de la star ont forcément un aspect plus que génial. Pour commencer, Davis se montre parfaitement crédible en mère de famille aigrie alors que deux ans auparavant elle incarnait encore des jeunes filles: elle n'a ainsi aucune difficulté à faire croire qu'elle est la soeur où l'épouse d'acteurs nés une vingtaine d'années avant elle, ou qu'elle est la mère de Teresa Wright de seulement dix ans sa cadette. Et bien entendu, cette réussite est moins le fait des costumes rétro qu'elle porte avec beaucoup d'élégance que de son incroyable talent à composer n'importe quel personnage. Mais en parlant de talent, ça me rappelle justement le Stardust où Jane Fonda remarquait que la performance de Davis dans ce film est tellement subtile qu'on a l'impression que c'est sans efforts apparents qu'elle se révèle d'une intensité rare, notamment dans la scène clef avec Herbert Marshall. On ne peut qu'être d'accord: aux antipodes de ses déchaînements furieux de Of Human Bondage, elle reste ici totalement calme et posée, figeant son visage dans un aspect glacial et terrifiant, si bien que rien n'est plus percutant que sa façon de dire les pires choses au monde avec un dédain paroxystique. La perfidie de Regina n'en est que plus admirable.
Olivia de Havilland - Hold Back the Dawn: Plus je vois ce film, plus je l'aime. Et s'il me faut reconnaître que je n'ai pas trouvé la performance d'Olivia transcendante la première fois, j'en suis à présent un fan inconditionnel. Parce que l'air de ne pas y toucher, c'est bel et bien elle qui laisse la plus forte impression, très crédible qu'elle est en jeune femme certes naïve mais dont le dynamisme et la vivacité sont heureusement loin de la pesanteur agaçante de son rôle pourtant bien plus célébré dans The Heiress. On a dès lors affaire à un personnage attachant et rafraîchissant qui vient illuminer le monde étouffant de ces immigrés européens désespérés de ne pouvoir franchir la frontière: espoir pour Charles Boyer qui n'attend que de se servir d'elle pour pouvoir enfin retourner aux Etats-Unis, son Emmy Brown constitue également un espoir pour le spectateur puisque c'est grâce à elle qu'on peut enfin sortir de la torpeur d'un hôtel frontalier et s'engager dans un voyage lyrique et dépaysant à travers le Mexique. Et puis, cerise sur le gâteau, elle sait se montrer bien plus forte que prévu en ayant de très bonnes réactions finales avec les différents protagonistes, en particulier lorsqu'elle défie Paulette Goddard d'un sourire éteint en refusant de lire l'inscription sur la bague, et lorsqu'elle remet ses lunettes après un interrogatoire où elle vient de révéler une force insoupçonnée. Je suis donc tout à fait conquis, allant jusqu'à penser qu'il s'agit là de son meilleur rôle.
Irene Dunne - Penny Serenade: Une question me taraude: pourquoi avoir nommé Cary Grant pour ce rôle qui, certes réussi, n'est certainement pas son meilleur, si c'est pour snober Irene Dunne qui est de son côté une nouvelle fois éblouissante? Comme à son habitude, elle prend soin de ne jamais verser dans la moindre note mélodramatique afin de se révéler déchirante dans les moments difficiles, tout en n'oubliant pas d'être à nouveau excellente dans les instants plus drôles. De fait, elle manie toutes les émotions possibles et imaginables avec dextérité tout en s'attachant parfaitement toute notre sympathie et plus encore: impossible de ne pas tomber instantanément amoureux d'elle dès son apparition dans un magasin de disques. De surcroît, l'alchimie qui se dégage de ses rapports avec Cary Grant fait une fois de plus des merveilles, si bien qu'on regrette que ce soit leur dernière collaboration. En somme, il s'agit encore d'une très grande réussite d'Irene dont la non nomination aux Oscars ne cessera jamais de m'étonner vu le sujet particulièrement fort de ce film émouvant à souhait.
Joan Crawford - A Woman's Face: La première fois que j'ai vu ce Cukor, je l'ai classé comme chef-d'oeuvre. La seconde, je l'ai encore mieux aimé. Et autant dire de suite que Crawford n'y est pas pour rien! Parce que lorsqu'on s'appelle Joan Crawford, l'essence même du glamour, et qu'on ose se défigurer le temps d'un rôle, c'est déjà très courageux. Mais quand on s'approprie de surcroît le personnage pour le jouer de façon aussi parfaite, ça mérite de figurer haut dans ma liste des meilleures interprétations du Golden Age. En effet, loin de se reposer sur le seul maquillage, Crawford rend fort bien la profondeur et la complexité de cette Anna Holm: des blessures psychologiques qui percent sous une apparente dureté au tiraillement affectif que lui impose un choix cornélien, sa performance est menée de main de maître et donne une saveur toute particulière à une poignée de scènes au suspense haletant. De surcroît, je l'ai trouvée encore plus subtile que Bergman dans la version suédoise de 1938. Je n'ai donc que des éloges à faire à l'actrice, et rien ne m'irrite plus que cette performance ait été snobée à cause du peu de recettes qu'a recueilli le film.
Bon, et maintenant je fais quoi? Parce que je viens quand même de nommer cinq actrices issues de très bons films voire de chefs-d'oeuvre, dont les performances mériteraient toutes cinq étoiles si je devais faire un barème. Un peu comme en 1939, sauf que là, pas de Scarlett O'Hara pour faire la différence de façon évidente. Donc... autant dire que mon choix final va être plus que difficile et que les résultats seront des plus serrés. Ceci dit, un je ne sais quoi de particulièrement extatique m'incite à donner mon vote à...
Olivia de Havilland - Hold Back the Dawn
Ainsi, 1941 est une année réellement exceptionnelle, et n'importe laquelle de mes candidates aurait mérité un Oscar. Mais après de longues années de réflexion, Olivia de Havilland et Barbara Stanwyck arrivent finalement en tête dans mes préférences, et Hold Back the Dawn est à mon avis le plus beau rôle d'Olivia, loin devant The Heiress, aussi est-ce le bon moment pour lui attribuer le trophée. Sans compter qu'elle brille la même année dans un registre complètement différent avec son hilarant second rôle dans They Died with Their Boots On, si bien que 1941 apparaît clairement comme son meilleur millésime. Sur ce, Barbara Stanwyck se classe seconde pour sa prodigieuse prestation comique, Joan Crawford troisième pour son courage physique au service d'un grand rôle de composition, Bette Davis quatrième pour l'un de ses nouveaux sommets, tandis qu'Irene Dunne ferme la marche pour l'une des performances les plus émouvantes jamais données.
D'autre part, si j'ai pris beaucoup de plaisir devant toutes les actrices nommées ici, il ne faut certainement pas oublier d'autres très grandes réussites en cette année qui peut se mesurer à 1939 sans avoir à rougir. Voici donc sans plus attendre l'indispensable classement fowlerien des performances...
dignes d'un Oscar : Joan Crawford (A Woman's Face), Bette Davis (The Little Foxes), Olivia de Havilland (Hold Back the Dawn), Irene Dunne (Penny Serenade), Barbara Stanwyck (The Lady Eve): pour les raisons évoquées plus haut. Lana Turner (Ziegfeld Girl): un premier grand rôle où l'actrice révèle un génie insoupçonné en volant la vedette à tous ses partenaires grâce à une performance à la fois poignante et charismatique, avec tout ce qu'il faut d'émotions intermédiaires pour marquer durablement les esprits, du désabusement à la franche camaraderie, surtout que l'actrice est d'autant plus touchante lorsqu'elle se berce d'illusions alors que le succès lui monte à la tête.
dignes d'une nomination : Mary Astor (The Maltese Falcon): une fabuleuse performance nerveuse à souhait, portée par une actrice qui devait courir entre chaque prise pour avoir l'air essoufflé, même si c'est surtout en révélant la vulgarité du personnage derrière sa façade élégante qu'elle devient réellement fascinante. Sans compter l'autodérision dont elle fait preuve en avouant être une menteuse compulsive. Vivien Leigh (That Hamilton Woman): une version pleine d'humour et d'esprit qui renvoie l'Emma de Corinne Griffith aux oubliettes. Et l'alchimie avec Laurence Olivier fait des miracles, surtout aux débuts de leur rencontre où l'actrice présente Emma avec une vivacité qui n'est pas sans rappeler les grandes heures de Scarlett O'Hara.
