Comme vous le savez, Isabelle Adjani est possiblement mon actrice française favorite, alors à moins que le film ait l'air abominable (les jupes des filles...), chaque nouvel opus devient obligatoire. En outre, j'avais adoré sa performance dans La Journée de la jupe, une interprétation exceptionnelle où elle est extrêmement crédible en professeur dépassée par les événements, sans avoir néanmoins aimé le (télé)film en lui-même. Or, Carole Matthieu s'inscrit dans la même lignée: un film d'abord diffusé en télévision avant de sortir sur grand écran (mais qui ira voir une œuvre en salles quand on peut y avoir accès gratuitement au préalable?), un sujet de société important et d'actualité, et une nouvelle héroïne dépressive confrontée à une situation sans issues. Que penser de tout ça?
Je vous avouerai tout d'abord qu'il m'est impossible de bien juger de cet ensemble, qui ressemble effectivement bien plus à un téléfilm qu'à une œuvre de cinéma, sachant qu'à mes yeux, un 6 attribué au premier a tout de même une valeur moindre qu'un 6 attribué au second. Mais peu importe, Carole Matthieu a, visuellement, davantage sa place à la télévision. On y décèlera cependant quelques plans dignes d'intérêt, en particulier la scène finale chargée en tension, quoique peu originale dans sa conception, mais aussi l'arrivée de la secrétaire à bicyclette, dans un environnement a priori calme mais qui se révélera pourtant très agité. Le film vaut à mon avis surtout pour sa volonté de donner la parole à ceux qui subissent, et que le monde de l'entreprise s'efforce de rendre anonymes au profit... du profit. Je veux bien croire que tout ce qui est montré est réaliste: les centres d'appel y sont présentés comme des usines où les employés sont parqués dans une grande salle commune, tandis que leurs supérieurs les insultent à longueur de temps pour les forcer à vendre le maximum de marchandises dans une journée. Le scénario fait même l'effort d'amorcer un embryon de nuance, en montrant que les supérieurs en question sont eux-mêmes stressés en permanence et soumis à l'obligation d'un rendement de la part de personnes encore plus gradées, tandis que la méchante directrice des ressources humaines incarnée par Corinne Masiero, prête à tout écraser pour son propre avancement, finira par confier avoir été insultée tout au long de sa carrière et avoir par conséquent développé un sentiment de honte à l'égard de ses origines. Malgré tout, il est impossible de sympathiser avec ces personnages, surtout quand les visages défaits des travailleurs provoquent naturellement l'empathie.
Dans tous les cas, on ressent très bien la perte de repères et l'abandon des êtres les plus faibles. Les plus avenants ne parviennent pas à résister et se font dépasser par des nouveaux venus qu'ils avaient jadis aidé et qui se détournent d'eux, au point de ne plus vouloir les regarder en face pour se voiler la face quant à la déchéance de ceux qui tombent. Le cercle vicieux est terrifiant: même Carole, qu'on croirait assez périphérique à cet enfer puisqu'elle est médecin du travail et non employée du centre d'appel, finit par souffrir elle-même de l'indifférence de ses supérieurs à son égard, quand les pontes de Paris font le déplacement pour résoudre les tensions de l'antenne de Tourcoing, et s'interrogent sur la présence de Carole à la table de discussion. Le représentant parisien est notamment infect car ultra méprisant malgré son calme apparent, portrait hélas très réaliste de ces personnalités médiocres et sans imagination qui ne trouvent de sens à leur vie terne qu'en dominant autrui, dont j'ai pour ma part découvert des ersatz dans le milieu universitaire.
En revanche, on reprochera à l'histoire de se transformer en enquête policière. En effet, parmi la vague de suicides qui affectent les salariés, un meurtre est commis. Les motivations de l'assassin sont évidemment nobles, mais je vois mal en quoi celui-ci a pu penser qu'un tel acte allait attirer l'attention des médias sur le sort déplorable des employés. Du coup, tandis que la police cherche mollement un coupable, le reste du monde ne pense qu'à éviter des pertes d'argent dans l'entreprise, mais rien n'avance vraiment. Cette seconde partie me semble donc un peu trop bancale, et j'aurais trouvé plus judicieux de montrer le combat d'une femme pour sauver ses patients du suicide plutôt que de se focaliser sur un acte qui ne sert à rien. Certes, le désespoir et l'absence d'issues sont une clef essentielle de la narration, mais le deuxième acte n'est jamais aussi terrifiant que le premier, malgré le sort plus douloureux de certains personnages.
Pour finir, quid d'Isabelle Adjani? Honnêtement, je ne suis pas plus fan que ça de son interprétation. En effet, lorsque le film commence, Carole est déjà au fond du puits sans aucun espoir de sortie, si bien que suivre un parcours psychologique qui n'évolue pas me semble un peu vain. Si l'histoire avait présenté sa propre désagrégation interne comme un élément perturbateur après une introduction sur un personnage compréhensif mais assez fort, l'actrice aurait sans doute eu plus de grain à moudre, mais Carole est si dépressive dès le départ qu'elle n'a malheureusement pas de nuances à apporter. Après, la ténacité de l'héroïne reste louable, puisqu'elle s'accroche toujours à cet enfer pour donner un sens à sa vie, alors qu'on sait qu'elle pourrait s'établir à son compte et mener grand train, et la comédienne a au moins une grande scène à son actif, lorsqu'elle pleure tout en essayant de dépendre un salarié qui vient de se suicider. La relation à la fille est toutefois assez peu crédible, parce qu'Adjani fait tellement plus jeune que son âge (ou trop botoxée, il y a peu des deux), qu'on a constamment l'impression qu'elle a quarante ans et qu'elle a davantage l'air de la sœur d'une trentenaire. Le propos de la fille est par ailleurs assez didactique, tandis que leur dernier échange a l'air trop évaporé: n'importe qui d'après peu près sensé voyant sa mère partir ainsi, après ce genre de discours qui plus est, l'empêcherait de se déplacer jusqu'à nouvel ordre.
Je ne sais pas trop quoi vous dire de plus: Carole Matthieu est un (télé)film intéressant mais déprimant, avec une seconde partie qui ne mise pas toujours sur les bons enjeux, et une mise en scène tout à fait conventionnelle malgré quelques bonnes idées. Isabelle Adjani livre une performance nettement moins captivante que dans La Journée de la jupe, si bien que je reste un peu sur ma faim. Dans tous les cas, le message est important mais très angoissant, on se sent privilégié lorsqu'on découvre la réalité de la vie de salariés soumis à des supérieurs hiérarchiques.
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