1939 étant à juste titre considérée comme l'année du meilleur millésime hollywoodien, il aurait été difficile à l'AMPAS de passer à côté d'un cru "cinq étoiles". D'ailleurs, les noms des candidates à l'honneur ne laissent aucun doute sur l'excellence de la production de cette année de choix:
* Bette Davis - Dark Victory
* Irene Dunne - Love Affair
* Greta Garbo - Ninotchka
* Greer Garson - Goodbye, Mr Chips
* Vivien Leigh - Gone with the Wind
Pour commencer, on retrouve trois des plus grands noms des années 1930, voire des années 1920 pour Garbo. La Divine, en effet, recevait alors sa quatrième nomination pour son premier rôle ouvertement comique, et ce même si la MGM était de plus en plus tentée de la pousser vers la sortie si l'on en croit la toujours sympathique Luise Rainer. De leur côté, Irene Dunne et Bette Davis avaient rapidement percé au cours de la décennie, chacune se payant le luxe de recevoir comme Garbo sa quatrième nomination, si l'on prend en compte la write-in nomination de Davis en 1934. Quoi qu'il en soit, cette dernière avait largement de l'avance puisqu'elle était la seule de cette sélection à être déjà oscarisée, à deux reprises qui plus est. De surcroît, il fut révélé après la cérémonie qu'elle faillit avoir un troisième prix tant recherché ce soir-là, puisque Vivien Leigh ne la distança que de quelques voix, bien que l'écart fût trop grand pour bénéficier d'un "tie" que Davis n'aurait peut-être pas autant désavoué que celui de Kate Hepburn en 1968...
En face, Greer Garson et Vivien Leigh n'en étaient qu'à leur premier film à Hollywood, mais la première eut l'occasion de profiter d'une bonne campagne de la MGM au point d'être nommée dans la catégorie des premiers rôles, et de prendre le chemin d'une rapide popularité lors de la décennie suivante. Quant à Vivien Leigh, le succès fracassant de Gone with the Wind et la guerre de toutes les divas du cinéma pour décrocher ce rôle plus que juteux dans ce film synthèse de tout le Golden Age hollywoodien en faisaient clairement la favorite, même si la victoire n'était pas aussi évidente que ça: on a vu que Bette Davis lui a donné du fil à retordre, sans oublier que de son côté, Clark Gable fut battu lors de cette soirée, probablement parce qu'il avait déjà gagné cinq ans plus tôt.
Cependant, si cette sélection semble a priori irréprochable, me séduit-elle autant qu'elle le laisse croire de prime abord? La réponse ci-dessous!
Je retire:
Greer Garson dans Goodbye, Mr Chips: Ne vous y trompez pas, il s'agit d'une bonne performance que j'apprécie tout particulièrement. Garson s'y montre pétillante à souhait et apporte une fraîcheur bienvenue à un film somme toute assez terne, dont elle demeure le principal ornement face à un Robert Donat qui doit tout à son maquillage. J'irai même jusqu'à dire qu'il s'agit là de son meilleur rôle, et que tous les personnages similaires qu'elle a incarnés par la suite, à l'instar d'une Paula Ridgeway ou d'une Susie Parkington, n'ont été qu'une reprise de sa Katherine Chips en moins bien. Le problème, c'est qu'en dépit des stratégies de prestige du studio, la MGM ayant tout misé sur elle pour devenir la grande star de la nouvelle décennie; elle n'apparaît pas plus d'une demi-heure sur deux heures de film, aussi aurait-elle dû être nommée dans la catégorie seconds rôles, ce que je m'empresse de faire au profit de:
Ma sélection:
Bette Davis dans Dark Victory: Après s'être imposée comme l'une des plus grandes à Hollywood, Bette Davis a brillamment clos la décennie avec cet étincelant mélodrame qui compte parmi les meilleurs de sa riche carrière. D'emblée, elle crève l'écran dans la peau de cette jeune héritière éminemment sympathique avant de montrer avec une grande clarté l'évolution du personnage à mesure que son destin s'assombrit. Pour ce faire, elle s'appuie sur ses grands yeux expressifs afin de faire ressortir tout le sel de l'histoire, notamment dans le dernier quart d'heure monumental où elle fait parfaitement croire à ce qui lui arrive, tout en se payant le luxe de rester dynamique et spontanée, sans jamais verser dans le mode mélodramatique, sans quoi le film n'aurait évidemment pas fonctionné. Elle est également autant crédible en jeune mondaine insouciante qu'en jeune femme révoltée par les épreuves qu'elle doit affronter, jouant au passage admirablement bien l'ivresse lors d'une brillante scène de bar, et la transition vers une dernière partie où l'héroïne a enfin mûri est fort bien rendue, la scène de la grande révélation dans l'écurie étant justement la plus lumineuse du film. Par ailleurs, j'aime d'autant plus ce rôle particulier dans la carrière de Davis puisqu'une fois n'est pas coutume, elle fait preuve d'une bienveillance qui tranche avec ses personnages habituellement plus durs, de quoi prouver s'il en était encore besoin combien il lui est facile de s'illustrer dans n'importe quel registre. Sans doute son plus beau rôle, et son meilleur, après All About Eve.
