Dans ma folle adolescence, j'avais regardé l'édition 2003 parce que j'étais méga fan de t.A.T.u. (sans commentaires…), et je garde le souvenir de m'être royalement ennuyé. Comme le dit un membre de ma famille, l'Eurovision "est quand même le plus mauvais de tous les télé-crochets". Alors là, je n'ai aucun moyen de comparer avec quoi que ce soit d'autre, mais on parle quand même d'un concours dont les lauréats les plus célèbres sont ABBA et Céline Dion, c'est dire le degré de ridicule abyssal du programme. Malgré tout, l'émission reste apparemment très populaire auprès de mes condisciples gays : j'en connais même qui bloquent leur soirée spécialement pour cette occasion ! Chose qui m'étonne hautement : si vous lisez ce blog, vous aurez compris que je suis loin d'être à la page en matière gay, puisque je fantasme sur des acteurs nés un siècle avant moi, et que mon idole roussoyante à moi n'est certainement pas Mylène Farmer mais Jeanette MacDonald !
Mais je suis curieux de tout, aussi ai-je tenté de comprendre le phénomène Eurovision en m'infligeant… toutes les chansons ayant concouru depuis 1956 ! Je comprends mieux pourquoi je n'avais jamais entendu parler de 99 % d'entre elles : l'Eurovision n'est ni plus ni moins qu'une grosse marmite tout juste bonne à produire de la soupe. Toutes ces mélodies se ressemblent, et c'est toujours cette même pop lisse et insipide qui se copie d'année en année. Rien que pour la décennie passée, c'est systématiquement la même structure qui revient 150 fois au cours de la soirée, avec une ballade qui démarre langoureusement avant une montée en puissance hyper convenue à mi-parcours. Quant aux paroles, c'est toujours le même refrain : "Vive l'amour et la liberté ! Je t'aime mon amour, mais toi tu es parti, je suis bien malheureux, bouhouhou !" Et c'est d'autant plus exaspérant que la quasi totalité des pays se sont mis à chanter en anglais, chose qui n'a aucun intérêt ! Sur le papier, j'adore le concept de l'Eurovision : faire découvrir les langues et les cultures d'Europe à travers la musique. Et dieu sait si je suis passionné par l'Europe depuis toujours : j'étais ravi lorsque l'union s'est élargie en 2004 ! Mais comment supporter l'effacement des dites langues et cultures au profit de cette pop uniforme et sans âme ? Quelques pays ont au moins le mérite de continuer à chanter dans leur langue officielle, mais c'est tellement rare qu'on s'ennuie ferme.
Bref, l'Eurovision, c'est de la daube. Je n'ose employer un mot plus virulent parce qu'il est de bon ton de rester digne afin de donner à tous les candidats du concours le respect qu'ils méritent…
… mais vous avez compris l'idée ! Évidemment, je suis très mal placé pour critiquer puisque je suis moi-même auteur de nombreuses fautes de goût. On trouvera par exemple dans ma playlist des chansons d'Hélène Rollès ou, à l'opposé du spectre, des tubes de Paris Hilton et Zhanna Friske ! Et pour en revenir à l'Eurovision, j'ai écouté trois fois de rang… la candidature apocalyptique de la Macédoine en 2000 ! Alors, mieux vaut faire profil bas. À ma décharge, j'évoque régulièrement ce problème avec mon directeur de conscience qui me fouette tous les jeudis pour m'absoudre, ce qui à la réflexion me donne toute légitimité pour dire du mal de ce rendez-vous européen effectivement consternant !
Par bonheur, quelques chansons ont su me plaire au cours de ces recherches, les voici classées par décennies :
Années 1950
J'espérais que les témoins de cette époque révolue pussent trouver grâce à mes oreilles, mais hélas, force est de reconnaître que dès sa première année d'existence, l'Eurovision était déjà la marmite que l'on connaît. On n'y trouvera que des chansons déjà atrocement conventionnelles à base d'amour et de petits oiseaux, dont aucune n'est restée dans les annales, en dehors de Volare : tout le monde se plaint que la candidature italienne n'ait pas gagné alors que ce titre est encore joué partout dans le monde aujourd'hui, mais hélas, Volare n'est rien de plus que de la soupe que personne n'aime dans la vraie vie !
