De George Cukor |
Autre superproduction de prestige de la MGM en l'an de grâce 1936, Romeo and Juliet a l'originalité d'allier une perfection formelle très séduisante à une imperfection interprétative totale, de quoi en faire une oeuvre sur laquelle il y a beaucoup à dire, avec principalement une pointe de regret quand on pense que le film aurait pu être un chef-d'oeuvre, la production n'eût-elle pas cédé à la tentation d'erreurs de casting aussi flagrantes.
Romeo and Juliet est aussi un film entaché de bien des légendes, depuis John Gielgud, qui avait refusé le rôle pensant qu'on ne pouvait adapter Shakespeare au cinéma, fuyant de dégoût au bout de seulement quinze minutes; au décès d'Irving Thalberg, survenu le jour de la première à Los Angeles, preuve que la carrière du film ne démarra pas sous les meilleurs auspices. Dommage, ceci dit, car l'adaptation regorge d'indéniables qualités.
Sur le plan technique, c'est donc parfait. Et je ne sais jamais parler en bien des aspects formels d'un film, au risque d'être vraiment redondant, mais l'évidence est là: la photographie de William Daniels, l'illuminateur du visage de Garbo, est en tout point superbe, avec des séquences nocturnes savamment dosées entre ombres et lumières, et des plans d'ensemble très bien cadrés de façon à faire ressortir toute la richesse d'une scène. Les décors, supervisés par Cedric Gibbons, sont quant à eux à tomber par terre: la place italienne et son campanile, les ruines du temple champêtre, la villa des Capulet avec ses bassins, ses colonnes et ses cyprès, le célébrissime balcon, ou encore le cimetière tout en lignes verticales (celles des arbres et des croix), sont d'un raffinement exceptionnel qui sert toutes les dimensions d'un film idyllique, tragique et aristocratique. A vrai dire, il suffit aux décorateurs de placer une grande fleur blanche dans la chambre de Juliette, ou une longue bougie et un rideau replié chez Roméo, pour glorifier l'esthétique d'une séquence. Les costumes ne sont pas en reste, mention spéciale aux tenues des Capulet avec feuilles blanches sur fond noir et lignes noires sur fond blanc, et pour moi qui adore porter des capes, je suis servi! Niveau technique, on relèvera encore un bon usage de la musique, Herberth Stothart ayant réussi l'alliance d'Arbeau et Tchaïkovski pour mettre en valeur les scènes de liesse avant de dériver de plus en plus sur la romance et le tragique, sans compter que les chœurs au début sont assez grandioses pour donner envie de s'intéresser à l'histoire dès son commencement. A noter aussi un joli effet chorégraphique, lorsque Norma Shearer passe sous une arche de bras lors du bal, de quoi ajouter à la beauté de l'ensemble.
En fait, comme souvent chez Cukor, c'est toujours filmé avec beaucoup de soin et d'élégance, même si sa mise en scène n'est pas encore aussi inventive que ses futurs chefs-d'oeuvre (je pense à Gaslight), d'où un joli spectacle de deux heures où chaque image est une merveille. Dommage, néanmoins, que sa direction d'acteurs ne soit pas du même acabit, preuve qu'il n'est pas donné à tout le monde d'adapter du Shakespeare: à ce titre, Laurence Olivier s'est bien mieux plié à l'exercice douze ans plus tard, puisque là où la perfection formelle d'Hamlet est au service d'une théâtralité puissante et assumée, l'éblouissement esthétique de Cukor tend plutôt à noyer le poisson et faire oublier que les acteurs n'étaient pas vraiment à leur place dans une telle histoire. D'ailleurs, on a souvent reproché au casting d'être en décalage d'une génération par rapport aux personnages de la pièce, chose certes vraie mais qui ne me pose pas vraiment problème dans la mesure où n'étant pas du tout amateur de Shakespeare, je préfère davantage voir Norma Shearer à l'écran plutôt que Juliette, et c'était de toute façon la norme, en 1930, de faire jouer les comédiens de la génération 1900 si l'aura de star était là. On est donc tellement habitué à voir des interprètes de cet âge dans les premiers rôles de l'époque qu'on ne peut que les trouver naturellement jeunes par rapport aux acteurs de genre de la génération 1880 distribués dans le rôle des parents. J'avoue tout de même qu'autant Norma Shearer parvient à faire illusion, autant Leslie Howard, 43 ans, et John Barrymore, 54 ans, commencent à se faire vraiment trop âgés pour des rôles basés sur la fraîcheur de la jeunesse, sans parler de C. Aubrey Smith, 73 ans, encore qu'imaginer Lord Capulet en barbon ne me dérange pas outre mesure. Le Tybalt de Basil Rathbone est aussi à peine plus jeune que Violet Kemble-Cooper en Lady Capulet, mais comme c'est un cousin et qu'il n'est pas central, ça passe in extremis. Cependant, bien plus que la différence d'âge, le véritable problème du casting est que ni Norma Shearer ni ses partenaires n'arrivent à faire corps avec leur personnage, et malgré certaines répliques bien jouées qui aèrent miraculeusement certaines séquences, les acteurs passent totalement à côté de ce qu'ils doivent incarner.
