J'abandonne un moment les Oscars pour me concentrer sur les Orfeoscars, en arrêtant de me soucier des dates de sortie aux États-Unis afin de prendre en compte un plus grand nombre de régions, et par-là même donner à mon blog un nouveau souffle. Par ailleurs, ayant envie de passer à autre chose après avoir étudié 1930 de long en large cette année, je commence par-là afin d'en finir au plus vite. La seule nouveauté par rapport à mes anciens articles, c'est que je listerai toutes les performances qui méritent à mon sens d'être vues pour une année donnée, quand bien même elles ne franchissent pas le cap des nominations. Ça me semble plus intéressant que de déterminer un top 5 pas toujours représentatif, ou de lister toutes les interprétations médiocres en fin d'article. Ah oui, et tant que je n'ai pas couvert un grand nombre d'année, je me refuse à choisir des lauréat(e)s dans l'immédiat, à moins qu'une personne fasse vraiment la course en tête.
Pour rappel, la liste des films vus pour 1930, classés par pays, même si tous ne sont pas à prendre en compte concernant les premiers rôles féminins:
Allemagne: Anna Christie (Feyder), Der blaue Engel (Sternberg), Die Drei von der Tankstelle (Thiele), Menschen am Sonntag (Siodmak), Westfront 1918: Vier von der Infanterie (Pabst).
États-Unis: Abraham Lincoln (Griffith), All Quiet on the Western Front (Milestone), Animal Crackers, Anna Christie (Brown), The Bad Man, The Bat Whispers, The Big House (Hill), The Big Pond, The Big Trail (Walsh), Borrowed Wives, Check and Double Check, City Girl (Murnau), Clancy in Wall Street, The Cuckoos, Danger Lights, Dangerous Nan McGrew, The Dawn Patrol (Hawks), The Devil's Holiday (Goulding), The Divorcee (Leonard), Dixiana, Fast and Loose, Feet First, Follow Thru, Framed, Free and Easy, Going Wild, Good News, Hell's Angels (Hughes), Hell Harbor, Her Man, Holiday, Hook Line and Sinker, Inside the Lines, Just Imagine, King of Jazz, Ladies in Love, Ladies Love Brutes, Ladies of Leisure (Capra), A Lady to Love (Sjöström), The Last of the Duanes, Laughter (Abbadie d'Arrast), Let's Go Native (McCarey), Let Us Be Gay (Leonard), Liliom (Borzage), Lord Byron of Broadway, The Lottery Bride, Madam Satan (DeMille), Min and Bill (Hill), Monte Carlo (Lubitsch), Morocco (Sternberg), Night Work, Only the Brave, Our Blushing Brides (Beaumont), Outside the Law, Paradise Island, Party Girl, The Pay-Off, Peacock Alley, Reaching for the Moon (Goulding), The Return of Dr. Fu Manchu, Romance (Brown), Safety in Numbers, Sarah and Son (Arzner), Seven Days' Leave, The Silver Horde, Sin Takes a Holiday, Song o' My Heart (Borzage), Sunny Skies, Tom Sawyer, The Unholy Three (Conway), Up the River (Ford), Whoopee!, Young Man of Manhattan.
France: L'âge d'or (Buñuel), Le Mystère de la chambre jaune (L'Herbier), Prix de beauté (Genina), Sous les toits de Paris (Clair). Cas particulier: Le Roman de Renart (Starewitch). Le numéro 472 de La Petite Illustration, du 22 mars 1930, lui consacre un dossier de trois pages en précisant bien qu'il s'agit d'une production de 1930, mais le temps de sonoriser le tout, la première n'eut lieu qu'en 1937, et seulement en 1941 pour la version française actuellement disponible.
Japon: 朗かに歩め/Hogaraka ni ayume/Va d'un pas léger (Ozu), その夜の妻/Sono yo no tsuma/L'épouse de la nuit (Ozu).
Royaume-Uni: Borderline (Macpherson).
Tchécoslovaquie: Tonka Šibenice (Anton).
Union soviétique: Земля/Zemlya/La Terre (Dovjenko).
PS: comme il s'agit là de la troisième version de cet article, je prends le parti de ne pas trop me casser la tête et de recopier l'essentiel de ce que j'avais écrit de prime abord: je ne veux pas non plus y passer deux mois, alors navré pour l'impression de "déjà vu".
PS: comme il s'agit là de la troisième version de cet article, je prends le parti de ne pas trop me casser la tête et de recopier l'essentiel de ce que j'avais écrit de prime abord: je ne veux pas non plus y passer deux mois, alors navré pour l'impression de "déjà vu".
