Ce mois de juillet m'aura donné l'occasion de revenir pour la première fois au cinéma depuis janvier 2020, à l'époque des Quatre Filles du Docteur March. Ayant été vacciné avec réticence au printemps, il fallait bien que cela me servît à quelque chose, aussi ai-je assisté à une projection du lauréat de l'Oscar du meilleur film de l'année, Nomadland, de Chloé Zhao. Malheureusement, j'ai peur de n'avoir pas grand chose à dire à ce sujet : c'est indéniablement bien fait, la réalisatrice sachant opposer les grands espaces aux intérieurs exigus, ou la vie collective à l'isolement, pour faire comprendre le parcours de son héroïne déboussolée, mais ça ne me touche absolument pas. On est certes loin des films de princesses costumées que j'affectionne tant, mais j'ai toujours été ouvert d'esprit pour découvrir des sujets aux antipodes de mes goûts personnels : dommage que je sois resté hermétique devant celui-ci, malgré les qualités visuelles et narratives proposées par la seconde femme récompensée par l'Oscar de la réalisatrice.
À la place, je parlerai d'un film nettement plus rassurant pour moi, Ammonite de Francis Lee, qui nous transporte dans la station balnéaire de Lyme Regis dans les années 1840, alors que la géologue Charlotte Murchison (Saoirse Ronan) vient y soigner sa mélancolie en se liant d'amitié puis d'amour avec la paléontologue Mary Anning, qui étudie les ammonites fossilisées dans les falaises. Apparemment, certaines critiques se sont empressées de dénoncer la dimension lesbienne du récit, rien ne prouvant que les deux femmes fussent amantes. Je n'avais jamais entendu parler ni de l'une ni de l'autre auparavant, mais quand on pense à toutes les colorations hétéros qu'ont pris des portraits invertis dans l'histoire du cinéma, on ne se plaindra pas que le scénariste ait fait le choix d'une romance au sein d'un univers minéral érodé par la mer. D'autres personnes ont reproché l'extrême jeunesse de Saoirse Ronan alors que Charlotte était plus âgée que Mary, mais comme la dame était une parfaite inconnue avant de m'adonner au film, je ne prétendrai pas avoir été choqué. À vrai dire, j'avais surtout très hâte de voir comment Kate Winslet allait passer le flambeau à sa dauphine, alors que j'attendais cette réunion avec impatience depuis l'annonce du projet!
Ainsi, avec deux actrices que j'apprécie beaucoup, une dame bien vêtue qui aime les vieilles pierres et les sonates nocturnes, et un amour hors norme dans une société fort stricte, j'avais très envie d'aimer Ammonite. Ce n'est pas tout à fait le cas : j'ai assez aimé pour écrire dessus, mais je n'ai pas vibré au rythme du ressac sur les galets du Dorset. Est-il permis de trouver le film quelque peu austère? On est certainement plus près de la froideur aimable de Carol que de la passion pyrique de La Jeune Fille en feu, mais il faut dire que les embruns étaient particulièrement sublimés dans le film français. Ici, la photographie grisonnante de Stéphane Fontaine ne manque pas d'illustrer la mélancolie d'une femme mal mariée et d'une vieille fille revêche, quitte à forcer un peu le trait, comme si le port de Lyme Regis était un finistère qui emprisonnerait les héroïnes sous la pluie, entre les falaises et la marée, dans un cimetière préhistorique où même les êtres de chair bien vivants sont déjà à demi éteints. Disons que l'on finit par espérer que les deux femmes vont quitter la ville, là où la caméra de Freddie Francis nous donnait envie de rester sur place, malgré la tempête, afin de percer le mystère de La Maîtresse du lieutenant français il y a quarante ans.
