samedi 24 décembre 2022

Pluie


Il pleut. En général, j'aime beaucoup la pluie. Et comme je ne fais pas les choses à moitié et que j'aime les mises en scène mélodramatiques, j'avais prévu d'aller passer un après-midi à errer sur les remparts de Brouage, ma cape de velours noir volant au vent. Mais il a tellement plu cette semaine que la perspective de faire tout un trajet avec les essuie-glace à leur vitesse maximum m'a ôté toute volonté de jouer à Marie Mancini. J'ai donc passé ma première semaine de vacances cloîtré chez moi, à visionner des films d'une grande variété allant des documentaires urbains des années 1930 à l'univers du métal contemporain, le tout en restant bien en peine de savoir desquels parler pour redynamiser un peu le blog. N'arrivant décidément pas à trouver l'inspiration, j'ai finalement opté pour le court-métrage hollandais de Mannus Franken et Joris Ivens, Pluie (Regen), sorti aux alentours de Noël 1929 voilà bientôt un siècle. Cela changera un peu de la Saintonge et du Poitou, encore que nous partageons pas mal de points communs avec les anciennes Provinces-Unies, grâce au long travail de conquête de terres arables contre la mer dans les golfes des Santons et des Pictons, et bien entendu grâce à un fort passé protestant rebelle au catholicisme.

Loin de la campagne, Pluie appartient au genre des symphonies urbaines, ces odes aux villes d'Europe qui fleurissaient lors des derniers feux du cinéma muet, et dont les représentants les plus célèbres sont Berlin de Walter Ruttmann, L'Homme à la caméra de Dziga Vertov du côté de l'Ukraine, À propos de Nice de Jean Vigo, ou encore Douro de Manoel de Oliveira et Lisbonne de José Leitão de Barros pour le littoral portugais. Pour moi qui n'aime rien tant que découvrir de nouveaux lieux à visiter, je suis totalement sous le charme de ces symphonies. D'ailleurs, lorsque j'avais découvert Pluie il y a quelques années, les beaux reflets d'Amsterdam trônaient facilement dans mon top 10 de l'année, en compagnie des images hypnotiques de Kyiv et Odessa concoctées par Vertov. Toutefois, la concurrence est devenue très rude depuis, avec Le Journal d'une fille perdue, Le Mensonge de Nina Petrovna, Parade d'amour, L'Isolé, Finis Terræ, Gardiens de phare, La Partie de dés ou encore Un Cottage dans le Dartmoor, mais cela ne fait qu'illustrer le brillant de cette belle année de cinéma.

Outre l'invitation au voyage, c'est vraiment le travail sur l'image qui vous emporte sur les flots de la poésie, à commencer par l'arrivée de l'averse filmée comme une grande montée en puissance, avec le vent fouettant de plus en plus fort le linge étendu aux balcons, et ces nuées d'oiseaux désorientés à mesure que le ciel s'obscurcit. Les cercles concentriques des gouttes dans les canaux, et l'éclat des rues mouillées où se reflètent quelques silhouettes pressées, sont quant à eux enchanteurs, sans être nullement gâchés à notre époque par l'élégante partition aux cordes pincées et frottées. Des gouttelettes sur les vitres des tramways aux plongées sur des hordes de parapluies noirs, Regen réussit l'exploit de créer de l'onirisme dans un quotidien particulièrement banal : la beauté de l'eau, sublimée par les premiers rayons du soleil enfin de retour, est un envoûtement de tous les instants. Le métrage ne dure qu'une douzaine de minutes, mais c'est divin. Et c'est bien plus orgasmique que le video mapping du donjon de La Roche-Posay ! Tout cela me ramène à ma région mais ne me dit pas comment je vais occuper le reste de mon après-midi…

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