vendredi 21 octobre 2016

Patton (1970)


Patton fut le grand lauréat des Oscars 1970, avec sept statuettes au compteur, dont meilleur film, meilleur réalisateur pour Franklin J. Schaffner, meilleur scénario original pour Edmund North et un certain Francis Ford Coppola (bien que l'histoire soit très largement basée sur deux biographies antérieures), meilleur montage, meilleurs décors, meilleur son et... oh my god... meilleur acteur pour George C. Scott, qui refusa fameusement son prix. Si l'on ajoute encore trois nominations pour la photographie, la musique et les effets spéciaux, il est indéniable que Patton fut l'un des films incontournables de l'année, d'après l'industrie américaine.

Pourtant, il s'agit d'un biopic à l'ancienne qui n'innove rien, puisque des œuvres comme Lawrence d'Arabie avaient déjà tout dit sur le fait militaire ou sur la vie d'un général charismatique et flamboyant, avec en prime de belles images d'Afrique du nord et une durée interminable bien décidée à battre tous les records. Face à des chefs-d’œuvre tel celui de Lean, Patton souffre de la comparaison, malgré d'incontestables qualités. J'ai même cru que j'allais détester après l'introduction de cinq minutes devant le gigantesque drapeau américain, où le général tente de motiver ses troupes en alignant les jurons comme des perles (le mot "bastards" revient si souvent que les sous-titres n'arrivaient plus à trouver des synonymes après avoir épuisé les termes "connards", "fils de pute" et consorts!), mais par bonheur, la vulgarité est largement contenue dans le reste du film. On ne peut certes pas attendre d'une biographie d'un militaire, qui plus est connu pour son franc-parler, d'user du langage de Madame de La Fayette, mais ce n'est pas parce qu'on est à l'armée qu'il faut se croire obligé de jurer comme un charretier! Mais comme je le disais, le vulgaire s'estompe très rapidement, bien que le film continue évidemment de véhiculer des valeurs très viriles, ce qui n'est certes pas ma tasse de thé, quoique pas gênant vu le contexte.

En réalité, ce qui me laisse pantois, c'est que je ne saisis pas bien l'intérêt du scénario. Et peu importe que tout ne soit pas absolument véridique, le véritable Patton ne m'intéressant pas plus que ça, mais concrètement, que nous raconte-t-on ici? L'histoire n'est qu'une succession de batailles: on se bat à Kasserine, on se bat à El Guettar, puis à Messine, et encore dans les Ardennes, avant de finir par un peu de Russie, mais ces trois heures de film en deviennent extrêmement rébarbatives. En outre, les batailles se ressemblent toutes image pour image: des avions lancent des bombes, et des voitures ou des maisons explosent au sol. Et c'est tout. A ce titre, le prix du montage me laisse aussi perplexe que le prix du scénario, parce que non seulement le film est trop long avec autant de séquences trop similaires, mais en outre, la "chorégraphie" des scènes de batailles est toujours la même, avec un plan sur une voiture, puis sur une maison, puis sur les généraux qui observent le tout avec leurs jumelles. Pour un film de guerre, ce montage n'est pas virtuose, surtout comparé à ses aînés comme All Quiet on the Western Front, où le découpage en lignes horizontales entre les mitrailleuses et les soldats tombant rendait la boucherie encore plus terrible, car d'autant plus fluide. Après, je ne sais pas si la comparaison est tout à fait adéquate, car la Seconde Guerre mondiale généra d'autres moyens de combattre, or Patton montre essentiellement des scènes de bombardement, ou tout de moins de tirs aériens, mais pour quelque chose d'aussi imprévisible et désordonné qu'une débandade de soldats au sol, on était en droit d'attendre un peu plus d'innovation au lieu de cette inlassable ritournelle "voiture, maison, jumelles". Autrement, l'histoire devient plus intéressante dans les scènes d'intimité, quand l'orgueilleux Patton se voit plusieurs fois retirer un commandement pour avoir pris trop d'initiatives dangereuses, ce qui permet d'instiller un peu de colère et d'incompréhension, de l'humanité donc, dans cette intrigue par trop mécanique.