Romeo and Juliet est aussi un film entaché de bien des légendes, depuis John Gielgud, qui avait refusé le rôle pensant qu'on ne pouvait adapter Shakespeare au cinéma, fuyant de dégoût au bout de seulement quinze minutes; au décès d'Irving Thalberg, survenu le jour de la première à Los Angeles, preuve que la carrière du film ne démarra pas sous les meilleurs auspices. Dommage, ceci dit, car l'adaptation regorge d'indéniables qualités.
Sur le plan technique, c'est donc parfait. Et je ne sais jamais parler en bien des aspects formels d'un film, au risque d'être vraiment redondant, mais l'évidence est là: la photographie de William Daniels, l'illuminateur du visage de Garbo, est en tout point superbe, avec des séquences nocturnes savamment dosées entre ombres et lumières, et des plans d'ensemble très bien cadrés de façon à faire ressortir toute la richesse d'une scène. Les décors, supervisés par Cedric Gibbons, sont quant à eux à tomber par terre: la place italienne et son campanile, les ruines du temple champêtre, la villa des Capulet avec ses bassins, ses colonnes et ses cyprès, le célébrissime balcon, ou encore le cimetière tout en lignes verticales (celles des arbres et des croix), sont d'un raffinement exceptionnel qui sert toutes les dimensions d'un film idyllique, tragique et aristocratique. A vrai dire, il suffit aux décorateurs de placer une grande fleur blanche dans la chambre de Juliette, ou une longue bougie et un rideau replié chez Roméo, pour glorifier l'esthétique d'une séquence. Les costumes ne sont pas en reste, mention spéciale aux tenues des Capulet avec feuilles blanches sur fond noir et lignes noires sur fond blanc, et pour moi qui adore porter des capes, je suis servi! Niveau technique, on relèvera encore un bon usage de la musique, Herberth Stothart ayant réussi l'alliance d'Arbeau et Tchaïkovski pour mettre en valeur les scènes de liesse avant de dériver de plus en plus sur la romance et le tragique, sans compter que les chœurs au début sont assez grandioses pour donner envie de s'intéresser à l'histoire dès son commencement. A noter aussi un joli effet chorégraphique, lorsque Norma Shearer passe sous une arche de bras lors du bal, de quoi ajouter à la beauté de l'ensemble.
En fait, comme souvent chez Cukor, c'est toujours filmé avec beaucoup de soin et d'élégance, même si sa mise en scène n'est pas encore aussi inventive que ses futurs chefs-d'oeuvre (je pense à Gaslight), d'où un joli spectacle de deux heures où chaque image est une merveille. Dommage, néanmoins, que sa direction d'acteurs ne soit pas du même acabit, preuve qu'il n'est pas donné à tout le monde d'adapter du Shakespeare: à ce titre, Laurence Olivier s'est bien mieux plié à l'exercice douze ans plus tard, puisque là où la perfection formelle d'Hamlet est au service d'une théâtralité puissante et assumée, l'éblouissement esthétique de Cukor tend plutôt à noyer le poisson et faire oublier que les acteurs n'étaient pas vraiment à leur place dans une telle histoire. D'ailleurs, on a souvent reproché au casting d'être en décalage d'une génération par rapport aux personnages de la pièce, chose certes vraie mais qui ne me pose pas vraiment problème dans la mesure où n'étant pas du tout amateur de Shakespeare, je préfère davantage voir Norma Shearer à l'écran plutôt que Juliette, et c'était de toute façon la norme, en 1930, de faire jouer les comédiens de la génération 1900 si l'aura de star était là. On est donc tellement habitué à voir des interprètes de cet âge dans les premiers rôles de l'époque qu'on ne peut que les trouver naturellement jeunes par rapport aux acteurs de genre de la génération 1880 distribués dans le rôle des parents. J'avoue tout de même qu'autant Norma Shearer parvient à faire illusion, autant Leslie Howard, 43 ans, et John Barrymore, 54 ans, commencent à se faire vraiment trop âgés pour des rôles basés sur la fraîcheur de la jeunesse, sans parler de C. Aubrey Smith, 73 ans, encore qu'imaginer Lord Capulet en barbon ne me dérange pas outre mesure. Le Tybalt de Basil Rathbone est aussi à peine plus jeune que Violet Kemble-Cooper en Lady Capulet, mais comme c'est un cousin et qu'il n'est pas central, ça passe in extremis. Cependant, bien plus que la différence d'âge, le véritable problème du casting est que ni Norma Shearer ni ses partenaires n'arrivent à faire corps avec leur personnage, et malgré certaines répliques bien jouées qui aèrent miraculeusement certaines séquences, les acteurs passent totalement à côté de ce qu'ils doivent incarner.
Norma Shearer, pour commencer, rate son entrée en scène, et trop occupée à jouer les adolescentes pour estomper ses 34 ans, elle prend le parti de lancer des sourires niais à toute sa famille avant de minauder avec Roméo pendant toute la durée du bal, d'où une performance qui sonne horriblement faux dès le départ et ne rend pas le spectateur particulièrement indulgent pour ce qu'elle réserve par la suite. En fait, elle manque même de grâce lorsqu'elle danse, se contentant d'agiter les pans de sa robe, et semble également trop fade, surtout quand elle se dirige vers Roméo au lieu de suivre les pas de Paris sur la piste, pour qu'on puisse croire que Leslie Howard soit frappé d'amour en la regardant. Mais le plus grave, ce sont évidemment les dialogues qui s'ensuivent, où l'on sent bien que l'actrice a conscience de la théâtralité du texte sans pour autant parvenir à donner à ses répliques la moindre profondeur, d'où le sentiment qu'elle récite son propos sans l'incarner. Par bonheur, elle se rattrape par la suite et, si la scène du balcon commence en la voyant soupirer en minaudant avant même l'arrivée de Roméo, Norma est assez inspirée par moments, surtout lorsqu'elle dit avec vigueur qu'elle ne sera plus une Capulet par amour, réplique à laquelle on croit vraiment. Néanmoins, d'autres phrases de la même séquence sont nettement moins bonnes, et parfois, la façon qu'a l'actrice de parler à voix basse en se touchant l'oreille puis le menton la fait passer pour une folle névrosée. Autrement, Norma a toujours le tic d'agiter les bras pour exprimer le sentiment, mais dans une histoire aussi artificielle ça ne détonne pas outre mesure, et si certains passages au balcon rendent un son creux sans une once de passion, d'autres moments sont étonnamment convaincants, principalement quand l'actrice parle dans les graves.
Le reste de sa performance est un peu à cette image: soit elle plonge Juliette dans des flots de mièvrerie assez douloureux: "Oh, my sweeeeeet nurse, tell meeeeeee!", soit elle en fait une héroïne volontaire et passionnée qui peut impressionner dans certains cas, à condition qu'elle n'en massacre pas l'effet dans la seconde. Je pense à la scène où Juliette apprend la mort de Tybalt et le bannissement de Roméo, à quoi Norma réagit calmement avec quelques larmes pour mieux hurler avec un timbre grave, avant que cette bonne trouvaille soit anéantie par un petit cri geignard dérivant sur des mains jointes et des pleurnicheries qui redonnent une touche de mièvrerie à sa composition. Le bonheur de Juliette sied mieux à l'actrice lors de la scène d'amour avec Roméo, bien que les répliques soient récitées sans inspiration ("It was the nightingale, c'est bon, tu peux te rendormir."), et parmi les autres grandes scènes attendues, le monologue dans la chambre à coucher, avant de boire le poison, alterne à mon goût entre exagération et monotonie, mais là encore, pour le côté artificiel, exagéré et théâtral des répliques, il est possible que je sois plus réfractaire au texte qu'à l'interprétation, quoique d'autres Juliette m'aient toujours paru beaucoup plus inspirées dans ce moment. Finalement, les deux meilleurs passages dans la performance de Norma Shearer sont la scène où elle souhaite une bonne nuit à ses parents, devant qui elle se conduit très noblement et fait parfaitement illusion quant à ses desseins; et la célébrissime séquence finale, où elle pleure de façon convaincante sur le corps de Roméo avant d'agir vite, en murmurant, jusqu'au coup fatal libérateur qui la voit ravie de retrouver son amour. Cette dernière scène contient tout ce qu'il faut de drame et de passion pour captiver, mais quel dommage que le reste de l'interprétation ne soit pas à la hauteur de ce moment.
