Deux ans avant Thérèse Desqueyroux, Georges Franju tourna son film le plus célèbre: Les Yeux sans visage, à propos d'un chirurgien prêt à tout pour recomposer un visage à sa fille, qu'il a défigurée accidentellement. Le cinéma d'horreur est loin d'être mon genre favori, mais lorsqu'on en arrive à ce point de précision de mise en scène et d'images franchement angoissantes, il n'y a qu'à s'incliner. Je tenterai d'en parler sans faire de révélations capitales, j'espère ne pas faillir.
Alors, la première chose qui frappe, c'est la réussite plastique de l'ensemble. La photographie est l’œuvre d'Eugen Schüfftan, qui travailla sur Metropolis, et dont chaque plan sert parfaitement la tonalité recherchée: les croix du cimetière, la succession de voitures, de nuit, via un plan rapproché sur Alida Valli, d'inquiétants reflets d'arbres sur une carrosserie noire, la contre-plongée sur les marches menant à la chambre la plus secrète du château, l'ombre des doigts sur un visage frais... Tout est vraiment sensationnel, de quoi rendre l'image délibérément effrayante. Le montage est également un véritable triomphe, en particulier lors de la scène la plus insoutenable où, charcutant un visage, le chirurgien et son associée se regardent intensément derrière un masque blanc, masque rappelant bien sûr celui que porte la fille pour masquer ses chairs à nu. Par moment, on se dit que le réalisateur ne va pas oser montrer autant de choses, après tout, on se souvient que le film date de 1960, mais Georges Franju ne nous épargne rien, au prix d'un découpage de chair proprement terrifiant. Par moments, la mise en scène devient un peu plus conventionnelle, surtout à la fin avec des rebondissements décevants et des métaphores convenues, mais le tout reste très solide, à tel point qu'un gros plan sur une paire de ciseaux met incroyablement mal à l'aise. Je sais que certains apprécient la musique de Maurice Jarre, parce qu'elle donne une touche comique à l'ensemble, en accompagnant de petites notes guillerettes les allées et venues nocturnes d'Alida Valli, mais je préfère le thème romantique associé à Christiane, dont l'élégance enfantine renforce le drame qui la touche.
Concernant la jeune fille, dont le masque blanc ajoute au tragique de l'histoire, j'ai parfois un problème avec ses motivations: elle navigue dans une zone ambiguë qui la rend à la fois complice et antagoniste de son père, ce qui la pousse à changer d'avis d'une victime à l'autre. Edith Scob n'est pas mauvaise pour autant, mais il est vrai qu'elle a finalement peu à faire, sachant que l'aspect physique du masque fait la grande majorité de sa performance. Christiane est en vérité un peu fade compte tenu de la situation, et se laisse totalement voler la vedette par ses deux parents (son rapport à Louise n'est pas précisé, mais l'attitude maternelle de celle-ci et quelques bribes de son passé laissent supposer qu'elle pourrait être sa mère, malgré ses échanges peu maritaux avec le médecin). Plus que la fille, on retiendra donc principalement le docteur Génessier, incarné par un Claude Brasseur peu expressif mais d'autant plus implacable, qui éclaire constamment la notion d'angoisse que le spectateur est censé ressentir. Néanmoins, la véritable lumière du film est Alida Valli. Pour être honnête, c'est une actrice qui me touche généralement très peu, ne voyant rien de spécial dans ses interprétations d'Eugénie Grandet et du Troisième Homme, et la trouvant trop grimaçante dans Senso. Mais ici, tout fonctionne à merveille: elle trouve le parfait équilibre entre compassion et dureté, de telle sorte qu'on la craint autant qu'elle émeut, d'où une réussite interprétative incontestable, avec en prime un joli accent qui lui donne un charme encore plus trouble.
Le quatrième personnage qui sort du lot, et dont on se soucie finalement plus que Christiane, c'est la jeune étudiante incarnée par Juliette Mayniel. Toutes les jeunes femmes convoitées par le docteur et sa complice ne connaissent pas nécessairement une fin tragique, je vous laisserai alors découvrir si le sort est favorable ou non à l'helvétique Edna, mais toujours est-il qu'elle est de loin la personnalité la plus fascinante de la distribution après Alida Valli, à commencer par sa force de caractère, le doute qui la saisit progressivement en compagnie de Louise, mais aussi par sa beauté, qui n'est pas sans rappeler celle de sa légendaire collègue italienne une quinzaine d'années plus tôt. A présent, que dire de plus? Rien, si ce n'est que le suspense tient toujours ses promesses et qu'il est impossible de décrocher avant la fin. C'est donc bon signe. Les multiples réussites évoquées font des Yeux sans visage un bon film, qui ne dépassera cependant pas le 7/10 en raison d'une fin abrupte et d'une jeune fille un peu inconsistante malgré le potentiel de départ, mais ça reste un très bon 7, qu'on se le dise. La seule difficulté pour moi, c'est de savoir que faire d'Alida Valli dans ma liste. C'est actuellement sa seule chance de recevoir une nomination, et je tiens à la citer au moins une fois, mais j'ai déjà six actrices qui lui passeront devant si elle concourt comme premier rôle. La seule solution est de la considérer pour l'autre catégorie, ce qui ne serait pas nécessairement frauduleux étant donné que le personnage est par essence "supporting" en tant que complice. Mais son temps d'écran assez conséquent me fait douter.
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