De cette décennie, la seule chanson à retenir est la candidature italienne de 1957 interprétée par Nunzio Gallo, Corde della mia chitarra (Les Cordes de ma guitare), qui se distingue par une introduction mélancolique joliment sobre et qui a l'insigne honneur d'être le titre le plus long jamais interprété dans ce concours. Issu d'une formation lyrique, le chanteur est doté d'une voix suave et chaleureuse qui rend ses hautes notes très agréables à écouter même si je ne suis pas le plus grand amateur de timbres masculins. En outre, la métaphore d'un amour perdu ou non réciproque qui se joue sur l'instrument me plaît. Autrement, j'avais envie d'aimer la proposition belge de 1956, Messieurs les noyés de la Seine, qui tranche avec les petits oiseaux d'amour grâce à un texte sur le suicide porté par une mélodie sombre, mais à l'inverse de Nunzio Gallo, la voix du chanteur est insupportable. Corde della mia chitarra reste donc pour moi la seule chanson mémorable des premières années de l'Eurovision.
Années 1960
Je retiens de cette décennie trois chansons qui m'ont vraiment plu. Par ordre chronologique, la première est la candidature norvégienne de 1966 interprétée par Åse Kleveland, Intet er nytt under solen (Rien de nouveau sous le soleil). Se refusant aux sucreries typiques de l'époque, et bien décidée à entrer dans la modernité en osant porter un pantalon sur scène, la future ministre de la culture norvégienne, forte de sa voix de contralto, propose elle aussi une jolie mélodie à la guitare pour évoquer la tristesse qu'elle a remarqué dans les yeux d'un vieil homme. Malheureusement, cette émotion douloureuse n'est pas prête de s'estomper, car il n'y a rien de nouveau sous le soleil.
Deux ans plus tard, c'est notre Isabelle Aubret nationale qui m'a ému avec la sublime et terrible chanson La Source, qui sous les apparences d'une mélodie lumineuse évoque avec grâce et poésie un viol fatal des plus sordides. Ce fut la deuxième participation d'Isabelle à l'Eurovision après sa victoire de 1962, pour une chanson nettement moins inspirée qui m'a un peu agacé avec ses répétitions de mots, et qui restait néanmoins le choix le plus cohérent cette année-là. La vidéo en lien date de 1978, mais je propose cette version-là de La Source pour les yeux très expressifs de la chanteuse, qui soutiennent magnifiquement le drame qui se joue dans le récit. Malheureusement, cette superbe chanson a perdu contre un titre espagnol intitulé La, la, la. Il y a visiblement des paroliers qui se cassent moins la tête que d'autres…
Heureusement, la chanteuse et parolière hollandaise Lenny Kuhr a montré l'année suivante que l'on peut tout de même utiliser cette onomatopée à bon escient, pourvu qu'on prenne la peine d'écrire un joli texte à côté du refrain. De troubadour (Le Troubadour) est une jolie surprise médiévale à des années-lumière de toutes les mièvreries qui avaient concouru auparavant, avec un beau texte social contant les voyages d'un troubadour qui chante pour tous les publics sans distinction de classes, des chansons de geste pour les preux chevaliers aux chants sur le travail agricole pour les paysans. Vainqueur ex æquo avec trois autres chansons cette année-là, Le Troubadour reste de loin la meilleure, et la seule réellement mémorable de la sélection, même si en vrai j'aime bien la mélodie suédoise de l'année.
Voilà pour les années 1960. Même si je n'aime pas la mélodie, j'aimerais tout de même citer Nous les amoureux, la chanson qui permit à Jean-Claude Pascal de faire triompher le Luxembourg en 1961. Le sous-texte, qui ne fut pas compris du grand public à l'époque, parle évidemment d'un amour homosexuel, avec d'ailleurs une grande justesse. En parlant du Luxembourg, reste enfin la question de Poupée de cire, poupée de son. Pour le coup, j'aime beaucoup cette mélodie entraînante à souhait, mais il y a trois problèmes : j'abomine Serge Gainsbourg qui était un individu répugnant, je suis consterné de savoir qu'il a fait chanter des paroles salaces à France Gall en sachant très bien qu'elle ne savait pas de quoi elle parlait, et malheureusement, je ne supporte pas la voix de bébé de la chanteuse qui rend l'écoute vraiment pénible, surtout le soir du concours à proprement parler.
Autre interprète française à avoir représenté un autre pays francophone, ma favorite (pas politiquement) Françoise Hardy fut la candidate monégasque de 1963 avec un titre écrit et composé par elle-même, L'Amour s'en va, qui n'est cependant pas le fleuron de sa discographie. Cela dit, c'est toujours mieux que la prière ennuyeuse de Nana Mouskouri contre les vampires cette année-là ! Pour finir, je n'arrive pas à décider si c'est joliment folklorique ou complètement ringard, mais je trouve la joie de vivre des troubadours croates de 1968, en compétition pour Jedan dan (Un jour), parfaitement communicative !