Le reste de sa performance est un peu à cette image: soit elle plonge Juliette dans des flots de mièvrerie assez douloureux: "Oh, my sweeeeeet nurse, tell meeeeeee!", soit elle en fait une héroïne volontaire et passionnée qui peut impressionner dans certains cas, à condition qu'elle n'en massacre pas l'effet dans la seconde. Je pense à la scène où Juliette apprend la mort de Tybalt et le bannissement de Roméo, à quoi Norma réagit calmement avec quelques larmes pour mieux hurler avec un timbre grave, avant que cette bonne trouvaille soit anéantie par un petit cri geignard dérivant sur des mains jointes et des pleurnicheries qui redonnent une touche de mièvrerie à sa composition. Le bonheur de Juliette sied mieux à l'actrice lors de la scène d'amour avec Roméo, bien que les répliques soient récitées sans inspiration ("It was the nightingale, c'est bon, tu peux te rendormir."), et parmi les autres grandes scènes attendues, le monologue dans la chambre à coucher, avant de boire le poison, alterne à mon goût entre exagération et monotonie, mais là encore, pour le côté artificiel, exagéré et théâtral des répliques, il est possible que je sois plus réfractaire au texte qu'à l'interprétation, quoique d'autres Juliette m'aient toujours paru beaucoup plus inspirées dans ce moment. Finalement, les deux meilleurs passages dans la performance de Norma Shearer sont la scène où elle souhaite une bonne nuit à ses parents, devant qui elle se conduit très noblement et fait parfaitement illusion quant à ses desseins; et la célébrissime séquence finale, où elle pleure de façon convaincante sur le corps de Roméo avant d'agir vite, en murmurant, jusqu'au coup fatal libérateur qui la voit ravie de retrouver son amour. Cette dernière scène contient tout ce qu'il faut de drame et de passion pour captiver, mais quel dommage que le reste de l'interprétation ne soit pas à la hauteur de ce moment.
Mais autant Norma Shearer parvient à sauver quelques meubles en fonction des répliques, autant Leslie Howard est une catastrophe ambulante qui passe totalement à côté du rôle. Pour commencer, il a davantage l'air d'un pervers lorsqu'il regarde Juliette au bal, alors comment croire que l'héroïne soit attirée par lui? Et lorsqu'il apprend le nom de famille de l'objet de son désir, pourquoi reste-t-il aussi en surface, quand Norma a au moins le mérite d'avoir l'air plus absorbé malgré ses minauderies, quand la nourrice l'informe à son tour? Bref, je ne le trouve tellement pas convaincant que je n'ai finalement pas grand chose à dire sur sa performance: c'est ennuyeux, récité mais pas incarné, et par conséquent constamment à côté du personnage.
Pour le reste du casting, seuls trois seconds rôles retiennent vraiment l'attention, outre les parents Capulet joués de façon correcte mais pas transcendante. En premier lieu, Basil Rathbone marque forcément les esprits par son charisme et sa prestance, mais rien dans son interprétation ne justifiait une nomination aux Oscars: il montre juste le côté belliqueux de Tybalt, toujours bouillonnant de haine et prompt à chercher querelle, mais le résultat est assez mécanique, sec et sans profondeur particulière. Et alors qu'il est irrésistible de classe et de hauteur lorsque Roméo vient le provoquer en duel, sa mort chorégraphiée est ridicule au possible, presque au point d'anéantir le reste de sa composition. John Barrymore est pour sa part vraiment trop âgé en Mercutio, et il en fait tant et tant qu'il exaspère dès sa première scène, sans avoir la fraîcheur des autres Mercutio de cinéma. Reste Edna May Oliver, justement burlesque en nurse criant des "Julieeeeet!" et des "Madââââm!" comme une machine à vapeur et levant le doigt à la manière d'une vieille bique avant de s'enthousiasmer plus encore que Norma Shearer pour les aventures amoureuses de Juliette. Elle en fait peut-être un peu trop dans certains cas, notamment dans son phrasé excessivement grotesque ou dans sa façon de rire grassement, mais c'est malgré tout le personnage pour lequel on ressent le plus de choses, surtout dans sa dernière scène très bien jouée où elle reste l'air grave, reculant avec effroi et lenteur lors d'une funeste découverte, avant de se tenir courbée, la tête dans les mains, sans jamais surjouer le sentiment. A mon avis, c'est la seule lumière du film en matière d'interprétation, même si je n'aime plus autant cette performance que par le passé.
Romeo and Juliet me laisse donc un sentiment très mitigé, mon ressenti étant constamment partagé entre une vive excitation pour la magnificence formelle et un ennui profond devant un casting peu inspiré et des performances trop souvent à côté de la plaque, artificielles et désincarnées. Mais parce que c'est beau et que je reverrai toujours ce film avec grand plaisir, ne serait-ce que pour avoir ma dose d'Italie fantasmée, un 6/10 est plus que mérité.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire