Allez, un film américain pour conclure cette journée cinéma, ce qui me sera en outre bien utile pour me rafraîchir la mémoire sur une performance évoquée l'année dernière dans ma rétrospective 1956, dont j'avais alors peu de souvenirs. J'amorcerai en avouant que décidément, j'adore le cinéma en couleurs des années 1950! Ça me cause un tel plaisir et un tel sentiment de chaleur que ces images me donnent toujours envie d'être indulgent, même quand les histoires ne tiennent pas forcément leurs promesses.
Cette adaptation de Vincente Minnelli d'une pièce de Robert Anderson ne manque pas, en réalité, de tenir ses promesses, mais je comprends pourquoi ceux qui ont découvert la pièce d'abord sont généralement déçus. Et pour cause, la possible homosexualité du personnage principal n'y est jamais nommée, censure oblige! A la place, on doit se contenter d'un récit sur un garçon peu viril et maltraité par ses camarades de classe ne concevant pas la nuance. C'est à la fois d'avant-garde et daté. D'avant-garde parce qu'il fallait tout de même oser présenter un personnage masculin coudre des boutons avec des femmes dans l'Amérique des années 1950, encore que ce thé sympathique ne soit en rien précurseur en la matière, comme en témoignent le tablier du père dans Rebel Without a Cause un an plus tôt, ou l'homosexualité beaucoup plus précise de Plato dans le même film. Daté, parce que pour un spectateur européen du XXIe siècle, on est en droit de trouver certains rebondissements comme l'apprentissage de la virilité ou le dénouement pudique totalement ridicules. Par bonheur, le scénario ridiculise lui-même les comportements excessifs des hommes, de quoi faire passer la pilule. Minnelli oppose ainsi l'atelier couture de la plage avec une débauche de garçons torse nu qui se battent derrière les rochers, d'où une série d'images peu subtiles mais percutantes. Et l'on s'amuse bien sûr de voir le meilleur ami, seul soutien du héros, ne plus savoir où mettre ses mains quand madame Reynolds le titille sur ses propres valeurs masculines. En définitive, même si les garçons n'accusent pas Tom d'être homosexuel, ça ne change pas grand chose à ce que veut montrer le film, car le résultat est le même: on le traite d'efféminé en l'affublant du sobriquet "Sister Boy", et les conséquences d'un tel mépris sont tout aussi dures à assumer pour le héros.
Outre les scènes de bord de mer, Minnelli mobilise encore des images qui en disent long sur la société de son temps. La scène où Laura Reynolds écoute le père de Tom se vexer du comportement sensible de son fils est notamment bien trouvée, à l'aide d'une composition photographique très réussie par John Alton, puisqu'on y voit la dame occupée à faire le thé dans sa cuisine, tandis que les hommes conversent en se tournant les pouces dans le jardin. Il y a vraisemblablement la volonté de critiquer la place traditionnellement assignée aux femmes, place qui est d'ailleurs heureusement renversée à plusieurs autres moments, notamment quand Laura parvient à faire autorité sur le monde masculin qui l'entoure. La scène où elle fait essayer une robe à Tom pour la représentation théâtrale de fin d'année est en revanche plus ambiguë, car le héros a trop manifestement l'air ridicule dans le costume, comme si trop de féminité était tout de même perçu comme quelque chose de négatif. Le dialogue avec le meilleur ami dans la salle de musique revêt quant à lui un aspect à la fois positif et critiquable, car on y voit alors Tom sous son vrai jour, celui d'un jeune homme cultivé aimant la musique classique (positif), bien que son ami s'étonne qu'il s'intéresse davantage à la culture qu'aux bimbos qui passent dans la rue, et lui enjoigne d'apprendre à marcher de manière virile. Les arguments de cette sorte ont mal vieilli, même si Minnelli rectifie heureusement le tir en critiquant le comportement d'Al par la suite. Dommage que le dénouement un peu ridicule sur la lettre dans le jardin conclue le tout sur une note en demi-teinte.
Tea and Sympathy n'en reste pas moins un bon film, l'intrigue se suit avec intérêt malgré les non-dits, et la photographie est un plaisir de tous les instants. L'interprétation en est peut-être le point le plus faible. Non que ce soit mauvais, mais aucun personnage n'est vraiment très mémorable quand on y pense. Deborah Kerr domine la distribution: elle use d'un véritable charisme qui lui permet de ne pas se laisser marcher sur les pieds malgré sa frustration d'épouse délaissée, et elle ne manque pas de piquer l'intérêt par sa repartie, ou son désir de bien faire. Cependant, ce n'est rien d'autre qu'une bonne performance, qui ne gravite pas autour du sommet constitué par ses deux rôles de l'année suivante, par exemple. Son homonyme John Kerr est nettement plus problématique, car il ne parvient jamais à transposer son interprétation théâtrale à l'écran. Visiblement trop habitué à jouer le rôle sur scène, il se croit obligé d'écarter les mains à chaque moment de surprise, ce qui passe très mal devant une caméra. Son manque de charisme n'est pas des plus heureux, car Tom méritait davantage de force de caractère que le seul fait d'être poli et de jouer au tennis. On croirait même que l'acteur a peur de jouer avec le côté féminin du personnage, et fait donc le mauvais choix de rester le plus en retrait possible du cœur même du problème, en restant le plus masculin possible même lorsqu'il vient pour coudre un bouton. Mais n'ayant aucun problème avec des valeurs féminines que je ne peux pas nier moi-même, j'avais peut-être des attentes trop fortes vis-à-vis de ce personnage.
Moralité: Tea and Sympathy est d'une façon générale un bon film, malgré quelques aspects assez datés, ou trop en retenue par moments. L'histoire reste tout de même très digne d'intérêt, tandis que la forme offre de belles images qui servent le texte, à l'instar d'un dialogue entre mari et femme où l'épouse apparaît seulement dans un miroir, comme enfermée par un homme finalement peu ouvert d'esprit qui ne la comprend pas. Ce n'est pas parfait, mais ce n'est pas mal du tout: un petit 7/10 est mérité, bien que d'autres films de la décennie soient finalement plus riches dans le renversement des genres. Je pense surtout aux œuvres de Nicholas Ray, entre la virilité écrasante des héroïnes dans Johnny Guitar, et la féminité assumée des jeunes hommes sensibles de La Fureur de vivre.
J'aime beaucoup Deborah Kerr dans ce film. C'est probablement son rôle que je préfère, avec celui de The Sundowners (ah, le duo Kerr - Mitchum !). J'aime bien ce type de personnage, et la relation qu'elle noue avec le protagoniste est extrêmement intéressante... Il y a un côté théâtral (et pour cause), mais le jeu de Deborah n'étant pas aussi expansif que, mettons, une Katharine Hepburn, ça a le mérite de rester très subtil et évidemment élégant.
RépondreSupprimerJ'ai entendu une personne lui reprocher d'être précisément trop théâtrale, mais ça ne m'a jamais gêné, vraiment. Je la trouve beaucoup plus adaptée au style "cinéma" que son partenaire. Je préfère tout de même son interprétation dans Le Roi et moi la même année, je ne sais s'il me faut en rougir ou non... Et tu me donnes envie de revoir The Sundowners, dont je n'ai presque plus aucun souvenir!
SupprimerQuand une actrice tient tête à Robert Mitchum, ça donne généralement du bon. Susan Hayward et Jane Greer m'en sont témoins !
SupprimerElle est bien aussi dans Le roi et moi, mais son personnage me séduit moins, de même que le film...