dimanche 23 mai 2021

Alles Gute zum Geburtstag, Frau Hallstein!


C'est aujourd'hui l'anniversaire de ma colorature préférée, Ingeborg Hallstein, une cantatrice d'une voix exceptionnelle dont on parle trop peu. Assurément, son destin devait s'écrire sur une partition, puisque sa mère n'était autre qu'Elisabeth Hallstein, une soprano qui avait elle-même acquis une certaine renommée à l'opéra dans les années 1920, avant de se reconvertir dans l'enseignement du chant. C'est là tout un programme qui n'a pas manqué d'inspirer Ingeborg, elle aussi devenue professeure de musique à partir de 1979. C'est néanmoins pour sa première passion, le rôle de prima donna, qu'elle restera à jamais dans les annales, après une brillante carrière sur certaines des plus belles scènes du monde l'ayant menée de Londres à Venise, en passant par Buenos Aires.

Toutefois, Ingeborg Hallstein reste avant tout une étoile du monde germanique : c'est à Passau qu'elle fit ses débuts en 1957, dans le rôle de Musette de la magnifique Bohème de Puccini; c'est à l'Opéra d’État de Bavière qu'elle connut ses plus grands succès; c'est encore au Festival de Salzbourg qu'elle se fit remarquer à 24 ans; et c'est à Vienne qu'elle triompha comme Reine de la Nuit de l'illustrissime Flûte enchantée de Mozart, sous la direction de Karajan. Surtout, elle a chanté la plupart de ses rôles en allemand, la plus belle langue du monde après le français. Cela peut surprendre, mais elle s'est intelligemment réapproprié Rossini, Puccini ou encore Offenbach pour les accorder à sa diction parfaite dans sa langue maternelle. Il existe tout de même des enregistrements de Verdi en italien et de Meyerbeer en français, qui prouvent que la dame n'avait pas peur de s'aventurer en terrain étranger.

Elle serait sûrement plus célèbre à l'international de nos jours si elle avait accepté le contrat proposé par le Metropolitan Opera de New York, mais consciente de ses limites, elle ne souhaita pas s'engager pour un rôle qu'elle ne croyait pas pouvoir incarner. Quel dommage! Mais aussi : quel courage! Cela reflète une réelle indépendance d'esprit. La notice biographique du coffret Das Lied der Nachtigall lui attribue d'ailleurs cette citation pleine de bon sens, d'après laquelle "le talent seul ou une belle voix ne suffisent pas. Il en faut beaucoup plus: du travail, du bon sens, de l'instinct, de la personnalité et de la décence. Avec en prime un brin d'ambition." Ces qualités, alliées à une voix magnifiquement placée, des aigus vertigineux d'une clarté inouïe et une prononciation tirée au cordeau, ont en effet permis à Ingeborg de devenir l'une des plus grandes, tandis que la conscience de certains défauts lui a permis de garder les pieds sur terre malgré l'incomparable légèreté de son chant. À quelques exceptions près, elle s'est de la sorte principalement cantonnée à son registre de soprano léger, exploité avec brio, et soutenu par un jeu de comédienne espiègle et toujours dynamique. Ceci explique sûrement la place importante accordée à l'opérette dans sa discographie, ce que certains lui reprochent mais qui n'est certainement pas pour me déplaire! En outre, son physique avantageux a l'insigne honneur d'être particulièrement photogénique, ce qui lui a permis de multiplier les apparitions télévisées tout au long des années 1960 et 1970, les émissions concernées étant le parfait témoin de son exquise personnalité scénique.

Pour moi, le mot qui définit le mieux Ingeborg Hallstein est lumière : qu'elle émane de sa voix ou de sa prestance, la lumière qu'elle dégage me rend sincèrement heureux et reste un délice de tous les instants. C'est ainsi sans surprise que je conclurai cet hommage par un florilège de ses interprétations les plus légères et lumineuses.


''Sperai vicino il lido'', aria issu de Démophon, un opéra écrit par Métastase et mis en musique pour la première fois par Caldara en 1733. De nombreux compositeurs ont par la suite repris le livret, ou à défaut certains passages, à l'instar de Mozart à qui nous devons l'adaptation de cet aria pour soprano. C'est un véritable tourment pour le héros Timante, qui cherche à protéger sa fiancée du sacrifice ordonné par le roi de Thrace Démophon, et qui se lamente d'être transporté de rocher en rocher au cœur de la tempête. Cependant, la mélodie de Mozart annonce le dénouement optimiste : Ingeborg Hallstein, qui vogue avec les anges, ne reflète peut-être pas tout à fait la force du drame qui se joue à ce moment de l'histoire, mais lorsque l'on atteint une clarté et une précision telles sur les plus hautes notes, c'est un ravissement sans égal.

''Duo de Papageno et Papagena'', extrait de La Flûte enchantée, opéra de Mozart qu'on ne présente plus, écrit par Emanuel Schikaneder, créé à Vienne en 1791. Dans cette émission de 1969, Ingeborg accompagne l'animateur et chanteur autrichien Peter Alexander qui s'essaie pour la première fois à l'opéra. Le résultat est absolument irrésistible : la complicité entre les deux interprètes est adorable, et il est sincèrement impossible de ne pas succomber au charme espiègle de la chanteuse!

