Film suédois de Victor Sjöström sorti le 20 janvier 1920, sous le titre original de Klostret i Sendomir. D'après Das Kloster bei Sendomir de Franz Grillparzer (1828).
L'histoire: Pologne, XVIIe siècle. En route pour Varsovie, d'élégants voyageurs font halte au monastère de Sandomir. Intrigués par l'atmosphère des lieux, ils demandent à un moine de leur conter l'histoire du cloître. L'occasion d'un long retour en arrière sur la vie des derniers propriétaires des bâtiments, une famille comtale qui avait au départ tout pour être heureuse...
Commençons simplement en avouant qu'à mon goût, c'est déjà un synopsis très alléchant sur le papier, et si l'on y ajoute la dimension de film en costumes, qui plus est supervisé par le grand Victor Sjöström (Körkarlen, He Who Gets Slapped, The Wind), autant dire que j'avais effectivement très envie de tenter l'expérience, ce qu'a ensuite confirmé la séquence d'introduction fascinante de l'arrivée des voyageurs dans les lieux monacaux. Pourtant, malgré son titre édifiant, Le Monastère de Sandomir est en fait un soap opera de base, avec tout ce qu'il faut de maris jaloux, d'épouses mises à l'épreuve, de servants fidèles et d'enfants égarés au cœur de la crise, de telle sorte que si l'histoire se suit sans déplaisir, ça accuse tout de même son temps. A vrai dire, le texte a lui-même cent ans de plus que le film, ce qui tendrait à expliquer les réactions disproportionnées et tout à fait désuètes des personnages, sans parler des accents fortement misogynes du propos. Le fil conducteur est néanmoins captivant et ce qui intéresse de prime abord, c'est de voir comment, par sa mise en scène inspirée, Victor Sjöström parvient à se détacher de l'esprit très premier degré (supposition?) de la nouvelle d'origine, afin de suggérer une autre lecture en filigrane.
Le film doit ainsi les trois quarts de son succès à sa mise en scène parfaite. A ce propos, la première chose qui frappe, c'est la façon d'encadrer les moments importants d'une ogive: la séquence d'ouverture, exclusivement filmée de la sorte, invite ainsi le spectateur à entrer immédiatement dans l'intrigue, comme s'il observait la scène depuis une pièce contiguë dont il n'oserait franchir la limite. Et dès lors que s'amorce l'histoire dans l'histoire, l'arrivée de la comtesse, dont le carrosse parvient dans la cour en passant également sous une ogive, est quant à elle la seule des séquences du récit principal à être encadrée d'un tel arc. Or, le choix de montrer, furtivement, que cette entrée est observée en coin par le valet du comte, n'est certainement pas anodin et souligne précisément le caractère particulier de la scène. En fait, une telle disposition nous place directement dans le rôle inconfortable du valet qui sait tout et qui, on le verra plus tard, guette tous les faits et gestes des dames depuis des fenêtres, des recoins sombres, ou depuis le bas d'escaliers débouchant eux-mêmes sur une porte en ogive, derrière laquelle conversent la comtesse et sa servante. Ainsi, le cadre a beau s'élargir au fur et à mesure de l'intrigue, le motif de l'arc reste présent dans les formes géométriques du château, de quoi faire écho au voyeurisme du valet et de son maître, le comte se mettant lui-même à épier les faits et gestes de son épouse depuis son balcon, et allant jusqu'à fouiller dans son coffre à bijoux lorsque celle-ci s'absente un moment.
Peut-on en conclure, alors, que le motif de l'ogive renforce l'idée que la comtesse est prise au piège d'une emprise patriarcale dès le départ? Certes, elle est infidèle, voire un peu manipulatrice sur les bords, le texte le veut ainsi, mais en décidant d’égrainer ces figures géométriques à l'envi, Sjöström ne renverserait-il pas ainsi la vision qu'on a des événements? Le scénario présente effectivement des faits qui ne sont jamais questionnés dans le dialogue (comme dans bien des films de l'époque, le mari devient fou à cause d'une méchante femme, point barre), mais la réussite de la mise en scène ne viendrait-elle pas justement de l'éclairage nouveau que donne l'image sur ces mêmes faits? Peut-être n'est-ce qu'une interprétation erronée de ma part, mais la maîtrise est si évidente qu'il est permis de se poser la question, sans compter qu'une réplique très furtive indique que la comtesse a été mariée contre son gré, comme il était d'usage à l'époque: la mise en scène ne présenterait-elle pas, alors, une vision désespérée, et finalement sympathique, d'une femme épiée de toutes parts et à laquelle on ne laisse jamais le droit à l'erreur? Personnellement, je reste sur l'idée que la sympathie se déverse davantage sur l'épouse au fur et à mesure de l'intrigue, au détriment d'un comte qui révélera une facette qu'on n'aurait pas soupçonnée chez lui de prime abord, et je mets justement ce renversement des perspectives sur le compte du réalisateur, alors que j'imagine parfaitement le texte se contenter de justifier les actes de l'époux par le prisme de la pécheresse, quand bien même ses actions à lui finissent par être condamnées dans une certaine mesure. Peut-être extrapolé-je quelque peu, ceci dit, bien qu'il soit de bon ton de s'interroger: l'image est trop bien travaillée pour qu'on puisse constamment prendre le texte au premier degré. Il faudrait vraiment lire la nouvelle pour vérifier quelle est la perspective originelle.
