lundi 6 juin 2022

Saintes, sans Eva Marie

Après deux évocations du Quercy, et après un grand tour d'Europe musical, retour en pays natal avec la capitale de l'ancienne province de Saintonge, la bien nommée Saintes. Brièvement préfecture de la Charente-Maritime avant le transfert à La Rochelle en 1810, l'antique Mediolanum Santonum, du nom du peuple celte des Santons, eut surtout l'insigne honneur d'être capitale de la Gaule aquitaine du règne d'Auguste à la fin du Ier siècle. Témoins de ces passés prestigieux, les monuments antiques, médiévaux et modernes soulignent la richesse d'une ville paisible mais vivante, dans laquelle il fait bon se promener par un bel après-midi ensoleillé.

Le quartier Saint-Pallais


Construit au débouché de la via Agrippa qui reliait la ville à Lyon, ce quartier de la rive droite de la Charente est déjà un véritable spectacle en soi, grâce à la panoplie de bâtiments qui le composent. Le plus ancien et renommé d'entre eux est l'arc de Germanicus, point d'arrivée de la célèbre voie romaine qui traversait la Gaule d'est en ouest. Édifié vers l'an 18, il fut dédié au brillant général qui intimida les Germains et engendra le terrible empereur Caligula, ainsi que la très ambitieuse Agrippine la Jeune. Considéré comme l'héritier présomptif de Tibère, il fut cependant fauché à la fleur de l'âge par une maladie inconnue qui pourrait bien avoir été un empoisonnement. C'était une chose courante dans cette famille-là... C'est un dénommé Caius Julius Rufus qui se chargea de financer les travaux d'édification, d'après les dédicaces que les archéologues ont pu déchiffrer.


À proximité se situe le musée archéologique de la ville, qui fut aménagé en 1931 dans les anciens abattoirs, auxquels on ajouta des claustras pour leur donner un aspect antique. Agrémenté d'une colonnade et cerné de vestiges trouvés au cours des fouilles et des travaux urbains du XIXe siècle, ce musée contient une importante collection de sculptures et de statuettes qui reflètent l'importance de la cité sous l'ère gallo-romaine.


Outre l'arc antique, le plus illustre monument du quartier est bien entendu l'abbaye aux Dames, chef-d'œuvre de l'art roman fondé au XIe siècle pour accueillir une communauté bénédictine. L'église Sainte-Marie est reconnaissable de loin grâce à son clocher écaillé « en pomme de pin », et à son portail occidental à voussures où sont sculptées des figures bibliques et des images d'animaux. C'est aujourd'hui un centre musical important, accueillant des concerts et récitals, et où des disques sont régulièrement enregistrés.


Comme son nom l'indique, l'abbaye aux Dames est surtout célèbre pour les femmes illustres qui marquèrent son histoire. Aliénor d'Aquitaine finança par exemple la reconstruction et l'embellissement de l'église, sous l'abbatiat de sa cousine Agnès de Barbezieux. Deux siècles plus tard, une autre Agnès, issue de la maison de Rochechouart, contourna audacieusement la coutume féodale en décidant de rendre hommage directement au roi de France, au lieu du roi d'Angleterre suzerain d'Aquitaine, peu de temps avant le déclenchement de la guerre de Cent Ans. Pendant les guerres de Religion, l'abbesse Françoise de la Rochefoucauld usa de son influence pour tâcher de sauver une partie des bâtiments de la destruction souhaitée par les chefs huguenots, tandis que les deux Françoise de Foix qui se succédèrent au XVIIe siècle entamèrent les travaux de réfection des bâtiments conventuels. La pensionnaire la plus connue de l'abbaye est évidemment Madame de Montespan, elle aussi issue de la maison de Rochechouart.

Le quartier Saint-Pierre


S'étendant sur la rive gauche autour de la cathédrale Saint-Pierre, le cœur économique de la ville regorge de petites rues ayant conservé leur tracé médiéval, qui connectent aujourd'hui les édifices religieux d'antan aux hôtels particuliers de l'époque moderne. On distingue ici les pierres blanches de l'hôtel de Brémond d'Ars, vues depuis le porche de la maison de Maurice Martineau implantée dans l'enceinte du couvent des Jacobins.


Reconstruit au XVe siècle dans le style gothique flamboyant, ce monastère fut vendu comme bien national à la Révolution, avant d'être racheté par le négociant en cognac susnommé qui fit cependant détruire une partie de l'église pour son installation personnelle. Il légua l'ensemble des bâtiments et sa collection de livres à la municipalité, qui y implanta la bibliothèque, et désormais la médiathèque.


Un autre monument remarquable dans ce quartier est l'hôtel dit « du Présidial », construit dans les années 1610 pour servir de résidence aux présidents du présidial de Saintes, mais qui ne fut jamais le siège du tribunal à proprement parler. Les lieux accueillirent par la suite le musée des beaux arts, et ne servent aujourd'hui que de réserve depuis le regroupement des collections au musée de l'Échevinage.


Se distinguant par un beffroi commencé au XVe siècle et achevé un siècle plus tard, la maison de l'Échevinage fut entièrement remaniée au XVIIIe siècle, d'où son plan typique des hôtels particuliers de l'époque.


Les rues du quartier Saint-Pierre convergent toutes vers la cathédrale, qui se distingue par son clocher inachevé recouvert d'un dôme de cuivre qui aurait dû laisser la place à une flèche gigantesque, si les aléas de l'histoire l'avaient permis.


Moins chaleureuse que l'abbaye aux Dames, la cathédrale n'en demeure pas moins un édifice remarquable, à commencer par son portail en arc brisé dont les voussures fourmillent de personnages mythiques dont voici quelques représentants. N'étant pas porté sur la religion et les figures d'évêques, je rêve de faire bâtir un portail similaire devant ma maison, mais où les sculptures représenteraient toutes mes actrices gretalluliennes préférées !


La colline du Capitole



La cathédrale Saint-Pierre montre son plus beau visage à la ruelle de l'hospice, dominée par l'esplanade du Capitole où se situait peut-être l'ancien forum romain. Seul vestige d'une citadelle plus vaste, reste aujourd'hui le sinistre logis du gouverneur, dont le jardin offre un beau panorama sur l'ensemble de la ville.


Le quartier Saint-Eutrope



Ce quartier doit son nom à la basilique Saint-Eutrope, fondée à la fin du XIe siècle en hommage au premier évangélisateur de la région. Elle fut une étape importante sur le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle, et reçut le secours financier de personnes illustres, notamment Louis XI qui subventionna l'élévation de cette flèche à crochets typique de l'art gothique, de quoi trancher avec le style roman d'origine. L'église souffrit beaucoup à la Révolution et menaça de s'effondrer en partie, à tel point que le préfet dut ordonner la destruction de la nef haute à l'aube du XIXe siècle.


Mais le clou du spectacle, c'est bien entendu l'église basse, la partie la plus ancienne de l'édifice, qui contient le cénotaphe rappelant que s'y trouvaient jadis les reliques de l'évêque martyr. C'est l'une des plus belles cryptes de France, et l'une des plus vastes de l'architecture romane.


Outre les fantômes des premiers chrétiens, on y croise également des créatures de toutes sortes, parfois amusantes et bienveillantes


 parfois machiavéliques, ornées d'un rictus sordide.


L'autre monument emblématique du quartier, c'est l'amphithéâtre romain, dont la construction aurait été entreprise dès le règne d'Auguste, bien que les travaux ne fussent achevés que sous celui de Claude. La fin de l'Antiquité lui fut sans surprise fatale, puisqu'il finit par servir de carrière : nombre de pierres furent ainsi utilisées pour la construction de l'enceinte de la ville au Moyen Âge. Heureusement, il en resta assez pour permettre aux vestiges d'être classés aux Monuments historiques dès 1840, la même année que la basilique Saint-Eutrope.

Conclusion


La dernière fois que j'y suis passé, je n'ai pas eu le temps d'aller jusque dans le quartier Saint-Vivien, mais celui-ci n'est pas en reste concernant les ruines antiques puisque s'y dressent les thermes de Saint-Saloine, édifiés à la fin du Ier siècle de notre ère. Il y aurait de toute façon beaucoup plus à dire sur Saintes, chaque quartier méritant dans l'absolu son propre article étant donné la richesse d'un patrimoine bimillénaire. Sans bénéficier du dynamisme maritime des autres villes du département, Saintes n'en reste pas moins une jolie ville qui mérite le détour. Cette porte du paradis m'en est témoin !

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