Mes demi-finalistes
Nancy Carroll dans Laughter: Si l'on ne s'étonnera guère de savoir que le nom de Nancy Carroll est aujourd'hui franchement oublié dans les mémoires de cinéphiles, la faute à une carrière trop courte et une filmographie assez modeste, force est de reconnaître que la dame est pourtant l'une des actrices les plus incontournables de l'époque, et il suffit vraiment de regarder ne serait-ce que l'une de ses performances pour comprendre pourquoi elle fut également l'une des superstars des débuts du parlant. Son interprétation dans Laughter, son meilleur film de l'année, en est un parfait exemple, puisqu'elle rend entièrement justice à la tonalité comique du propos, mais aussi à ses accents les plus dramatiques, le tout grâce à un charisme de grande ampleur qui lui permet de crever l'écran sans qu'on puisse parler d'expression galvaudée dans ce cas. Ainsi, lorsqu'on lui demande de se montrer sérieuse, elle ne s'efface jamais derrière qui que ce soit et prend de jolies expressions profondes assez inspirées. Et lorsque le texte lui demande d'être drôle, elle n'hésite pas à se donner à 100%, en particulier lors de la grande scène ahurissante où elle s'amuse à servir le thé déguisée en ours! A la réflexion, la clef de cette performance, c'est que malgré son charisme monstrueux, l'actrice parvient toujours à créer une bonne alchimie avec ses partenaires, notamment avec Diane Ellis, dont les échanges sont judicieusement souriants, et surtout avec Fredric March, avec qui elle semble s'entendre à merveille, et dieu sait s'il est difficile de rester absolument mémorable devant un Fredric March au meilleur de sa forme, tout du moins pour moi qui en suis très amoureux. Quoi qu'il en soit, tout fonctionne idéalement ici, et toute amusante soit-elle, Nancy Carroll n'oublie jamais de suggérer un certain côté antipathique dont est tributaire son personnage, la force du scénario étant justement de renverser la vapeur en donnant l'avantage aux personnes les plus arrivistes. Ce qui n'est nullement un empêchement à la séduction et, à la différence de la performance suivante, on ressent vraiment quelque chose pour cette héroïne, bien qu'elle ne soit pas des plus sympathiques.
Marlene Dietrich dans Der blaue Engel: Marlene Dietrich dans l'Ange bleu, c'est le mythe absolu, au point qu'on croit souvent que ce fut son premier film, et il est d'ailleurs très intéressant de relever qu'à chaque fois que la star a fait une apparition publique, ses entrées ont toujours été accompagnées de l'air "Falling in Love Again", ou plus exactement "Ich bin von Kopf bis Fuß auf Liebe eingestellt", pour reprendre la version allemande dont nous parlons ici. Marlene restera donc toujours associée à la piquante Lola, et si le rôle l'a immédiatement propulsée au sommet, c'est autant à mettre sur le compte du divin Sternberg qui savait décidément très bien filmer sa muse, que sur le compte de l'interprète, qui a défaut d'être la plus talentueuse de sa génération peut au moins se targuer d'être la plus charismatique du lot. Et c'est justement pour ça que sa performance paraît toujours aussi fraîche aujourd'hui, Lola Lola étant avant tout une démonstration de charisme. Ainsi, le personnage a beau ne pas évoluer du tout d'un bout à l'autre de l'intrigue, la personnalité de Marlene suffit à captiver à chaque seconde, et ce d'autant plus qu'elle sait parfaitement ne pas se prendre au sérieux, qu'il s'agisse de jouer à la cabaretière vulgaire qui s'amuse avec les hommes sans jamais se soucier du lendemain, ou de se mettre à caqueter en plein repas, au grand dam du professeur déchu. L'aura de la dame fait donc la performance, mais outre la séduction, s'agit-il d'un grand rôle pour autant? A vrai dire, pas vraiment. En effet, Lola reste de prime abord l'un des archétypes les plus misogynes qui soient, à savoir la tentatrice qui mène les hommes à leur perte sans sourciller, ce qui manque cruellement de profondeur et empêche très clairement le spectateur de ressentir quelque chose pour elle, à la différence d'autres femmes fatales pourtant plus sciemment nocives dans l'histoire du cinéma. La majorité des cinéphiles préfère alors Marlene dans l'Ange bleu, au détriment de Morocco, mais l'héroïne marocaine est tellement plus émouvante en comparaison que ma préférence ne fait aucun doute. Néanmoins, le mythe est bel et bien au rendez-vous ici, et impossible de nier la fascination qu'exerce l'extraordinaire charisme de la star sur moi, quand bien même son personnage et son interprétation légère me laissent un peu froid.
