dimanche 18 avril 2021

Été 85

 



En général, j'aime bien le cinéma de François Ozon : des couleurs éclatantes, des idées de mise en scène dignes d'intérêt, des distributions bien choisies et des histoires troublantes piquent toujours la curiosité, même quand le résultat ne me marque pas outre mesure, tels Jeune et jolie et Dans la maison. À ce jour, je n'ai viscéralement détesté que deux opus : Les Amants criminels et Swimming Pool, tous deux laids et franchement indigestes. Mais j'ai fait une fixation inquiétante sur 8 Femmes toute mon adolescence, malgré un propos toxique qui me dérange à l'âge adulte ; j'ai trouvé Sous le sable excellent lors de la revisite, j'ai beaucoup aimé Frantz et Une Nouvelle Amie, et j'adore Potiche, mon film préféré du réalisateur. Je n'en dirais pas tant d'Été 85, qui sans être irregardable comme la piscine provençale est le troisième film d'Ozon que je n'ai vraiment pas aimé.


Il s'agit là d'une adaptation du roman britannique La Danse du coucou d'Aidan Chambers, publié en 1982. On y suit le parcours d'Alexis, un lycéen normand au centre des questionnements propres à son âge lors des vacances d'été, entre interrogations sur les études à venir et découverte des premiers sentiments pour David, le garçon plus âgé qui l'a repêché en mer. Mais ! Pour éviter que ces sujets ne paraissent trop banals, François Ozon fait démarrer le film par une séquence choc, où Alexis brise le quatrième mur pour demander aux spectateurs les plus chétifs de ne pas écouter son récit tant celui-ci sera révoltant.


Mouais. On échappe heureusement à l'image d'un metteur en scène démiurge venant annoncer à quel point son film est très important et bouleversant (coucou Cecil !), mais inviter l'acteur principal à jouer un rôle de prophète n'en reste pas moins légèrement pompeux. Tout du moins aurait-il fallu que l'histoire si perturbante promise par Alexis fût à la hauteur du suspense, mais ce n'est pas le cas. En effet, le réalisateur passe tout le film à alterner entre retours en arrière et scènes du temps présent, pour nous tenir en haleine et nous aider à comprendre ce qu'a bien pu faire le héros pour se retrouver en si mauvaise posture, mais dès que l'on soupçonne de quoi il s'agit à mi-parcours, ce montage sous haute tension paraît bien vain.


En soi, l'acte en question aurait pu être traité d'une manière follement poétique, mais le résultat est anodin. Et sans doute conscient du tour convenu que prend son histoire, Ozon cherche à créer le malaise avec des personnages tellement improbables qu'aucun d'entre eux n'est en mesure de rendre la parabole sensationnelle par contraste. Son film va à la fois trop loin dans la banalité, et trop loin dans l'exubérance, de telle sorte que le récit reste écartelé entre deux pôles sans jamais parvenir à trouver un centre de gravité. Hélas, impossible de prendre les adultes au sérieux tant ils s'aventurent loin sur l'océan des clichés. Ainsi, pour bien montrer qu'ils sont pauvres, les parents du jeune homme sont humbles d'une manière insistante ; le professeur de littérature qui fume en classe est l'archétype de l'intello perché qui impressionne son élève ; l'éducatrice est une présence plus angoissante qu'autre chose ; tandis que Valeria Bruni Tedeschi dépasse carrément les bornes dans le rôle de Madame Gorman, la mère de David. Sans mentir, son immaturité est tellement accentuée qu'elle m'a perdu dès son entrée en scène : qu'elle dévête Alexis pour le reluquer sans discrétion, ou qu'elle l'oblige littéralement à devenir l'ami de son fils, elle va tellement loin sur l'échelle du déshonneur que je n'ai pas cru au personnage un seul instant.


Reste alors les deux adolescents et leur histoire d'amour. Ozon s'amuse à filmer celle-ci comme un roman-photo de vacances, où l'on fait de la voile devant les falaises du Tréport, où l'on occupe ses journées dans un magasin de souvenirs marins, et où l'on passe ses nuits à la fête foraine avant de s'étreindre dans l'intimité d'un lit d'une place. C'est agréable, mais il fallait effectivement dire autre chose, ce que ne manque pas de faire le réalisateur en introduisant de nouveaux personnages troubles venant jeter une ombre sur la relation. Ces éléments perturbateurs sont un thème cher à Ozon, que l'on pense à Pierrette dans la maisonnée des 8 Femmes, à la fille de l'éditeur dans la villa provençale, ou au jeune étudiant au sein de la vie d'un couple rangé Dans la maison. C'est ici une Anglaise, qui a appris notre langue en seulement deux jours (!), qui se charge de pousser Alexis dans ses retranchement, en invitant David à jouer un jeu dangereux pendant que l'amant bafoué est supposé tenir la chandelle. À vrai dire, on voyait ce rebondissement arriver à la vitesse de la lumière, étant donné que David était depuis le départ affublé d'un rictus inquiétant qui me donnerait personnellement envie de m'enfuir en courant.


Finalement, les jeunes comédiens sont tout à fait corrects, surtout Félix Lefebvre qui doit explorer des sentiments contradictoires entre amour et jalousie, mais tous deux sont desservis par une mise en scène trop explicative, qui entend bien décrire au spectateur la signification du moindre symbole. J'en veux pour preuve les reproductions du Livre des morts placardées partout dans la chambre d'Alexis : si l'on n'avait pas deviné qu'elles étaient supposées refléter l'obsession du héros pour le morbide, la narration prend soin de préciser qu'il est bel et bien fasciné par l'Égypte parce que fasciné par la mort, et que les baignoires lui ont toujours semblé être des tombeaux. Avait-on besoin d'en dire autant alors que les images parlaient d'elles-mêmes ? La séquence en boîte de nuit, toute musicale, donne en revanche plus de substance à l'intrigue sans avoir besoin des mots : David pose un baladeur sur les oreilles d'Alexis, qui se retrouve propulsé dans un autre monde alors que son amoureux danse sur un rythme bien plus endiablé. Tout est dit en une minute, et jamais la relation ne trouve autant de sens qu'en ces instants sonores. La scène est apparemment empruntée à La Boum, le film de référence des adolescents des années 1980, révélant au passage l'extrême nostalgie de François Ozon pour une époque qui commence à s'éloigner…


Conclusion : on trouvera toujours des idées captivantes dans un film de François Ozon, mais les trouvailles les plus inspirées d'Été 85 n'ont pas réussi à me faire aimer le film pour autant. La relation centrale est trop déséquilibrée dès le départ pour me toucher, les personnages secondaires sont totalement allumés, et le mystère qui n'en est pas vraiment un se prend trop au sérieux. Reste tout de même une bande-son sympathique, véritable hommage à la jeunesse du metteur en scène, du mélancolique Sailing de Rod Stewart qui accompagne la scène emblématique du film, à l'admirable In Between Days des géniaux The Cure, un hymne justement empreint de spleen. Tout cela me rend moi-même nostalgique : j'aimerais tant avoir un petit ami cet été, ça fait trop longtemps !

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