Greta Garbo dans Ninotchka: Garbo laughs! De fait, ce n'était pas nouveau: il n'y a qu'à revoir toutes ses scènes enjouées au début de Camille, Anna Karénine, The Painted Veil et tant d'autres pour se souvenir que la Divine pouvait faire preuve de beaucoup d'humour même en plein drame. Mais il est vrai que pour la première fois, Garbo se trouvait au coeur d'un film 100% comique, concrétisant par-là même le vieux rêve de Lubitsch qui souhaitait tourner avec elle depuis 1932. Garbo révéla d'ailleurs qu'il était le seul grand réalisateur à l'avoir jamais dirigée. Il faut dire que Lubitsch a justement su tirer parti de l'image publique de la Divine pour en faire le fil conducteur de sa délicieuse satire politique, dans laquelle l'actrice a visiblement pris beaucoup de plaisir à se jouer de son aura austère pour parodier à merveille les moeurs d'une Russie figée dans sa rigueur stalinienne, avant d'exploser dans cette fameuse scène du rire où elle plonge avec bonheur dans d'improbables excès afin de faire voler en éclat l'essence même de Garbo. Le rendu est totalement jouissif, et on en redemande!
Vivien Leigh dans Gone with the Wind: Scarlett, c'est le personnage qui tient une place à part dans mon panthéon cinématographique, puisque c'est le premier grand rôle du Golden Age qu'il m'ait été donné de découvrir. J'étais encore tout jeune collégien et m'étais retrouvé pour les vacances de Noël dans un lieu qui avait la bonne idée de diffuser TCM, si bien que j'avais passé ma semaine à guetter les multiples rediffusions du chef d'oeuvre hollywoodien par excellence. Le problème, c'est qu'une fois de retour chez moi, j'ai ressenti un énorme manque, et autant dire que je me suis précipité à Virgin pour étancher ma soif dans les plus brefs délais. Tout à ma joie de retrouver Clark Gable et Hattie McDaniel, j'étais surtout ravi de pouvoir enfin déclarer tout mon amour à Vivien Leigh sans avoir à dépendre du bon vouloir d'un programme télévisé, tant j'avais été ébloui par le degré de perfection atteint par elle, via son charisme monstre, sa facilité déconcertante à prendre un accent sudiste et à montrer toutes les facettes d'un personnage complexe extrêmement bien développé, sa manière de prendre à bras le corps les aspects les plus sombres de Scarlett et de faire totalement adhérer à ses actions pourtant pas toujours éthiques, et sa capacité à dominer un casting de luxe et à porter quatre heures de fiction sur ses épaules. D'ailleurs, on pardonnera à Selznick d'avoir fait tourner en bourrique les plus grandes divas américaines tant la miraculeuse Vivien est indépassable.
Claudette Colbert dans Midnight: Après avoir ébloui toute la décennie par ses rôles comiques souvent très drôles, Claudette Colbert a trouvé en 1939 sa meilleure comédie, avec un personnage qui, plus qu'aucune autre héroïne précédente, définit le mieux l'essence même de l'actrice. Délicieusement drôle, diablement élégante, Colbert est absolument idéale dans les atours de cette Cendrillon des temps modernes parvenant à se faire une place dans l'aristocratie parisienne par son esprit aiguisé et ses reparties piquantes. Son air faussement détaché alors qu'on est à deux doigts de la démasquer, son rire fort mal placé en apprenant le sort de l'archiduchesse de Mendola, la découverte de sa suite au Ritz, sa façon de flirter avec Francis Lederer sous le nez d'une Mary Astor incrédule: "I give you three guesses", "I don't suppose you could show me"; ou encore l'alchimie de l'actrice avec un trio d'acteurs en très grande forme (Astor, Don Ameche et John Barrymore) : tout est absolument brillant dans cette performance qui ajoute à l'éclat de ce qui reste l'une des trois plus grandes comédies des 30's, avec My Man Godfrey et The Women, et constitue sans aucun doute le plus grand rôle comique de l'immense Claudette Colbert.
Voilà pour mes cinq candidates. Et maintenant, découvrons tout de suite le nom de la grande gagnante, j'ai nommé...
Voilà pour mes cinq candidates. Et maintenant, découvrons tout de suite le nom de la grande gagnante, j'ai nommé...
Bette Davis pour Dark Victory.
Conclusion : le classement de Sylvia Fowler, suivant la liste des performances...
dignes d'une nomination : Jean Arthur (Mr. Smith Goes to Washington) (Only Angels Have Wings): une actrice qui crève l'écran dans deux films excellents. Claudette Colbert (It's a Wonderful World): le film n'est pas très prestigieux, mais Claudette Colbert y livre une excellente performance du niveau de Midnight, et pulvérise à l'occasion tout ce qui existe alentour, dont James Stewart! Bette Davis (The Private Lives of Elizabeth and Essex): un nouveau rôle puissant et fabuleux, parfaitement humanisé sous ce côté pompeux et théâtral. Deanna Durbin (First Love) (Three Smart Girls Grow Up): deux films irrésistiblement charmants où Deanna Darling impose sa personnalité intrépide sous ses airs de jeune fille de bonne famille. Miriam Hopkins (The Old Maid): j'ai longtemps adoré ce rôle où non contente d'éclipser Bette Davis, Miriam trouve un bon équilibre entre compassion et sournoiserie. Dommage qu'elle surjoue beaucoup avec ses expressions faciales même quand ça n'a pas lieu d'être, comme si on la sentait anxieuse de voler la vedette à son ennemie. Merle Oberon (Wuthering Heights): une approche très théâtrale du personnage qui m'avait laissé de marbre la première fois, mais qui à la réflexion est absolument iconique et mérite amplement son statut légendaire. Norma Shearer (The Women): Jungle Red!
séduisantes : Constance Bennett (Topper Takes a Trip): l'actrice y est trop charmante pour être classée plus bas même si les enjeux du rôle ne volent vraiment pas haut. Ingrid Bergman (Intermezzo): c'est réussi bien qu'il manque un je ne sais quoi qui aurait pu rendre cette performance plus dynamique. Malgré tout, le charme et la personnalité de Bergman percent trop pour ne pas s'y intéresser un minimum. Mary Boland (Boy Trouble): l'actrice n'y est pas mauvaise du tout (le pourrait-elle de toute façon?), même si le film n'a franchement aucun intérêt. Bette Davis (The Old Maid) un rôle émouvant sur la fin, mais ce côté masochiste de vieille fille aigrie semble parfois un peu trop forcé. Et puis Miriam steals the show! Marlene Dietrich (Destry Rides Again): une actrice habituellement glaciale en saloonkeeper d'une hilarante vulgarité... A se tordre les côtes! Judy Garland (The Wizard of Oz) (Babes in Arms): après avoir mis longtemps à aimer son film le plus iconique, je réalise surtout que Judy se défend très bien et porte toute l'histoire par son charisme et sa vivacité. Elle est même plutôt adéquate dans ses expressions béates enfantines, qui collent parfaitement au propos et ne sont jamais surjouées. Carole Lombard (In Name Only) (Made for Each Other): Carole est impeccable dans ces deux films, mais elle aurait quand même été bien plus à sa place dans une comédie. Myrna Loy (Another Thin Man): un mauvais film, certes, mais le charmant humour du divin couple Myrna Loy / William Powell est heureusement intact. La même année, Myrna est aussi mémorable dans The Rains Came, même si elle aurait pu faire plus d'effort pour bien montrer l'évolution du personnage. Sa performance n'en reste pas moins très digne d'intérêt. Ginger Rogers (The Story of Vernon and Irene Castle): drôle et touchante à la fois, l'actrice y livre peut-être sa meilleure performance parmi ses duos avec Astaire. Norma Shearer (Idiot's Delight): même si le film laisse un peu perplexe, Norma en diva russophone n'est à manquer sous aucun prétexte! Barbara Stanwyck (Golden Boy): le seul personnage digeste de ce propos ennuyeux. Et toujours concernant Barbara, citons encore (Union Pacific), un film qui m'a terriblement déçu rapport à sa palme tardive, mais indéniablement, Barbara y est encore irréprochable, quoique pas sous son meilleur jour.
sans saveur : Joan Crawford (The Ice Follies of 1939): soyons honnêtes: Crawford y livre une bonne performance qu'on ne peut pas vraiment déclasser mais... qu'est-elle allée faire dans cette galère?! Jeanette MacDonald (Broadway Serenade): elle n'y est certainement pas mauvaise, mais elle ne fait rien pour tirer son épingle du jeu dans un drame conjugal déjà totalement dépassé pour l'époque. Anna Neagle (Nurse Edith Cavell): de la part d'une actrice de cette trempe, on était en droit d'attendre plus qu'une performance aussi unidimensionnelle que celle-ci. Maureen O'Hara (Jamaica Inn) (The Hunchback of Notre Dame): Maureen a beau y être la plus charmante de toutes, on sent bien qu'elle est encore trop inexpérimentée pour tirer son épingle du jeu, malgré quelques éclairs de charisme qui illuminent par moments son Esméralda. Paulette Goddard (The Cat and the Canary): comme le reste du casting, elle s'écrase entièrement devant... Gale Sondergaard. Priscilla Lane (Dust Be My Destiny): honnêtement, elle est dynamique, mais de là à être vraiment mémorable... non. La très mauvaise qualité du film en général (et on ne parle pas de restauration!) n'aide pas non plus. Ginger Rogers (Bachelor Mother): en soi, c'est une bonne performance, mais ç'aurait été bien meilleur si le scénario avait su comment l'exploiter. Ann Sothern (Maisie): bon, elle est très cool, certes, mais le film est loin de lui faire honneur. Loretta Young (Eternally Yours): Loretta est sans doute le meilleur élément de ce naufrage, mais ce n'est malheureusement pas un exploit pour autant.
ratées : Ida Lupino (The Adventures of Sherlock Holmes): à l'image du film, sa performance est atrocement laborieuse. Ginger Rogers (5th Avenue Girl): ceci est une comédie, on sourit maintenant! Shirley Temple (The Little Princess): oui, bon, c'est pas parce qu'on a dix ans qu'il faut se montrer aussi mauvaise devant une caméra!
ultra crispantes : Claudette Colbert (Drums Along the Mohawk): "Aaaaah! Un Indien dans la maison! Au secours!" Bonita Granville (Nancy Drew... Reporter) (Nancy Drew and the Hidden Staircase): Oups. Autant elle était mémorable car bien dirigée par Wyler dans These Three, autant son atterrissage en catastrophe sur la case "séries B" révèle une bien piètre actrice.
à découvrir : Irene Dunne (When Tomorrow Comes), Greer Garson (Remember?), Margaret Lockwood (Rulers of the Sea), Myrna Loy (Lucky Night)
performances remarquables en langue étrangère : c'est l'année où les States ont pu découvrir leur future idole, Ingrid Bergman, dans En kvinnas ansikte, bien qu'elle n'y égale pas le brillant de Joan Crawford dans le remake de 1941.
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