''Una voce poco fa'', célébrissime cavatine du Barbier de Séville de Rossini, sur un livret de Cesare Sterbini, créé à Rome en 1816. Comme indiqué plus haut, Ingeborg Hallstein s'est principalement illustrée dans sa langue natale, donnant de cet aria une coloration nouvelle qui me plaît beaucoup. Surtout, sa magnificence dans les ornements est impressionnante : on sent bien le côté volontaire et spontané de Rosine, une jeune femme qui saura se montrer bien moins docile que prévu pour obtenir ce qu'elle veut.

''Gualtier Maldè... Caro nome'', air de Gilda, la fille du Rigoletto de Verdi, créé à Venise en 1851 d'après un livret de Francesco Maria Piave. Fidèle à son propre langage, la cantatrice est tout simplement divine en reprenant les hautes notes d'une héroïne qui s'évade dans sa rêverie, songeant au faux étudiant dont le nom est cher à son cœur.

''È strano... Ah fors'è lui...'', air de Violetta, la fameuse traviata de Verdi dont l'histoire fut contée par Francesco Maria Piave, en une création vénitienne de 1853. Osant une fois n'est pas coutume le drame pur, et rendant à la partition son langage d'origine, Ingeborg montre par cette belle interprétation ce qu'elle sait faire dans une tonalité moins habituelle.

''Les Oiseaux dans la charmille'', air de l'automate Olympia tiré des Contes d'Hoffmann d'Offenbach, créés à Paris en 1881 d'après un livret de Jules Barbier. Atteignant des hauteurs démesurées, la chanteuse est sans surprise très à l'aise dans cette composition folle qu'elle reprend en allemand.

''Frühlingsstimmen'' (Voix du printemps), valse de Johann Strauss fils jouée pour la première fois à Vienne en 1883. C'était un passage obligé pour Ingeborg Hallstein, qui se révèle particulièrement virtuose, légère, joyeuse et incarnée dans cette exquise célébration d'une saison qui invite à l'amour au rythme du chant des oiseaux. Sa façon de faire passer la lumière et le plaisir de chanter sur son visage reste un véritable modèle pour moi, qui ai encore tendance à me montrer trop sérieux dans mon chant.

''Die Melodie des Lebens'' (La Mélodie de la vie), sous-titrée ''Seit Vielen Tausend Jahren Gibt Es Lieder'' (Il existe des chansons depuis des milliers d'années), lied composé par Franz Grothe, sur des paroles de Willy Dehmel. Le texte nous dit que de nouvelles mélodies émergent constamment de l'amour et de la souffrance, de la loyauté et du bonheur : la mélodie de la vie, à savoir le chant du bonheur et de la souffrance, sonne jour et nuit à travers l'espace et le temps. Ingeborg est d'une sérénité exemplaire dans ce genre, le lied, typique de son pays natal.

''Ich fühle herrlich'' (I Feel Pretty), chanson composée par Leonard Bernstein, sur des paroles de Stephen Sondheim, issue de la célèbre pièce musicale West Side Story d'Arthur Laurents, créée à Broadway en 1957. Aidée par une solide formation dans le monde de l'opérette, Ingeborg est aussi une idéale interprète de comédies musicales. Mais c'est encore sa prestance et son jeu engagé dans le registre comique qui font la différence, la cantatrice se révélant tout à fait à sa place dans cet univers inattendu, qu'elle aborde avec une grâce formidable.

''Vöglein soll'n nicht hungrig sein'' (Feed the Birds), chanson écrite et composée par Richard et Robert Sherman, pour l'adaptation de Mary Poppins par les studios Disney (1964). Une autre performance qui confirme ce que je disais à l'instant. À l'écoute, sa gouvernante est sûrement moins sévère que Julie Andrews, mais elle n'en reste pas moins aérienne et bien déterminée à mettre du baume au cœur. Un régal!

C'est tout pour aujourd'hui, en espérant que cette poignée de chansons lumineuses saura égayer votre journée. Vous pourrez découvrir bien d'autres interprétations d'Ingeborg sur les chaînes vidéos des utilisateurs qui m'ont permis de découvrir cette dame de grand talent. Je lui réitère mes vœux d'anniversaire, et la remercie pour la joie qu'elle m'apporte au quotidien!


2 commentaires:

  1. Je suis fan, fan, fan. J'en ai parlé ici (deuxième paragraphe) à propos d'un récital sentimentalo-germanique que j'écoute chaque hiver religieusement. http://levidamedechartres.over-blog.com/article-picoti-picota-67830903.html

    Merci pour le tour d'horizon.

    Ce n'est pas une mauvaise actrice non plus, elle est tout à fait charmante dans la version de TV de Wiener Blut.

    Le vengeur de Rosalind

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    1. Chouette! Nous sommes en parfait accord à propos d'Ingeborg! Ton article me fait regretter de n'avoir que le coffret "Das Lied der Nachtigall", alors que je suis avant tout attiré par son répertoire classique. Pour être honnête, je n'ai pas le sentiment de mièvrerie sucrée dont tu parles, mais j'applaudis tout à fait à la métaphore de la saccharine : Ingeborg est ma drogue et me fait planer vers des hauteurs que je n'osais imaginer!

      Je ne l'ai pas encore vue sur grand écran, mais à l'entendre, je rêve de revenir aux années 1960 et lui faire tourner une viennoiserie chantée où elle serait une bonne fée débarquant sur Terre pour mettre du baume au cœur des gens, avec toutefois des fêlures cachées en arrière-plan, histoire de la sortir de sa zone de confort.

      Wiener Blut est disponible en ligne : je sais ce que je vais regarder cette fin de semaine! Merci!

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