Années 1970
Une décennie vraiment épouvantable dans 99% des cas, mais qui pour contrebalancer le problème contient tout de même la plus jolie chanson à avoir participé dans l'histoire du concours. Voici les deux seules propositions que j'aime vraiment sur l'ensemble de la période :
Toujours par ordre chronologique, la première est Diese Welt (Ce monde), la candidature allemande de la super cool Katja Ebstein, qui a l'insigne honneur d'être la seule artiste à s'être classée à trois reprises dans le top 3 sans jamais remporter le grand prix. 1971 aurait dû être son triomphe avec ce joli texte en faveur de la protection de l'environnement : elle y dénonce le pétrole et la fumée des usines qui recouvrent les eaux claires et les forêts verdoyantes, et nous invite à nous envoler vers un futur souriant pour respirer le parfum du jasmin dans la nuit étoilée. La mélodie, typique de ces années-là, est assez convenue mais follement entraînante : je ne boude pas mon plaisir !
Mais le vrai chef-d'œuvre du concours, c'est la proposition grecque de 1976 chantée et en partie écrite et composée par Maríza Koch, Panagiá mou, panagiá mou (Ma Vierge, ma Vierge), qui contient elle aussi un message politique. Et l'histoire de la chanson est aussi intéressante que la pièce en elle-même : en effet, cette superbe élégie dénonce tout bonnement l'invasion de Chypre par la Turquie en 1974. Je ne connais pas assez l'histoire de ces pays pour polémiquer, mais artistiquement, j'aime énormément cette composition. La chanteuse raconte que si l'on voit des tentes dans les plaines, ce n'est pas pour les touristes mais pour les réfugiés, et qui si l'on trouve des ruines sur l'île, ce ne sont pas les témoins du passé mais la destruction causée par le napalm. Elle implore alors la Vierge de réconforter son cœur souffrant. Commissionnée par le gouvernement grec pour chanter cette diatribe en public, Maríza Koch et ses partenaires composèrent cette œuvre à la dernière minute avant de s'envoler pour La Haye, la chanteuse allant jusqu'à porter une tenue de deuil ostentatoire sur la scène du concours. La Turquie se désista en retour cette année-là pour protester contre la présence de la Grèce et diffusa une chanson traditionnelle lors du passage de Maríza Koch.
Après cela, difficile de trouver mieux dans les candidatures de l'Eurovision des années 1970. Dans une moindre mesure, j'apprécie la chanson portugaise de Tonicha en 1971, Menina, à propos d'une jeune paysanne s'éveillant au matin dans la montagne, et la même année, la métaphore temporelle des candidats hollandais Saskia & Serge, Tijd. Au départ, j'avais envie d'aimer l'invitation au voyage espagnol de Karina, après une introduction chantée de "contes de fées", mais la chanson devient malheureusement de la soupe à mi-parcours, avant de se muer en une cacophonie de la pire espèce. Sinon, pour le fun, citons la super kitsch mais très divertissante chanson allemande de Joy Fleming en 1975, Ein Lied kann eine Brücke sein, portée par une diva qui a du coffre ! Considérant les déchets qui gagnaient systématiquement ces années-là, j'aurais largement préféré que les votants choisissent cette pièce réellement dansante ! Dans un tout autre registre, je trouve cette même année la chanson rustique finlandaise, Old Man Fiddle de Pihasoittajat, assez dansante également. Notez que dans cette compétition, la Turquie n'aurait jamais dû finir dernière, considérant que la jolie chanson d'amour interprétée par Semiha Yankı, Seninle bir dakika (Une minute avec toi), est stratosphériquement supérieure aux lauréats de l'année.
Années 1980
Alors là, c'est une catastrophe totale ! La seule et unique chanson mémorable de la décennie, c'est la candidature italienne de 1984, I treni di Tozeur (Les Trains de Tozeur), une œuvre écrite, composée et interprétée par Franco Battiato, en duo avec Alice. Cet air fut apparemment très célèbre en son temps, et vendit même plus de disques en Europe que le lauréat du concours cette année-là, mais je n'en avais jamais entendu parler avant de m'intéresser à l'Eurovision. Ces recherches m'auront au moins permis de découvrir la discographie électronique et expérimentale de Franco Battiato, que je j'explore actuellement avec grand plaisir. Assurément, cette jolie chanson sur la solitude et les souvenirs mélancoliques dans le désert se démarque complètement des propositions habituelles de l'Eurovision. Les trois mezzo-sopranos qui interviennent en chœur à la toute fin chantent même une phrase de La Flûte enchantée, de telle sorte qu'on retrouve deux très beaux langages dans un même morceau.
