Ce qui est surprenant au départ, c'est que le scénario semble très décousu : si on alterne entre les trois destins dans un même épisode, le parcours d'une même dame n'est jamais montré d'une manière chronologique, ce qui laisse perplexe dans un premier temps. Par exemple, on découvre Eleanor Roosevelt au moment de l'investiture de son mari, puis on passe aux années 1920 lors des premiers signes de paralysie de Franklin, avant de retourner aux prémices du XXe siècle pour narrer la rencontre, tout cela pour revenir un peu aux mandats présidentiels avant de repartir à la Première Guerre mondiale pour sauter tout droit vers la seconde, où les événements finissent enfin par retrouver un ordre chronologique jusqu'à la fin. Idem pour Betty Ford qui fait des bonds dans le temps des années 1970 aux années 1940, en passant à plusieurs reprises par les années 1960 pour arriver à la fin du siècle. Cette structure s'explique par la volonté du scénariste de ne pas suivre la ligne traditionnelle "naissance-mariage-décès", pour trouver au contraire, au sein du même épisode, une problématique commune aux trois dames afin de voir comment celles-ci ont réagi à une situation donnée. Le premier épisode est ainsi consacré à leur entrée à la Maison Blanche et à leur difficulté à s'adapter à un rôle non défini par la loi, un autre parle de son côté des jeunes années de ces dames et de leurs premiers émois amoureux, un épisode suivant parle quant à lui de leur engagement féministe, tandis que la fin de la série montre les trois femmes en proie à la nostalgie de quitter un poste qui les aura marquées à vie. Tenter d'évoquer un thème par épisode est nettement plus intéressant qu'un biopic éventé du berceau à la tombe, mais l'explosion chronologique ne me semble pas toujours pertinente.
Assurément, j'ai suivi avec plaisir toutes les pistes évoquées, malgré quelques longueurs dans la période Obama qui m'ont parfois ennuyé. Je trouve surtout la série très complaisante envers tous les personnages, cherchant trop à en brosser des portraits hautement sympathiques, alors que la réalité fut évidemment plus sombre : les bombes nucléaires de 1945 ne sont tout bonnement pas évoquées alors que Truman a l'indécence de faire une apparition quasi joviale à la fin, et si Barack Obama a l'air d'un saint face à l'immondice qui lui a succédé, il n'en reste pas moins un criminel de guerre qui a ratifié l'envoi de bombes sur de multiples pays de la planète, ce qui a causé la mort de très nombreux civils. La série n'évoque pourtant jamais ces crimes contre l'humanité commis aux plus hauts sommets de l'État. Sur le plan intérieur, la sensibilité démocrate du projet se fait sentir, puisque les seuls républicains portraiturés sont les Ford, visiblement le couple le plus ouvert d'esprit dans l'histoire de ce parti : à n'en croire que la série, on se demande même pourquoi ils restent affiliés à cette ligne politique alors que l'ennemi interne Reagan est à juste titre montré comme un repoussoir absolu. Découvrant cela en tant qu'Européen, je ne suis pas aussi enthousiaste que les Américains envers le parti démocrate : ça reste un parti de droite dure qui, sous le couvert d'un discours un peu plus social, fonctionne surtout pour protéger les intérêts financiers de l'élite. Nous avons le même problème en France avec le moribond parti dit « socialiste » qui a mené une politique antisociale durant les années 2010, mais au moins, on peut se donner l'illusion d'un maigre espoir lors des élections, en ayant le choix de voter à gauche. Aux États-Unis, le bipartisme est tel qu'aucun autre choix ne semble possible : dans les milieux cinéphiles en 2016, Susan Sarandon s'était par exemple attirée les foudres de très nombreuses personnes, qui voyaient comme une hérésie qu'on pût voter Jill Stein au lieu d'Hillary Clinton. Certes, la menace des horreurs à venir était telle qu'un choix stratégique eût été de mise, mais il me semble dommage que vouloir voter un peu plus à gauche que les deux blocs imposés reste mal vu par de très nombreux citoyens.
Pour sûr, Madame Clinton en prend pour son grade dans le dernier épisode, face à une Michelle Obama qui ne lui pardonne pas les insinuations proférées contre son mari lors des anciennes primaires démocrates. Montrée comme un robot dévoré d'ambition et dénué de tout sentiment, elle frôle la caricature par rapport aux autres premières dames nettement plus nuancées tout au long de la série. Quoi qu'il en soit, on ne parle jamais d'économie dans The First Lady, pourtant la motivation numéro 1 de tout système politique depuis la nuit des temps. Le scénario fait au contraire le choix de faire vibrer la corde sociale de ces dames, mais sans jamais remettre les choses en perspective. On voit ainsi Eleanor Roosevelt serrer la main des ouvriers, sans que soient décrits les tenants et aboutissants du New Deal ; puis on la voit encore militer pour l'accueil des réfugiés juifs alors que son époux s'y oppose puisque le pays est encore neutre à cette époque, mais on oublie au passage de mentionner les propos antisémites tenus par la dame dans sa jeunesse, alors que la voir évoluer de manière positive, sans masquer ses parts d'ombre du passé, eût été plus fascinant encore. Notons au passage l'exquise courtoisie de son oncle Theodore Roosevelt, qui n'est montré qu'à la manière d'un bonhomme fort sympathique bien que son parcours fût bien plus complexe que cela. Le point fort concernant Eleanor, c'est de souligner son attirance pour les femmes, son attachement aux causes féministes et, histoire de noircir enfin le tableau, sa difficulté à être une mère aimante, mais tout dans son portrait tend à la rendre sainte et héroïque, en esquivant trop facilement les nuances pourtant bel et bien présentes dès le départ. De son côté, Betty Ford est hyper attachante et fait pleinement écho aux combats de son temps en faveur de l'avortement, n'hésitant pas à assumer son ouverture d'esprit par rapport aux femmes de son milieu social, et instrumentalisant sans honte aucune sa vie privée afin d'inciter ses compatriotes à prendre soins d'elles au travers du dépistage du cancer du sein. Son côté obscur est sa dépendance à l'alcoolisme et aux barbituriques, et suivre sa lutte contre cette addiction reste totalement palpitant d'un point de vue narratif. Michelle Obama est pour sa part vue à travers le prisme de la cause afro-américaine, qu'elle défend brillamment grâce à sa formation de juriste, mais on la voit également prendre parti pour les droits LGBTQ à un moment où son mari ne veut pas s'aliéner toutes les voix à l'occasion des élections de mi-mandat.
Très héroïque, Michelle Obama n'a aucune part d'ombre d'après la série, ce qui est d'autant plus manifeste qu'elle est incarnée par Viola Davis. Comme à son habitude, celle-ci compose un sempiternel personnage très digne d'une grande noblesse, mais à force d'être trop « grande dame », elle finit par agacer prodigieusement. Je respecte énormément cette actrice qui a dû lutter plus ardemment que ses collègues blanches pour s'imposer comme l'une des grandes comédiennes de sa génération, mais sa détermination à ne se spécialiser que dans les portraits nobles et héroïques me laisse perplexe. Et même lorsque la série lui offre des moments drôles dans l'intimité du foyer, l'humour ne vient jamais d'elle mais de ses partenaires, notamment sa mère à l'écran incarnée avec vigueur par Regina Taylor. Trop ostensiblement empreinte de gravité, Viola Davis est également éclipsée dans son propre segment par sa version jeune, à laquelle Jayme Lawson prête ses traits : à ce moment-là, l'héroïne veut être prise au sérieux dans son cabinet d'avocats, mais elle a encore assez de spontanéité pour montrer autre chose qu'une dignité trop solennelle. Surtout, le grand défaut de Viola Davis est qu'elle se réfugie systématiquement derrière un tic de jeu apocalyptique, puisqu'elle choisit de faire la moue après chaque réplique, et qui plus est une moue frôlant gravement la grimace. Cela casse l'ensemble de sa performance bien qu'elle parvienne à se calmer dans les derniers épisodes, et si l'on ajoute son maquillage tapageur avec des cils de vingt kilomètres de long, on retrouve vraiment la comédienne en porte-à-faux avec son obstination dans la grandeur que n'illustre aucunement cette composition parfois assez vulgaire. D'après ce que j'ai pu lire sur internet, c'est l'interprétation la plus décriée de la série, et je suis malheureusement d'accord avec l'opinion publique.
Eleanor Roosevelt est elle aussi très digne et n'a pas vraiment de moments drôles, mais la performance de Gillian Anderson est autrement réussie. Après Margaret Thatcher un an auparavant, l'étoile des célèbres X-Files semble vraiment partie pour prendre la route des compositions très chargées de femmes dotées d'une diction inimitable, mais autant sa ministre britannique sombrait dans un ridicule vocal absolu, autant sa première dame des États-Unis ne tombe jamais dans le piège de la caricature. On y découvre une femme brillante et surtout captivante, qui réussit l'exploit d'être en avance sur son temps alors que tout dans ses manières évoque un passé révolu, chose qui me parle on ne peut mieux ! Son unique fausse note est sa scène de jalousie hystérique lorsqu'elle découvre l'infidélité de son mari, mais après cela, le portrait redevient passionnant à mesure qu'Eleanor s'ouvre au monde et assume sa véritable inclination, tout en conservant sa personnalité aristocratique et ses hautes ambitions : elle sacrifie plus volontiers ses amours et sa famille à la marche du monde, au grand détriment des personnes qui l'aiment. Tout le monde dans le segment Roosevelt est excellent, à commencer par Kiefer Sutherland qui m'a complètement surpris : alors que je ne voyais en lui qu'un Jack Bauer testostéroné au service de l'administration Bush, il se révèle finalement convaincant et même émouvant en président démocrate paralysé. On retrouve à ses côtés Ellen Burstyn, un peu coincée sur la même note dans le rôle de la sévère matriarche de la famille, tandis que les amies-amantes d'Eleanor donnent pas mal de grain à moudre à Lily Rabe et Clea DuVall. Je regrette toutefois qu'Eliza Scanlen n'ait droit qu'à un seul épisode pour dévoiler les jeunes années de l'héroïne, car la séquence au pensionnat de Madame Souvestre est absolument ma tasse de thé.
Le miracle vient cependant de Michelle Pfeiffer, qui est tellement sensationnelle dans le rôle de Betty Ford qu'on aurait pu écrire une série entière rien que sur elle. Et je n'en finis pas d'être impressionné par cette actrice qui parvient toujours à révéler une vraie force de caractère malgré une apparence de délicatesse, voire de fragilité. De ce que j'ai pu voir jusqu'à présent, c'est son plus beau rôle depuis Laurier blanc, qui remonte à déjà vingt ans. Elle compose certainement l'héroïne la plus attachante de la série, sachant faire fi des conventions sans franchir les limites du vulgaire, et se révélant si ouverte d'esprit qu'on se demande effectivement ce qu'elle fait dans un parti de droite. Son addiction donne beaucoup de gravité à la légèreté ambiante, et elle joue d'ailleurs une alcoolique convaincante, avec comme apothéose l'humiliation subie en famille devant les médecins. Ce qui est également très positif, c'est la complicité qu'elle dégage avec Aaron Eckhart : on dirait vraiment le couple idéal qui partage tout, bons et mauvais moments, tout en restant profondément uni. Je ne sais pas si le portrait est tout à fait réaliste, mais Gerald Ford était apparemment un homme intègre : tant mieux pour lui. Kristine Froseth est également très bien dans le rôle de la jeune Betty, en laissant percevoir le regret de la dame de ne pas avoir réussi à percer dans la danse, regret admirablement bien exprimé plus tard par Michelle Pfeiffer. Bref, je ne connais pas assez les séries télévisées pour jouer avec des remises de prix fictives, mais tout dans l'interprétation de la lumière du Temps de l'innocence me fait crier « Emmy ! » Il faut dire qu'elle a bien plus de scènes drôles à jouer que ses deux partenaires, d'où un balancement entre drame et comédie assez génial, là où Gillian Anderson et Viola Davis restent purement dans la pompe solennelle.
The First Lady ne peut donc pas vraiment être qualifiée de grande série : des portraits bien trop complaisants et un récit prenant toujours le chemin de la facilité au lieu de mettre le doigt sur la complexité bien plus grande des sujets évoqués constituent autant de maladresses qu'il est permis de trouver médiocres. La série manque de hauteur et esquive trop aisément les contextes des prises de fonction des époux concernés. Mais c'est toujours un plaisir de voir des portraits de femmes brossés par des actrices de légende, aussi ne bouderais-je pas mon plaisir. À voir surtout pour se souvenir de ce que Michelle Pfeiffer sait faire, même après de longues traversées du désert : à part Chéri qui reste relativement récent, ses derniers rôles en date ne m'avaient pas spécialement emballé, pas même French Exit malgré son personnage compliqué. Je suis à coup sûr ravi par sa Betty Ford, alors j'attends la suite, si possible sur grand écran.
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