Greta Garbo dans Romance: Certes, la Cavallini n'est pas son plus grand rôle, mais le personnage est tellement charmant que je ne peux m'empêcher de l'adorer, et de passer un excellent moment en sa compagnie. Il faut dire que cette cantatrice italienne se montre toujours vivace et pleine de charme, à l'image de son flirt lors de la réception de départ, sans oublier sa spontanéité naturelle lorsqu'elle parle aux musiciens italiens depuis sa fenêtre, de quoi me séduire amplement. Par ailleurs, l'actrice sait éviter le mélodrame dans les moments les plus sérieux, au point qu'elle rayonne toujours tout au long du film, d'où un ravissement qui va de pair avec cette ambiance extrêmement divertissante de vacances hivernales à New York, malgré la platitude étonnante de la réalisation de Clarence Brown. Quoi qu'il en soit, Garbo illumine le film de sa personnalité tout en composant réellement son personnage, ce qui suffit à me faire passer un excellent moment pour moi qui aime autant l'actrice que l'héroïne. Ceci dit, force est de reconnaître que tout n'est pas au point dans cette interprétation, à commencer par cet accent suspect au possible dont les "r" gutturaux roulés sur plusieurs secondes n'ont rien de suave ni de latin, mais il me faut avouer que le charme général qui se dégage de ce rôle éminemment sympathique suffit à estomper ces quelques défauts de fabrication. On contourne également la séquence d'opéra sans prendre de gants, mais Garbo n'ayant pas de formation musicale, on le pardonnera volontiers. Par ailleurs, sa performance trouve le moyen de sortir constamment grandie par l'incessante comparaison qui s'impose entre l'actrice et son partenaire masculin franchement indigeste, voire avec le reste d'une distribution assez peu subtile, entre les sœurs aigries et un Lewis Stone trop égal à lui-même. Dès lors, Rita Cavallini n'est peut-être pas Marguerite Gautier, Romance est peut-être bien loin d'égaler Camille, mais il n'en reste pas moins que le film comme le personnage laissent une impression entièrement positive qui donne envie d'y revenir assez souvent.
Ann Harding dans Holiday: Dans un rôle auquel elle fait pleinement justice et où elle ne souffre aucunement de la comparaison avec Katharine Hepburn, Ann Harding fait preuve d'une classe, d'un dynamisme et d'une repartie qui piquent d'emblée l'intérêt, comme lorsqu'elle pousse sa sœur du coude à l'église pour la rassurer, sans compter qu'elle est encore très drôle dans le mode inquisitoire, en questionnant sans aucun problème, et avec une pointe d'humour, le héros sur sa situation financière. Elle crée également une complicité immédiate avec Mary Astor avant que leurs différences de points de vue ne les éloignent, sans oublier de renvoyer une image protectrice lorsqu'elle tapote gentiment les mains de sa sœur pour l'apaiser, bien que le résultat tombe un peu à l'eau à mesure qu'Astor révèle sa vraie personnalité. C'est l'une des raisons pour lesquelles on lui préférera tout de même sa collègue, d'autant qu'à force de vouloir la consoler, Ann Harding se lance dans des envolées lyriques se voulant réconfortantes mais qui passent de plus en plus mal face à la force rêche d'Astor, d'autant que cette alternance entre des passages très naturels et des répliques beaucoup plus théâtrales n'est pas des plus heureuses dans une adaptation cinématographique, à l'image de son vibrato sur des phrases tout à fait quelconques telles "Ooooooh! Let me do it for you! Leeeeet me do something for you once!" D'ailleurs, Harding joue de la même façon lors d'un conflit avec son père, qui lui reproche de ne pas paraître à la fête publique au rez-de-chaussée, mais cette fois-ci, ses envolées théâtrales sont atténuées par son regard défiant qui souligne la véritable force de l'héroïne. En fait, la théâtralisation passe évidemment beaucoup mieux quand Linda se met en scène et tente de dérider l'atmosphère: "I think he is a verrrrry good number". Finalement, si ces fameuses envolées tranchent quelque peu parmi le reste du casting, on retiendra avant tout une performance d'actrice excessivement charmante, avec toujours un brin d'humour même quand Linda est déçue (voir la scène où son frère Ned lui dit qu'il a compris ses sentiments, à quoi elle répond: "Give me some water."), et sa présence d'esprit reste constamment rafraîchissante.