séduisantes : Jean Arthur (The Devil and Miss Jones): une grande performance comique mais qui ne marque pas autant les esprits que ses tours de force dans The Talk of the Town et The More the Merrier. Joan Crawford & Greer Garson (When Ladies Meet): un joli duel de stars où Crawford ne fait rien qui sorte de l'ordinaire, tout en restant impeccable, et où Garson est délicieuse lorsqu'elle se prête au jeu de dupes qui la fera vite déchanter. Bette Davis (The Great Lie): elle y est vraiment bien, d'autant qu'elle n'hésite pas à mettre en lumière les aspects les plus pervers de l'héroïne malgré une sympathie très prononcée, mais il y a quand même Mary Astor en face qui s'arrange pour lui voler la vedette à chaque échange. Ceci dit, Bette est loin de se démonter, mais qui en aurait douté? Marlene Dietrich (The Flame of New Orleans): dans la continuité de ses performances hilarantes dans Desire et Destry Rides Again, un rôle où l'actrice est à mourir de rire en jouant sur les deux tableaux, entre jeune femme respectable et fieffée friponne. Sa réplique culte: "Clementine, I'm going!", est drôle à se rouler par terre! Irene Dunne (Unfinished Business): une délicieuse performance touchante à souhait qui aurait mérité un support un peu plus éclatant. Joan Fontaine (Suspicion): voir ci-dessus. Greta Garbo (Two-Faced Woman): un sens de la comédie aiguisé dans un film hélas quelque peu inégal à cause d'un remontage qui en altère le sens. Mais la Divine y est fort drôle en se dévergondant sur une piste de danse, ou en faisant un clin d’œil irrésistible au téléphone. Greer Garson (Blossoms in the Dust): voir plus haut. Carole Lombard (Mr. and Mrs. Smith): avec Robert Montgomery, un duo d'acteurs qui fait tout son possible pour sortir ce propos du marasme. Merle Oberon (That Uncertain Feeling): une actrice qui aboie sous la direction de Lubitsch ne pouvait que me séduire. Rosalind Russell (They Met in Bombay): une voleuse de bijoux trop classe pour être ignorée, bien que le film perde tout intérêt avec une seconde partie dramatique mal amenée. Barbara Stanwyck (Meet John Doe): un rôle qui démarre sur les chapeaux de roues avant d'être mis de côté à cause d'un scénario mal équilibré. Mais elle y est impeccable, une fois encore, sans y être cependant aussi mémorable que dans Ball of Fire.
sans saveur : Claudette Colbert (Skylark), Barbara Stanwyck (You Belong to Me): deux rôles supposément drôles dont je n'ai plus aucun souvenir. A revoir. Alice Faye (That Night in Rio): non qu'elle y soit mauvaise, mais le film l'est tellement qu'il ne reste pas grand chose à tirer de sa performance. Olivia de Havilland & Rita Hayworth (The Strawberry Blonde): deux approches plutôt pataudes du registre comique. Ida Lupino (High Sierra): son charisme la rend forcément très intéressante, mais elle ne sait effectivement pas pleurer, ce qui rend sa dernière scène fort décevante. Par ailleurs, elle n'a pas réussi à rendre le film plus captivant pour moi, malgré sa jolie photographie. En réalité, l'actrice est bien plus mémorable la même année dans Ladies in Retirement, mais cette dame de compagnie assez glaciale me laisse toujours sur ma faim, d'autant qu'Elsa Lanchester lui vole la vedette à chaque instant.
ratées : Ingrid Bergman & Lana Turner (Dr. Jekyll and Mr. Hyde): la preuve qu'il n'aurait pas fallu intervertir les rôles. En effet, Turner aurait été bien plus à sa place en prostituée, tandis que Bergman qui fait sa princesse affectée ne sait nullement s'adapter à son environnement sordide. Par contre, elles seraient sans doute plus à leur place comme seconds rôles, tout du moins Turner pour sûr. Je ne me souviens plus du temps d'écran de Bergman par contre.
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Ah effectivement, même si j'avais oublié cet article (la honte), je ne m'en tirais pas trop mal dans mes propositions. La surprise vient, pour moi, de Havilland (que je trouve merveilleuse et dont je pense effectivement, qu'il s'agit sans doute de son meilleur rôle ...) comme quoi !
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