dimanche 18 avril 2021

La Chasse aux sorcières

 


Vous arrive-t-il souvent d'avoir très envie de voir un film depuis des années, et de détester l'expérience une fois tentée? C'est ce qui vient de m'arriver avec La Chasse aux sorcières (The Crucible), l'adaptation de la célèbre pièce d'Arthur Miller par lui-même, dans une mise en scène de Nicholas Hytner sortie à l'automne 1996. Le texte reprend, comme vous le savez, le procès des dames de Salem, accusées de sorcellerie sans preuves dans les derniers feux du XVIIe siècle, et condamnées au gibet par une masse ignorante. Ce fiasco humain ne manqua pas de heurter la sensibilité de l'auteur à l'époque de la rédaction (1952), à cause des échos évidents avec le Maccarthysme, alors que nombre de citoyens américains furent dénoncés et empêchés de travailler pour de supposées sympathies communistes, dès les commencements de la Guerre Froide. Au cinéma, je préfère de loin la version de 1957 de Raymond Rouleau, avec Montand et Signoret, mais j'avais quand même très envie de voir celle-ci, pour compléter ma liste des actrices nommées pour l'Oscar du second rôle. Je suis franchement déçu du voyage.

En fait, tout se tient dans la réalisation pachydermique de M. Hytner : la pièce reste captivante sur le papier, mais ses difficultés à lui donner souffle et mouvement la tire inexorablement vers le bas. Visuellement, c'est très lourd, à commencer par Winona Ryder avec du sang de coq sur le visage (j'espère qu'ils n'ont pas tué d'animaux pour les besoins du film), jusqu'à Daniel Day-Lewis qui violente toutes les femmes qu'il rencontre, et qui est dès lors impossible à prendre au sérieux comme point de ralliement pour les esprits éclairés tant il est répugnant. Mais le pire, ce sont les scènes d'hystérie collective, le moteur du film tout de même. Elles sont malheureusement si mal filmées qu'elles tournent très vite au grotesque, prenant l'air de la décadence des Diables de Ken Russell, mais sans le baroque allant avec. Le résultat est d'un sérieux qui se marie fort mal à l'exubérance.

Figurant également sur le banc des accusées, la direction d'acteurs est tout sauf ajustée au cinéma. Deux ans après sa première adaptation théâtrale, La Folie du roi George, qui valait le coup d'œil pour ses interprétations croustillantes mais à l'aise devant une caméra, Nicholas Hytner laisse ses comédiens s'époumoner pour le dernier rang, d'où l'impression de lourdeur déjà palpable dans d'autres aspects du film. Ainsi, Daniel Day-Lewis hurle à n'en plus finir, me confirmant au passage qu'il est loin d'être le plus grand acteur de sa génération comme on l'entendait trop souvent à une époque. De son côté, Jeffrey Jones en fait des tonnes, tandis que Rob Campbell est peu convaincant en révérend calme et posé, qui se met tout à coup à s'exalter comme un possédé quand il se sent contredit. De même, le chemin conduisant Bruce Davison à se laisser berner par sa nièce, en dépit de sa culture et de son bon sens, reste pour le moins épineux. 

Quant à Winona Ryder, elle est carrément mauvaise. Ses visions mystiques sont celles d'une petite peste mal sortie de l'adolescence, mentant comme elle respire, alors difficile d'imaginer que tout un village et une flopée de magistrats puissent la croire sur parole. N'importe quel adulte ayant un tant soi peu vécu, quel que soit son degré d'éducation, aurait la réaction de Martha Corey, la seule capable d'identifier les gamineries de l'accusatrice. Peut-être que la comédienne se sentait en porte-à-faux avec un personnage qui, à l'époque des faits, n'avait que neuf ans, mais le texte en fait bel et bien une femme plus âgée. À sa décharge, on ressent effectivement le côté perturbé d'une jeune femme déflorée par un homme sans scrupules, mais l'imprécision de son jeu hystérique ne donne pas chair aux propos d'Abigail. Il faut également que ses amies soient bien sottes, pour entrer dans le jeu d'une personne aux menaces de pacotille. Mylène Demongeot, plus adulte, semblait bien plus dangereuse et acharnée dans la version de 1957.

Par bonheur, quelques seconds rôles mieux esquissés parviennent à sauver certains meubles. Nous citerons en premier la grandiose Joan Allen, nommée à l'Oscar pour le rôle d'Elizabeth Proctor, la très puritaine épouse qui glacerait de la bière par forte chaleur. Il est fort dommage, mais c'est encore l'un des écueils du film, que son temps d'écran soit largement diminué par rapport à Simone Signoret, quoiqu'elle parvienne sans surprise à marquer les esprits avec le peu à sa disposition. Rigide mais intense, avec de subtils élans passionnés qui contredisent joliment son rigorisme, elle ne doute jamais d'être dans son bon droit, allant même jusqu'à dominer les juges bien qu'elle soit en position de faiblesse. C'est assurément une interprétation très digne d'intérêt, hélas desservie par un maquillage pathétique, mais c'est tout à l'honneur de l'actrice de parvenir à s'élever au-dessus d'un aspect misérable et d'un film pesant. Néanmoins, je ne pense pas qu'elle méritait citation pour un prix cette année-là : elle a fait bien mieux par la suite, notamment dans Pleasantville et La Tempête de glace juste après.

À vrai dire, je ne suis pas sûr qu'elle soit la meilleure de la distribution. En effet, Elizabeth Lawrence est magnifique de retenue dans le rôle de la sage-femme accusée de meurtre; tandis que Mary Pat Gleason apporte une présence terrienne et un bon sens tout fermier à Martha Corey, parmi les villageoises ayant encore un semblant de moralité. Dans l'autre camp, l'hystérie de Charlayne Woodard est plus éloquente que la moyenne, dans le rôle de la servante noire qui doit retourner sa veste pour éviter la pendaison. De même, Frances Conroy est d'une exaltation bien cernée dans la peau d'une femme dévastée, croyant en désespoir de cause que la mort de ses enfants est l'œuvre du diable. Malgré tout, l'interprétation qui m'a le plus touché est donnée par Karron Graves, la bonne des Proctor qui se refuse à mentir pour épargner son employeuse, mais qui n'a pas l'estime de soi nécessaire pour rester infaillible devant le juge. Sa torture mentale est impressionnante alors qu'elle échoue à exécuter un évanouissement sur commande, surpassant en cela, et de loin, les performances mal calculées des premiers rôles à l'affiche. Enfin, un dernier mot sur Paul Scofield. Le pauvre! À chaque fois qu'il paraît dans un film, je m'ennuie royalement. Ce qui ne veut pas dire qu'il soit mauvais, bien au contraire, mais nous aurons décidément du mal à trouver un terrain d'entente artistique.

Conclusion : une poignée de jolis seconds rôles ne suffit pas à aérer un film lourd et indigeste, desservi par une théâtralité mal à propos et une mise en scène peu inspirée. Il n'y a aucune once de conviction dans le discours des filles, lorsqu'elles prétendent voir des ombres noires ou des oiseaux jaunes prêts à les picorer, ce qui est rageant compte-tenu de la puissance psychique et poétique qu'on pouvait extraire de ces répliques. Je suis donc bel et bien déçu, mais ça me donne envie de revoir la version Signoret dans un joli noir et blanc!

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