lundi 27 février 2023

Mascarade


J'ai l'impression que des vidéos suspendues sur la plateforme rouge bien connue ont réapparu ces derniers temps, ce qui expliquerait pourquoi on n'en trouvait nulle trace quand on cherchait le titre d'un film rare il y a quelques années. Tout cela pour dire que j'ai recherché à tout hasard une œuvre invisible que mon radar avait captée il y a trois ans lors de ma rétrospective 1988, et je suis tombé sur une copie apparemment mise en ligne depuis 10 ans. Le film en question est La maschera, qui signifie tout bonnement Le Masque en italien, et a été écrit et réalisé par Fiorella Infascelli. On y suit l'histoire d'un aristocrate dépravé au XVIIIe siècle, qui tente de séduire une comédienne qui refuse ses avances, et qui se met à suivre les pérégrinations de la troupe dissimulé sous un masque, dans l'espoir que la dame le prenne pour un autre et se mette à l'aimer. Il fallait donc s'attendre à une vision très féminine de la conquête, et tout cela semble avoir été paramétré pour moi : comme le film, j'ai vu le jour au printemps 1988, et je suis évidemment attiré depuis toujours par les belles choses, les jardins baroques, les châteaux élégants, les beaux atours et les arts du spectacle. J'ai donc passé un bon moment devant Le Masque, bien que le film présente un énorme défaut.


Je ne dévoilerai pas celui-là tout de suite, car ce qui frappe de prime abord, c'est la beauté du geste. En effet, dès la première séquence, la photographie recréant un XVIIIe siècle fantasmé dans de somptueux décors m'a totalement enchanté. Un labyrinthe au milieu des herbes folles, un singe se promenant sur une balustrade devant des objets d'art et de science, un éventail gigantesque au pavillon chinois, les losanges colorés d'un costume d'Arlequin, le rideau cramoisi d'un théâtre, les cahots d'un carrosse dans la forêt, une halte au milieu des blés et des fleurs des champs, un écrin au voilier blanc et des scènes nocturnes à la lueur des flambeaux, voilà autant d'images m'ayant causé un ravissement sans pareil. Si le film n'avait été qu'une succession de tableaux fixes, je l'aurais absolument aimé rien que pour cela. Assurément, ces beaux clairs-obscurs m'ont immédiatement embarqué dans la vie d'artiste itinérant de cette époque, et je leur en sais gré, d'autant qu'ils évoquent un réalisme criant de vérité.


L'histoire est également bien mise en scène, au moins dans un premier temps, puisque la réalisatrice parvient à maintenir un dynamisme palpitant qui donne toujours envie d'en savoir plus. Elle prend aussi le temps de détailler l'évolution des personnages, ce qui permet d'ancrer cette conquête d'abord purement bestiale dans quelque chose de sincèrement humain. Les interprètes soutiennent bien ce propos, même s'il reste fort curieux que les premiers rôles soient tenus par des Britanniques. En effet, Helena Bonham Carter et Michael Maloney sont doublés tout du long, ce qui est très perturbant quand on a l'habitude d'entendre la désormais légendaire partenaire de Tim Burton parler dans sa langue d'origine. Cela ne nuit en rien à l'histoire, mais ces choix de distribution ne laissent pas d'intriguer dans un projet entièrement italien. L'essentiel, c'est qu'ils sont toujours bons, notamment la comédienne qui s'inscrit dans la lignée de la sage mais pourtant volontaire Lucy Honeychurch, avec ici une vraie détermination à aller vers l'inconnu qui l'attire malgré sa candeur de jeune fille. Son collègue hérite cependant d'un rôle plus intéressant puisqu'il doit passer du libertinage le plus cru à une véritable sensibilité, loin de la perversité d'un Valmont. À leurs côtés se distinguent également des seconds rôles truculents, en particulier Michele De Marchi en comédien trivial, Roberto Herlitzka en fabriquant de masques tirant les ficelles de ce jeu avec un certain charisme, et Fiodor Chaliapine fils, qui est nettement plus rassurant en être humain de chair et d'os qu'en moine en état de décomposition.


Cela étant dit, Le Masque n'est pas loin de se briser à mi-parcours au fur et à mesure que le scénario se transforme… en roman à l'eau de rose ! Argh !!! On a vraiment l'impression qu'une coalition formée par Millie Drake, Salomé Otterbourne et Barbara Cartland a pris possession de l'histoire et de la mise en scène, ce qui aboutit à un second acte incroyablement mal filmé au bord d'un lac tout droit sorti d'un poster d'ado des années 1980, le tout avec une musique insupportable de Luis Bacalov qui s'ingénie à casser toute la tension sentimentale construite jusqu'alors ! Comble de malheur, les masques qui auraient dû donner beaucoup d'éclat et de mystère au film sont tous plus ridicules les uns que les autres, mention spéciale au masque corail à six cornes qui a l'air aussi diabolique que le nœud rouge de Blanche-Neige, d'où une énorme déception de ce côté-là. Fiorella Infascelli tente de rattraper le coup avec une idée intéressante, à savoir filmer la première rencontre à travers les fentes du masque, ce qui ajouté à la respiration lupine du personnage crée un vrai sentiment de malaise tant l'idée de prédation est forte en cet instant. Mais comme on enchaîne sur une série de dialogues d'une banalité affligeante, voire confinant à la niaiserie, autant dire que cet effet s'estompe rapidement. J'espérais que la réalisatrice cherchât à montrer un renversement des âmes, l'aristocrate masqué apprenant le repentir tandis que la comédienne se serait révélée plus dure qu'on l'eût cru, mais rien ne va en ce sens : le scénario ne prend aucune hauteur et se contente de chanter la beauté intérieure devant des clairs de Lune criards au bord de l'eau.


Conclusion : si Le Masque reste un festin visuel de tous les instants, son parasitage en cours de route par Millie Drake nuit grandement à sa superbe. L'héroïne ne semble jamais s'étonner d'être suivie par un inconnu masqué, aussi est-il impossible de prendre cette histoire au sérieux, une comédienne itinérante de cette époque ne pouvant décemment pas croire au grand amour éternel alors que son quotidien est par essence ponctué d'avances mal placées. Malgré tout, le film m'a totalement transporté dans son univers historique éveillant tous les sens, tant et si bien qu'il m'est impossible de le détester. Mais dieu que c'est kitsch ! C'est un peu comme si Tiepolo avait rebaptisé son Menuet en Les Méandres de l'amour : ça n'en resterait pas moins sublime à regarder, mais la mièvrerie dégoulinante l'entacherait à jamais !

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