Pour le reste, c'est le néant absolu. En creusant un peu, nous pourrons tout de même remarquer à nouveau Katja Ebstein, ressuscitant le cabaret berlinois avec le numéro Theater en 1980 : le texte évoquant les métiers du monde du spectacle est sympathique à souhait, et la chanteuse a décidément une présence scénique génialement rafraîchissante, mais je n'aime vraiment pas cette mélodie. À noter que cette année-là, le Maroc fit son unique apparition au concours avec le titre Bitakat Hob, une carte d'amour messagère de paix interprétée par la grande star de la musique arabe contemporaine, Samira Saïd. Même si c'est loin d'être ma tasse de thé, les rythmes orientaux se démarquent facilement de la soupe occidentale typique de l'Eurovision : c'est souvent autour de la Méditerranée qu'on trouve les seuls candidats potables d'année en année, comme par exemple la jolie ballade grecque de 1983, Mou les, chantée par Krísti Stassinopoúlou.
Années 1990
Une décennie plus agréable que les précédentes, et qui a très bien commencé avec un truc super cool et follement dansant, la proposition serbo-croate de 1990 intitulée Hajde da ludujemo (Faisons les fous), et interprétée avec une belle énergie par la chanteuse Tajči. Comme l'indique ce clip promotionnel tourné à Dubrovnik, cette chanson est un hymne à l'insouciance : Tajči y invite à tomber amoureux et embrasser les lèvres de celui qu'on aime car elles sont comme du chocolat. Tout cela m'amuse beaucoup ! Avec son enthousiasme communicatif, sa coiffure de star, ses déguisements successifs et ses amis qui font la farandole en costumes, elle s'amuse elle-même comme une folle, à tel point qu'on croirait Carroll Baker qui fêterait la fin de sa dépression dans une reprise de Blondie par Bow Wow Wow ! C'est absurde et délirant, et comme le rappellent les paroles, to mi se dopada ! Quelle tragédie, historiquement, que cette insouciance ait été tuée dans l'œuf avec les drames qui ravagèrent les contrées slaves méridionales peu après.
Dans un tout autre registre, je suis agréablement surpris par la chanson française de 1992, qui nous embarque hors de l'Europe géographique pour les rivages de la Martinique. Je ne suis pas friand de musiques antillaises, mais Monté la riviè' de Kali change tellement de la soupe habituelle de l'Eurovision que cette métaphore philosophico-aquatique est tout à fait rafraîchissante. Cela me permet en tout cas d'explorer des univers musicaux qui restent fortement méconnus pour moi. Je pense d'ailleurs que la France aurait dû gagner deux années de suite grâce à la jolie mélodie afro-saharienne d'Amina Annabi en 1991, C'est le dernier qui a parlé qui a raison, un autre rythme différent de ce qu'on avait pu entendre jusqu'alors dans ce concours. Le sourire magnétique de la dame ne gâche rien !
Le gros problème des années 1990, c'est qu'après la daube des deux décennies précédentes, les candidats semblent avoir voulu s'aligner sur le style d'Enya, qui n'est jamais désagréable à écouter, mais dont la pauvreté stylistique reste effarante : deux mots mystiques sur trois accords parfaits dont on change juste l'ordre des notes ne sont pas le reflet de grandes créations. Qu'on prenne les victoires successives de la Norvège, Nocturne de Secret Garden, et de l'Irlande, The Voice d'Eimear Quinn : c'est joli tout plein, mais j'ai l'impression d'avoir entendu cent mille fois ces complaintes de la nature au son des violons. Voir aussi Malte en 1997 ou la Lituanie en 1999, dont la redondance finit par ennuyer. Dans ce registre, je préfère de loin la candidature plus expérimentale de la Pologne en 1995. Même si je ne suis pas fan des chœurs enyaesques qui accompagnent les aigus vertigineux de Justyna Steczkowska, Sama me transporte dès son introduction aux cordes m'évoquant l'ancienne Europe, avant de laisser la place aux cuivres le temps d'une chanson crépusculaire sur le sentiment d'être minuscule dans une grande ville.