Outre la grisaille, à laquelle la formidable Gemma Jones prête ses traits dans le rôle de la matriarche ayant vu mourir ses enfants un par un, la morosité ambiante vient également d'un certain manque d'alchimie entre les deux amantes. Il ne s'agit pas de remettre en question le talent des dames, toutes deux sont même irréprochables séparément, mais ensemble? J'ai tout de même du mal à croire à leurs sentiments, d'autant qu'elles sont particulièrement opaques dans la première partie. La sincérité dans l'amour va bien au-delà d'un simple cunnilingus : il aurait fallu en trouver les traces dans les regards de ces femmes qui ont dû faire un effort pour s'apprivoiser, mais en l'état, on se retrouve une fois de plus avec deux actrices talentueuses qui jouent la passion, sans qu'elle paraisse vraiment authentique à l'écran. Peut-être que la personnalité cinématographique de Saoirse Ronan est également en jeu : autant nous sommes habitués à voir Kate Winslet s'adonner aux exigences de la chair depuis des lustres, autant sa collègue irlandaise était encore abonnée aux rôles d'adolescentes jusqu'à l'année dernière, alors la voir montrer ses fesses tout à trac reste une émancipation inattendue qui laisse un goût amer. Oui, Saoirse est une princesse, je n'osais l'imaginer s'ouvrir à l'amour sans élégance, aussi la voir se rouler bestialement sur sa consœur est aux antipodes de mes espérances! Mais je suis sûrement hypocrite en disant cela, car à l'inverse, la nudité de James McArdle ne m'a pas déplu. Cela dit, comme on ne l'a pas vu grandir devant la caméra, et qu'il ne se dévêt pas pour baiser, ça n'a rien à voir avec le changement d'image de son épouse fictive.
Autrement, l'interprétation est généralement de qualité, sans me surprendre outre mesure. Ammonite est assurément le plus beau rôle de Kate Winslet depuis longtemps, mais l'actrice a mis la barre tellement haut à ses débuts qu'elle n'est plus en mesure d'innover désormais : elle est très à l'aise sous l'apparence d'une scientifique aigrie et dépressive qui se met volontairement en retrait car ne se sentant pas légitime en société, mais ce sont là des traits de caractère qu'elle avait déjà brossé auparavant, notamment dans Les Jardins du roi, où elle était cependant moins énergique. Sa vitalité dans la sécheresse est nettement plus intéressante ici, et elle souligne assez finement ses désirs les plus refoulés derrière cette carapace, sans me bouleverser pour autant. À ses côtés, Saoirse Ronan est quasi exaspérante à traîner un air de chien battu sur la plage dans le premier acte, avant de se mettre à lancer des objets sur sa bonne pour nous rassurer sur sa guérison prochaine dès que son mari a le bon goût de s'éclipser pour six semaines. Mais ce faisant, elle change en si peu de temps qu'on est en droit d'être surpris, car sitôt l'époux reparti, la voilà plus volontaire que Mary pour extraire de nouvelles pierres de la falaise, et pour lier contact avec toute la ville en se promenant dans les salons avec une décontraction qui fait trop vite oublier son abattement du départ. En vérité, le personnage le plus intéressant est la collectionneuse Elizabeth Philpot, qui a plus de vivacité que tous les habitants réunis. La magnétique Fiona Shaw est idéale pour l'incarner avec vigueur, en laissant apparaître ses regrets d'avoir échoué là où Charlotte a réussi en un tournemain, sans pour autant montrer d'animosité envers celle-ci.
Ces relations compliquées font tout l'intérêt d'Ammonite, bien que la brume nimbe le tout d'une monotonie qui finit par agacer, sans toutefois ennuyer. Malgré une légère déception générale, j'ai beaucoup aimé la fin urbaine, qui en révèle finalement plus sur Mary que toutes les séquences maritimes, quoique l'éradication scénaristique de l'époux, dont l'ombre planait sur le destin de Charlotte tout du long, soit une solution de facilité qu'on ne saurait approuver. La note finale en suspens permet en revanche de se faire sa propre opinion sur la suite de l'histoire, ce que j'apprécie. En définitive, le film m'a plu dans une certaine mesure, mais j'espérais vraiment l'aimer davantage.
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