jeudi 25 février 2021

Judy (2019)

 


J'ai réussi à trouver Judy, la biographie de Judy Garland réalisée par Rupert Goold, qui valut un second Oscar à Renée Zellweger l'année dernière. C'était, avec Betty Compson et Cynthia Erivo, l'une des trois performances qui manquaient à ma collection "meilleure actrice", aussi est-ce avec une joie non feinte que je m'empresse de la colorer sur ma liste! Colorer est d'ailleurs un verbe approprié pour un film musical sur une artiste de légende, dont les plus grandes œuvres furent en Technicolor, et dont les tenues chamarrées sont légion tout au long de l'histoire. Celle-ci, adaptée d'une pièce créée en 2005, puis jouée en 2012 à Broadway, se concentre sur les derniers mois de la chanteuse, lors de sa série de concerts à Londres à l'automne 1968. On y fait connaissance avec une dame qui ne peut pas arrêter le métier qu'elle aime, et qui tente de continuer coûte que coûte.

Vous savez que je ne suis pas le plus grand fan au monde de Judy Garland, que je respecte énormément mais qui n'est pas l'une de mes archi favorites. Mes goûts me portent davantage vers les voix de soprani, lyriques alla Deanna Durbin, ou rossignolesques alla Zhou Xuan, mais ça n'enlève rien au talent de Judy Garland, qui avait un coffre impressionnant, comme en témoigne sa reprise d'Ol' Man River dans les années 1960. Assurément, le film lui rend hommage en montrant une personne complexe et touchante, souvent brisée mais qui ne veut pas perdre espoir, et qui a conservé à la fois la spontanéité de la jeune fille qu'elle était, et les traumatismes provoqués par le paternalisme de la MGM, qui la hantent encore à l'âge adulte. Sur ce dernier point, Judy se laisse aller, tirant trop fortement sur la corde sensible pour faire pleurer dans les chaumières, avec de nombreux retours en arrière peu subtils qui montrent à quel point Louis B. Mayer et la surveillante générale étaient des ordures. Certes, ce qu'a vécu la jeune comédienne alors fut épouvantable, d'autant que sa dépendance aux médicaments imposée par le studio eut raison d'elle, mais le film appuie trop lourdement sur l'envers du décors, alors qu'on aurait pu souligner le passé de l'enfant-star avec plus de finesse.

De même, le côté icône gay, certainement véridique, est traité d'une manière trop larmoyante, avec une séquence totalement gratuite où l'héroïne se retrouve chez deux fans qui lui préparent une omelette, et lui confient avoir fait de la prison pour attentat à la pudeur pour un simple témoignage d'affection en public. Certes, les lois en vigueur à l'époque étaient iniques, et l'histoire de ce couple reste fort émouvante, mais le film nous impose une lecture trop ostensiblement lacrymale de cette séquence, dans le seul but de rendre son sujet d'autant plus sympathique, au lieu de faire passer son message avec une légèreté qui eût été plus originale. Quant au mariage qui sort de n'importe où, ça montre surtout que le scénariste a tenté de tout caser en deux heures pour être le plus fidèle possible à la réalité, sans pour autant avoir la moindre idée de comment traiter son sujet: ça va tellement vite qu'on ne comprend rien à ce qui se passe.

Autrement, ça reste un biopic honorable mais terriblement conventionnel, avec réticence originelle, puis chute et insultes sur scène qui accompagnent la renaissance du phénix en un chant du cygne en apothéose, où l'héroïne donne tout ce qu'elle a, et reconquiert son public d'une manière mélodramatique que les grands films d'antan n'auraient pas désavouée. Malgré ses caprices, Judy Garland y est toujours filmée sous son jour le plus affable, toujours là pour les autres et pour ses enfants, pas comme ses méchants maris qui ne cherchent qu'à profiter de sa gloire et de son argent. Je ne connais pas assez la vie privée de la dame pour en juger, mais cela sonne très juste. Le défaut du film est simplement de manquer de nuance envers les personnes en conflit avec l'héroïne, et qui sont donc forcément tout noirs puisqu'elle-même est toute blanche. Heureusement, les nuances se retrouvent en Judy, capable de coups de colère et même d'injures, mais à chaque esclandre, l'histoire prend bien soin de l'excuser, démontrant par a + b que la MGM destructrice l'a, seule, conduite à cet état. Disons qu'il n'y avait peut-être pas besoin de le rappeler à chaque séquence: il est parfaitement honorable de ne pas être une sainte, quels que soient les drames que l'on a vécus.