Jeanette MacDonald dans Monte Carlo: Une fois n'est pas coutume, Lubitsch a été bien peu inspiré pour ce film, que ce soit à cause de certaines scènes qui rappellent trop The Love Parade sans pour autant prétendre à son brillant, ou à cause d'un casting de seconds rôles peu judicieux, en particulier ZaSu Pitts, l'actrice la moins drôle de l'univers qu'on s'est à nouveau obstiné à caser dans une comédie, et Jack Buchanan, qui réussit l'exploit de me faire regretter Maurice Chevalier, c'est dire. Par ailleurs, si le film se propose d'exploiter à nouveau les talents musicaux de Jeanette MacDonald, force est de reconnaître qu'aucune chanson n'est assez mémorable, Beyond the Blue Horizon compris, pour la faire briller dans ce registre, à part éventuellement Always in All Ways. Néanmoins, malgré toutes les embûches mises sur sa route, super Jeanette arrive largement à tirer son épingle du jeu, et si elle mérite absolument d'être citée ici, voire d'être à deux doigts de finir dans le top 5, c'est aussi parce qu'elle tire à elle seule le film vers le haut. Il faut dire que contrairement à tous ses partenaires, lorsqu'elle décide d'être drôle, elle est... hilarante! Vraiment. Rien que l'introduction qui la voit fuir une cérémonie en robe de mariée pour se jeter dans un train est à mourir de rire, et chaque tic comique de l'actrice, savamment dispensés ça et là, souligne qu'elle sait parfaitement ce qu'elle fait, à l'image de sa façon atrocement mignonne de s'enthousiasmer pour un séjour à Monte Carlo, lever de doigt et large sourire à l'appui. Et tout ça n'est qu'un avant-goût de ce qu'elle réserve par la suite, le sommet de sa performance restant cette séquence ahurissante où on lui masse le cuir chevelu, et où elle n'est jamais loin de friser l'orgasme, avant de s'ébouriffer de dépit à la moindre contrariété. En définitive, elle est la seule du casting à ne pas se prendre au sérieux, de quoi décupler mon estime pour sa performance. La seule chose qui me retient de la nommer, outre la petite concurrence en face, c'est que je la sélectionne déjà trois fois pour des Lubitsch dans un court laps de temps, et celui-ci étant leur collaboration la moins étincelante, je préfère finalement faire l'impasse dessus, quand bien même l'actrice s'en donne à cœur joie et a peut-être davantage de choses à faire par elle-même que dans les autres.
Ita Rina dans Tonka Šibenice: Comme je le disais dans un article récent, Tonka Šibenice est un film décevant dans sa seconde partie, puisque après un premier acte faisant la part belle à la personnalité et aux désirs de l'héroïne, on passe à une suite sans fin de drames en tous genres dans laquelle Tonka devient de plus en plus passive, sans jamais se rebeller contre ce qui lui arrive, ce qui n'est même pas particulièrement logique par rapport à sa forte volonté révélée au départ. Ceci dit, ça n'empêche pas la performance d'actrice de s'élever au-dessus d'un scénario misérabiliste franchement daté, et l'on félicitera Ita Rina de savoir rester fidèle à la psychologie de son personnage, alors même que le texte l'incite à d'impardonnables infidélités. Ainsi, elle est autant crédible en hétaïre un peu sûre d'elle qu'en clocharde laminée, sa grande force étant qu'elle parvient à connecter ces deux parties sans qu'on doute jamais qu'il s'agit du même personnage, l'hétaïre étant rongée par le doute sous sa façade légèrement arrogante envers ses consœurs, et la clocharde faisant toujours preuve d'une certaine intensité même si le scénario s'ingénie à la rendre totalement passive. Tout du moins sa disgrâce est-elle rendue cohérente, et l'on rendra grâce à l'actrice de se garder d'être trop expressive comme d'autres actrices du muet auraient pu l'être dans un tel rôle, au point qu'elle touche beaucoup plus facilement qu'avec un déploiement d'effets, malgré son maquillage final qui sert bien le rôle, de toute façon. Elle est en tout cas très charismatique de bout en bout, de telle sorte qu'elle s'impose bel et bien comme la lumière du film. Malgré tout, il m'est difficile de lui faire passer le cap des nominations, la faute à cette deuxième partie vraiment peu intéressante dans le parcours du personnage, à présent trop passif malgré son regard perçant. En outre, la dame vient de perdre un précieux capital sympathie depuis qu'il s'avère qu'elle s'est d'abord fait connaître par un concours de beauté: ça c'est vraiment gênant. Heureusement que son charisme et son talent non feint rattrapent le coup et justifient sa brève mais très intéressante carrière au cinéma.
Norma Shearer dans The Divorcee: En parlant de divorcées, j'ai davantage de goût pour sa Mary Haines de The Women, mais impossible de nier que Jerry Martin reste l'un de ses plus grands rôles, d'autant que c'est arrivé à une bonne époque pour l'actrice qui désirait changer son image qu'elle jugeait alors trop "saine". Pourtant, tout le monde lui a déconseillé de jouer ce personnage, et Irving Thalberg lui-même pensait qu'elle n'avait pas la personnalité requise pour jouer une divorcée, thème sulfureux pour l'époque. Il a donc fallu une séance de photos osées pour que Norma parvienne à convaincre la MGM de lui laisser le rôle, ou tout du moins de l'arracher des mains de cette satanée Joan Crawford, et bien lui en a pris, car l'héroïne lui va comme un gant. En effet, Norma brille de mille feux dans l'aspect léger du film, faisant un sort à une série de répliques coquines parfaitement savoureuses ("I can't scream!"), et n'hésitant pas à flirter avec la gent masculine une fois sa liberté retrouvée, avec en prime un délicieux sourire lors de la fête du nouvel an. On notera aussi qu'elle est très à l'aise en socialite épanouie, ce qu'on avait déjà pu voir auparavant dans Their Own Desire, de quoi ajouter au charme de cette performance. Néanmoins, si la partie comédie révèle une véritable fraîcheur dans son jeu d'actrice, la partie plus sérieuse a malheureusement tendance à souligner quelque peu les limites de son interprétation, Norma partant parfois dans des envolées lyriques un peu mièvres, notamment lorsqu'elle tente de retenir Chester Morris, et ne nous épargnant pas certains gestes ampoulés un peu maladroits. Mais même dans ces moments-là, elle garde malgré tout une classe folle, surtout lors de ses retrouvailles avec Dot où l'on apprécie sincèrement la noblesse de l'héroïne, et avouons que les défauts de cette performance s'effacent très rapidement au profit de ses qualités, puisque ce sont principalement les passages enjoués qui retiennent l'attention. De toute façon, malgré les réserves énoncées, on tient là une délicieuse composition typiquement pré-Code, et lorsque les critiques professionnels définissent Norma Shearer comme "the first American film actress to make it chic and acceptable to be single and not a virgin on screen", ce n'est que trop vrai, et ce rôle rend tout à fait justice à une telle description.
Mes finalistes
Morocco
Malgré les images absolument mythiques de Marlene en costume embrassant l'une des clientes du cabaret sur la bouche, la performance en tant que telle reste éminemment contentieuse, puisqu'on a d'un côté les admirateurs éblouis par le fascinant charisme de la dame, et de l'autre ceux pour qui l'actrice ne joue pas vraiment, et se contente d'être très joliment filmée par Sternberg. Sans aucune surprise, je fais partie des premiers, mais j'entends tout à fait les arguments des détracteurs: oui, il est clair que Marlene a essentiellement suivi les ordres de son mentor sans afficher une palette expressive très étendue, et concrètement, elle ne joue qu'avec deux expressions, très justement exécutées ceci dit, via ses regards désabusés un peu déprimés et ses sourires légèrement ironiques. Cependant, nous parlons bien de Marlene Dietrich, la femme la plus charismatique de l'univers et l'une des mes idoles absolues, que je vénère depuis l'enfance, ce qui me rend totalement partial. Alors, peu importe qu'il y ait en fait peu de choses à dire sur l'interprétation en tant que telle, que Marlene récite toutes ses répliques d'une même voix (mais elle ne parlait pas encore anglais à l'époque), ou qu'elle n'approfondisse pas vraiment le personnage: la fascination est bel et bien là, son degré de photogénie inouï lui permet de voler la vedette à Gary Cooper et même Adolphe Menjou, qui donne pourtant la performance du film, et force est de reconnaître que Marlene sait comment regarder ses partenaires avec intensité même en ne faisant rien, chose que Sternberg a parfaitement su capter. Et bien que la performance soit uniquement due à la direction d'acteurs, le fait que Marlene ait parfois à ajouter des sourires en coin au gré des besoins de l'histoire donne une impression d'aération et de nuance qui rend le personnage d'autant plus intéressant, entre force et vulnérabilité. Et puis, avouons-le, dirigée ou pas, c'est quand même Marlene qui crève l'écran par sa seule personnalité, et l'éblouissement de la séquence du cabaret est bien à mettre à son crédit: en effet, c'est l'actrice en personne qui a suggéré de jouer sur sa bisexualité en ajoutant un baiser lesbien, et c'est encore elle qui a pris soin de charmer l'assistance avec une fleur pour empêcher que la scène ne soit coupée par la censure par un savant jeu de continuité. En somme, voilà autant d'aspects qui font de ce film excitant l'un des meilleurs de l'année, et la contribution de Marlene n'est certainement pas à nier.
City Girl
J'ai toujours considéré City Girl comme un chef-d'oeuvre, certes pas au point de surpasser Sunrise ou Nosferatu, mais chef-d'oeuvre quand même, ce qui confirme par ailleurs mon goût pour les histoires rurales, après ma déclaration d'amour ardente à The Stranger's Return. Quoi qu'il en soit, Mary Duncan rend parfaitement justice à l'excellence du film et, autant j'ai pu la trouver un peu fade auparavant, autant City Girl apparaît clairement comme le rôle de sa vie. En effet, elle éblouit dès son entrée en scène au restaurant, en se moquant de Charles Farrell qui récite ses grâces, surpassant au passage sa collègue qui préfère surjouer en écarquillant les yeux, alors que Mary reste parfaitement subtile et naturelle. La rencontre entre les deux héros permet encore à l'actrice de faire des étincelles, puisqu'elle se montre à la fois entreprenante et séduisante, quoiqu'un peu rude, contrastant joliment avec la personnalité réservée de Farrell, et l'on admirera surtout sa façon de dissimuler ses véritables émotions, surtout lorsqu'elle fait bien sentir qu'elle est contente de ses échanges avec son nouveau client, bien qu'elle tente de le masquer pour ne pas perdre la face devant les habitués plus cyniques du fast-food. D'ailleurs, c'est seulement après être rentrée chez elle qu'elle dévoile ses réelles intentions, en se révélant particulièrement touchante dans son désir d'évasion depuis sa chambre glauque. Autrement, tout ce qui est amené dans la première partie est parfaitement restitué par la suite: l'émotion est toujours là dès que les regards ne sont pas braqués sur elle (sa façon poignante de regarder la mère et le fils s'embrasser), elle crée toujours très facilement une bonne alchimie avec les autres personnages (son charme quand elle donne la cage à oiseaux à Anne Shirley), et force est de constater que même en arrière plan, notamment lors des disputes père-fils, sa présence reste incontestable. Mais en définitive, c'est surtout son répondant face aux hommes qui marque le plus les esprits, qu'il s'agisse pour elle de relâcher l'étreinte de son agresseur, de provoquer son mari faible ou d'impressionner par son expressivité flamboyante face à son beau-père qui la rejette. En somme, un très beau rôle pour une bien belle histoire, et une exquise performance silencieuse au crépuscule du muet.
3. Nancy Carroll dans
The Devil's Holiday
Comme je le disais tout à l'heure, Nancy Carroll est l'une de ces actrices absolument incontournables de 1930, et malgré son excellence dans le fabuleux Laughter et son naturel désarmant dans le léger, mais creux, Follow Thru, c'est finalement pour son contre-emploi dramatique dans The Devil's Holiday que je la nomme, d'une part parce que le rôle lui permet de sortir de l'ordinaire, et d'autre part parce que le contraste entre sa frêle silhouette et son gigantesque charisme y est particulièrement saisissant. On admirera donc sa façon de crever l'écran à chaque seconde en ne laissant jamais retomber la pression, au point de se hisser au-dessus du matériel de départ, et de tirer l'ensemble du film vers le haut alors que ni le scénario improbable, ni la mise en scène peu inspirée de Goulding, ni le reste d'un casting franchement mauvais, lui sont d'une quelconque aide en la matière. Je garde ainsi un bon souvenir du film pour la seule performance d'actrice, de quoi lui faire gagner bien des points. Dans le détail, force est de reconnaître que Nancy Carroll est en fait loin d'être subtile, mais sa théâtralisation à outrance est malgré tout nettement plus naturelle que les désastreuses approches mélodramatiques de Phillips Holmes et Hobart Bosworth, d'autant que l'actrice sait ne pas franchir la limite avec le sur-jeu, en nuançant sa performance dans les moments les plus graves, dont une grande scène de confessions tout en retenue. En définitive, le seul reproche qu'on peut lui faire, c'est de ne pouvoir empêcher une scène mal écrite de sombrer dans le grotesque, en l'occurrence lorsqu'elle se félicite de laisser son amant entre la vie et la mort pour la modique somme de 50.000 $, avant de revenir lui déclamer son amour quand le pauvre chou fait une rechute sur un tapis quelques mois plus tard: l'actrice reste pourtant énergique à souhait, mais on perd la logique du personnage à cause de ces répliques impossibles à jouer: "Non! David! Je réalise à quel point je t'aime!" Malgré ce petit défaut, l'héroïne reste très dynamique, ambiguë car peu scrupuleuse quoique amoureuse, et Nancy Carroll lui rend parfaitement justice en en remontrant à tous ses partenaires. Ainsi, elle a beau être techniquement meilleure dans Laughter, la nomination pour The Devil n'en est pas moins entièrement justifiée.