Par ailleurs, outre le fameux motif de l'ogive décliné sous toutes ses formes, Sjöström fait un bon usage des décors, au point qu'on appréciera tout particulièrement la tour du château, dont les créneaux ne sont pas sans évoquer ceux du véritable hôtel de ville de Sandomir, tout en donnant une certaine force gothique à l'ensemble, surtout dans les séquences de nuit lorsque interviennent des jeux de lanternes renforçant cette atmosphère corrompue de suspicion. Quant aux séquences dans le temps présent, entre le moine-narrateur et les gentilshommes de passage, les ogives sont toutes surmontées d'une croix, ce qui est certes logique pour un monastère, mais celles-ci sont si blanches et si centrales dans chaque plan qu'il est impossible de nier leur pouvoir cathartique sur un bâtiment jadis empoisonné par des passions viciées. Quoi qu'il en soit, toutes ces images sont absolument marquantes et donnent constamment envie d'en savoir plus, quand bien même l'histoire en tant que telle ne présente pas un très grand intérêt.
Peut-on en conclure, alors, que le motif de l'ogive renforce l'idée que la comtesse est prise au piège d'une emprise patriarcale dès le départ? Certes, elle est infidèle, voire un peu manipulatrice sur les bords, le texte le veut ainsi, mais en décidant d’égrainer ces figures géométriques à l'envi, Sjöström ne renverserait-il pas ainsi la vision qu'on a des événements? Le scénario présente effectivement des faits qui ne sont jamais questionnés dans le dialogue (comme dans bien des films de l'époque, le mari devient fou à cause d'une méchante femme, point barre), mais la réussite de la mise en scène ne viendrait-elle pas justement de l'éclairage nouveau que donne l'image sur ces mêmes faits? Peut-être n'est-ce qu'une interprétation erronée de ma part, mais la maîtrise est si évidente qu'il est permis de se poser la question, sans compter qu'une réplique très furtive indique que la comtesse a été mariée contre son gré, comme il était d'usage à l'époque: la mise en scène ne présenterait-elle pas, alors, une vision désespérée, et finalement sympathique, d'une femme épiée de toutes parts et à laquelle on ne laisse jamais le droit à l'erreur? Personnellement, je reste sur l'idée que la sympathie se déverse davantage sur l'épouse au fur et à mesure de l'intrigue, au détriment d'un comte qui révélera une facette qu'on n'aurait pas soupçonnée chez lui de prime abord, et je mets justement ce renversement des perspectives sur le compte du réalisateur, alors que j'imagine parfaitement le texte se contenter de justifier les actes de l'époux par le prisme de la pécheresse, quand bien même ses actions à lui finissent par être condamnées dans une certaine mesure. Peut-être extrapolé-je quelque peu, ceci dit, bien qu'il soit de bon ton de s'interroger: l'image est trop bien travaillée pour qu'on puisse constamment prendre le texte au premier degré. Il faudrait vraiment lire la nouvelle pour vérifier quelle est la perspective originelle.
Par ailleurs, outre le fameux motif de l'ogive décliné sous toutes ses formes, Sjöström fait un bon usage des décors, au point qu'on appréciera tout particulièrement la tour du château, dont les créneaux ne sont pas sans évoquer ceux du véritable hôtel de ville de Sandomir, tout en donnant une certaine force gothique à l'ensemble, surtout dans les séquences de nuit lorsque interviennent des jeux de lanternes renforçant cette atmosphère corrompue de suspicion. Quant aux séquences dans le temps présent, entre le moine-narrateur et les gentilshommes de passage, les ogives sont toutes surmontées d'une croix, ce qui est certes logique pour un monastère, mais celles-ci sont si blanches et si centrales dans chaque plan qu'il est impossible de nier leur pouvoir cathartique sur un bâtiment jadis empoisonné par des passions viciées. Quoi qu'il en soit, toutes ces images sont absolument marquantes et donnent constamment envie d'en savoir plus, quand bien même l'histoire en tant que telle ne présente pas un très grand intérêt.
En définitive, le seul bémol, c'est qu'on ne peut pas dire grand chose de l'interprétation. C'est très correct, mais aucune performance n'est appelée à marquer les esprits. C'est donc bel et bien la mise en scène captivante qui fait le film, de telle sorte que j'aimerais monter à 8 dans l'absolu, sauf que l'histoire me refroidit quelque peu. 7/10 me semble dès lors plus approprié.
Ah, un film de Sjöström que je ne connais pas. Je note. D'autant plus si la réalisation est bonne, ce qui ne m'étonne pas vu le talent du "Maître"...
RépondreSupprimerPersonnellement, je n'en avais jamais entendu parler avant de tomber dessus par le plus grand des hasards, en épluchant la filmographie de Sjöström. Ce n'est pas son chef-d'oeuvre, mais ça reste sans surprise très bien mis en scène.
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