Pour le reste de la décennie, le plus supportable est à chercher à nouveau du côté des pays méditerranéens, avec entre autres mais à petite dose, Dinle (Écoute) de la chanteuse turque Şebnem Paker en 1997, surtout pour son introduction traditionnelle et moins pour son refrain ou ses paroles convenues ; Hórepse (Danse) de Marianna Zorba la Grecque la même année ; ou encore Putnici (Les Voyageurs), la candidature de la Bosnie en 1999, une ode aux nomades sur une curieuse mélodie de rap balkanique, écrite, composée et chantée en duo avec Béatrice par Dino Merlin. Dans un registre bien plus occidental, Fiumi di parole (Rivières de mots) des Italiens Jalisse en 1997 contient de jolies paroles sur la difficulté à communiquer, mais c'est une copie de Roxette. Sauvons peut-être, également, une mélodie typique de la musique occidentale de l'époque, Lonely Symphony, interprétée par l'Anglaise Frances Ruffelle en 1994. L'orchestration portugaise de 1998, Se eu te pudesse abraçar (Si je pouvais t'embrasser) d'Alma Lusa, est quant à elle lumineuse à souhait avec ses instruments traditionnels, mais ce n'est là rien que j'aie envie d'écouter au quotidien.
Années 2000
Évidemment, rien ne peut égaler le chef-d'œuvre macédonien qui a ouvert cette décennie, mais que retenir de ces années-là ? Dans le fond, j'aurais quand même voté pour t.A.T.u. en 2003, quoi que l'on en pense aujourd'hui : nous distinguerons au moins Lena Katina qui a continué à soutenir publiquement les communautés LGBT malgré les lois de plus en plus répressives dans son pays. Ce qui ne veut pas dire que Ne ver', ne boïsia soit une grande réussite artistique, même si la réécouter aujourd'hui me ramène à l'époque insouciante de la transition du collège au lycée. Comme le temps a passé vite…
À choisir, je crois que mes préférences se portent encore sur les propositions des Balkans, qui offrent un peu de folklore dans un concours qui en manque cruellement. Je pense à Lane moje (Ma bien-aimée), la chanson serbe de Željko Joksimović de 2004, dont les paroles sont à nouveau une complainte sur un amour perdu ou non réciproque, mais dont la mélodie soutenue par une belle instrumentation n'est pas désagréable à écouter à l'occasion, même si ça tire un peu trop sur les violons pour se mettre les votants dans la poche. Željko Joksimović a également composé la chanson bosnienne Lejla pour le groupe Hari Mata Hari en 2006, ce qui explique l'extrême ressemblance de ces deux morceaux : des instruments méridionaux et un violon y accompagnent les langueurs sentimentales du chanteur. Ce n'est pas forcément ce que j'écouterai au quotidien, mais c'est tout de même plus relaxant que Lordi ! Oro, interprétée par la Serbe Jelena Tomašević en 2008, est également due au même compositeur, d'où les similitudes.
Mais finalement, le coup de cœur de la décennie va au Portugal avec Todas as ruas do amor (Toutes les rues de l'amour), un titre interprété par le groupe Flor-de-Lis en 2009. Bien qu'il soit permis de trouver les comparaisons amoureuses des paroles un peu convenues, j'apprécie beaucoup cette mélodie populaire lumineuse et colorée. Je n'étais pas du tout attiré par le Portugal avant, mais depuis quelques années, c'est une destination que j'aimerais découvrir. Cette chanson entraînante invite assurément au voyage.
Autrement, pour une raison des plus obscures, je ne suis pas insensible à la création imaginaire belge en 2008, O Julissi d'Ishtar, dont les paroles ne veulent rien dire, mais dont la polyphonie m'intrigue. Je suis incapable de décider si je trouve tout cela grotesque ou envoûtant, quoique ma curiosité soit certainement piquée au vif.
Années 2010
Comme l'indique ma référence à Jeanette MacDonald plus haut, je n'aime pas du tout la musique actuelle. Je n'écoute même jamais la radio, et pour une bonne raison. La seule chanson que je retiens de ces années récentes est la candidature finlandaise du binôme lunaire Kuunkuiskaajat, Työlki ellää (La Vie de l'ouvrier), qui fut malheureusement recalée en demi-finale en 2010 alors qu'elle aurait dû remporter le grand prix haut la main. Perdue dans un océan de soupe sans aucune saveur cette année-là, cette chanson folklorique mi-finnoise mi-tsigane évoque le travail traditionnel du monde rural carélien, alors que l'on chante en travaillant avant d'aller vendre sa production au marché. Malgré leur nom sélénite, ces deux femmes sont totalement solaires, portées par une joie de vivre communicative qui rend leur premier album particulièrement sympathique. C'est dans ces moments-là que ce passage en revue franchement pénible des chansons de l'Eurovision devient enfin gratifiant, alors que l'on trouve la pépite cachée que les jurés ont odieusement snobée. La Finlande, 12 points !
