Parmi les incontournables de 1939, le Goodbye, Mr. Chips de Sam Wood figure en bonne place. C'est une production de prestige de la MGM, adaptée d'un best-seller de James Hilton et interprétée par Robert Donat, tout auréolé des succès des 39 Marches et de La Citadelle. C'est également le premier film de Greer Garson, en contrat avec le studio depuis plus d'un an, mais qui s'était jusqu'alors soigneusement préservée en attendant d'être distribuée dans un grand rôle. Ajoutée à une atmosphère britannique bien réelle, l’œuvre ayant été tournée en Angleterre, la présence de l'actrice ne manque pas d'annoncer les futurs grands succès de temps de guerre, de Pride and Prejudice à Random Harvest, en passant par Mrs. Miniver. Ceci dit, autant j'ai de la sympathie pour cette série de films, autant Mr. Chips me laisse de marbre. Explications...
La vérité, c'est que je suis incapable de m'intéresser à Mr. Chips en personne, à n'en point douter l'un des héros les plus ternes de l'histoire du cinéma. Il ne fait d'ailleurs rien de sa vie à part enseigner, d'abord de façon froide sans parvenir à captiver son audience, puis de façon attachante après avoir été transfiguré par l'amour. En soi, la métamorphose est intéressante, mais Robert Donat force malheureusement le trait jusqu'à la caricature: dès l'introduction dans le temps présent, son Mr. Chips est un vieillard bouffon et ridicule, parlant comme en état d'ivresse au lieu d'user d'une voix simplement âgée, et tout ceci passe très mal à l'écran près de quatre-vingts ans plus tard. Lors des réminiscences, il nous offre ensuite un héros jeune sans aucune personnalité, ce que demande le personnage mais l'acteur aurait pu y apporter quelques nuances, avant de vieillir avec une rapidité déconcertante, au point que lorsque les quinquagénaires aigries l'appellent "jeune homme" dans l'auberge tyrolienne, il est impossible de prendre cette réflexion au sérieux. Certes, le maquillage ridicule dès l'entrée dans la maturité n'aide pas à rendre la composition plus avenante, mais tout de même, le héros est tellement inexpressif avant sa rencontre amoureuse qu'il est difficile de s'intéresser à lui dans cette première demi-heure. Et après la séquence romantique autrichienne, Mr. Chips a beau devenir plus sympathique avec ses élèves, on en revient hélas au vieillard grotesque de l'introduction constamment caricaturé. Le film n'est pourtant pas mal construit autour de ces vieillissements successifs, à mesure que les enfants grandissent et qu'on passe aux nouvelles générations selon la ritournelle de l'appel du matin, mais impossible de se passionner pour tout ça avec un héros aussi fade et une composition aussi accentuée. L'arrivée des drames dans le troisième acte, la mort et la guerre, offre tout de même quelques séquences touchantes, mais ça ne suffit pas à captiver.
Reste donc la superbe demi-heure danubienne, où le film se transforme subitement en une comédie romantique des plus ravissantes, et où tout devient tout à coup lumineux dès que Greer Garson entre en scène pour éclairer l'histoire de son charisme et de son charme fou. On comprend d'ailleurs tout de suite pourquoi l'actrice est instantanément devenue la plus grande star américaine des années de guerre, tant sa personnalité attachante, ses manières raffinées mais non dénuées d'humour et son accent délicieux parviennent à mettre du baume au cœur. Or, toutes ces qualités sont au service d'un récit devenu subitement savoureux, avec rencontre improbable au sommet d'une montagne, dialogues entre hommes et femmes sur des balcons adjacents, échos amusants sur la couleur du Danube associée à l'amour, valses viennoises de contes de fées et embrassades hardies à la gare. Vraiment, ces merveilles autrichiennes sont divines et l'on se prend absolument au jeu romantique d'un héros plus si pâle que ça et d'une femme volontaire, jeu qui infuse encore le retour en Angleterre, quand la toute nouvelle épouse se met à charmer l'ensemble de l'école en proposant des petits gâteaux à tout le monde autour d'une tasse de thé! Il faudrait un cœur de pierre pour ne pas tomber soi-même amoureux de la chaleureuse Katherine, mais est-ce réellement une grande performance de la part de Greer Garson? Franchement non, car elle n'apporte elle-même aucune nuance à son personnage et passe ainsi une demi-heure à sourire sans interruption. Malgré tout, la comédienne fait vibrer de tant de charisme cette unique note qu'elle réussit à transformer ce rôle simple en véritable star turn, pour notre plus grand plaisir. Dommage que le scénario n'ait pas pensé à lui faire tirer sa révérence devant nous, ce qui aurait pu ajouter une grande scène dramatique bienvenue pour contraster son jeu d'actrice et amorcer d'autant mieux le troisième acte.
Quoi qu'il en soit, on regrette vivement l'absence de Katherine dans les quarante minutes restantes, car sans sa lumière, Mr. Chips redevient à nouveau un personnage insipide, malgré de nouvelles qualités déjà plus inspirantes. Reste heureusement la beauté formelle de l'ensemble pour divertir constamment malgré le jeu trop appuyé de Robert Donat, à commencer par les jolies images de l'école anglaise qui nous plongent dans une atmosphère somme toute agréable, entre les arches et vitraux de la chapelle, les statues imposantes des anciens directeurs, et les scènes de foule dans le gigantesque parloir. Pour leur part, les costumes ne sont pas exceptionnels mais Greer Garson porte un ensemble intrigant lors de sa découverte de l'école, tandis que l'évolution des tenues des élèves à chaque nouvelle génération se suit avec amusement, à voir comment les hauts-de-forme laissent la place aux canotiers au changement de siècle. Par contre, certaines images sont si en avance sur leur temps qu'on frôle souvent l'anachronisme. La partie de baseball que les élèves observent depuis leur salle de classe dans les années 1880 a clairement l'air d'une réunion sportive contemporaine, malgré les charrettes au premier plan pour donner une teinte faussement ancienne à ce genre de séquences.
Finalement, il m'est très facile de noter Goodbye, Mr. Chips: les premier et troisième actes manquant d'énergie tendent vers un correct 6/10 malgré de jolis plans contrastés, tandis que le second acte central nage dans les eaux confortables d'un agréable 7 en raison de la chaleur solaire dégagée par Greer Garson. Le 6 l'emporte donc, mais je regrette tout de même de n'avoir aucune nomination à offrir au film. Certes, la ligne générale m'ennuie au plus haut point, mais le charme visuel de l'ensemble m'aurait donné envie de le citer dans au moins une catégorie. Toute lumineuse soit-elle, la sympathique Greer n'a hélas pas assez de grain à moudre pour prétendre au top 5 chez les seconds rôles. Nous sommes en 1939 après tout...
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