2. Norma Shearer dans
Let Us Be Gay
Ce sera donc mon seul changement par rapport à ma liste originelle, mais on reste tout de même en terrain connu puisque je remplace l'actrice par elle-même, dans un rôle délibérément comique qui lui sied mieux que sa flamboyante divorcée aux expressions dramatiques pas toujours très bien maîtrisées. Surprise: sa Kitty Brown est également une divorcée, mais cette performance est d'une plus grande fraîcheur pour deux raisons, d'une part parce qu'on nous épargne ici une seconde intrigue tragique pour n'user que du registre de la comédie de reconquête maritale, et d'autre part parce que l'actrice doit esquisser une évolution entre l'épouse atrocement commune qui finit par lasser son mari à force de dévotion, et la flamboyante mondaine devenue coquette et apte à tourner la tête aux célibataires les plus endurcis. La clef de la réussite, c'est évidemment de suggérer que la ménagère naïve habillée comme un sac et coiffée comme un balais à brosse, puis la divorcée ravissante qui papillonne en société sont bel et bien la même femme, or Norma s'en tire avec tous les honneurs, justement parce que la performance est très bien dosée. Ainsi, l'épouse terne a beau se laisser berner par son mari, elle n'est jamais dupe trop longtemps et Norma souligne bien que cette femme a une personnalité et une perspicacité refoulées qui ne demandent qu'à sortir, le tout sans jamais se reposer sur les accoutrements grossiers qui indiquent trop lourdement le manque de confiance en soi de l'héroïne. De l'autre côté, la mondaine chic et très drôle a gardé en elle une sorte de bonté et d'honnêteté qui nous font bien dire qu'elle est la même personne qu'au début du récit, son évolution étant rendue totalement logique par le jeu d'actrice. Et sincèrement, Norma est absolument délicieuse avec son aisance inégalable dans le registre mondain, sans compter que sa repartie fait mouche à plus d'une reprise, et que ses sourires coquins lui donnent un charme ravageur qui séduit en toute simplicité. Norma se surpassera l'année suivante dans le registre purement comique, mais ce qu'elle montre ici est une réelle réussite dont le pouvoir de divertissement reste très grand.
Donner une seconde chance aux films a toujours du bon, car à l'instar de Casablanca, It Happened One Night et The Philadelphia Story, autres chefs-d'oeuvre universellement adorés qui viennent de faire une remontée considérable dans mon estime, Ladies of Leisure a gagné de très nombreux points la seconde fois, en partie grâce à la mise en scène inspirée de Frank Capra, et principalement grâce à la phénoménale performance de Barbara Stanwyck dans son premier grand rôle. Il faut dire qu'elle crève l'écran dès son apparition un brin gouailleuse ("Yep, do you have a cigarette?") et impose d'emblée un personnage doté d'une forte personnalité, qui rechigne par exemple lors des séances de pose pour l'artiste, et répond de façon ironique aux gens de la haute société ("Take a good look, it's free", dit-elle à l'homme qui la dévisage). Elle est encore très drôle lorsqu'elle se moque des manières du peintre, mais on admirera surtout sa façon de ne jamais reculer devant les aspects les plus antipathiques de Kay, qui conserve longtemps une certaine vulgarité en parlant d'argent. Par ailleurs, toujours excellente, l'actrice n'oublie pas d'esquisser l'évolution du personnage avec une grande cohérence puisqu'elle passe d'abord par une certaine dose d'exaspération lorsqu'elle s'aperçoit que Ralph Graves ne l'appelle toujours pas par son prénom malgré leur nombreuses séances, avant d'éblouir de façon extrêmement impressionnante lors de la nuit qu'elle passe à l'atelier: elle fait monter les larmes en réalisant que l'artiste tient vraiment à elle, mais elle ne les lui montre pas, quitte à redevenir un peu gouailleuse face à lui, afin de mieux pleurer une fois seule, en mordant la couverture avec un sourire déchirant qui en dit long sur le passé de l'héroïne. Une autre séquence très marquante, c'est aussi la confrontation avec la mère de son hôte, à qui Barbara tient parfaitement tête tout en restant très polie, de quoi conduire à une fin absolument pas mélodramatique malgré la tonalité du film dans sa conclusion. On évite alors tout pathos, les larmes sont savamment dosées, et l'on est finalement bien en peine de trouver le moindre défaut à cette performance. Bon, peut-être un "I wish I was dead" un peu exagéré, comme les aimait l'époque, ou un petit cri de diva lorsque l'héroïne se fait arracher ses faux cils, mais ce ne sont là que d'infimes détails qui n'ont aucun poids devant le degré d'excellence de cette brillante composition.
Barbara Stanwyck, si fière de son Orfeoscar de la meilleure actrice.
En définitive, on reste sur ma liste américaine, mais je n'ai décidément pas trouvé mieux dans l'immédiat. Après tout, si Marlene Dietrich parvient à se maintenir dans le top 5 même après 90 films visionnés, c'est qu'il y a bel et bien quelque chose d'addictif dans sa performance, alors autant arrêter de me justifier en permanence et embrasser pleinement son premier grand rôle américain. De toute façon par qui la remplacer? Garbo ne fut pas à son meilleur en 1930, la théâtralité d'Ann Harding paraît davantage datée, Jeanette MacDonald est dans un film raté tandis qu'Ita Rina est en partie embarrassée par son scénario. A l'inverse, Barbara Stanwyck donne la meilleure performance dramatique de l'année et ne saurait être recalée, Norma Shearer donne la meilleure interprétation comique et doit rester elle aussi, Mary Duncan bénéficie d'un grand rôle qui lui permettra d'être sélectionnée au moins une fois, et Marlene Dietrich et Nancy Carroll rivalisent de charisme dans plusieurs projets prestigieux. Ma liste a beau ne pas changer, j'en suis donc amplement satisfait. La seule chose qui manque, finalement, c'est une présence un peu plus internationale. On pourrait bien tricher et dire que pour trois actrices américaines, j'ai quand même une Canadienne et une Allemande, mais ça ne compte évidemment pas, ces cinq performances étant 100% hollywoodiennes. Tant pis. Mais tout de même, 1930 reste un moment particulier de transition au parlant, aussi est-il difficile de s'enthousiasmer pour autant d'interprétations que d'autres années. L'important, c'est de savoir que Barbara Stanwyck reste confortablement en tête pour le moment.
Autres performances dignes d'intérêt: Evelyn Brent dans Framed et The Silver Horde, parce qu'elle y est très bien distribuée, extrêmement charismatique, et que sa dureté ne semble jamais forcée, d'où une transition au parlant très réussie. Joan Crawford dans Our Blushing Brides, parce que même si ça sent un peu le réchauffé après Our Dancing Daughters, et même si la star est un peu trop occupée à montrer qu'elle joue, il est toujours bon de se rappeler qu'elle était déjà très bonne actrice dès le départ. Marie Dressler dans Min and Bill, parce qu'elle a beau en faire des tonnes et des tonnes, ce dernier regard tire vraiment sa performance vers le haut. Greta Garbo dans Anna Christie, toutes versions confondues, pour son entrée en scène fracassante dans le monde du parlant, bien qu'elle ne soit pas entièrement faite pour le rôle. Miriam Hopkins dans Fast and Loose, pour son charisme et son dynamisme qui laissent présager de très bonnes choses par la suite. Enfin, si je suis généreux, on pourra également lister Constance Bennett dans Sin Takes a Holiday, puisqu'elle ne se laisse pas marcher sur les pieds malgré un personnage un peu trop sérieux; Claudette Colbert dans Young Man of Manhattan, qui préfigure elle aussi de bonnes choses à l'avenir; Lilian Harvey dans Die Drei von der Tankstelle, pour sa légèreté qui sert bien le propos; et Mary Nolan dans Outside the Law, où elle fait plutôt honneur à ce rôle dur, sans pour autant effacer le souvenir de la version précédente. A part elles, c'est tout pour le moment. Aucun des autres films sus-cités ne contient de performances assez marquantes pour mériter qu'on les évoque ici, et je n'ai pas envie de passer trois mois à déterminer qui est plutôt mauvaise et qui est simplement peu intéressante. Contentons-nous dès lors de parler du meilleur de l'année.
Envie de découvrir: The Florodora Girl et Not So Dumb (États-Unis), parce qu'il y a Marion Davies dedans, donc forcément; Manslaughter (États-Unis), parce que Fredric March et Claudette Colbert dans le même film; A Notorious Affair (États-Unis), pour Basil; Paid (États-Unis), pour Joan; Raffles (États-Unis), parce que tout le monde m'en parle; The Royal Family of Broadway (États-Unis), avant tout pour Fredric March, mais aussi parce que les rôles féminins y ont plutôt bonne presse; Skandal um Eva (Allemagne), pour voir ce que Pabst a fait d'Henny Porten; et Tarakanova (France), parce que les costumes me font d'ores et déjà rêver, et que ce synopsis ultra romanesque me captive au plus haut point!
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