samedi 24 octobre 2015

Haji Agha, acteur de cinéma (1933)


Si La Fille du Lorestan d'Ardeshir Irani reste le grand succès iranien de 1933, pour avoir été le premier film parlant en persan, ce ne fut pourtant pas la première fois qu'une œuvre suscita un engouement national dans les cinémas de Téhéran, comme en témoignent les bonnes recettes d'Abi et Rabi, le premier film d'Ovanes Ohanian sorti en 1930. Continuant sur sa lancée, le réalisateur arméno-iranien sortit Haji Agha, acteur de cinéma trois ans plus tard, sous le titre original حاجی آقا آکتور سینما, soit Haji Agha Aktor-e Cinema. Malheureusement, ce second opus ne remporta pas le succès escompté, la faute à des limitations techniques alors dépassées par La Fille du Lorestan, et à une date de sortie coïncidant avec le film d'Ardeshir Irani, soit deux éléments ayant fait très clairement pencher la balance du côté du film parlant. Est-ce une raison de considérer Haji Agha comme un moins bon film?

Tout d'abord, force est de reconnaître que oui, Haji Agha paraît, tout du moins à nous spectateurs contemporains, atrocement daté. Ou plus exactement, ç'aurait pu être un chef-d’œuvre... si ç'avait été un film de 1913! Mais en l'état, cette comédie accuse au moins vingt ans de retard, aussi bien sur le plan technique que sur le plan de l'intrigue, d'où un sentiment forcément mitigé. D'un point de vue technique, pour commencer, et en faisant abstraction des énormes problèmes de conservation qui font apparaître bien des tâches sur la pellicule, tout du moins sur la version traduite en français que j'ai pu dénicher dans le domaine public, on sait que le réalisateur eut pour seul matériel une caméra Pathé vieille de vingt ans. Est-ce un problème en soi? Je ne connais strictement rien en matériel et ne saurais-vous dire si l'âge d'une caméra influe sur la réalisation, mais quoi qu'il en soit, impossible de nier que le film a, visuellement, davantage l'air d'une production des années 1910 que d'une œuvre des années 1930, chose que la mise en scène d'Ovanes Ohanian ne fait rien pour arranger, le réalisateur se contentant de placer sa caméra dans un angle sans donner beaucoup de dynamisme à la scène, et laissant les acteurs se débrouiller pour donner du piquant au tout. Est-ce alors un problème technique ou un manque de maîtrise de la part d'un réalisateur à ses quasi débuts? Je suis incapable de le déterminer, n'ayant d'ailleurs pas vu Abi et Rabi, mais le ressenti est bel et bien là: ça fait vieux.

Cette impression de vieillerie est également renforcée par un scénario qui ne tient pas ses promesses. Et c'est dommage, car l'intention était très louable sur le papier, en l'occurrence montrer le conflit entre traditions et modernité dans la société iranienne d'alors, à travers les aventures d'un notable conservateur hostile au cinéma, qu'un réalisateur tente de filmer à son insu dans son quotidien, au gré de quiproquos en tous genres qui viennent bouleverser l'emploi du temps de chaque personnage. En fait, cette petite farce assez légère est franchement consistante dans ses grandes lignes, et ça reste largement plus maîtrisé que le scénario plus exotique de La Fille du Lorestan, où les chansons arrivent fort mal à propos, et où les réactions des protagonistes sont tout sauf logiques. A ce titre, Haji Agha est par comparaison un meilleur film, parce que l'intrigue aboutit quelque part tout en divertissant constamment, le tout en révélant les changements sociaux dans l'Iran des années 1930 de façon beaucoup plus subtile que la demoiselle du Lorestan, Ovanes Ohanian n'ayant pas besoin de donner une vision négative des modes de pensée anciens pour vanter les mérites de la modernité. L'idée de départ est donc très bonne, et l'histoire se suit finalement avec intérêt, mais hélas, le résultat ne dépasse pas le niveau de l'Arroseur arrosé, de quoi décupler cette impression d'archaïsme dont le film reste tributaire. En effet, l'intrigue n'est dans le détail qu'une succession de gags à mon avis déjà obsolètes en 1933, avec un premier personnage qui tente d'éteindre un incendie avec de l'eau de Cologne, un autre qui demande qu'on mette un mouchoir par terre avant de sauter d'un lampadaire, un autre qui trébuche en courant dans la rue, etc. Après, peut-être que pour un public iranien qui était alors sevré aux courts-métrages comiques européens, ce genre d'humour était à la mode, mais même, les tribulations d'Haji Agha lorgnent davantage du côté du début du siècle que vers l'avenir.

Par contre, on reconnaîtra à Ovanes Ohanian, qui interprète aussi le rôle du réalisateur dans le film, un certain talent comique bien à l'unisson de la tonalité de l'histoire, avec une gestuelle vivace et plutôt inspirée qui traduit bien la nervosité et les angoisses du personnage. Les autres interprètes ne m'ont pas autant marqué, n'étant pas très porté sur ce genre d'humour, mais Habibollah Morad n'est pas mauvais du tout dans le rôle du fameux Haji Agha, le notable filmé à son insu et déterminé à récupérer sa montre, allant jusqu'à se payer les services d'un fakir pour ce faire.

En définitive, Haji Agha est assez difficile à qualifier. C'est un film "de son temps" mais qui a quand même un pied dans le passé, l'autre n'étant pas loin de mordre la ligne également. Dès lors, pour une histoire destinée à vanter les mérites de la modernité, le résultat n'est pas forcément très heureux, mais tout de même, rendons grâce au réalisateur-acteur-scénariste de savoir rester parfaitement fidèle au ton de l'intrigue et d'apporter une conclusion satisfaisante à celle-ci, le tout en divertissant de manière plutôt honorable bien que la série de gags énumérés ne soit pas à même de m'arracher le moindre sourire, pour ma part. Quoi qu'il en soit, c'est comme je le disais plus consistant que La Fille du Lorestan, qui malgré le son de sa voix n'est finalement pas plus moderne du côté de la mise en scène qu'Haji Agha. C'est donc vers l'acteur qui s'ignore que va ma préférence.

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