Attention toutefois : si vous avez l'idée extravagante d'avoir des inspecteurs des impôts parmi vos connaissances, qui ont donc été formés à Clermont-Ferrand, vous risquez de vous entendre dire que le Puy de Dôme n'a qu'un intérêt très relatif et qu'il vaut mieux privilégier le Puy de Sancy. Eh bien, navré de décevoir l'administration fiscale, mais j'ai adoré! Pour tout dire, j'aime tellement ce volcan que j'étais déjà tout émoustillé de voir sa silhouette se découper sur un ciel éclatant au sortir d'Aubusson. C'était d'ailleurs le meilleur trajet imaginable : personne sur la route, ni devant ni derrière, avec en prime le soleil dans le dos éclairant la chaîne des Puys, au son de musiques baroques anglaises qui m'accompagnaient en cette occasion. J'ai toujours adoré voir les montagnes se dessiner sur l'horizon, et la nostalgie d'un souvenir d'enfance particulièrement heureux a rendu cette vision absolument grisante.
Pour couronner le tout, je suis arrivé sur le parking à 17h. Tous les touristes qui avaient passé la journée sur le site étaient en train de redescendre, de telle sorte que, si l'on pouvait d'abord se croire sur les Champs-Élysées un 14 juillet, j'ai eu rapidement le chemin pour moi seul. Certes, pas aussi seul que l'aurait souhaité Greta Garbo, mais la foule a eu assez de bon sens pour me laisser profiter de l'ascension à ma guise.
Croyez-vous au hasard? Lorsque j'étais venu il y a trente ans, j'étais seul avec ma mère. Or, dans la très belle forêt de conifères qui recouvre les pieds du volcan, un petit garçon qui ne devait guère être plus âgé que moi à l'époque se promenait lui aussi seul avec sa mère. Mais alors qu'il s'était arrêté pour jouer avec des pommes de pin, celle-ci lui dit : "Allez, on avance, Alban." J'ai failli répondre : "Oui, je me dépêche" avant de me raviser. Mais c'était à la réflexion assez troublant, même si l'anecdote m'a plutôt amusé.
De toute manière, point n'était besoin de m'encourager à presser le pas : j'ai tracé comme une flèche. Je ne suis certainement pas sportif, mais la nature a eu le bon goût de me doter de deux qualités en ce domaine : je suis très endurant à la marche comme à la course, et je suis un excellent grimpeur. Avouons tout de même que la promenade est honnêtement facile et que le chemin des Muletiers est bien entretenu, quoique les flancs du volcan restent assez raides. L'ennui, c'est que j'ai complètement omis un petit détail. Rien d'important, vraiment... Simplement, dans ma hâte, j'ai oublié d'enfiler mes chaussures de randonnée en sortant de la voiture! J'ai ainsi fait l'ascension du Puy de Dôme en chaussures de ville, et autant dire qu'elles n'ont pas survécu! La semelle extérieure droite s'est décollée et laisse désormais passer tous les cailloux qu'elle rencontre, tandis que la semelle intérieure gauche, hélas inamovible, est toute gondolée, avec un pli énorme qui vous donne l'impression d'enjamber une crète même sur la surface la plus plane au monde. Cela m'apprendra à me vêtir comme pour le bal des débutantes pour marcher dans la campagne, mais on s'est tellement moqué de mes tenues très ordinaires au collège qu'il m'est désormais impossible de paraître en public sans avoir l'air de Joan Crawford sur un tapis rouge. If you want to see the boy next door, go next door. Mais j'étais quand même un peu frustré d'avoir laissé mes super chaussures de marche dans le coffre alors qu'elles étaient précisément là pour cette occasion, et d'avoir eu la flemme de retourner les chercher quand je me suis rendu compte de mon oubli après un bon tiers de trajet.
Mais peu importe, j'ai adoré la balade! Les rayons du soleil qui filtraient à travers les branches des sapins conféraient aux lieux une aura saisissante, l'odeur de la forêt m'a pour sa part enchanté, et la vue sur les monts Dôme une fois sur les pentes du volcan m'a ravi. J'aime tellement l'existence de cette chaîne, qui semble s'élever au milieu de rien tel un heureux caprice de Gaïa, que je suis sincèrement comblé d'y être enfin retourné. Et même si le sommet n'est pas aussi exceptionnel que les flancs, même si les vestiges du temple de Mercure ne m'impressionnent pas plus que ça, et même si le tout est gâché par le béton d'un ignoble restaurant et la ferraille d'une antenne non moins affreuse, la vue spectaculaire sur les autres sommets et sur Clermont-Ferrand, où se distinguent les deux tours noires de la cathédrale, mérite amplement l'effort de la montée. Côté nord, les amateurs de parapente jettent quant à eux des touches de couleurs sur l'horizon, ce qui ne suffit pas tout à fait à me rassurer sur leur devenir : où diable risquent-ils d'atterrir si le vent les transporte à plusieurs kilomètres de là? Chose plus surprenante encore, alors que je contemplais les volcans du sud, une petite fille apparue comme par magie m'a apparemment trouvé assez sociable pour se croire autorisée à engager la conversation. Pourtant, je ne sais pas parler aux enfants : je les vouvoie et ne sais jamais quoi leur raconter, mais curieusement, s'entretenir de la beauté des lieux a permis de mettre toutes les générations d'accord cette fois-ci.
Et encore, ceci n'était qu'un entraînement avant le grand oral qui devait s'ensuivre! En effet, alors que je commençais à redescendre à l'amorce du crépuscule, dans l'espoir de trouver une chambre en ville, je me suis retrouvé forcé de doubler une mère de famille et ses deux adolescents qui n'allaient pas assez vite à mon goût, tout cela sous les yeux de l'auberge des Muletiers. Suite à quoi j'ai continué ma route sans me demander ce qui allait advenir de cette famille très ostensiblement francilienne : il est des choses qui se sentent à plein nez. Mal m'en a pris, car si j'ai suivi le chemin de l'aller par la forêt, désormais baignée par l'ombre pas très rassurante du volcan, eux-mêmes ont pris un raccourci en longeant la route goudronnée. Tant et si bien que nous nous sommes recroisés en contrebas. Or, la dame complètement paniquée m'a littéralement sauté dessus! "Monsieur! Monsieur! On est perdus! Savez-vous où est le parking?" "Oui, il suffit de prendre ce chemin et vous y arriverez." "Ah! Merci!", dit-elle en accélérant le pas pour ne pas me laisser filer. La perspective d'errer de nuit dans les bois ne l'enthousiasmait visiblement guère. En bon chevalier servant, je ne me serais pas permis de la laisser choir, mais ce n'était pas une raison pour subir un interrogatoire de la pire espèce! Car cette personne à la langue bien pendue s'est crue obligée de me poser un milliard de questions jusqu'à ce qu'elle finisse par trouver sa voiture. Et à chaque fois que je donnais une réponse, elle répliquait systématiquement: "Ah... D'accord!"
"Vous êtes en Auvergne depuis longtemps?" "Depuis deux heures." "Ah... D'accord! Et c'est la première fois que vous venez?" "Non, j'étais déjà venu enfant, il y a longtemps." "Ah... D'accord! Et d'où venez-vous?" "De [top secret!]" "Ah... D'accord! C'est joli là-bas!" "Et vous, d'où venez-vous?" ai-je demandé à mon tour en pressentant la réponse. "D'Île de France." Quelle surprise! Mais la voilà déjà prête à dégainer une nouvelle salve de questions très personnelles, ce qui m'a fait craindre le pire. Je ne la sentais pas dans un rapport de séduction, et il était évident que la crainte d'être perdue l'empêchait de contrôler son débit de paroles, mais pour avoir déjà été ostensiblement courtisé par deux mères célibataires jadis, je n'ai pu retenir un mouvement de méfiance. "Et vous êtes en vacances tout seul?" "Non, non. Je suis avec Miriam Hopkins et Isabelle de Limeuil, mais si vous ne les voyez pas, c'est normal. Oui." "Ah... D'accord! Et vous comptez rester longtemps ici?" "Je n'ai fixé aucun programme, j'envisage d'aller au hasard des routes." "Ah... D'accord! Ah... D'accord! Ah... D'accord!"
Et le meilleur pour la fin : "Mais... Comment faites-vous pour vous repérer dans la forêt?" "Eh bien, en suivant le balisage sur les arbres." "Ah... D'accord!" Non mais les Parisiens! Franchement!
En vrai, cette discussion était plutôt amusante, mais je n'étais pas fâché d'être relaxé. Et puis, indépendamment de cette rencontre fortuite, la promenade du Puy de Dôme m'a tout bonnement enchanté. Je sais d'ores et déjà que j'y reviendrai avec grand plaisir en m'y fixant au moins une semaine pour explorer les volcans alentour. Le lendemain matin, j'ai eu la chance de pouvoir déjeuner avec vue sur le sommet depuis le restaurant de l'hôtel, ce qui m'a assurément donné envie d'y revenir.
Je sus ton périple ... et figure-toi qu'hier je me suis mis à (re)lire Anthony Adverse. Je ne sais plus si je l'avais achevé ou pas, en tout cas j'ai dû aller un peu loin dans la lecture, car je me rappelle très bien du portrait du personnage de Gala Sondergaard, qui, dans le roman, est une femme de charge parfaite le jour, une sex addict enthousiaste et décomplexée la nuit. Bref, toujours est-il que le premier chapitre (celui de la conception d'Anthony) se passe exactement dans le coin de ton voyage et qu'en regardant tes photographies, j'avais l'impression d'avoir une illustration pour ce que j'étais en train de lire. C'était assez génial.
RépondreSupprimerMaintenant, l'action se passe à Livourne. Tu n'as pas prévu d'y aller ? :)
Le vengeur de Rosalind
Ah! Super : j'ignorais complètement que le premier chapitre se passait en Auvergne. Je ne connais que le film qui débute, je crois, dans les îles britanniques. Et je découvre que le livre est en accès libre sur une base de recherche australienne appelée Gutenberg : que de voyages!
SupprimerTant mieux si mes photos ont illustré ta lecture. Je sais qu'avec ce récit de vacances, je sors un peu de la ligne directrice du blog, mais les articles sur les actrices sont longs à rédiger. Merci de ta lecture, en tout cas!
Autrement, Livourne n'est pas au programme pour le moment : dans l'immédiat, j'avais dans l'idée de faire un tour des foires de Champagne, et dans d'autres directions, les visites qui se profilent le plus sérieusement seraient Uzerche l'un des prochains weekends, et l'hôtel d'Assézat à Toulouse pour la Toussaint. Je ne sais pas s'il existe des romans qui évoquent ces contrées.