Pour le reste, je ne sais pas trop quoi dire. La plupart des lauréats de la décennie ont gagné à cause d'effets pyrotechniques sur scène, et non pas pour la qualité de leur art. Les ballades monténégrines avaient commencé à me plaire de prime abord, mais deviennent toutes de la soupe peu mémorable à mi-parcours. Alors quoi ? Les mélodies suisses et hollandaises de 2014 sont vaguement agréables sur le moment, mais ça n'en reste pas moins des choses qui rentrent par une oreille et sortent par l'autre. Parfois, certaines chanteuses sont très charismatiques sur scène, mais si c'est pour servir de la soupe, je ne vois pas l'intérêt. Quand j'ai vu que mon pays étranger favori, l'Autriche, avait chanté en français en 2016, je me suis empressé d'aller écouter et… non merci, vraiment ! Bref, les plus mémorables, ce sont encore les mémés oudmourtes de 2012, mais évidemment, impossible d'écouter une horreur pareille passé le premier couplet. Elles m'ont bien fait rire, en tout cas ! Les paroles des chansons ukrainienne de 2016, 1944 de Jamala, et française de 2018, Mercy de Madame Monsieur, évoquent pour leur part des sujets forts allant de la déportation à l'émigration, mais quand les mélodies ne suivent pas, il reste difficile de pouvoir les apprécier à leur juste valeur.
Pour sûr, je pense que les interprètes qui font l'effort de chanter dans leur langue natale devraient être automatiquement qualifiés pour le grand soir, quoi que l'on pense de leur musique, et que les demi-finales ne devraient exister que pour départager la soupe anglophone. Cela éviterait des aberrations, comme par exemple la dernière place de la Géorgie en 2018, alors que la chanson Šeni gulistvis (Pour toi) du groupe Iriao s'inscrit justement dans la pure tradition géorgienne de la polyphonie. J'ai découvert le chant polyphonique géorgien grâce aux films d'Otar Iosseliani, Le Chant de la fleur introuvable et Il était une fois un merle chanteur, et j'ai désormais très envie d'en savoir plus sur ce pays. Pour être honnête, la chanson en question ne m'enthousiasme pas plus que ça, mais comparée à la pop sirupeuse de leurs concurrents, elle aurait dû remporter le trophée. Ça ou La forza, la pop opératique italienne de l'Estonienne Elina Netchaïeva.
Années 2020
On en reparle dans huit ans ? Pour le moment, je ne retiens que les deux candidatures ukrainiennes de Go_A, les premiers à avoir représenté leur pays dans leur langue natale, d'abord avec Solovey (Le Rossignol) pour l'édition annulée de 2020, puis avec Shum (Le Bruit) qui leur permit de décrocher la cinquième place l'année suivante. Avec une préférence pour l'oiseau, tout de même. Ces deux chansons s'inscrivent dans le genre musical folktronika, qui comme son nom l'indique regroupe la musique folk et la musique électronique. Elles évoquent les traditions paysannes ukrainiennes sur fond de motifs ethniques et de sons modernes. Solovey me plaît assez pour avoir envie d'explorer leur discographie, en priant pour que la paix revienne dans leur pays.
Conclusion
Voilà ce que j'ai retenu de cet horrible concours ! Au départ, j'avais envie de publier une image de Joan Crawford se bouchant les oreilles dans Le Masque arraché, mais je suis finalement content d'avoir pu dénicher ces quelques pépites fort sympathiques, dont je n'aurais probablement jamais entendu parler sans ce passage en revue. Néanmoins, pour toutes les chansons non listées dans cet article, j'étais très exactement dans cet état :
Mais qu'attendre d'un rendez-vous finalement plus politique qu'artistique ? Tout le monde sait les pays votent par intérêt diplomatique, à l'image de Chypre et de la Grèce qui se donnent mutuellement 12 points depuis toujours, ou ne serait-ce que cette année avec la victoire de l'Ukraine annoncée dès le départ. Disons que, si l'Eurovision a au moins le mérite de divertir par son côté très kitsch et de faire oublier momentanément le terrible état du monde par un grand rassemblement populaire, c'est toujours ça de pris.
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