Cela dit, si l'histoire joue souvent avec de grosses ficelles, l'intérêt principal du film est à chercher ailleurs. Il s'agit bien sûr de l'interprétation de Renée Zellweger, qui est... éblouissante à tous égards. Vraiment, je l'ai trouvée très convaincante, et pour tout dire merveilleusement nuancée. Avec ses grands yeux tristes et pourtant lumineux, et son sourire crispé par l'effet des drogues pharmaceutiques, elle passe par toutes les émotions imaginables avec une énergie communicative, qui n'est pas sans évoquer le bonheur que communiquait Judy Garland elle-même lorsqu'elle chantait pour son public. Je ne sais pas ce qu'en pensent les fans, qui trouveront peut-être que la ressemblance n'est pas assez frappante, mais le travail sur les intonations parlées n'en reste pas moins impressionnant. En tout cas, son phrasé est nettement plus minnellien que celui de l'actrice jouant Liza elle-même. Cependant, le mimétisme a ses limites, qui interviennent fatalement dans les passages chantés. D'un côté, chapeau à Renée Zellweger de s'être prêtée au jeu avec sa propre voix, tout en sachant que les critiques seraient inévitables, mais de l'autre... effectivement, ce n'est pas le timbre de Judy Garland. Là où la star d'origine était reconnaissable entre toutes et a laissé une empreinte indélébile dans la pop culture, rien dans le chant de Zellweger ne dépasse le stade du quelconque, ce qui fait perdre un peu de sa magie à sa performance. À sa décharge, elle n'est pas du tout aidée par une mise en scène peu inspirée, qui réussit l'exploit douteux de rendre chaque numéro plus banal encore que les séquences non musicales (!), et quelque insipide que son chant paraisse comparé à son illustre modèle, l'actrice est au maximum de son énergie, comme l'était manifestement Garland sur scène, tout en faisant passer de belles émotions par son jeu riche et varié. La reprise lacrymale de Somewhere Over the Rainbow a beau être hyper convenue d'un point de vue narratif, Renée Zellweger n'en reste pas moins magnifique alors que s'achève son parcours sur une belle note.

Conclusion: Judy est l'archétype du biopic musical qui fleurit désormais chaque année à Hollywood, mais l'interprétation principale, superbement expressive et nuancée, permet de sauver un ensemble qui ne s'embarrasse pas vraiment de subtilité. Mon souvenir de Judy Davis dans un téléfilm de 2001 également consacré à la chanteuse remonte à trop loin pour faire des comparaisons, mais j'ai beaucoup aimé Renée Zellweger à défaut de ressentir quelque chose pour le film. Par contre, je ne sais pas vraiment comment la classer par rapport à Saoirse Ronan et Scarlett Johansson, elles-mêmes magnifiques dans des registres différents. Certes, elle ne parvient pas à reproduire la voix chantée de Judy Garland, mais elle ne se laisse jamais abattre et donne tout ce qu'elle a pour compenser cet écueil, aussi serait-il dommage de la pénaliser alors qu'elle fait de son mieux. Je la laisse troisième le temps d'y réfléchir, mais je suis agréablement surpris par cette interprétation: j'avais peur de m'ennuyer devant une énième biographie américaine, mais l'actrice m'a totalement diverti! C'est l'essentiel.

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