Ceci donne pas mal de grain à moudre à George C. Scott, qui bien que restant principalement sur la même note n'en livre pas moins une performance très charismatique. Ce n'est évidemment pas la première fois, surtout de la part d'un acteur capable de voler la vedette aux distributions les plus prestigieuses de son époque telles The Hustler ou Autopsie d'un meurtre, mais son charisme est assez impressionnant pour être une fois de plus remarquable. On appréciera le côté flamboyant de cette "prima donna" qui s'assume: il aime diriger mais prend réellement soin de ses soldats et semble sincèrement triste lorsqu'il perd un proche, il adore faire preuve d'humour avec ses égaux hiérarchiques, ou de façon plus étonnante en plein chaos, comme lorsqu'il reste debout pour abattre des avions ennemis qui l'agacent et qui fusillent pourtant tout ce qui bouge à terre; et comble de la démesure, il n'aime rien tant que se prendre pour les grands généraux du passé, et dire en toute simplicité à ses collègues qu'il a bien vécu la prise de Carthage par Rome, ou les batailles napoléoniennes les plus célèbres. En fait, hormis une scène de colère (convaincante) lorsque Patton se voit refuser sa participation au débarquement de Normandie, George C. Scott réussit à en imposer sans quasiment rien faire: les émotions se manifestent dans certains plis que prend le visage, mais comme le personnage passe beaucoup de temps à dominer, ses sentiments restent discrets, de quoi renforcer l'intérêt de la performance d'acteur. Quoi qu'il en soit, sa présence est telle qu'il écrase allègrement l'ensemble du casting, Karl Malden compris, et ce en n'ayant jamais besoin d'en faire trop.

Cependant, le plus grand atout du film, c'est la photographie de Fred Kœnekamp, que j'espérais ne pas avoir à prendre en compte car la catégorie est ultra chargée cette année, mais dont les splendeurs sont indéniables. Pour tout dire, l'ouverture sur le grand drapeau ancre d'emblée le film dans une dimension grandiose, et l'usage de ce même drapeau dans des paysages verts ou jaunes donne par ailleurs de jolies couleurs variées à l'image, malgré mon dédain pour toute forme de patriotisme. En outre, si le montage est peu inspirant, chaque plan de bataille est d'une incomparable richesse, à la manière dont sont filmés les avions au-dessus des maisons blanches du Maghreb, ou à la façon qu'a un cactus de révéler un drame à mesure que la caméra s'élève dans les airs. Quant aux monuments, des arches antiques à la verdure du palais de la Granja de Ségovie, ils sont tout simplement sublimés, et ce jusque dans les mouvements des jets des fontaines. Finalement, le seul reproche qu'on pourrait faire au photographe, c'est son mouvement très flou lorsque la caméra balaye la chapelle baroque, mais ça n'a pas vraiment d'importance compte tenu du formidable travail accompli. Concernant les autres aspects techniques, je suis tout de même moins enthousiaste: la musique de Jerry Goldsmith sert le propos mais n'est vraiment efficace qu'à la fin, sans compter que la partition reste assez brève; tandis que les décors ne m'impressionnent pas tout à fait. Certes, la reconstitution de maisons tunisiennes sur le sol d'Espagne, ou encore l'enfilade de salons dans les dernières minutes, restent des créations à saluer, mais la plupart des séquences sont tournées en décors naturels ou dans des bâtiments historiques, de telle sorte que la décoration créée spécialement pour le film n'est pas ce qui retient le plus l'attention. Je me demande simplement si le moulin fut bâti pour les besoins du tournage, car le plan est sublime.

En définitive, Patton est tout de même un bon film qui se suit, ô surprise (!), sans déplaisir aucun, mais l'histoire n'a aucun intérêt, tout du moins pour moi. La qualité de la photographie et le portrait brossé par George C. Scott valent à l'ensemble un petit 7/10, mais je ne pense pas lui attribuer d'autres nominations. Bien que 1970 ne fût pas la meilleure année de l'histoire du cinéma, d'autres films étaient tout de même plus dignes de remporter l'Oscar, même si le choix reste plus que correct.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire